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Date : 20080724

Dossier : IMM-166-08

Référence : 2008 CF 895

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

SIMARJIT KAUR

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision datée du 19 décembre 2007 dans laquelle l’agente d’examen des risques avant renvoi, G. Vlachos (l’agente), a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) présentée par la demanderesse en vue d’obtenir une dispense des exigences applicables au visa de résident permanent.

 

 

 

QUESTION EN LITIGE

[2]               Une question est soulevée en l’espèce : l’agente a-t-elle omis de fournir des motifs suffisants, ou a-t-elle par ailleurs omis de se pencher sur les moyens invoqués par la demanderesse, et a-t-elle donc commis une erreur en concluant que la demanderesse ne serait pas exposée à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada?

 

[3]               La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs qui suivent.

 

CONTEXTE FACTUEL

[4]               La demanderesse, née le 26 janvier 1963, est une citoyenne de l’Inde. Elle est arrivée au Canada le 3 novembre 2000 et elle a présenté une demande d’asile. Cette demande a été rejetée le 18 mars 2003, et sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour le 18 juillet 2003. La demanderesse a demandé l’asile à la suite d’une série d’événements qui se sont produits entre mars 1997 et mars 2000 dans son pays d’origine, l’Inde. La demanderesse a notamment allégué que son mari était un membre de l’Akali Dal Armistar, et qu’il avait été arrêté et torturé à trois reprises. Elle a aussi allégué avoir été arrêtée et battue une fois. Elle se serait adressée à un organisme de protection des droits de la personne et aurait par conséquent été arrêtée, battue et violée par la police pendant deux jours. La demanderesse aurait par la suite appris que son mari était mort. La demande présentée par la demanderesse a été rejetée au motif qu’elle n’était pas crédible.

 

[5]               En août 2005, la demanderesse a présenté une demande CH fondée sur l’intérêt supérieur de ses enfants et sur son incapacité prolongée de quitter le Canada, incapacité qui aurait entraîné son établissement au pays. La demanderesse est veuve et est la mère de deux enfants âgés de 17 et de 18 ans respectivement. Dans les observations qu’elle a soumises à l’agente, la demanderesse a joint des photocopies de deux cartes de citoyenneté portant la note [traduction] « membre de la famille ». Elle a également affirmé qu’elle travaillait comme bénévole au temple sikh local. Elle a travaillé depuis son arrivée au Canada et elle a payé ses factures. De plus, elle a réussi à épargner dix mille dollars. Depuis qu’elle est arrivée au Canada, la demanderesse a envoyé de l’argent en Inde pour aider les membres de sa famille là-bas, ce qu’elle ne pourrait faire, à son avis, si elle travaillait en Inde.

 

[6]               Le 22 octobre 2007, la demanderesse a présenté des observations à jour à l’appui de sa demande CH et, le 14 novembre 2007, elle a produit des pièces d’identité, dont une photocopie de son certificat de naissance, certificat daté du 10 janvier 2002, une carte de rationnement familiale délivrée en janvier 1998, et une carte électorale délivrée le 18 janvier 2001.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DE CONTRÔLE

[7]               L’agente a rejeté la demande CH présentée par la demanderesse, concluant que la demanderesse n’avait pas montré qu’elle serait exposée à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. En prenant cette décision, l’agente s’est penchée sur l’identité de la demanderesse, le risque auquel elle serait exposée si elle retournait en Inde, sa situation personnelle (l’établissement), et l’intérêt supérieur des enfants.

 

[8]               L’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas établi son identité. Sa conclusion était appuyée par les motifs suivants :

a)      L’agente a souligné que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) avait accepté le certificat de naissance de la demanderesse comme pièce d’identité acceptable. Cependant, l’agente a mentionné que la demanderesse n’avait pas fourni son certificat de naissance lorsque l’Agence des services frontaliers du Canada en avait fait la demande le 21 avril 2005. On a demandé le document une deuxième fois; la demanderesse a expliqué qu’il devait se trouver dans le dossier de la CISR, mais l’agente a souligné qu’aucun effort n’avait été fait pour récupérer le document.

b)      On a demandé à la demanderesse de produire un passeport. La demanderesse a expliqué qu’on avait refusé de l’aider au Haut-commissariat de l’Inde à Ottawa, parce qu’elle avait présenté une demande d’asile. De plus, elle a indiqué que le Haut-commissariat n’avait pas voulu lui donner une lettre de refus.

c)      L’agente a examiné les pièces d’identité déposées après la dernière demande. Une de ces pièces était une carte électorale délivrée en Inde. L’agente a jugé que ce document n’était pas authentique, puisqu’il n’était pas imprimé sur la bonne couleur et la bonne qualité de papier, qu’il n’était pas de la bonne dimension, qu’il était de piètre qualité et qu’il avait été délivré après l’arrivée de la demanderesse au Canada.

