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Date : 20080725

Dossier :         T-754-08

Référence : 2008CF906

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 25 juillet 2008

En présence du protonotaire Kevin R. Aalto

 

ENTRE :

GEORGE ARTHUR KENT

demandeur

 

et

 

UNIVERSAL STUDIOS CANADA INC.

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Aperçu

[1]          Charlie Wilson’s War (le « film ») est un film hollywoodien sorti le 21 décembre 2007 dans les salles de cinéma canadiennes et américaines. Plusieurs acteurs célèbres sont à l’affiche, dont Tom Hanks, Julia Roberts et Phillip Seymour Hoffman. Le film il relate les exploits d’un membre du Congrès des États-Unis, qui cherche à persuader le Congrès américain d’approuver le financement d’une mission secrète des É.-U. pour aider les combattants de la résistance en Afghanistan qui s’opposaient à l’invasion soviétique dans les années 1980.

[2]          La défenderesse (« Universal Canada ») est la distributrice canadienne du film. Le demandeur (« M. Kent ») est un journaliste canadien de renom qui a passé plus de deux mois au nord de l’Afghanistan au milieu des années 1980 à titre de journaliste indépendant. Il y filmait différents aspects de la guerre afghane soviétique et interviewait des chefs des combattants de la résistance connus sous le nom de « moudjahidin ».

[3]          M. Kent a préparé un reportage de la séquence filmée qu’il avait tournée en Afghanistan et il a également enregistré le récit narratif avec la voix hors champ pour le reportage. Le reportage a été diffusé sur la chaîne BBC. M. Kent a obtenu un enregistrement canadien de droit d’auteur pour le reportage de la BBC.

[4]          Dans l’espèce, M. Kent allègue que le film fait un usage non autorisé de certaines parties du reportage de la BBC, qui est une œuvre audio, visuelle et audiovisuelle originale dont M. Kent est l’auteur.

[5]          La présente requête est présentée par Universal Canada pour une ordonnance en sursis temporaire de cette action conformément au paragraphe 50 (1) des Règles des Cours fédérales en attendant le règlement d’une instance semblable présentée par M. Kent contre la société affiliée d’Universal Canada, Universal Pictures, et d’autres, devant la United States District Court de la Central District of California, Western Division (« l’action aux É.-U. »).

[6]          L’action aux É.-U. et l’espèce concernent toutes les deux l’allégation de M. Kent qu’environ 34 secondes d’audio et 5 secondes de vidéo du documentaire télévisé ont été utilisés dans le film d’une manière qui viole le droit d’auteur et les autres droits connexes de M. Kent.

[7]          L’action aux É.-U. a commencé le 24 avril 2008 contre environ 20 parties. L’action canadienne a simplement nommé une seule défenderesse, Universal Canada. Les défenderesses aux É.-U. ont présenté plusieurs requêtes attaquant la suffisance juridique de certaines parties de la plainte de M. Kent, qui en est actuellement à sa deuxième version et appelée la deuxième plainte modifiée. Dans l’action aux É.-U., les requêtes devraient être entendues le 11 août 2008. Aucune défense n’a encore été produite dans l’action aux É.-U. ni dans la présente action.

[8]          Le 13 mai 2008, M. Kent a intenté l’action en l’espèce contre Universal Canada conformément aux paragraphes 27 (1), 27 (2) et 28.1 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, dans sa version modifiée (la « Loi »).   Universal Canada n’est pas une défenderesse dans l’action aux É.-U.

[9]          En l’espèce, M. Kent demande différentes déclarations y compris une déclaration que le droit d’auteur existe dans le reportage diffusé sur la BBC et que M. Kent en est le propriétaire. Il demande également une injonction intérimaire et permanente et des dommages-intérêts pour la violation du droit d’auteur aussi bien que des dommages-intérêts punitifs et exemplaires et d’autres réparations. Il a également intenté une requête en jugement sommaire dans la présente action.

[10]      L’action aux É.-U. revendique la violation du droit d’auteur et du droit des marques de commerce aussi bien que des demandes de dommages-intérêts.

