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Date : 20080729

Dossier : T-1740-04

Référence : 2008 CF 923

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 29 juillet 2008

En présence de Me Richard Morneau, protonotaire

 

ACTION IN REM CONTRE LE NAVIRE M.V. « GRATEFUL ONE »

ACTION IN PERSONAM CONTRE LA PROPRIÉTAIRE –

THANKFUL TOO FAMILY FISHERIES INC.

ENTRE :

D'EON BOATBUILDING LIMITED

demanderesse

et

 

THANKFUL TOO FAMILY FISHERIES INC.,

LE NAVIRE « GRATEFUL ONE »,

ET LA PROPRIÉTAIRE ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE M.V. « GRATEFUL ONE »

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’un jugement rendu à la suite de l’instruction sur le fond qui a eu lieu le 8 juillet 2008. La demanderesse, D’Eon Boatbuilding Limited (D’Eon Boatbuilding), avait intenté une action simplifiée dans le cadre de laquelle elle demandait à la Cour d’accueillir son action et d’ordonner aux défendeurs, Thankful Too Family Fisheries Inc. et son navire le « Grateful One » (collectivement, le défendeur), de payer la somme de 27 979,23 $ représentant, selon D’Eon Boatbuilding, le solde impayé des coûts de construction finaux du bateau de pêche le « Grateful One ».

Le contexte procédural

[2]               Les questions que la Cour doit trancher ont été formulées dans les termes suivants dans une ordonnance rendue en date du 12 décembre 2007 à la suite de la conférence préalable à l’instruction :

(a)        Le contrat conclu par les parties prévoyait-il un prix fixe qui devait être rajusté en fonction des changements effectués et du matériel fourni avec l’accord des parties, ou s’agissait-il plutôt d’un contrat à prix coûtant majoré à l’origine?

(b)        Quelle est la valeur du matériel fourni par le défendeur?

(c)        Quelle est la valeur des changements effectués au cours de la construction du navire?

(d)       Quel est le montant dû par les défendeurs à la demanderesse par suite des décisions rendues par la Cour relativement aux questions ci‑dessus?

[3]               Les deux parties ont signé des affidavits détaillés et les déposants ont aussi témoigné au procès afin de fournir une contre‑preuve de vive voix. De plus, chaque déposant a été contre‑interrogé par l’avocat de la partie adverse. Le directeur général de D’Eon Boatbuilding, Michel Herman Surette, et le propriétaire de la société, Maurice Camille d’Eon, ont témoigné pour le compte de la demanderesse.

[4]               Rodney Charles MacDonald a témoigné pour le compte du défendeur.

Les faits

[5]               Les faits relatifs aux principaux aspects de la présente affaire peuvent être résumés comme suit.

[6]               Désireux d’acquérir un nouveau navire de pêche pour répondre à la volonté de l’un de ses fils qui voulait dynamiser les activités de pêche, M. MacDonald a communiqué avec M. Surette, de D’Eon Boatbuilding, en novembre 2003 afin de savoir combien coûterait la construction de ce navire.

[7]               Il semble que D’Eon Boatbuilding avait construit des bateaux de pêche pour M. MacDonald à deux occasions dans le passé.

[8]               En novembre 2003, les parties ont entrepris des négociations au cours desquelles M. Surette, de D’Eon Boatbuilding, a préparé un certain nombre de devis. L’un de ces devis constitue le contrat de base liant les parties. Celles‑ci ne s’entendent toutefois pas sur la question de savoir de quel devis il s’agit.

[9]               Selon le défendeur, il s’agit du devis du 5 février 2004, qui se trouve à l’onglet 14 du recueil conjoint de documents (le RCD), alors que D’Eon Boatbuilding affirme qu’il s’agit plutôt du devis du 21 avril 2004, qui se trouve à l’onglet 20 du RCD. Cette question est l’une des trois principales questions de fond qui opposent les parties et que notre analyse aura pour but de régler.

[10]           Peu importe le devis qui constitue le contrat intervenu entre elles, les parties ne contestent pas le fait que M. MacDonald a demandé que des changements soient apportés au devis au cours de la construction du navire. Ces changements ont entraîné des ajouts qui ont augmenté les coûts (les parties ont parlé d’extras) ou des crédits en faveur du défendeur; dans ce dernier cas, le matériel décrit dans le devis n’a pas été utilisé ou, plus souvent, M. MacDonald a fourni lui‑même l’équipement pour le compte du défendeur. Chaque partie a produit sa comptabilité concernant les extras et les crédits. Il s’agit de la deuxième question de fait sur laquelle les parties ne s’entendent pas.

[11]           Enfin, le 15 septembre 2004, des membres de la famille de M. MacDonald ont saisi le navire, conformément aux instructions de ce dernier, avant que le défendeur ait payé le solde final qui faisait toujours l’objet de discussions entre les parties. Dans les faits, des discussions ont eu lieu sur cette question le 15 septembre 2004, mais plus tard au cours de la journée. C’est la troisième question qui divise les parties.

