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Date : 20080730

Dossiers : IMM-5284-07

IMM-5285-07

 

Référence : 2008 CF 913

Montréal (Québec), le 30 juillet 2008

En présence de L'honorable Maurice E. Lagacé 

 

ENTRE :

NAVID SHAHNAZARY SANI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur présente une demande de contrôle judiciaire contre deux décisions d’un agent d’évaluation des risques avant renvoi (agent ERAR) qui rejette sa demande de résidence permanente basée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH), et rejette également sa demande d’évaluation des risques avant renvoi (demande ERAR). Invoquant les mêmes faits et jointes pour fins d’audition, les deux demandes feront l’objet d’un seul jugement.

[2]               Bien que la demande ERAR, dans le dossier IMM-5285-07, vise le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) aurait dû être désigné comme unique défendeur, puisque la section ERAR relève de sa compétence.

 

I.  Les faits

[3]               Citoyen de l’Iran, le demandeur quitte Téhéran le 19 juillet 2001, et arrive finalement au Canada 52 jours plus tard après un long et sinueux parcours qui soulève certaines interrogations, et demande l’asile le même jour sur la base de persécution pour motifs religieux et politiques. Il réside à Montréal depuis.

 

[4]               Au port d’entrée, il n’indique pas dans son questionnaire que sa crainte de persécution résulte d’une question de religion ou de conversion au christianisme, mais  plutôt qu’elle résulte d’une amitié avec deux écrivains iraniens exécutés pour leurs écrits contre le gouvernement iranien, écrits  auxquels il n’a pas lui-même contribué, alors qu’il témoignera plus tard que la mort de ces amis n’est que simple rumeur.

 

[5]               Par contre, sa demande de revendication d’asile ne repose que sur certaines opinions politiques qu’on lui imputerait et sa religion. Il prétend que la fréquentation de deux amis convertis au christianisme et son intention de se convertir au christianisme l’aurait placé dans la mire du gouvernement iranien.

 

[6]               Le 2 décembre 2001, le demandeur se fait baptiser comme chrétien à l’Église évangélique persane de Montréal, puis une deuxième fois, à la Westview Bible Church, le 14 mars 2004. Le demandeur et sa femme demeurée en Iran divorcent le 20 juillet 2005.

 

[7]               Après avoir noté plusieurs autres contradictions et invraisemblances dans le récit du demandeur, tant sur la crainte invoquée que l’itinéraire suivi pour quitter l’Iran et arriver au Canada, la Section de protection des réfugiés (SPR) conclut que son récit n’est pas crédible et rejette sa demande d’asile. Le 11 juillet 2003, cette Cour refuse la demande d’autorisation de contrôle judiciaire présentée par le demandeur contre cette décision de la SPR.

 

[8]               Le 25 mai 2004, le demandeur dépose dans le dossier IMM-5284-07 une demande fondée sur des motifs humanitaires (demande CH), pour tenter d’obtenir une exemption à l’obligation de présenter sa demande de visa à l’extérieur du Canada.

 

[9]               Dans sa demande CH, il allègue craindre les autorités iraniennes en raison de sa conversion au christianisme et ses activités religieuses au Canada. Il invoque pour son établissement sa présence au Canada depuis 2001 et le fait qu’il soit financièrement indépendant en plus d’avoir établi des liens avec ses communautés religieuses au Canada.

 

[10]           Trente‑deux mois plus tard, soit le 28 février 2007, le demandeur dépose dans le dossier IMM-5285-07 une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR).

[11]           Cette demande ERAR repose sur le récit contenu dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) soumis à la SPR, plus le fait qu’il est toujours recherché par les autorités iraniennes, et que sa femme a voulu divorcer suite à la visite des autorités venues la questionner à propos du demandeur ainsi que sur le fait qu’il ait été baptisé deux fois au Canada et y poursuive des activités religieuses dans différentes églises.

 

[12]           Toutefois, le demandeur n’invoque pas devant l’agent ERAR qu’il serait exposé à un risque de retour en Iran en tant que « réfugié sur place » du fait de sa conversion au christianisme et de ses activités religieuses au Canada, indépendamment de ses anciennes activités dans son pays d’origine. Au contraire, dans sa demande ERAR, le demandeur associe toujours son risque de retour à celui soumis à la SPR.

 

[13]           Les deux demandes (CH et ERAR) sont entendues et rejetées par le même agent ERAR le 24 octobre 2007, et sont visées par le présent recours en contrôle judiciaire. Les motifs des deux décisions sont identiques, sauf pour des précisions supplémentaires quant aux considérations humanitaires. L’agent ERAR justifie ce dédoublement dans la décision CH du fait que plusieurs des éléments de preuve et facteurs de risque invoqués au soutien de la demande ERAR conservent leur pertinence pour la demande CH, et inversement.

