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Date : 20080723

Dossier : IMM-3881-07

Référence : 2008 CF 900

Toronto (Ontario), le 23 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

MOHAMAD MUGHRABI

demandeur

 

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’ IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard d’une décision (la décision), datée du 17 septembre 2007, par laquelle une agente d’immigration (l’agente) a refusé la demande de résidence permanente fondée sur des circonstances humanitaires (CH) faite au Canada par le demandeur.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Jordanie d’origine ethnique palestinienne. Il a quitté la Jordanie et est entré aux États-Unis en juin 1996. Il est entré au Canada le 6 mai 2003, date à laquelle il a demandé l’asile. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d’asile le 15 juin 2004. La demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) du demandeur a été refusée le 16 juin 2005. Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qui visait la décision défavorable prise par l’agente d’ERAR. Le 6 octobre 2005, la Cour a rejeté la demande d’autorisation et, le 17 septembre 2007, une mesure de renvoi a été prise contre le demandeur, lui ordonnant de quitter le Canada le 27 septembre 2007.

 

[3]               Entre-temps, le 24 novembre 2006, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada pour des circonstances humanitaires. La demande a été refusée le 17 septembre 2007. C’est cette décision qui fait l’objet du contrôle judiciaire dans la présente demande. Un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi a été accordé en attendant l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

 LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[4]               Dans sa décision, l’agente a soupesé les facteurs militant pour et contre la demande CH du demandeur et conclu que les circonstances humanitaires ne suffisaient pas pour justifier une levée de l’obligation du demandeur de faire une demande de visa à l’étranger. L’agente a précisé que la demande CH du demandeur était fondée sur les besoins physique et affectif de sa famille canadienne élargie, dont sa tante, son oncle et leurs cinq enfants, auxquels il était tenu de répondre. L’agente a reconnu que les cousins du demandeur avaient besoin des soins physiques et du soutien affectif du demandeur, mais elle a ajouté que les enfants seraient confiés à leurs parents biologiques au Canada si le demandeur faisait une demande de résidence permanente à l’étranger.

 

[5]               L’agente a également examiné les difficultés que subirait la famille si le demandeur était obligé de faire sa demande à l’extérieur du Canada, et elle a conclu que la famille ne subirait pas  [traduction] « plus de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives que les autres membres de familles au Canada qui vivent éloignés du reste de leur parenté résidant à l’étranger ».

 

[6]               L’agente a ensuite indiqué que le demandeur pourrait retourner aux États-Unis et rejoindre son épouse, une citoyenne américaine susceptible de lui fournir un soutien financier et affectif, et qu’un tel retour appuierait l’objectif de réunification de la famille. Elle a également reconnu que, dans le cas où le demandeur serait renvoyé en Jordanie, bien que les conditions dans ce pays ne soient pas aussi attrayantes que celles au Canada, elles ne lui causeraient pas plus de difficultés inhabituelles ou injustifiées que celles auxquelles sont confrontées d’autres personnes en Jordanie et dans d’autres pays. L’agente a donc conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne suffisaient pas pour justifier une levée du critère relatif au visa, et elle a refusé la demande de résidence permanente faite au Canada par le demandeur.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               Voici les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire :

1.                   L’agente a-t-elle omis de tenir compte des deux rapports psychologiques présentés à l’appui de la demande CH du demandeur lorsqu’elle a rendu sa décision?

 

2.                   L’agente d’immigration a-t-elle omis de tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants?

 

3.                   La décision de l’agente est-elle déraisonnable?

3.

 

 

CADRE LÉGISLATIF

 

[8]               Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[9]               Récemment, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick,  2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a décidé d’adopter une seule norme de « raisonnabilité » après avoir reconnu que, bien que la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement raisonnable se distinguent théoriquement, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44).

 

[10]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question en particulier soumise à la cour de révision est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement lorsque cette recherche est infructueuse que la cour de révision se livre à une analyse des quatre facteurs pertinents pour l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[11]           Avant l’arrêt Dunsmuir, il était bien établi que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’accorder une dispense fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était celle de la décision raisonnable simpliciter (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 61. À la lumière des arrêts Baker et Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’elle contrôle une décision selon cette norme, la Cour ne doit intervenir que si la décision était déraisonnable en ce sens que celle-ci n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[11]

ANALYSE

1.  L’agente a-t-elle omis de tenir compte des deux rapports psychologiques présentés à l’appui de la demande CH du demandeur lorsqu’elle a rendu sa décision?