I           Le contrat conclu par les parties

[12]           Il n’est pas contesté que les discussions entre MM. Surette et MacDonald ont surtout porté au début sur la construction d’un navire possédant une coque de 45 pieds qui devait être fournie et payée par D’Eon Boatbuilding.

[13]           Ainsi, le devis du 5 février 2004 (onglet 14 du RCD) mentionne ces faits et précise que le devis est valable pendant une période de 60 jours, soit jusqu’au 5 avril 2004 environ.

[14]           La preuve montre que M. MacDonald a voulu et a obtenu en fin de compte un navire plus long de cinq pieds (soit d’une longueur totale de 50 pieds). L’accord final indiquait également que M. MacDonald fournirait lui‑même la coque de 50 pieds à D’Eon Boatbuilding. Cette coque a été livrée à D’Eon Boatbuilding vers le 21 avril 2004, alors que le devis du 5 février 2004 n’était plus valable.

[15]           M. Surette a déclaré dans son affidavit et a affirmé avec assurance lors de son témoignage qu’il avait remis le devis en question à M. MacDonald le 21 avril 2004.

[16]           Je rejette la version de M. MacDonald selon laquelle il a vu le devis du 21 avril 2004 pour la première fois lors de ses discussions avec des représentants de D’Eon Boatbuilding le 15 septembre 2004. En fait, M. Surette m’a semblé beaucoup plus sûr de lui lorsqu’il a déclaré dans son témoignage qu’il avait remis le devis en question à M. MacDonald le 21 avril 2004. En outre, chacun des quatre acomptes totalisant 263 000 $ que M. MacDonald a versés à D’Eon Boatbuilding au cours de la construction du navire correspond à environ 25 % du prix ou du coût total indiqué dans le devis du 21 avril 2004. En ce qui concerne ce calendrier de paiements, je rejette également la version de M. MacDonald selon laquelle ces acomptes ont été versés un peu au hasard après des demandes sporadiques faites par M. Surette à M. MacDonald. En fait, je crois que ces acomptes ont été versés conformément au calendrier de quatre paiements sur lequel les parties s’étaient entendues.

[17]           Enfin, je crois que les différentes augmentations indiquées dans le devis du 21 avril 2004 étaient justifiées et que M. Surette en a communiqué les montants exacts à M. MacDonald au cours de conversations qu’ils ont eues avant que le devis soit établi. La Cour conclut que M. MacDonald a accepté toute l’information contenue dans le devis.

[18]           Tous les faits décrits ci‑dessus amènent la Cour à conclure que le devis du 21 avril 2004, qui fait état d’un coût total, avant modifications, de 263 000 $, constitue le contrat de base intervenu entre les parties.

[19]           Cette première conclusion permet à la Cour de formuler certaines remarques sur l’importance d’une note figurant à la fin du devis du 21 avril 2004 (cette note se trouve également dans tous les devis échangés entre les parties). Elle indique ce qui suit :

[traduction] Le présent projet est basé sur la règle du « coût + 10 % ». Si des modifications sont requises, elles tiendront compte de cette règle.

[20]           En réponse aux questions de la Cour, M. Surette a déclaré dans son témoignage qu’il fallait comprendre que le coût de 263 000 $ indiqué dans le devis du 21 avril 2004 incluait déjà le [traduction] « coût + 10 % ». Par conséquent, si aucun ajout n’avait été fait au contrat du 21 avril 2004, le montant de 263 000 $ aurait été considéré comme le prix ferme final. En l’espèce, comme il y a eu des extras, la deuxième partie de la note commençant par [traduction] « Si des modifications » signifie que ces extras devaient être calculés conformément à la règle du [traduction] « coût + 10 % ». La Cour accepte cette explication qui permet de répondre par l’affirmative à la première partie de la question (a) que la Cour a formulée à la suite de la conférence préalable à l’instruction (voir le paragraphe [2] ci‑dessus).

II         La comptabilité concernant les extras et les crédits préparée par chacune des parties

[21]           Comme je l’ai indiqué précédemment, chacune des parties a reconnu qu’il y avait eu des extras et des crédits qui devaient être pris en compte. Chaque partie a préparé un document faisant état de sa comptabilité à cet égard. Le document de D’Eon Boatbuilding se trouve à l’onglet 22 du RCD et celui du défendeur est annexé à l’affidavit de M. MacDonald.

[22]           Les parties n’ont pas réellement fait témoigner M. Surette ou M. MacDonald de façon à ce qu’ils contestent avec force la comptabilité de la partie adverse.

[23]           Le seul point qui a été abordé devant la Cour à cet égard est une déduction finale de 9 200 $ (14 000 $ – 4 800 $) demandée par M. MacDonald relativement à un système hydraulique. M. Surette a déclaré dans son témoignage que cette déduction était trop élevée, car M. MacDonald avait fourni seulement la pompe pour le système (et non le système en entier) et que le coût réclamé par M. MacDonald pour cette pompe était trop élevé par rapport au prix du marché.

