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Date : 20080724

Dossier : IMM-3079-07

Référence : 2008 CF 901

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2008

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

CAROLINA MARTINEZ KLEMP

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Carolina Martinez Klemp (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision datée du 9 juillet 2007 (la décision) dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’elle n’avait ni qualité de réfugiée au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

 

CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est née le 7 août 1979 à Mexico, au Mexique. Au moment de l’audience, elle possédait douze ans de scolarité, elle n’avait jamais voyagé à l’extérieur du Mexique et elle était âgée de 28 ans. Rien n’indiquait que la demanderesse souffrait de troubles psychologiques.

 

[3]               En janvier 1999, un des oncles de la demanderesse a été enlevé et a été détenu pendant trois mois. Peu après son retour, l’oncle a communiqué avec les autorités pour signaler le crime. Plusieurs semaines plus tard, on l’a trouvé assassiné à deux rues de la maison familiale de la demanderesse. Selon la demanderesse, la police n’a rien fait pour protéger son oncle.

 

[4]               La demanderesse allègue que son père, un comptable, a été mêlé à des activités de vente illégale d’essence et de blanchiment d’argent avec Javier Quiroz Macias (ci-après Macias), son beau‑frère d’un mariage précédent. Elle allègue que Macias était un chef dans le crime organisé et qu’il avait donc le pouvoir de soudoyer les juges et la police. À un moment donné, Macias et son père ont eu une mésentente et Macias a usé de divers types de représailles envers la famille de la demanderesse et son père.

 

[5]               Par exemple, Macias aurait apparemment soudoyé un juge et un actuaire pour faire mettre rapidement un terme à une contestation judiciaire qui durait depuis huit ans, contestation portant sur la possession de la maison familiale de la demanderesse. En septembre 2004, la police a expulsé la demanderesse et sa famille. Selon la demanderesse, la police a agi de façon corrompue et elle était à la solde de Macias.

 

[6]               La demanderesse affirme qu’en février 2005, son père a été enlevé par Macias et qu’il a été emprisonné dans l’État de Puebla. Son père lui aurait apparemment dit que Macias avait soudoyé la police d’État et les juges de Puebla. Son père a été condamné à une peine d’emprisonnement de sept ans, mais il a été libéré en novembre 2006 à la suite de l’issue favorable de son appel.

 

[7]               La demanderesse soutient que, le 9 mai 2006, un homme qu’elle ne connaissait pas l’a abordée, l’a empoignée et a tenté de la convaincre de travailler comme prostituée. La demanderesse s’est enfuie et elle n’a pas signalé l’incident à la police.

 

[8]               La demanderesse prétend aussi que, le 23 mai 2006, plusieurs hommes l’auraient entraînée dans une grande voiture blanche. Un des hommes lui aurait dit être responsable de l’emprisonnement de son père et lui aurait demandé si elle avait envisagé de devenir prostituée. La demanderesse a présumé que cet homme était Macias. Elle allègue avoir été battue, menacée avec une arme à feu, agressée sexuellement et forcée de pratiquer une fellation sur les hommes présents dans la voiture. Elle aurait été libérée après avoir accepté de passer un test VIH, qui lui permettrait de commencer à travailler comme prostituée.

 

[9]               La demanderesse a informé sa famille de l’incident, mais elle ne l’a pas signalé à la police.

 

[10]           La demanderesse n’a plus été harcelée par Macias ou ses collaborateurs par la suite. Cependant, elle soutient ne plus avoir été harcelée du fait que son frère l’accompagnait lorsqu’elle se rendait au travail et qu’elle en revenait. Elle a affirmé à l’audience que Macias et ses collaborateurs l’avaient suivie à l’occasion.

 

[11]           Le 24 mai 2006, la demanderesse a demandé aux membres de sa famille de l’aider à acheter un billet d’avion, mais ils n’ont pas été en mesure de ce faire avant le 25 juillet 2006.

 

[12]           Le 25 juillet 2006, la demanderesse s’est enfuie au Canada et, le 18 septembre 2006, elle a présenté une demande d’asile.