 

[12]           Le demandeur soutient que l’agente a omis de tenir compte des deux rapports psychologiques qu’il a présentés à l’appui de sa demande CH et qu’elle a donc commis une erreur susceptible de contrôle. Il allègue que l’agente n’a mentionné que sommairement les rapports psychologiques et qu’elle n’a pas expliqué en profondeur les raisons pour lesquelles elle avait rejeté les conclusions contenues dans les rapports. Selon le demandeur, ne mentionner que brièvement des éléments de preuve essentiels, ne satisfait pas à l’obligation d’un agent de tenir compte de tous les éléments que présente un demandeur.

 

[13]           Le défendeur allègue que les motifs de la décision de l’agente démontrent qu’elle a tenu compte de l’ensemble de la preuve, notamment des deux rapports psychologiques. Il souligne que l’agente a accepté la conclusion des rapports selon laquelle la famille était susceptible de souffrir sur le plan psychologique. Cependant, l’agente a conclu que les parents biologiques pourraient toujours continuer de s’occuper des enfants, qu’il existe des programmes sociaux et médicaux au Canada pour aider les membres de la famille en cas de traumatisme psychologique et que les difficultés que pourraient subir la famille, quelles qu’elles soient, ne sont pas plus inhabituelles, injustifiées ou excessives que celles auxquelles sont confrontées les autres familles lors d’une séparation. Le défendeur soutient qu’il ressort clairement de la décision de l’agente que les rapports psychologiques ont été pris en compte et que le demandeur, en fait, conteste le poids qui a été accordé à ces rapports. Le défendeur fait valoir qu’il n’appartient pas à la Cour de soupeser de nouveau la preuve ni de substituer son opinion à celle de l’agente.

 

[14]           Après avoir examiné la décision, je ne suis pas convaincu que l’agente a omis de tenir compte des rapports psychologiques présentés à l’appui de la demande de résidence permanente du demandeur. L’agente a expressément mentionné que les rapports faisaient partie de la liste de documents qu’elle avait examinés, elle a aussi fait référence aux renseignements contenus dans ces rapports, tels que le lien étroit entre le demandeur et sa tante, et elle a souligné les problèmes de santé de la tante et de l’oncle, le temps que le demandeur a passé à s’occuper de ses cousins et le [traduction] « lien étroit et affectif » que le demandeur a établi avec ses cousins, surtout la plus jeune, Jenan. L’agente a également écrit ce qui suit :

[traduction]

[B]ien que les rapports psychologiques datés du 14 octobre 2005 et du 17 janvier 2007 indiquent que les membres de la famille de M. Mughrabi souffriront sur le plan psychologique si ce dernier quitte le Canada, surtout la cousine la plus jeune, Jenan, âgée de quatre ans, les cinq jeunes cousins ont leurs parents biologiques au Canada qui sont toujours en mesure de leur apporter un soutien financier et de répondre à leurs besoins physique et affectif.

 

[15]           En se fondant sur ces renseignements, et même si je conviens que l’agente n’a fait qu’une brève mention à la preuve contenue dans les rapports psychologiques, le demandeur n’a pas réussi à établir que l’agente n’a pas tenu compte des rapports psychologiques lorsqu’elle a évalué sa demande et les facteurs d’ordre humanitaire invoqués à l’appui.

 

2.  L’agente d’immigration a-t-elle omis de tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants?

 

[16]           Le demandeur soutient que l’agente n’a pas été réceptive ni attentive ni sensible à l’intérêt supérieur des enfants touchés par la décision lorsqu’elle a rejeté sa demande CH. Le demandeur se fonde sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 32, dans laquelle la Cour a résumé la jurisprudence applicable dans les termes suivants :

32.     Il y a eu également consensus sur le fait qu’une agente ne peut démontrer qu’elle a été « récepti[ve], attenti[ve] et sensible » à l’intérêt supérieur d’un enfant touché par la simple mention dans ses motifs qu’elle a pris en compte l’intérêt de l’enfant d’un demandeur CH (Legault, par. 13). L’intérêt de l’enfant doit plutôt être « bien identifié et défini » (Legault, par. 12) et « examiné avec beaucoup d’attention » (Legault, par. 31) car, ainsi que l’a affirmé clairement la Cour suprême, l’intérêt supérieur de l’enfant constitue « un facteur important » auquel on doit accorder un « poids considérable » (Baker, par. 75) dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire sous le régime du paragraphe 114(2).

 

[17]           Le demandeur se fonde également sur une décision récente rendue par le juge Campbell dans l’affaire Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, où la Cour s’est penchée sur la signification des termes « réceptif, attentif et sensible ». Dans cette affaire, la Cour a statué qu’« être réceptif » signifie que l’agent doit montrer qu’il est au courant de l’intérêt supérieur de l’enfant en indiquant les manières dont cet intérêt entre en jeu, et qu’« être attentive » signifie que l’agent doit considérer les facteurs qui font intervenir l’intérêt supérieur d’un enfant dans leur contexte intégral, et que la relation entre les facteurs en question et les autres circonstances du dossier doit être parfaitement comprise. Pour montrer qu’il est sensible à l’intérêt de l’enfant, l’agent doit pouvoir exposer clairement les épreuves qui résulteront pour l’enfant d’une décision défavorable, puis dire ensuite si, compte tenu également des autres facteurs, les épreuves en question justifient une dispense pour motifs d’ordre humanitaire.