[24]           Encore une fois, l’assurance avec laquelle M. Surette a témoigné et le caractère raisonnable du document se trouvant à l’onglet 22 du RCD m’amènent à accepter la version de D’Eon Boatbuilding et à l’étendre à tous les extras et les crédits. Par conséquent, la Cour accepte la comptabilité des extras et des crédits préparée par D’Eon Boatbuilding, qui se trouve à l’onglet 22 du RCD.

[25]           Bien que ce document indique que le défendeur doit encore une somme de 30 328 $, j’entends limiter la réclamation de D’Eon Boatbuilding à 27 979,23 $, car il s’agit du montant réclamé par celle‑ci dans sa déclaration. Cette conclusion répond aux questions (b) à (d) énoncées au paragraphe [2] ci‑dessus.

III        Les faits du 15 septembre 2004

[26]           Deux séries de fait sont survenues le 15 septembre 2004.

[27]           La première a trait au paiement de 63 000 $ effectué par M. MacDonald le 15 septembre 2004, qui constitue le quatrième acompte dont il a été question précédemment, et à une entente conclue par les parties le même jour, qui prévoyait que le solde de 27 979,23 $ serait réduit de 5 000 $ s’il était payé dans les deux jours suivants.

[28]           Étant donné que la Cour a déterminé que le défendeur doit verser une somme de 27 979,23 $ à D’Eon Boatbuilding, il ne semble pas nécessaire d’analyser de manière approfondie la question de savoir si le paiement de 63 000 $ fait par M. MacDonald le 15 septembre 2004 reposait sur le contrat du 21 avril 2004 ou si les parties s’étaient entendues ou non sur le versement rapide de la somme de 27 979,23 $. La preuve que j’ai entendue m’amène à répondre par l’affirmative à ces deux questions. Les témoignages de MM. Surette et d’Eon étaient plus convaincants que le témoignage parfois hésitant de M. MacDonald sur cette série de faits.

[29]           Même si elle n’a eu aucune incidence sur les mesures de redressement demandées par D’Eon Boatbuilding dans sa déclaration, l’autre série de faits survenue le 15 septembre 2004 qui doit être mentionnée concerne la prise de possession du navire par M. MacDonald ce jour‑là.

[30]           Le matin du 15 septembre 2004, M. MacDonald s’est rendu au chantier de D’Eon Boatbuilding vers 5 h 30, même s’il savait qu’il n’avait pas payé tout le solde dû relativement à la construction du bateau. Il était alors accompagné par l’un de ses fils et par son beau‑frère.

[31]           Sur les instructions précises de M. MacDonald, les deux hommes ont fait sauter le cadenas qui empêchait l’accès à la cabine du pilote du navire. Comme ils ont été en mesure de mettre le navire en marche sans les clés, il faut conclure qu’ils ont trafiqué le système d’allumage du bateau. Ils se sont ensuite enfuis avec le bateau au Nouveau‑Brunswick.

[32]           M. MacDonald a ensuite quitté le chantier. Quand des représentants de D’Eon Boatbuilding se sont rendu compte de la disparition du bateau plusieurs heures plus tard, ils ont eu de la difficulté à rejoindre M. MacDonald pour savoir s’il avait saisi le bateau sans leur consentement.

[33]           D’Eon Boatbuilding a dénoncé avec raison cette situation sans précédent que M. MacDonald a été incapable de justifier au cours de son témoignage. Il a notamment prétendu à cet égard que les marées de la baie de Fundy l’avaient forcé à agir rapidement ce matin‑là. Toutefois, l’avocat de D’Eon Boatbuilding a établi clairement, lors de son contre‑interrogatoire, qu’il n’y avait eu aucune urgence exigeant de M. MacDonald qu’il agisse en cachette comme il l’avait fait.

IV        Conclusion

[34]           Par conséquent, l’action de D’Eon Boatbuilding sera accueillie conformément à ses conclusions et les défendeurs doivent verser à la demanderesse la somme de 27 979,23 $, avec les intérêts postérieurs au jugement et les dépens taxés conformément à la colonne III du tarif B.


JUGEMENT

            L’action de la demanderesse D’Eon Boatbuilding Limited est accueillie conformément à ses conclusions et les défendeurs doivent verser à la demanderesse la somme de 27 979,23 $, avec les intérêts postérieurs au jugement et les dépens taxés conformément à la colonne III du tarif B.

 

 

« Richard Morneau »

Protonotaire

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1740-04

 

INTITULÉ :                                      D’EON BOATBUILDING LIMITED c.

THANKFUL TOO FAMILY FISHERIES INC.,

LE NAVIRE « GRATEFUL ONE »,

ET LA PROPRIÉTAIRE ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT

SUR LE NAVIRE M.V. « GRATEFUL ONE »

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 8 juillet 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le protonotaire Morneau

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 29 juillet 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

William L. Ryan, c.r.

 

POUR LA DEMANDERESSE

Andrew S. Nickerson, c.r.

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart McKelvey

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Nickerson Jacquard

Yarmouth (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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