[11]      Il existe un chevauchement considérable entre les allégations factuelles dans la déclaration de l’espèce et la deuxième plainte modifiée aux É.-U. En effet, plusieurs allégations figurant à la déclaration de la présente action sont reprises pratiquement mot à mot de la deuxième plainte modifiée. Dans ses observations, Universal Canada a souligné les ressemblances importantes entre la déclaration en l’espèce et la deuxième plainte modifiée. Universal Canada souligne également qu’elle n’avait pas de rôle dans la production du matériel de contrefaçon allégué utilisé dans le film. Étant donné que le film était produit par Universal des É.-U., c’est le coupable principal en cas de conclusion de violation du droit d’auteur. Ainsi, Universal Canada soutient que l’action aux É.-U. résoudra la conclusion principale de la violation du droit d’auteur contre le producteur du film.

Questions en litige

[12]      La présente requête soulève les questions suivantes :

(a)           La présente action doit-elle faire l’objet d’un sursis en attendant l’issue de l’action aux É.-U.?

(b)          Si la présente action ne fait pas l’objet d’un sursis, faut-il accorder à la défenderesse une prorogation du délai pour la présentation de la défense?

Discussion

[13]      La deuxième question ne pose pas de grande difficulté. Dans le cadre de ses droits procéduraux, Universal Canada peut présenter une requête en sursis au lieu de déposer tout de suite sa défense. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu qu’un sursis doive être accordé, ainsi, Universal Canada se verra accorder un délai approprié pour déposer sa défense.

Faut-il accorder un sursis?

[14]      Le paragraphe 50 (1) de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’accorder un sursis dans certaines circonstances. Le paragraphe 50 (1) prévoit ce qui suit :

Suspension d’instance – La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

 

(a)            au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal; ou

 

(b)           lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

 

[15]      Le critère général à appliquer pour une requête en sursis conformément au paragraphe 50 (1) de la Loi sur les Cours fédérales est un critère à deux volets, qui a constamment été appliqué par notre Cour et d’autres cours pendant de nombreuses années. Le critère à deux volets exige que le défendeur démontre :

(a)          Que la poursuite de l’action causera un préjudice ou une injustice (et non seulement des inconvénients ou des frais additionnels) au défendeur; et

 

(b)          Que le sursis ne créera pas une injustice envers le demandeur.

 

Il existe une longue série de décisions qui appuient ce critère à deux volets. Ces décisions comprennent : Empire Universal Films Limited et al. c. Rank, [1947] O.R. 775 (H.C.), à la p. 779, Hall Development Co. of Venezuela, C.A. c. B. et W. Inc. (1952), 16 C.P.R. 67 (C. de l’Éch.), à la p. 70; Weight Watchers International Inc. c. Weight Watchers of Ontario Ltd. (1972), 5 C.P.R. (2d) 122 (C.P.F.I.) aux pp. 129-130; Varnam c. Canada (Ministre de la santé nationale et du bien-être social), [1987] A.C.F. no 511, à la p. 3; ; Figgie International Inc. c. Citywide Machines Wholesale Inc. (1992), 50 C.P.R. (3d) 89 (C.F.P.I) à la p. 92; Discreet Logic Inc. c. le Registraire des droits de l’auteur (1993), 51 C.P.R. (3d) 191 (C.F.P.I.), à la p. 191; Biologische Heilmittel Heel GmBH et al. c. Acti-Form Ltd. (1995), 64 C.P.R. (3d) 198 (C.P.F.I), à la p. 201; Compulife Software Inc. c. Compuoffice Software Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) (C.P.F.I), à la p. 456; Canadian Pacifique Railway Co c. Ship Sheena M (2000), 188 F.T.R. 16 (C.P.F.I.) à la p. 16; White c. EBF Manufacturing Ltd, 2001 CFPI 713 (Can LII) au paragraphe  5; et Safilo Canada Inc. c. Contour Optik Inc. (2005), 48 C.P.R. (4e) 339 à la p. 7.