 

II.  Les décisions attaquées

[14]           Après l’examen des considérations humanitaires, y compris le niveau d’établissement du demandeur au Canada, son appartenance à la religion chrétienne et à sa communauté religieuse, l’agent ERAR conclut que ces facteurs n’indiquent pas en quoi le demandeur subirait des difficultés excessives advenant son retour en Iran, et que le demandeur pourrait fort bien se trouver un emploi en Iran tout en comptant sur le support de la famille laissée là-bas. De plus et à défaut de croire à la conversion de demandeur au christianisme, l’agent ERAR ne voit pas en quoi et pourquoi il risquerait des représailles pour apostasie advenant un retour en Iran.

 

[15]           Après considération des risques et des facteurs humanitaires invoqués par le demandeur au soutien de sa demande CH, l’agent ERAR conclut que celui-ci ne subirait aucune difficulté excessive et injustifiée ou inhabituelle s’il devait déposer sa demande de visa d’immigrant dans une ambassade à l’extérieur du Canada.

 

[16]           L’agent ERAR rejette la demande ERAR du demandeur pour les mêmes motifs que ceux invoqués dans la décision CH, sauf en ce qui a trait aux considérations humanitaires. Il  conclut que les risques énumérés aux articles 96 et 97 de la Loi ne s’appliquent pas au cas du demandeur et que celui-ci ne risque pas d’être exposé à la persécution ou la torture, ni à une menace à sa vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner en Iran.

 

III.  Loi applicable à une demande CH

[17]           Une personne qui désire immigrer au Canada doit déposer sa demande de résidence permanente préalablement à son entrée au Canada, donc à l’extérieur du Canada (paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi)).

 

[18]           Le paragraphe 25(1) de la Loi prévoit que, par exception (Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, au paragraphe 20), le ministre a le pouvoir discrétionnaire de faciliter l’admission d’une personne au Canada, ou de l’exempter de tout critère ou obligation prévu par la Loi, s’il est convaincu qu’une telle exemption ou facilitation devrait être accordée en raison de l’existence de considérations humanitaires (CH).

 

IV.  Norme de contrôle

[19]           Il ne subsiste que deux normes de contrôle, soit celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable (arrêt Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9). La norme de la décision correcte continue de s'appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit.  

.

[20]           Dans le cadre d’une révision judiciaire, l’appréciation du « caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel ». De plus, il faut voir si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

V.  Questions en litige

[21]           Le présent recours soulève les questions suivantes :

                       1.                   L’agent ERAR a-t-il erré de façon déraisonnable en rejetant la demande CH et la demande ERAR?

                       2.                   L’agent ERAR a-t-il erré en faisant défaut de considérer le demandeur comme « un réfugié sur place »?

 

VI.  Analyse

[22]           Le défendeur a le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable de la décision CH. Il ne partage pas l’analyse que fait l’agent ERAR et les conclusions qu’il tire des éléments relatifs à l’évaluation de son « établissement ». Malheureusement pour lui, la Cour ne voit pas en quoi l’agent ERAR erre ici. Au contraire, celui-ci paraît avoir bien apprécié dans sa décision tous les éléments de preuve pertinents. Et même si le demandeur reproche à l’agent d’avoir erré en comptant l’épouse du demandeur comme membre de sa famille, il n’en demeure pas moins qu’il était loisible à l’agent ERAR de ne pas croire le demandeur concernant son divorce, pour les motifs indiqués.

 

[23]           L’agent ERAR pouvait se référer à la décision SPR quant à l’absence de crédibilité du demandeur et quant au fait qu’aucun élément de preuve crédible n’appuyait sa demande d’asile. Il pouvait aussi vérifier si les faits invoqués par le demandeur au soutien de sa demande CH et relatifs aux allégations de risques se situaient antérieurement à la décision de la SPR ou postérieurement.

 

[24]           L’agent ERAR a noté que le demandeur soulevait essentiellement les mêmes risques dans ses demandes CH et ERAR que dans sa demande d’asile devant la SPR. Comme la SPR avait conclu au manque de crédibilité du demandeur, l’agent ERAR a conclu que le demandeur demeurait non crédible en ce qui concerne la période précédant la décision de la SPR datée du 21 mars 2003 et la preuve soumise durant cette période, c’est-à-dire quant aux allégations de menaces ou mauvais traitements subis en Iran pour cause de convictions politiques ou religieuses.