 

[18]           À l’appui de son argument selon lequel l’agente n’a pas été réceptive ni attentive ni sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, le demandeur allègue que la décision contient seulement l’affirmation selon laquelle [traduction] « les difficultés auxquelles seraient confrontés les cousins [du demandeur] ne sont pas plus inhabituelles, injustifiées ou excessives que celles que connaissent les autres membres de familles canadiennes qui vivent éloignés du reste de leur parenté résidant à l’étranger ». Selon le demandeur, cette affirmation ne satisfait pas au critère selon lequel l’agente devait être réceptive, attentive et sensible à l’intérêt des enfants dans son analyse en l’espèce.

 

[19]           Le demandeur allègue que l’agente devait examiner l’incidence qu’aurait son renvoi, comme le révèlent les rapports psychologiques, sur ses cousins. Il soutient que l’agente n’a pas pleinement tenu compte de l’incidence de son renvoi, qu’elle n’a que repris les motifs qu’il avait invoqués à l’appui de sa demande CH et qu’elle n’a fait qu’une brève mention de l’incidence qu’aurait le renvoi sur les enfants. Le demandeur soutient que l’agente n’a pas identifié ni défini l’intérêt supérieur des enfants et qu’elle n’en a pas tenu dûment compte, comme le prescrit l’arrêt Hawthorne.

 

[20]           Enfin, le demandeur fait valoir qu’il n’est pas nécessaire que l’enfant touché soit le sien. Il s’appuie sur la décision de la Cour dans Momcilovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 268 F.T.R. 150, 2005 CF 79, où le juge O’Keefe a conclu au paragraphe 45 :

45     On se rend compte, à la simple lecture du paragraphe 25(1), que cette disposition va plus loin que l’intérêt supérieur des enfants d’une personne. Elle ne parle pas de l'intérêt supérieur de [traduction]  « l’enfant né du mariage » ou de [traduction] « l’enfant du demandeur », mais de l’intérêt supérieur de « l’enfant directement touché ».

 

[21]           Le défendeur allègue que, bien que l’intérêt supérieur des enfants constitue un facteur important, celui-ci n’est pas déterminant (Hawthorne, précité). L’intérêt supérieur des enfants doit plutôt être évalué en fonction d’autres facteurs. Le défendeur soutient que l’agente a procédé à la pondération des facteurs et à l’examen de la demande d’asile du demandeur qui a été rejetée, de sa demande d’ERAR qui a aussi été rejetée et des rapports psychologiques. Selon le défendeur, il ressort des motifs de l’agente que celle-ci a examiné les facteurs particuliers de l’espèce, le contexte entourant les difficultés et les épreuves qui résulteraient d’une décision défavorable, et qu’elle a donc été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants.

 

[22]           Le défendeur souligne que la présente affaire se distingue de l’affaire Kolosovs. Dans cette affaire, le grand-père avait été présent à la naissance de chacun des enfants, il leur apportait un soutien affectif et financier, et il était leur seule figure paternelle. De plus, dans Kolosovs, l’agent n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants, étant donné qu’il a omis d’examiner un facteur essentiel : un des enfants souffrait du diabète juvénile et se trouvait dans un coma diabétique. Le défendeur allègue que, dans la présente affaire, la décision tient compte du contenu des rapports et qu’elle n’omet aucun facteur essentiel. L’agente a examiné tout le contexte, reconnaissant que les enfants bénéficieraient toujours du soutien de leurs parents biologiques et de leurs frères et sœurs, et que le demandeur n’était pas le père des enfants ni la personne qui s’occupait principalement d’eux. Selon le défendeur, le demandeur demande une fois de plus que la Cour soupèse de nouveau la preuve dont disposait l’agente.

 

[23]           Le demandeur et sa famille canadienne se sont donnés beaucoup de mal en l’espèce pour fournir des rapports détaillés, rédigés par des professionnels qualifiés, qui décrivent les problèmes et le traumatisme que subiraient cette famille, et en particulier les enfants, si le demandeur devait quitter le pays. L’agente a tenu compte tenu des rapports en reconnaissant la preuve d’un traumatisme mais les a ensuite écartés en indiquant ce qui suit :

a.                   Les parents biologiques des enfants, qui se trouvent au Canada, seront « en mesure de leur apporter un soutien financier et de répondre à leurs besoins physique et affectif »;

b.                   « Il existe de nombreux programmes sociaux et médicaux au Canada pour les aider dans leurs difficultés »;

c.                   « Les difficultés auxquelles seraient confrontés la tante [du demandeur], son oncle et ses cousins ne sont pas plus inhabituelles, injustifiées ou excessives que celles que connaissent les autres membres de familles au Canada qui vivent éloignés du reste de leur parenté résidant à l’étranger. »

 

[24]           Autrement dit, l’agente affirme avoir examiné les rapports mais conclut qu’il n’en est rien de plus qu’un cas habituel de séparation et que les critères requis n’ont pas été satisfaits.

