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Date : 20080718

Dossier : T‑2243‑07

Référence : 2008 CF 889

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2008

En présence de Monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

JOHN DIXON

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Dixon, détenu dans un pénitencier fédéral, demande à la Cour combien de temps il doit attendre pour que la Commission nationale des libérations conditionnelles examine une nouvelle demande de semi-liberté après le rejet de sa demande précédente. Selon lui, le délai applicable est de six mois; selon la Commission, il est de deux ans. Pour les motifs dont l'exposé suit, je conclus qu'il n'a pas à attendre plus de six mois après la présentation d'une demande valable de semi-liberté.

 

LE CONTEXTE

[2]               M. Dixon a été condamné à l'emprisonnement à perpétuité le 23 novembre 1983. Il est actuellement détenu à l'Établissement Mountain, à Agassiz en Colombie-Britannique. La Commission nationale des libérations conditionnelles lui a accordé la semi-liberté le 15 août 2005, mais l'a révoquée le 6 décembre de la même année.

 

[3]               M. Dixon a ensuite formé une demande de semi-liberté que la Commission a rejetée le 15 mars 2007. Il a présenté une nouvelle demande de même nature peu après, soit le 17 mai 2007. Les deux parties s'accordent à reconnaître que cette dernière demande était prématurée, étant donné que, selon le paragraphe 122(4) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, lorsque la Commission décide de rejeter une demande de semi-liberté, comme elle l'a fait le 15 mars 2007, le délinquant doit attendre, pour présenter une nouvelle demande, l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de ce rejet. M. Dixon ne pouvait donc présenter une nouvelle demande de semi-liberté qu'au plus tôt le 15 septembre 2007. En conséquence, il en a formé une le 17 septembre 2007. Son avocat a alors demandé à la Commission si elle tiendrait une audience d'examen du cas de M. Dixon avant le 17 mars 2008, étant donné que la tenue d'une telle audience est prescrite par le paragraphe 157(2) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620.

 

[4]               La Commission a répondu à l'avocat de M. Dixon le 25 novembre 2007, lui faisant part de sa décision selon laquelle elle n'était pas tenue d'examiner la demande de semi-liberté de M. Dixon avant février 2009. La décision en question est rédigée comme suit :

[TRADUCTION]

Je réponds par la présente à votre lettre du 30 octobre 2007, où vous demandez, vous fondant sur votre interprétation des dispositions applicables, que la demande de semi-liberté du délinquant considéré soit examinée avant le 17 mars 2008.

 

La Commission nationale des libérations conditionnelles a examiné le cas du délinquant considéré le 15 mars 2007. Par conséquent, conformément au paragraphe 123(5) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le prochain examen obligatoire de ce cas est prévu pour février 2009.

 

La politique de la Commission permet d'autres examens que celui que prescrit la loi applicable « quand des agents des services correctionnels lui communiquent des renseignements et une recommandation selon lesquels le délinquant ne présentera pas un risque de récidive inacceptable pour la société ».

 

En résumé, mis à part l'examen à effectuer dans le délai obligatoire de deux ans et sous réserve que soient remplies les conditions de la politique de la Commission, le délinquant peut présenter une demande de semi-liberté, qui sera examinée dans le délai que prévoit pour le premier examen le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

 

Je me suis permis de consulter l'agente de libération conditionnelle de M. Dixon, Mme Sharon Bath, qui m'a informé qu'elle n'est pas actuellement favorable à la mise en liberté sous condition du délinquant considéré et qu'une Évaluation en vue d'une décision ne sera pas présentée à la Commission à son égard pour le moment.

 

 

[5]               M. Dixon demande le contrôle judiciaire de cette décision de la Commission lui refusant l'examen d'une demande de semi-liberté avant février 2009. Il souhaite obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant à la Commission de déclarer recevable sa demande de semi-liberté en date du 17 septembre 2007 et de l'examiner dans les six mois suivant cette date, conformément au paragraphe 157(2) du Règlement. Comme l'audience de la présente demande de contrôle judiciaire a eu lieu après l'expiration de ce délai de six mois, l'avocat de M. Dixon a informé la Cour que son client sollicite maintenant une ordonnance portant qu'il avait le droit de voir examiner sa demande de semi-liberté dans les six mois suivant la date de celle‑ci, soit avant le 17 mars 2008, et une autre ordonnance enjoignant à la Commission de tenir l'audience nécessaire sur sa demande le plus tôt possible.