 

[25]           L’agent ERAR a également examiné la crédibilité du demandeur depuis la décision de la SPR à la lumière d’un mandat final d’arrestation émis contre lui le 16 octobre 2006, pour conclure que ce mandat contredisait la preuve documentaire selon laquelle les mandats d’arrêt en Iran sont émis strictement par des juges. En effet, le demandeur avait préalablement affirmé croire que ce mandat avait été signé par un clerc au bureau du procureur en chef, ce qui est contraire à la preuve documentaire sur l’Iran. De plus, le document contient une contradiction en ce qu’il donne, d’une part, une dernière chance au demandeur de se présenter à la police pour discuter de sa conversion religieuse, et qu’il ordonne, d’autre part, l’arrestation du demandeur. Selon l’agent ERAR, il est invraisemblable qu’un mandat d’arrêt donne à la fois une dernière chance au demandeur de venir s’expliquer et ordonne du même coup son arrestation. Pour cette raison, l’agent ERAR n’a donné aucune valeur probante à ce document.

 

[26]           L’agent ERAR a également conclu que la crédibilité du demandeur était affectée par l’invraisemblance que les autorités iraniennes aient attendu jusqu’à 2006 pour émettre l’avis final, alors qu’un mandat d’arrêt aurait été en vigueur depuis 2001.

 

[27]           En raison du manque de crédibilité attribué au demandeur, l’agent ERAR ne le croit pas non plus lorsqu’il affirme que sa femme a demandé le divorce parce que les autorités iraniennes la questionnaient et laissaient entendre qu’elles arrêteraient le demandeur pour cause d’apostasie. Notons que le certificat de divorce, postérieur aux deux baptêmes du demandeur au Canada, indique que le demandeur est de religion islamique, et non pas de religion chrétienne. On peut s’interroger sur les motifs qui auraient pu alors justifier les autorités iraniennes de vouloir arrêter le demandeur pour cause d’apostasie, et comment elles auraient pu connaître les activités religieuses du demandeur depuis qu’il est au Canada ?

 

[28]           En ce qui concerne la conversion religieuse du demandeur, l’agent ERAR conclut, en se basant sur le manque total de crédibilité du demandeur, qu’il n’existe pas suffisamment de preuve probante au dossier pour démontrer la sincérité et permanence de sa conversion, dans un but autre que vouloir demeurer au Canada.

 

[29]           Enfin, l’agent ERAR a examiné les conditions des convertis religieux en Iran, et particulièrement les risques pour les apostats, et bien que reconnaissant que la situation en Iran soit dangereuse pour celui qui délaisse la religion islamique, il n’en conclut pas moins que le demandeur n’est pas susceptible d’être affecté directement, d’autant plus qu’il ne croit pas à la conversion du demandeur au christianisme.

 

[30]           L’agent ERAR rejette la demande ERAR (IMM-5285-07) du demandeur pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans la décision CH, sauf en ce qui a trait aux considérations humanitaires. Il conclut que les circonstances énumérées aux articles 96 et 97 de la LIPR ne s’appliquent pas, en ce que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution ou de torture, de menace à sa vie ou de risque de traitements ou peines cruels et inusités advenant son retour en Iran.

[31]           Le demandeur insiste sur le fait que l’agent ERAR aurait appliqué un test erroné en concluant ne pas croire à la sincérité de sa conversion, au point de croire qu’il pourrait embrasser à nouveau la religion islamique lors de son retour en Iran. Le demandeur soutient que le test n’est pas celui de la sincérité de la conversion, mais bien si la conversion représente un risque dans le pays d’origine.

 

[32]           N’oublions pas toutefois que la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la SPR a été refusée par cette Cour qui n’a pas jugé opportun d’intervenir. Ainsi, la conclusion de la SPR, quant à l’absence de crédibilité du demandeur sur les faits antérieurs à sa décision, demeure. Par conséquent, l’agent ERAR avait de motifs de douter de la sincérité de la conversion du demandeur, comme l’avait fait la SPR avant lui, et de conclure que le demandeur pourrait très bien retourner à la religion islamique à l’occasion de son retour en Iran, ce qui lui éviterait d’être considéré comme un apostat.

 

[33]           Après avoir analysé la preuve au dossier, la Cour se doit de conclure que l’agent ERAR pouvait raisonnablement conclure au rejet à la fois de la demande CH et de la demande ERAR après avoir tenu compte de l’absence totale de crédibilité du demandeur constatée par la SPR et en se fondant de plus sur sa propre analyse des nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur au soutien de la demande ERAR.