 

DÉCISION

 

[13]           La décision repose sur la question de la protection de l’État. À l’audience, la demanderesse a témoigné qu’à son avis, compte tenu de l’expérience de sa famille, la police était corrompue. Elle ne s’attendait pas à ce que la police s’occupe de son problème, procède à une enquête et arrête Macias et les autres personnes qui l’avaient agressée sexuellement et qui avaient tenté de la forcer à se prostituer. Il convient de noter que la demanderesse n’a pas témoigné qu’elle craignait la police. Elle croyait simplement qu’il serait inutile de s’adresser à la police, parce que cette dernière n’avait [traduction] « rien fait » quand son oncle s’était plaint avant d’être assassiné, quand sa famille avait été expulsée ou quand son père avait été emprisonné de façon illégitime.

 

[14]           La Commission a correctement énoncé la question comme suit :

Il s’agit de savoir si le gouvernement mexicain essaie vraiment de protéger de façon adéquate les personnes qui se trouvent dans la situation de la demandeure d’asile au Mexique.

 

[15]           La décision repose sur le fait que la demanderesse ne s’est jamais adressée à la police et sur la conclusion de la Commission tirée à la lumière de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724, rendu par la Cour suprême du Canada, qui indique que « le demandeur ne sera pas visé par la définition de l’expression “réfugié au sens de la Convention” s’il est objectivement déraisonnable qu’il n’ait pas sollicité la protection de son pays d’origine ».

 

[16]           La Commission a cité de longs passages de la preuve documentaire portant sur la corruption de la police et les façons de déposer des plaintes contre les autorités, et elle a conclu qu’il existait une protection de l’État adéquate au Mexique.

 

[17]           En tirant cette conclusion, la Commission a déclaré :

Le tribunal attribue aux preuves documentaires une force probante bien supérieure à celle du témoignage de la demandeure d’asile au sujet de l’accès à la protection de l’État au Mexique. Sur ce point, le tribunal s’inspire de la décision Edomsky, qui permet d’affirmer que la Commission peut préférer des preuves documentaires objectives au témoignage subjectif des demandeurs d’asile. Les preuves documentaires citées en l’espèce sont tirées de diverses sources indépendantes et fiables, et aucune de ces sources n’a intérêt à ce que les demandeurs d’asile soient déclarés avoir qualité de réfugié au sens de la Convention ou non. Dans cette mesure, elles sont impartiales.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[18]           La critique principale formulée par la demanderesse est que la Commission n’a pas pris en compte le fait que sa demande reposait sur des motifs liés au sexe. La Commission a analysé la question de la protection de l’État uniquement du point de vue de la corruption policière, plutôt que de tenir compte aussi de la possibilité que Macias fasse du mal à la demanderesse, ce qui constitue la crainte que la demanderesse avait exprimée dans son Formulaire de renseignements personnels.

 

[19]           La demanderesse affirme que la Commission a aussi commis une erreur en citant de longs passages de la preuve documentaire sans faire de lien entre ces passages et sa situation.

 

[20]           De plus, la demanderesse critique la décision de la Commission d’attribuer une plus grande valeur probante à la preuve documentaire qu’à son témoignage au motif que la preuve documentaire provient de sources fiables, indépendantes et impartiales. Cependant, son témoignage ne portait pas réellement sur la protection étatique offerte aux femmes se trouvant dans la même situation qu’elle. Son témoignage portait plutôt sur l’opinion qu’elle avait de l’expérience de sa famille à l’égard de la corruption de la police. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une question de fond en l’espèce.

 

[21]           Enfin, la demanderesse laisse entendre que l’application par la Commission des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe manquait d’étoffe et que son omission d’appliquer les Directives concernant les personnes vulnérables (les DCPV) constituait une erreur. À mon avis, les observations sur ce point ne méritent pas d’être analysées plus en détail, et je n’ai pas demandé au défendeur d’en traiter lors de l’audience. J’ai tiré cette conclusion parce que la Commission a affirmé qu’elle avait « vraiment pris en considération » les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et parce qu’elle a fait preuve de compréhension en traitant la preuve présentée par la demanderesse à l’audience. De plus, les DCPV n’ont pas été invoquées à l’audience. Elles ont été mentionnées pour la première fois dans des observations présentées spontanément après l’audience et elles n’étaient pas appuyées par une preuve médicale ou autre preuve. Dans ces circonstances, et en raison de l’âge de la demanderesse, de son niveau de scolarité et du fait qu’elle s’était débrouillée raisonnablement bien à l’audience, la Commission avait le droit de conclure que les DCPV ne s’appliquaient pas.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[22]           À la lumière de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, et comme les questions soulevées sont des questions de fait et de droit, je conclus que la norme de contrôle applicable devrait être la décision raisonnable.