d)      L’agente a aussi examiné la carte de rationnement de la demanderesse, et elle a affirmé que la carte était de mauvaise qualité et qu’elle pouvait facilement être modifiée. L’agente a souligné qu’une traduction, datée du 5 novembre 2005, faisait partie des observations soumises. Comme la traduction portait une date antérieure de deux ans à celle du dépôt de la carte de rationnement, l’agente a jugé que la demanderesse avait omis de présenter ce document pendant tout ce temps afin d’éviter d’être renvoyée en Inde. 

e)      L’agente a écrit que la demanderesse semblait bien plus âgée que ce qu’indiquaient ses pièces d’identité. L’agente a tenu compte d’un rapport psychologique comportant une observation semblable.

 

[9]               L’agente a conclu que le risque auquel serait exposée la demanderesse si elle devait retourner en Inde n’équivaudrait pas à des difficultés excessives pour les motifs suivants :

a)      L’agente a estimé que la preuve présentée par la demanderesse à l’appui de ses allégations de risque devant la CISR avait été jugée non crédible.

b)       L’agente a souligné que la demanderesse n’avait pas formulé d’allégations de risque précises dans sa demande CH et qu’elle n’avait pas présenté de preuve appuyant ses allégations de risque. L’agente a donc jugé qu’elle ne disposait pas de preuve lui permettant de tirer une conclusion différente de celle de la CISR.

c)      Enfin, l’agente a examiné la situation en Inde et elle a conclu que la preuve documentaire ne révélait aucun changement qui justifiait une décision favorable.

 

[10]           L’agente a conclu que la situation personnelle de la demanderesse ne montrait pas un établissement suffisant pour justifier qu’elle obtienne une dispense pour CH. L’agente s’est fondée sur les éléments suivants :

a)      L’agente a souligné des contradictions quant à la période pendant laquelle la demanderesse alléguait avoir travaillé. Dans ses observations de 2005, la demanderesse a affirmé qu’elle avait travaillé chez C.M. Finition de novembre 2000 à novembre 2003, et de novembre 2004 à mai 2004. Dans ses observations de 2007, la demanderesse a affirmé qu’elle n’avait pas travaillé entre la date de son entrée au Canada et avril 2003, et qu’elle avait travaillé de mai 2003 à mai 2004. Une lettre de C.M. Finition datée du 4 juin 2004 indiquait que la demanderesse avait commencé à travailler le 12 avril 2004. L’agente a souligné qu’aucune explication n’avait été donnée à l’égard de ces contradictions.

b)      L’agente a fait remarquer que les avis de cotisation pour les années 2000 et 2002 étaient au nom de Jaswinder Singh, et non de celui de la demanderesse. L’agente a tiré une conclusion défavorable de cette anomalie et aussi des divergences concernant les dates d’emploi de la demanderesse.

c)      L’agente a tenu compte de l’observation de la demanderesse selon laquelle elle s’était fait de nombreux nouveaux amis grâce à son travail et à ses activités sociales. Elle a souligné la bonne planification financière de la demanderesse et le fait qu’elle avait épargné dix mille dollars. L’agente a jugé que la demanderesse verrait sa capacité de gain réduite en Inde, mais que ses compétences professionnelles et ses compétences en gestion financière lui serviraient.

d)      L’agente a jugé que la demanderesse n’avait pas montré qu’elle entretenait des liens étroits avec des personnes au Canada, liens dont le bris lui causerait un préjudice. L’agente a souligné dans son examen des faits que, bien que la demanderesse ait présenté des copies de deux cartes de citoyenneté appartenant apparemment à des membres de sa famille, rien n’indiquait quel était le lien de parenté entre ces personnes et la demanderesse.

 

[11]           L’agente a conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants que leur mère soit avec eux en Inde. L’intérêt supérieur des enfants n’a donc pas été un facteur favorable dans l’examen de la demande CH :

a)      L’agente a souligné que la demanderesse soutenait financièrement ses enfants en Inde. Cependant, l’agente a aussi tenu compte du fait que le fils et la fille de la demanderesse étaient âgés de 17 et 18 ans respectivement, et qu’aucune pièce d’identité n’avait été présentée à leur égard. Elle a conclu que seule la réduction du salaire touché par la demanderesse aurait une incidence négative sur ses enfants. Toutefois, vu les épargnes de la demanderesse et le fait que ses enfants étaient presque en âge de contribuer financièrement à la vie familiale, l’agente a conclu que l’intérêt supérieur des enfants n’était pas un facteur favorable.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[12]           La Cour a déjà jugé qu’il faut faire preuve d’une retenue considérable dans l’examen des décisions relatives aux demandes CH, et que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable simpliciter (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817).

