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Date :  20080730

Dossier :  IMM-5318-07

Référence :  2008 CF 910

Montréal (Québec), le 30 juillet 2008

En présence de L'honorable Maurice E. Lagacé 

 

ENTRE :

RADIK ANANYAN et

SIMA KHACHOYAN

partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs présentent une demande de contrôle judiciaire, aux termes de l’article 72(1) de la Loi sur l‘immigration et la protection des réfugiées (la Loi), à l’encontre de la décision négative du 31 octobre 2007, de l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi (agent ERAR).

 

I.  Les faits

[2]               Tous deux citoyens d’Arménie, les demandeurs allèguent craindre les autorités arméniennes à cause de la connaissance acquise sur la corruption de ce pays par le demandeur Radik Ananyan au cours de son emploi comme ingénieur pour le gouvernement arménien.

[3]               La dénonciation des actes de corruption aurait valu à M. Ananyan une rétrogradation et la perte de son appartement, avant que sa famille quitte l’Arménie pour s’établir en Bulgarie où il les rejoindra en 1993. Harcelés en Bulgarie, les demandeurs quittent en 1999 pour la Russie où l’un de leurs fils vit.

 

[4]               Mme Khachoyan revient en Arménie en 2003 pour se rapprocher de son père et le demandeur vient la rejoindre en juillet 2004.  Suite à la réception de menaces, les demandeurs quittent leur pays et arrivent au Canada le 25 octobre 2004 munis de visas de visiteurs et déposent une demande d’asile le 29 octobre 2004.

 

[5]               Cette demande est rejetée le 25 novembre 2005 pour manque de crédibilité des demandeurs, et faute par eux d’avoir fait la preuve de leurs prétentions.  La Cour leur refuse le 15 mars 2006 l’autorisation d’exercer un recours en révision judiciaire à l’encontre de la décision négative qui rejette leur demande d’asile.

 

[6]               Les demandeurs présentent par la suite une demande de résidence permanente basée sur des motifs humanitaires qu’ils déposent au Canada plutôt qu’à l’étranger. Un agent d’immigration rejette cette demande le 31 octobre 2007.

 

[7]               Le 10 novembre 2006, les demandeurs déposent également une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), et y invoquent les mêmes risques et événements que ceux mentionnés dans leur demande d’asile, avec l’addition toutefois d’un élément de preuve additionnel consistant en une notification qu’on leur adresse en date du 14 août 2006 et paraissant émaner du  Département de la sécurité interne du ministère des Affaires internes de la République d’Arménie, et indiquant que cette autorité détient suffisamment d’information pour initier des procédures criminelles contre eux pour avoir diffamé le Président arménien et son gouvernement lors de leurs demandes d’asile et de résidence au Canada. Cet avis se lit d’ailleurs comme suit :

Republic of Armenia

Ministry of Internal Affairs

Internal Security Department

130 Nalbandyan ave.

City of Erevan 377025

 

14.08.2006

 

T0 : Ananyan, Sima Khachoyan

                           Residing at 4 Sayat-Nova ave. # 27

                          City of Erevan, Republic of Armenia

 

                          NOTIFICATION

 

 On August 28, 2006 at 10 am along with your passports you must present yourself at the Investigation Department of the Ministry of Internal Affairs of Republic of Armenia for an interview with colonel Nagapetyan.

We also inform you that the investigation department gathered all the necessary information in order to initiate a criminal procedure against you. According to our investigation, you being in Canada slandered our president, our government in order to become a permanent resident of Canada as a convention refugee.

At the interview you can confirm or refuse the evidences, which are being in the possession of our department.

If you failed to appear for the interview you will be obliged to be present mandatory and criminal charges can be laid against you.

 

Colonel: Nagapetyan A.

Signature: signed

Round Seal is applied

(Translated from the Armenian language)

 

[8]               Malgré l’acceptation en preuve de ce nouvel élément, l’agent ERAR conclut que les demandeurs ne se sont toujours pas déchargés de leur fardeau de preuve et n’ont toujours pas démontré qu’ils peuvent être personnellement à risque advenant leur retour en Arménie, et conséquemment rejette leur demande ERAR. Cette décision ERAR négative fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.  Questions en litige

[9]               La présente affaire soulève deux questions :

a.       L’agent ERAR a-t-il erré en n’accordant aucun poids à l’avis transmis par les autorités arméniennes aux demandeurs ?

b.      L’agent ERAR a-t-il erré en choisissant de ne pas entendre les demandeurs  malgré l’existence d’un élément de preuve nouveau relatif aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi?

 

III.   La norme de contrôle

[10]           La norme de contrôle applicable aux décisions des agents ERAR est celle de la décision correcte pour les questions de droit hors de la compétence du tribunal, et celle de la décision raisonnable pour les questions de fait.  (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 (QL)). L’équité procédurale et la justice naturelle sont soumises à la norme de la décision correcte.