[16]      Il faut également souligner que l’octroi d’un sursis est une ordonnance discrétionnaire et que le pouvoir discrétionnaire de la Cour doit être exercé modérément et uniquement dans les cas les plus manifestes. Il existe plusieurs décisions à l’appui de cette proposition, y compris : Mugesera c. Canada [2005] 2 R.C.S. 91, au paragraphe 12; Safilo Canada Inc. c. Contour Optik Inc., précitée, au paragraphe 27; et, Compulife Software Inc. c. Compuoffice Software Inc., précitée, au paragraphe 16.

[17]      Les lignes directrices qui ont évolué au fil des ans pour aider à déterminer si un sursis doit être accordé sont résumées pertinemment par le juge Dubé de notre Cour dans White c. EBF Manufacturing Limited et al., [2001] A.C.F. 1073, comme suit :

1.      La poursuite de l’action causerait-elle un préjudice ou une injustice (et non seulement des inconvénients ou des frais additionnels) au défendeur?

 

2.      La suspension créerait-elle une injustice envers le demandeur?

 

3.      Il incombe à la partie qui demande la suspension d’établir que ces deux conditions sont réunies

 

4.      L’octroi ou le refus de la suspension relèvent de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge.

 

5.      Le pouvoir d’accorder une suspension peut seulement être exercé avec modération et dans les cas les plus évidents.

 

6.      Les faits allégués, les questions de droit soulevées et la réparation demandée sont-ils les mêmes dans les deux actions?

 

7.      Quelles sont les possibilités que les deux tribunaux tirent des conclusions contradictoires?

 

8.      À moins qu’il y ait un risque que deux tribunaux différents rendent prochainement une décision sur la même question, la Cour devrait répugner fortement à limiter le droit d’accès d’une partie en litige à un autre tribunal.

 

9.      La priorité ne doit pas nécessairement être accordée à la première instance par rapport à la deuxième ou vice versa.

 

[18]      Ces lignes directrices ont été approuvées dans d’autres décisions de notre Cour. Voir, par exemple, Safilo Canada Inc. c. Contour Optik Inc., précitée aux pp. 349 - 350.

[19]      Il existe un autre facteur auquel on fait parfois allusion, c’est de savoir si le défendeur s’est engagé, dans l’action pour laquelle on demande un sursis, à respecter les décisions factuelles ou juridiques faites dans l’action en cours. Universal Canada n’a pris aucun engagement de la sorte. Le seul engagement pris par Universal Canada qui a été fait au cours d’une argumentation orale était que la défense d’Universal Canada soulèverait les questions factuelles importantes communes aux deux actions :

[traduction]

 

23.    La Deuxième plainte modifiée aux É.-U. et la déclaration canadienne soulèvent les questions factuelles importantes suivantes qui sont communes aux deux actions :

 

a)             La quantité et le caractère (la quantité et la qualité) du matériel prétendument pris du segment de la BBC;

 

b)             la portée des effets négatifs de l’utilisation alléguée d’un petit extrait de l’audio, et d’une portion presque indiscernable de la vidéo du segment de la BBC sur la valeur commerciale du segment de la BBC;

 

c)             si M. Kent est le seul auteur et propriétaire du segment de la BBC;

 

d)             si le segment de la BBC est la propriété de la BBC;

 

e)             si le segment de la BBC, ou les extraits utilisés par Universal des É.-U., étaient autorisés par la BBC à Universal des É.-U. ou à un autre tiers;

 

f)              si l’utilisation alléguée par le film des extraits du segment de la BBC a des effets négatifs sur la valeur et la réputation de M. Kent;

 

g)             si l’utilisation alléguée par le film des extraits du segment de la BBC était accidentelle et ni délibérée ni intentionnelle.