 

[34]           Une demande ERAR demeure une mesure exceptionnelle à n’accorder que sur preuve de nouveaux éléments de preuve non disponibles au moment de la décision de la SPR, et alors seulement dans la mesure où ces nouveaux éléments indiquent un risque pour le demandeur advenant son retour dans son pays d’origine.

 

[35]           Le fait que le demandeur ait pu quitter son pays sans problème permettait à l’agent ERAR tout comme la SPR de douter de ses allégations de crainte des autorités iraniennes (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1272, paragraphe 25).

 

VII.  L’agent ERAR a-t-il erré en rejetant les demandes CH et ERAR du demandeur?

[36]           Les objectifs d’une demande CH et d’une demande ERAR diffèrent. La demande CH a pour objet de déterminer s’il existe des considérations d’ordre humanitaire permettant à un demandeur de demander la résidence permanente sans avoir besoin d’obtenir un visa de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Tandis que la demande ERAR permet au demandeur de présenter toute nouvelle preuve qui aurait pu survenir entre le moment de la décision rejetant sa demande d’asile et sa déportation du Canada concernant les risques de son retour dans le pays d’origine. Les deux demandes comportent donc des exigences différentes.

 

[37]           La Cour est d’avis que l’agent ERAR n’a pas erré en refusant la demande CH. Les  considérations avancées par le demandeur ne suffisaient pas à l’exempter de présenter sa demande de visa de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Son degré d’établissement au Canada ainsi que ses liens avec la communauté chrétienne canadienne, même en présumant la sincérité de sa conversion, ne suffisent pas pour démontrer que son retour en Iran représenterait des difficultés excessives, d’autant plus que toute la famille du demandeur, sauf un frère, réside toujours en Iran.

[38]           L’analyse de la décision ERAR est plus complexe, puisqu’il est bien établi qu’un apostat est susceptible en Iran d’être puni par la mort. La question devient donc de déterminer si le demandeur s’est véritablement converti au christianisme, ou s’il s’agit purement d’une conversion faite avec l’intention de demeurer au Canada. Il s’agit d’une question de fait qui entraîne un degré de retenue élevé à l’égard de la décision de l’agent ERAR et ce d’autant plus qu’il n’est pas clair dans la preuve que cette conversion serait subséquente à la décision de la SRP, plutôt qu’antérieure, ce qu’il appartenait au demandeur de démontrer.

 

[39]           Le demandeur soutient que sa crédibilité n’a pas été remise en cause par la SPR quant à la sincérité de sa conversion, mais plutôt quant aux événements prétendument subis en Iran et ayant motivé son départ de l’Iran pour le Canada. Ainsi, selon lui, l’agent ERAR ne pouvait pas se contenter d’affirmer que la conversion était l’un des éléments jugés non crédibles par la SPR. Une lecture attentive de la décision de la SPR révèle toutefois que le tribunal ne s’est effectivement pas attardé directement à la conversion du demandeur, et pour cause puisque, rappelons‑le, ce n’était pas alors le motif qu’il invoquait au départ pour sa demande de protection. La SPR n’en a pas moins conclu à l’absence de crédibilité du demandeur jusqu’à la date de la décision, le 21 mars 2003, ce qui comprend le moment du premier baptême du demandeur, en décembre 2001.

 

[40]           À l’audition de la demande ERAR, l’agent ERAR a questionné le demandeur plus particulièrement sur le certificat de divorce daté du 20 juillet 2005, sur le mandat d’arrêt daté du 16 octobre 2006, et sur tout autre fait qui aurait pu survenir depuis la décision négative de la SPR le 21 mars 2003. Contrairement aux prétentions du demandeur, l’agent ERAR ne paraît pas errer en concluant que les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur ne démontrent pas qu’il serait à risque en Iran.

 

[41]           Les conclusions de la SPR sur l’absence de crédibilité du demandeur affectent également le caractère sincère et véritable de la conversion du demandeur. En effet, le premier baptême du demandeur date de décembre 2001, donc antérieurement à la décision de la SPR de mars 2003. La conclusion de SPR à l’effet que le demandeur n’était pas crédible sur l’ensemble de son récit teinte la sincérité de la conversion survenue en 2001.

 

[42]           Pour ces raisons, la Cour conclut que l’agent ERAR n’a pas erré en concluant que le demandeur n’avait offert la preuve d’aucun nouveau fait qui le placerait à risque s’il devait être retourné en Iran.

 

VIII.  L’agent ERAR a-t-il erré en faisant défaut de considérer le demandeur comme « un réfugié sur place »?

[43]           Quant à l’argument soulevé par le demandeur que l’agent ERAR a omis de considérer la possibilité qu’il puisse être considéré comme un réfugié sur place, une jurisprudence de cette Cour veut que le tribunal n’est pas tenu d’examiner la notion de « réfugié sur place » lorsque le récit du demandeur est, comme dans l’espèce, jugé non crédible (Barry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 203, para. 9; Ghribi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1191, para. 28).