 

IV.  Analyse

[11]           L’agent ERAR ne doute pas de l’authenticité de la notification émise par le ministère des Affaires internes de l’Arménie, et s’il en doute il n’en fait pas mention. Bien qu’il s’interroge très brièvement sur les circonstances ayant fait en sorte que les autorités arméniennes aient été informées des demandes d’asile et de résidence permanente des demandeurs, l’agent ERAR ne donne pas suite à son interrogation et ne cherche pas à s’instruire davantage sur l’importance que constitue cet élément de preuve pour les demandeurs.

 

[12]           Pourtant l’agent ERAR reconnaît dans sa décision que cette notification constitue une preuve nouvelle au sens entendu par la Loi. Pourquoi ne pas avoir apprécié cette nouvelle preuve à son juste mérite? Non pas en exigeant une preuve additionnelle sur le traitement réservé par l’Arménie à d’autres ressortissants arméniens ayant réclamé l’asile à l’étranger, mais plutôt en fonction des craintes personnelles des demandeurs quant aux risques, traitement, ou peine que laisse entrevoir la notification des autorités arméniennes, et auxquels prima facie ils paraissent s’exposer advenant leur retour forcé dans leur pays d’origine.

 

[13]           Sans expliquer ses motifs, l’agent ERAR accorde très peu de poids au nouvel élément de preuve reçu, et ce malgré l’importance apparente qu’il revêt pour les demandeurs puisqu’il vient corroborer dans une certaine mesure la crainte qu’ils expriment.

 

[14]           Il ne suffit pas à l’agent ERAR de dire qu’il « accorde peu de poids à la notification soumise » et émise par les autorités arméniennes. Encore faut-il dire pourquoi, et ce d’autant plus qu’il s’agit là pour les demandeurs d’un important nouvel élément de preuve, le seul susceptible de vraiment corroborer de façon objective la crainte exprimée par les demandeurs. L’agent d’immigration n’ayant pas évalué l’authenticité de ce document, il faut donc le considérer comme tel, sauf s’il existe un motif de douter son authenticité, ce que la décision n’indique pas.  Ce principe vaut d’autant plus que dans l’espèce le document à sa face même paraît provenir d’une source officielle (Sitoo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1513 au par. 12). 

 

[15]           Les demandeurs ont droit de savoir pourquoi l’agent ERAR n’attache aucune importance à ce document présenté sous l’étiquette officielle de l’autorité arménienne, et qui les vise personnellement. Pourquoi serait-il plus utile et convaincant d’établir que d’autres ressortissants arméniens, placés en pareilles circonstances, auraient connu le même sort? En diminuant l’importance de ce nouvel élément de preuve au point d’en écarter toute valeur probante et sans dire pourquoi, et en requérant une preuve additionnelle étrangère à  la situation personnelle des demandeurs, l’agent ERAR commet une erreur déraisonnable justifiant l’intervention de cette Cour. Celui-ci a fait défaut de considérer de façon appropriée la nouvelle preuve de risques auxquels les demandeurs seraient confrontés personnellement ce qui entraîne l’annulation de la décision.

 

[16]           Les demandeurs réclament de cette Cour une réévaluation de la preuve, ce qui n’est pas son  rôle dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[17]           Vu la conclusion sur la première question en litige, la Cour ne voit pas la nécessité de se prononcer sur la deuxième question en litige et portant sur la nécessité de l’agent ERAR de tenir une audition par suite de la production d’une nouvelle preuve rattachée aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 la Loi. Peut-être s’agit-il là d’un facteur visé par l’article 167 et  à considérer pour décider si une audition est requise ou non, dans la mesure où on met en cause la crédibilité d’un demandeur ou l’authenticité d’un élément de preuve?

 

[18]           Il appartiendra à un autre agent ERAR de répondre à la question et de décider de la procédure à suivre et jugée par lui utile. La Cour ne voit pas la nécessité de se prononcer sur cette question, sauf pour constater que généralement, lors de l’examen d’une demande ERAR, l’agent chargé de celle-ci ne tient généralement pas d’audition, mais peut le faire dans des circonstances exceptionnelles lorsque toutes les conditions énumérées à l’article 167 de la Loi existent. 

 

[19]           Vu l’erreur commise par l’agent ERAR dans sa considération de la nouvelle preuve, sa décision sera annulée. Les parties n’ayant soumis aucune question d’intérêt général pour certification, la Cour n’en voit elle-même aucune à certifier.

 


JUGEMENT

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

            ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire,

ANNULE la décision ERAR du 31 octobre 2007, et 

RENVOIE la demande pour une nouvelle détermination devant un autre agent d’immigration.

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5318-07

 

INTITULÉ :                                       RADIK ANANYAN ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 juillet 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Eveline Fiset

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Patricia Nobl

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Eveline Fiset

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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