 

[20]      Le fait que le cadre factuel soit le même entre l’action aux É.-U. et la présente instance est essentiel à la thèse d’Universal Canada. Elle soutient qu’une conclusion d’une violation initiale de droit d’auteur dans l’action aux É.-U. est une condition préalable pour la présente action. Étant donné que le producteur du film est l’un des défendeurs prima facie aux É.-U., il doit y avoir une conclusion de violation de droit d’auteur dans l’action aux É.-U. avant qu’il n’y ait une conclusion de violation de droits d’auteur contre le distributeur du film, la défenderesse canadienne, Universal Canada. Elle souligne les parties trop longues de la déclaration, qui visent Universal Studios, la défenderesse aux É.-U., en tant que principal coupable. Elle soutient que le fait de ne pas suspendre la présente action entraînera l’obligation de juger l’affaire au Canada et exigera qu’un grand nombre de témoins et des parties aux É.-U. viennent au Canada pour témoigner. Le résultat net de tout cela porte préjudice à Universal Canada, étant donné que cela entraînera des coûts importants, un dédoublement des efforts et des inconvénients et engendrera le risque de conclusions incohérentes de fait et de droit. Le sursis de cette action évitera une multitude de procédures judiciaires et le préjudice connexe engendré par deux actions qui demandent la même réparation. 

[21]      Elle soutient, en outre, qu’avec le sursis de la présente action, l’issue de l’action aux É.-U. peut rendre la présente action théorique, ce qui constituerait l’utilisation la plus efficace des ressources judiciaires. Étant donné la portée plus importante de l’action aux É.-U., à la fois dans les causes d’action alléguées et dans le nombre et l’ampleur des défendeurs, elle devrait procéder avant la présente action, afin d’économiser tout ou une partie des frais d’un litige au Canada.

[22]      Elle soutient en outre que M. Kent ne subira pas de préjudice étant donné qu’il aura l’occasion de se faire entendre par la cour avec l’action aux É.-U. et dans la mesure où il sera libre de poursuivre toute question qui demeure en souffrance après cette instance-là dans le cadre de la présente action, puisqu’Universal Canada ne demande qu’une suspension temporaire, et non une suspension définitive. En outre, Universal Canada soutient que M. Kent devrait être libre d’agir pour lever le sursis si l’action aux É.-U. devient un bourbier de querelles procédurales et n’avance pas rapidement.

[23]      Malgré la ferveur avec laquelle ces arguments ont été présentés par les avocats d’Universal Canada, je ne suis pas convaincu que la présente action doive être suspendue et qu’il faille laisser l’action aux É.-U. trancher les questions soulevées dans l’espèce. M. Kent a des droits séparés et distincts, qu’il affirme dans la présente action et il devrait avoir le droit de les poursuivre.

[24]      Il existe bien des précédents en ce qui concerne la proposition que les frais et les inconvénients qu’on peut subir ne sont pas à eux seuls un motif suffisant pour l’octroi d’un sursis. Tandis qu’Universal Canada peut engager des frais pour amener des témoins d’Hollywood pour répondre à la présente action, ce fait seul n’est pas un motif suffisant pour l’octroi d’un sursis. En outre, l’action aux É.-U. est à une étape fondamentale et il est peu probable, étant donné les questions de procédure initiales traitées, qu’il y ait une possibilité « imminente » d’une prise de décision, sans parler d’une décision qui serait incompatible avec une décision au Canada.   

[25]      Il ne fait aucun doute que cette action et l’action aux É.-U. découlent du même ensemble de faits. Toutefois, cela ne détermine pas si une suspension de la présente instance doit être octroyée. Ce n’est qu’un facteur. Une décision dans l’action aux É.-U., s’il y a eu violation de droits d’auteur, ne sera pas nécessairement déterminante de l’issue au Canada. En l’espèce, M. Kent doit démontrer que, conformément au droit canadien, il est le propriétaire du droit d’auteur en question et qu’Universal Canada a commis un ou plusieurs des actes précis énoncés dans la Loi sur le droit d’auteur. Alors que des décisions auront lieu dans l’action aux É.-U. concernant la violation du droit d’auteur, ces décisions seront rendues conformément à la loi américaine sur le droit de l’auteur.