[44]           Il n’est pas nié que le demandeur n’a jamais invoqué devant l’agent ERAR le motif de réfugié sur place. Sa demande ERAR témoigne clairement d’ailleurs qu’il n’a jamais allégué être exposé à un risque de retour en Iran en tant que réfugié sur place du fait de sa conversion religieuse et /ou de ses activités religieuses au Canada, indépendamment des activités dans son pays d’origine et sur lesquelles il avait fondé sa demande originale de protection devant la SPR. Dans sa demande ERAR, le demandeur a toujours, tel que ci haut relaté, assimilé son retour à celui invoqué devant la SPR.

 

[45]           Le demandeur a tort de reprocher à l’agent ERAR de ne pas s’être prononcé sur un motif non allégué (Pierre-Louis c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 420 (C.A.F.) (QL); Guajardo-Espinoza c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 797 (C.A.F.) (QL)). Et encore aurait-il fallu que le demandeur non seulement allègue être un  « réfugié sur place », mais aussi qu’il fasse la preuve de faits permettant à l’agent ERAR de conclure qu’il devait être considéré comme un « réfugié sur place », ce qu’il n’a pas fait.

 

 

[46]           Ici non seulement l’agent ERAR n’a pas cru à sa conversion, mais aucune preuve ne lui a été présentée pour attester que le seul fait que le demandeur se serait converti au christianisme ou ait pratiqué des activités religieuses au Canada l’exposerait à un risque personnel quelconque en Iran,   pas plus qu’il n’a allégué ou prouvé que sa conversion et ses activités religieuses au Canada ont été ou risqueraient d’être portées à la connaissance des autorités iraniennes.

[47]           La seule preuve documentaire générale sur la situation des chrétiens convertis en Iran, sans aucun lien avec le demandeur au Canada, ne pouvait obliger l’agent ERAR à procéder à un examen plus approfondi de la question de « réfugié sur place », ce que n’a jamais allégué devant lui le demandeur, et qu’il allègue pour la première fois dans le présent recours.

 

[48]           Le demandeur peut peut-être reprocher à l’agent ERAR de n’avoir pas cru à son récit et au risque invoqué, mais il peut difficilement lui reprocher de n’avoir pas su lire dans ses pensées. Il appartenait au demandeur de faire la preuve de ses prétentions de façon crédible ce qu’il n’a pas su faire.

 

[49]           Pour tous ces motifs, la Cour ne constate aucune erreur dans les deux décisions (CH et ERAR) pouvant justifier son intervention. Il s’agit de décisions raisonnables appartenant aux issues possibles acceptables et pouvant se justifier au regard des faits et du droit auxquelles il faut accorder déférence.

 

IX.   Question à certifier

[50]           Le demandeur propose pour certification la question suivante :

Pour l’application de l’article 97 de la LIPR, dans le cadre d’une évaluation des risques avant renvoi, l’agent ERAR a-t-il l’obligation de se pencher sur le concept ou sur la question de « réfugié sur place »?

 

[51]           « Le jugement sur une demande de contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci » (article 74d) de la Loi).

 

[52]           Cependant, pour que la Cour accepte de certifier une question, il ne suffit pas d’avancer que celle-ci n’a jamais été tranchée; encore faut-il que la question proposée soit aussi « déterminante quant à l’issue de l’appel … [et qu’on n’utilise pas la certification demandée] comme un moyen d’obtenir de la Cour d’appel, des jugements déclaratoire à l’égard de question … qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée. » [Je souligne.] (Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 4).

 

[53]           La question à certifier ne peut être déterminante sur l’issue de l’appel puisqu’elle n’a jamais été soumise à l’agent ERAR, pas plus que le demandeur ne lui a offert les éléments de preuve qui auraient pu le justifier de vérifier si le demandeur pouvait être considéré comme un « réfugié sur place ».

 

[54]           Pour tous ces motifs, la Cour refusera de certifier la question proposée.

 

 


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR rejette les demandes de contrôle judiciaire présentées dans les dossiers IMM-5284-07 et IMM-5285-07, et refuse de certifier la question proposée par le demandeur.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-5284-07

                                                            IMM-5285-07

 

INTITULÉ :                                      NAVID SHAHNAZARY SANI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET AL.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 juillet 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Lucrèce M. Joseph

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Caroline Doyon

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Lucrèce M. Joseph

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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