 

[13]           Suivant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, rendu par la Cour suprême du Canada, la Cour doit continuer à faire preuve de retenue à l’égard des décisions sur les demandes CH, et ces décisions sont contrôlables selon la nouvelle norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir, aux paragraphes 55, 57, 62 et 64).

 

[14]           Pour qu’une décision soit raisonnable, elle doit être justifiée et il doit y avoir transparence et intelligibilité du processus décisionnel. La décision doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

L’agente a-t-elle omis de fournir des motifs suffisants, ou a-t-elle par ailleurs omis de se pencher sur les moyens invoqués?

[15]           La demanderesse invoque quatre arguments. Premièrement, la demanderesse soutient que l’agente a commis une erreur en se penchant sur son identité après avoir pris acte du fait que, selon la CISR, son identité avait été établie. La demanderesse soutient également que l’agente a commis une erreur en rejetant son explication selon laquelle l’ambassade ne voulait pas lui délivrer de passeport.

 

[16]           Je ne peux accepter cet argument. Il était loisible à l’agente de souligner que la demanderesse n’avait pas produit les documents demandés. L’agente pouvait tenir compte de ce qui s’était passé devant la CISR, mais elle n’était certainement pas liée par sa décision ni par ses conclusions. De plus, à mon avis, la conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse n’avait pas établi son identité ne jouait pas un rôle déterminant dans sa décision; dans le cas où l’agente aurait commis une erreur en se penchant sur l’identité de la demanderesse, l’erreur serait négligeable.

 

[17]           Deuxièmement, la demanderesse allègue que l’agente a tenu compte à tort du risque auquel elle serait exposée, puisqu’elle n’a pas soulevé la question du risque dans sa demande CH.

 

[18]           L’examen par l’agente du risque auquel pourrait être exposée la demanderesse si elle retournait en Inde en tant que facteur de sa demande CH ne constitue pas une erreur. Au contraire, cela montre que l’agente a procédé à un examen attentif de la demande. La demande CH présentée en application de l’article 25 de la Loi permet l’obtention d’une dispense exceptionnelle des exigences de la Loi et la décision d’y faire droit ou non est une décision discrétionnaire. Dans le contexte du régime législatif, l’agent peut examiner tous les facteurs qu’il juge pertinents. L’examen du risque par l’agente en l’espèce ne fait pas exception.

 

[19]           Troisièmement, la demanderesse prétend que l’agente a commis une erreur dans son appréciation des faits se rapportant à sa situation personnelle et à son établissement, et que l’agente n’a pas mentionné dans sa décision qu’elle était veuve et qu’elle possédait seulement cinq années d’études. La demanderesse souligne notamment que l’agente n’a pas tenu compte de la durée de son séjour au Canada comme étant un facteur favorable. De plus, la demanderesse est en désaccord avec la conclusion tirée par l’agente quant à sa capacité de trouver un emploi et d’épargner en Inde.

 

[20]           Les arguments invoqués par la demanderesse mettent en évidence son désaccord avec les conclusions de l’agente; la demanderesse demande à la Cour d’intervenir et d’apprécier à nouveau la preuve. L’appréciation de la preuve est une tâche qui relève entièrement de l’agent, et qui ne fait pas partie du rôle de la Cour, à moins qu’on ne prouve l’existence d’une erreur susceptible de contrôle. L’agente a fourni des motifs clairs et convaincants à l’appui de sa décision portant sur l’établissement de la demanderesse, et sa décision appartient manifestement aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La section de la décision intitulée [traduction] « Renseignements en matière d’immigration » ainsi que la partie intitulée [traduction] « Résumé de l’affaire » indiquent clairement la date à laquelle la demanderesse est arrivée au pays. Il n’était pas nécessaire pour l’agente de se pencher expressément sur la durée du séjour de la demanderesse au Canada, en plus de fournir des motifs concernant le degré d’établissement.

 

[21]           Enfin, la demanderesse soutient que la déclaration générale faite par l’agente selon laquelle elle ne serait pas exposée à des difficultés excessives n’est pas appuyée par la preuve, et que l’insuffisance des motifs justifie le contrôle de la décision.

 

[22]           Je ne suis pas de cet avis. L’agente a clairement examiné les facteurs pertinents en prenant sa décision. La demanderesse n’a fait ressortir aucun élément de preuve établissant que les considérations d’ordre humanitaire pertinentes n’avaient pas été prises en compte dans la décision. Dans son ensemble, la décision était justifiée, intelligible et transparente.

 

[23]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-166-08

 

INTITULÉ :                                       SIMARJIT KAUR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 JUILLET 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 24 JUILLET 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrea C. Snizynsky                                                                POUR LA DEMANDERESSE

                                                                                               

 

Bassam Khouri                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andrea C. Snizynsky                                                                POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

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