[26]      La loi sur les droits de l’auteur est un droit écrit et il existe des différences subtiles et moins subtiles entre les lois américaine et canadienne sur les droits de l’auteur. Par exemple, les définitions législatives ne sont pas identiques, et le traitement des droits moraux, qui sont en cause en l’espèce ne, l’est pas non plus. Une conclusion selon laquelle Universal des É.-U. n’a pas violé le droit d’auteur de M. Kent n’est pas nécessairement déterminante des questions dans l’espèce. Des défenses peuvent être disponibles à Universal des É.-U. en vertu de la loi américaine sur le droit de l’auteur qui ne seraient pas disponibles en vertu de la loi canadienne. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans Compo Co. Ltd c. Blue Crest Music et al., [1980] 1 RCS 357, par le juge Estey, pages 372 et 373 :

Me Hughes, l’avocat de l’intimée, a très bien exposé la situation en disant que le droit d’auteur n’est pas régi par les principes de la responsabilité délictuelle ni par le droit de propriété, mais par un texte législatif. Il ne va pas à l’encontre des droits existants en matière de propriété et de conduite et il ne relève pas des droits et obligations existant autrefois en common law La loi concernant le droit d’auteur crée simplement des droits et obligations selon certaines conditions et circonstances établies dans le texte législatif. En droit anglais, il en est ainsi depuis la reine Anne, sous laquelle fut promulguée la première loi relative au droit d’auteur. Il n’est pas utile, aux fins de l’interprétation législative, d’introduire les principes de la responsabilité délictuelle. La loi parle d’elle-même et c’est en fonction de ses dispositions que doivent être analysés les actes de l’appelante.

 

[27]      Ainsi, les questions liées au droit d’auteur au Canada doivent être tranchées en fonction de la Loi sur le droit d’auteur canadienne. Les conclusions en vertu de la loi américaine sur le droit de l’auteur ne seront pas nécessairement les mêmes que celles en vertu de la loi canadienne. Comme le souligne le juge Estey dans Compo, précitée :

La Copyright Act des États-Unis présente, actuellement autant qu’autrefois, plusieurs points communs avec la Loi canadienne actuelle de même qu’avec l’ancienne Copyright Act impériale.   La jurisprudence américaine doit cependant être analysée avec prudence même si elle porte sur des faits semblables, car la loi américaine repose sur des conceptions du droit d’auteur fondamentalement différentes des nôtres. [Non souligné dans l’original.]

[28]      De plus, dans Euro-Excellence Inc. et al. c. Kraft Canada Inc. et al., [2007] CSC 37, une décision récente da la Cour suprême du Canada, il a été indiqué, au paragraphe 20 :

 L’alinéa 27 (2) e) semble faire figure d’exception à la règle énoncée dans l’arrêt CCH selon laquelle la violation à une étape ultérieure exige d’abord qu’il y ait eu une violation initiale puisque, à la différence
des 
al. 27 (2) a) à d), il n’est pas nécessaire qu’il y ait violation initiale réelle. Il exige plutôt uniquement une violation initiale hypothétique. Aux termes de l’al. 27 (2)

 

Constitue une violation du droit d’auteur [l’importation de] l’exemplaire d’une œuvre [. . .]  alors que la personne qui accomplit l’acte sait [. . .] que la production de l’exemplaire [. . .] constituerait une [violation de ce droit] si l’exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l’a produit.

 

L’alinéa 27 (2) e) substitue une violation initiale hypothétique à une violation initiale réelle.    Il se peut que les contrefaçons importées aient légalement été produites à l’étranger.   Toujours est‑il qu’elles sont réputées constituer une violation du droit d’auteur si l’importateur importe au Canada des œuvres qui auraient constitué une violation du droit d’auteur si elles avaient été produites au Canada par les personnes qui les ont produites à l’étranger.

[29]      Les différences entre les lois américaine et canadienne sur les droits de l’auteur militent contre l’octroi d’un sursis de la présente action. Toutefois, ce facteur n’est pas absolument déterminant. Il s’agit simplement une ligne directrice à prendre en considération dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

[30]      Un autre facteur clé qui milite contre l’octroi d’un sursis est le préjudice ou l’injustice que risque de subir M. Kent contre le préjudice ou l’injustice que risque de subir Universal Canada dans le cas du sursis de la présente action. Universal Canada n’a aucune preuve d’un véritable préjudice autre que l’observation que les deux instances font double emploi, ce qui nécessitera des frais supplémentaires pour Universal Canada et lui causera des inconvénients. Cela ne suffit pas. On peut toujours s’occuper des coûts excessifs ou superflus du litige dans des ordonnances quant aux dépens qui sont dans le cadre du pouvoir discrétionnaire de la Cour à l’audience de l’action.