 

ANALYSE

 

[23]           La Commission a reconnu que la demanderesse craignait d’être persécutée par Macias. Elle a aussi reconnu explicitement que les craintes de la demanderesse étaient fondées sur des motifs liés au sexe : elle craignait que Macias ne la force à se prostituer. Cependant, la preuve n’appuyait pas l’explication fondée sur les motifs liés au sexe à savoir pourquoi il était objectivement raisonnable pour la demanderesse de n’avoir fait aucun effort en vue d’obtenir la protection de la police ou d’autres autorités.

 

[24]           Comme la Commission a reconnu ces craintes, la question dont elle était saisie était de savoir si la demanderesse avait réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État. La Commission a souligné que la demanderesse ne s’était jamais adressée à la police et qu’elle n’avait pas autrement sollicité la protection de l’État. La Commission a examiné si cette omission était objectivement raisonnable et elle a conclu qu’elle ne l’était pas. Citant l’arrêt Ward, la Commission a souligné que « le demandeur d’asile doit démontrer qu’il était objectivement raisonnable de ne pas avoir sollicité la protection de l’État ».

 

[25]           La demanderesse allègue que la Commission a commis une erreur en ne faisant pas référence à la preuve documentaire sur l’existence de la protection étatique pour les femmes qui ont été victimes de violence conjugale et sexuelle. Plus précisément, la Commission n’aurait pas tenu compte d’une section d’un document de février 2007 intitulé « Exposé – Mexique : Situation des témoins des crimes et de la corruption, des femmes victimes de violences et des victimes de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle » (l’Exposé), section qui figurait sous la rubrique « Femmes victimes de violences » (la section), malgré qu’elle ait cité de longs passages d’autres parties du même document. Comme elle avait été victime de violence sexuelle, la demanderesse a soutenu que la Commission aurait dû faire référence à cette section dans sa décision.

 

[26]           La citation tirée par la Commission de l’exposé était longue et portait sur les efforts déployés en vue de contrôler les forces de sécurité, sur les procédures pour signaler les crimes et poursuivre en justice les personnes qui en sont responsables, sur les efforts faits pour contrôler la corruption dans la fonction publique et dans la police, sur les services d’aide aux victimes, sur les efforts fournis en vue d’encourager les victimes à dénoncer les crimes et en vue d’accroître la confiance des citoyens envers les organismes de sécurité publique, sur les recours offerts contre les violations des droits de la personne commises par les fonctionnaires du District fédéral, et sur la protection des témoins de crimes.

 

[27]           La section à laquelle la demanderesse fait référence traite principalement des statistiques concernant les meurtres et la violence conjugale, statistiques qui ne sont pas directement pertinentes quant à sa situation. Cependant, le paragraphe introductif de la section indique :

[L]a violence contre les femmes, y compris la violence conjugale et sexuelle, constitue un problème grave pour les autorités mexicaines […] parce que de nombreux organismes d’application de la loi ne la prennent pas au sérieux […], en particulier aux niveaux municipal et des États […]

 

[28]           La section tend à indiquer que les victimes de persécution fondée sur le sexe ont peut-être moins accès à la protection de l’État que les autres victimes de crimes, mais elle ne tend pas à indiquer que l’État ne protège pas efficacement les femmes se trouvant dans la situation de la demanderesse. Les passages auxquels la Commission n’a pas fait référence n’appuient pas l’argument selon lequel il était objectivement raisonnable pour la demanderesse de ne pas solliciter la protection de l’État au motif qu’elle croyait que la police ne ferait rien.

 

 

JUGEMENT

AYANT examiné les documents déposés et entendu les observations des avocats des deux parties à Toronto, le mardi 26 février 2008;

 

            ET AYANT été informée qu’aucune question n’est proposée aux fins de certification;

 

LA COUR ORDONNE que pour les motifs qui précèdent, la demande soit rejetée.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3079-07

 

INTITULÉ :                                       CAROLINA MARTINEZ KLEMP c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 26 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 24 JUILLET 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Byron Thomas

 

POUR LA DEMANDERESSE

Sharon Stewart Guthrie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Byron Thomas

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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