 

[25]           Le problème que posent ces conclusions est que celles-ci sont plutôt contraires aux rapports psychologiques eux-mêmes qui, après une enquête très approfondie sur cette famille en particulier, établissent que la séparation pourrait effectivement avoir des conséquences très graves et inhabituelles, surtout sur la jeune Jenan.

 

[26]           L’agente a parfaitement le droit de rejeter les rapports ou de conclure qu’il y a d’autres facteurs, outre l’intérêt supérieur des enfants, qui l’emportent sur les conclusions des rapports, mais elle doit très bien l’expliquer dans ses motifs en fournissant un fondement probatoire et raisonné à l’appui de sa conclusion.

 

[27]           Les rapports dépeignent des risques si grands de traumatisme que l’agente était obligée d’expliquer clairement pourquoi le traumatisme pouvait être écarté au motif qu’il ne constituait rien de plus qu’une difficulté habituelle résultant d’une séparation. Dans le cas de Jenan, par exemple, il est difficile de comprendre pourquoi l’agente devrait considérer le [traduction] « trouble de l’attachement » et le risque de [traduction] « trouble oppositionnel avec provocation » comme tout simplement des conséquences habituelles d’une séparation.

 

[28]           Sans explication suffisante, et en invoquant des généralités qui ne portent pas vraiment sur les circonstances particulières de l’espèce, on ne peut pas dire que l’agente a réellement été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de ces enfants en particulier et, pour ce motif, je dois conclure que la décision est déraisonnable.

 

3.         La décision de l’agente est-elle déraisonnable?

 

[29]           Le demandeur allègue que l’agente n’avait aucune raison de rejeter les rapports psychologiques ou de substituer son opinion à celle des psychologues. Le demandeur allègue que l’agente a conclu que sa famille ne subirait pas plus de difficultés inhabituelles que d’autres familles canadiennes qui vivent éloignées du reste de leur parenté résidant à l’étranger, et ce, même si les rapports psychologiques démontraient clairement que sa famille en subirait un préjudice sérieux et irréparable. Les rapports traitent aussi expressément de chacun des membres de la famille et des  dommages psychologiques possibles et permanents dont ils pourraient souffrir si le demandeur était renvoyé du Canada. Le demandeur fait valoir que l’agente n’a fourni aucun élément de preuve pour appuyer sa décision de rejeter les conclusions des rapports psychologiques. On ne trouve aucune mention d’erreurs possibles dans les rapports, ni de renvoi à des rapports ou des opinions d’experts contradictoires. Selon le demandeur, l’agente a donc commis une erreur en substituant son opinion à celle contenue dans les deux rapports d’expert. L’opinion de l’agente quant aux effets psychologiques, selon le demandeur, n’était pas étayée par la preuve et était donc déraisonnable.

 

[30]           Le défendeur soutient qu’il était loisible à l’agente de rejeter les rapports psychologiques ou de substituer son opinion à celle contenue dans les rapports. Il ajoute que cela fait précisément partie du rôle de l’agente et qu’elle restreindrait son pouvoir discrétionnaire en agissant autrement. Le défendeur prétend que les rapports psychologiques n’étaient qu’un des facteurs à prendre en considération dans la décision d’accueillir la demande CH, et il affirme que la décision est motivée et qu’elle résiste à un examen poussé.

 

[31]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les rapports ne constituaient que l’un des facteurs à prendre en compte et qu’il était loisible à l’agente de rejeter les rapports. Cependant, pour les raisons que j’ai déjà expliquées, je ne crois pas que le demandeur demande simplement à la Cour de soupeser de nouveau la preuve et d’arriver à une conclusion différente. L’agente n’aborde pas en détail le contenu des rapports, s’appuie sur des généralités non étayées pour les rejeter et, sans véritable fondement ou explication, considère comme « habituelles » les difficultés qui, dans les rapports, sont qualifiées d’extrêmement graves et de plus qu’habituelles. Pour ces motifs, je suis d’avis que la décision est déraisonnable et que l’affaire doit être réexaminée.

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2.                  L’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3881-07

 

INTITULÉ :                                       Mohamad Mughrabi c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg, Manitoba

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 juillet 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 juillet 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Hafeez Khan

 

POUR LE DEMANDEUR

Aliyah Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Booth Dennehy LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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