[31]      Universal Canada ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer que M. Kent ne subirait aucune injustice. Elle soutient qu’étant donné que le film est déjà sorti dans les salles et qu’il est actuellement disponible sur DVD, la présente action n’empêchera aucune violation de droit d’auteur alléguée puisque le mal est déjà fait. Ainsi, la demande de M. Kent n’a rien d’urgent, et il pourra économiser les frais de litige à la fois ici et aux É.-U. et peut avoir l’avantage des décisions aux É.-U. qui limiteront les questions en litige dans la présente action, voire trancheront ces questions.   

[32]      Toutefois, le fait de distribuer le film au Canada serait un cas de violation continue du droit d’auteur si ces allégations sont démontrées. Si M. Kent a raison en alléguant la violation du droit d’auteur, le fait de permettre à la distribution de continuer reviendrait à autoriser indirectement des actions fautives. Ce qui constituerait une injustice pour M. Kent, étant donné qu’il a le droit de se faire entendre par la Cour en ce qui concerne les revendications qu’il a affirmées.

[33]      En outre, il n’y a pas d’échéance en ce qui concerne l’action aux É.-U. pour donner une assurance qu’elle sera entendue et tranchée rapidement. M. Kent pourrait être laissé en suspens pendant une longue période sans réparation et sans accès à notre Cour. Il se peut qu’Universal Canada ne demande qu’une suspension temporaire et convienne que M. Kent peut retourner au tribunal pour lever le sursis si l’action aux É.-U. ne procède pas rapidement. C’est une injustice en soi, étant donné que, par exemple, il lui incombera alors de démontrer pourquoi le sursis devrait être levé et d’assumer les coûts de cette requête.

[34]      Enfin, en ce qui concerne l’injustice, les commentaires du juge Heald dans Weight Watchers International c. Weight Watchers of Ontario Ltd. (1972), 5 C.P.R. (2d) 122, au paragraphe 131 sont pertinents :

[traduction]

J’ai conclu qu’une suspension en ce moment créerait une grave injustice pour la demanderesse. La demanderesse allègue une contrefaçon d’une marque de commerce, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Ontario, et a en effet produit des éléments de preuve de cette contrefaçon. Le fait d’empêcher la demanderesse de procéder avec son action en contrefaçon pourrait entraîner des pertes et un préjudice irréparables. La demanderesse a allégué que la défenderesse a délibérément entamé une ligne de conduite qui vise à détruire la valeur des marques de commerce enregistrées de la demanderesse. Elle doit certainement avoir l’occasion de formuler ces allégations graves devant la Cour aussi tôt que possible.

[35]      La même possibilité devrait également être accordée à M. Kent. 

[36]      Pendant l’exposé des arguments, l’avocat représentant Universal Canada a soutenu longuement que la décision du juge Farley dans Hollinger International Inc. et al. c. Hollinger Inc. et al., [2004] O.J. no 3464 devrait s’appliquer. Cette affaire a été invoquée dans le contexte où l’on cherchait à savoir si le critère pour accorder une suspension était différent pour une suspension temporaire de celui d’une suspension permanente. Le juge Farley devait décider d’une suspension temporaire d’une instance en Ontario en attendant la décision finale dans une instance en Illinois. La suspension temporaire a été accordée. Ce faisant, le juge Farley a souligné, au paragraphe 5 :

         [traduction]

5.      Il semble que les suspensions temporaires en attendant le règlement d’une instance étrangère soient typiquement accordées lorsque l’instance étrangère « réduirait considérablement les questions à trancher » ou lorsque le gain de cause dans l’instance étrangère pourrait rendre l’instance locale « essentiellement théorique » ou avoir une autre incidence « importante » sur les questions en suspens dans l’affaire : voir Ainsworth Lumber Co c. Canada (Procureur général) (2001), 1 C.P.C. (5e) 49 (B.C.C.A.); Dowell c. Spencer, [2002] O.J. no. 5149 (Ont. R.C.S. Master); Carom c.  Bre-X Minerals Ltd. (1998), 20 C.P.C. (4e) 163 (Ont. Gen. Div.)  Les cours ont pris en considération les questions suivantes dans la décision d’exercer leur pouvoir discrétionnaire pour accorder une suspension temporaire en attendant le règlement d’une autre instance :

(a)           s’il existe un chevauchement considérable des questions en litige dans les deux instances;

 

(b)          si les deux affaires ont le même contexte factuel;

 

(c)           si l’octroi d’une suspension temporaire empêche un double emploi inutile et coûteux de ressources juridiques et judiciaires;

 

(d)          si la suspension temporaire crée une injustice à la partie qui s’oppose à la suspension.

 

[37]      Il faut souligner que, tandis que ces observations concernent une suspension temporaire, les critères résumés par le juge Farley sont très semblables à ceux que nous avons susmentionnés. À mon avis, il n’y a pas de différence significative entre les critères à appliquer pour une suspension temporaire et ceux pour une suspension permanente. Chacun des types de suspension prive un plaideur de ses droits et chacun des deux volets du critère doit être examiné attentivement sans privilégier l’un par rapport à l’autre.

[38]      Donc, à l’examen de tous les documents et les références citées au cours de l’exposé des arguments, je conclus que :

(a)           Universal Canada ne s’est pas acquittée du lourd fardeau de démontrer que la poursuite de la présente action leur créerait un préjudice ou une injustice;

(b)          une suspension créerait une injustice pour M. Kent;

(c)           l’espèce ne constitue pas un cas des plus évidents où une suspension devrait être accordée;

(d)          bien qu’il y existe des questions factuelles en l’espèce qui se chevauchent avec celles de l’action aux É.-U., les questions juridiques ne sont pas identiques, et pas de sorte qu’une conclusion dans l’action aux É.-U. soit déterminante des questions en litige en l’espèce.

(e)           il n’y a pas de risque de conclusion incompatible imminente dans l’action aux É.-U.

(f)            M. Kent a le droit de poursuivre son action au Canada. 

Par conséquent, la requête en sursis temporaire est rejetée. Universal Canada se verra accorder un délai jusqu’au 18 août 2008 pour signifier et déposer sa défense.

Dépens

M. Kent a droit à ses dépens de la présente requête. L’avocat de M. Kent a proposé que les dépens soient fixés au montant de 15 000 $ à payer immédiatement. L’avocat représentant Universal Canada a proposé que les dépens soient fondés sur le tarif, bien qu’il ait été convenu. En réponse aux questions de la Cour concernant la fixation des dépens, que 10 000 $ serait un montant approprié. Il n’y a pas de facture de coûts pour appuyer une revendication de 15 000 $. Toutefois, il ne fait aucun doute qu’un travail considérable a été accompli pour préparer la requête et les observations écrites et orales très utiles des avocats des deux parties. À mon avis, compte tenu du temps passé à plaider la requête et les facteurs liés à l’adjudication des dépens dans les Règles des Cours fédérales, je conclus que des dépens fixés au montant de 12 000 $ payables immédiatement sont appropriés.  


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

1.             La requête en sursis temporaire soit rejetée.

2.              Un délai soit accordé à la défenderesse jusqu’au 18 août 2008 pour signifier et déposer sa défense.

3.             La défenderesse paie au demandeur ses dépens de la présente requête s'élèvent à une somme de 12 000 $ y compris la TPS et payables immédiatement.

4.             Une conférence de gestion de l’instance avec la Cour soit tenue le plus tôt possible afin d’établir un échéancier pour l’audition de la requête en jugement sommaire entamée par le demandeur. 

 

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire

 


COUR FÉDÉRALE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-754-08

 

INTITULÉ :                                       GEORGE ARTHUR KENT

                                                            c.

                                                            UNIVERSAL STUDIOS CANADA INC.

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 juillet 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE PROTONOTAIRE AALTO

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 juillet 2008

 

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Me Anthony Prenol

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Brian W. Gray

Me Kristin Wall

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Blake, Cassels & Graydon s.r.l.

Avocats

POUR LE DEMANDEUR

Ogilvy Renault s.r. l.

Avocats

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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