 

[6]               Le demandeur met trois questions en litige dans la présente espèce; cependant, il ressort à l'évidence des conclusions des parties que la véritable question à trancher est celle de l'interprétation à donner des articles 122 et 123 de la Loi, et du paragraphe 157(2) du Règlement, dans le contexte défini par la situation de M. Dixon et sa dernière demande de semi-liberté en date. Plus précisément, la question qui oppose les parties est celle de savoir si la Commission est tenue d'examiner la demande de semi-liberté de M. Dixon en date du 17 septembre 2007 dans les six mois suivant cette date, c'est‑à‑dire avant le 17 mars 2008, ou si sa seule obligation est d'examiner cette demande dans les deux ans suivant le rejet de la première demande de même nature, soit avant le 15 mars 2009.

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

 

[7]               Les dispositions relatives à la semi-liberté de la Loi qui doivent être examinées dans le cadre de la présente demande sont ses paragraphes 122(1), 122(4) et 123(5), dont le texte est le suivant :

122.(1) Sur demande des intéressés, la Commission examine, au cours de la période prévue par règlement, les demandes de semi-liberté.

 

 

 

 

122.(4) En cas de refus, le délinquant doit, pour présenter une nouvelle demande, attendre l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date du refus ou du délai inférieur que fixent les règlements ou détermine la Commission.

122.(1) Subject to subsection 119(2), the Board shall, on application, at the time prescribed by the regulations, review, for the purpose of day parole, the case of every offender other than an offender referred to in subsection (2).

 

122.(4) Where the Board decides not to grant day parole, no further application for day parole may be made until six months after the decision or until such earlier time as the regulations prescribe or the Board determines.

 

123.(5) En cas de refus de libération conditionnelle dans le cadre de l’examen visé à l’article 122 ou au paragraphe (1) ou encore en l’absence de tout examen pour les raisons exposées au paragraphe (2), la Commission procède au réexamen dans les deux ans qui suivent la date de la tenue du premier examen en application du présent article ou de l’article 122, ou à celle fixée pour cet examen, selon la plus éloignée de ces dates, et ainsi de suite, dans les deux ans, jusqu’à la survenance du premier des événements suivants :

a) la libération conditionnelle totale ou d’office;

b) l’expiration de la peine;

c) le délinquant a moins de quatre mois à purger avant sa libération d’office.

 

 

 

123.(5) Where the Board decides not to grant parole following a review pursuant to section 122 or subsection (1) or a review is not made by virtue of subsection (2), the Board shall conduct another review within two years after the later of

(a) the date on which the first review under this section took place or was scheduled to take place, and

(b) the date on which the first review under section 122 took place,

and thereafter within two years after the date on which each preceding review under this section or section 122 took place or was scheduled to take place, until

(c) the offender is released on full parole or on statutory release;

(d) the sentence of the offender expires; or

(e) less than four months remains to be served before the offender’s statutory release date.

 

La disposition relative à la semi-liberté du Règlement qui est pertinente pour la présente demande est son paragraphe 157(2), rédigé comme suit :

157.(2) Sous réserve du paragraphe (3), la Commission doit examiner le cas du délinquant qui présente une demande de mise en semi-liberté conformément au paragraphe (1) dans les six mois suivant la réception de la demande, mais elle n'est pas tenue de le faire plus de deux mois avant la date de l'admissibilité du délinquant à la semi-liberté.

157.(2) Subject to subsection (3), the Board shall review the case of an offender who applies, in accordance with subsection (1), for day parole within six months after receiving the application, but in no case is the Board required to review the case before the two months immediately preceding the offender's eligibility date for day parole.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[8]               Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable. Il admet qu'on pourrait définir la question en litige dans la présente demande comme une question de droit, qui relèverait à ce titre de la norme de la décision correcte. Cependant, fait‑il valoir, la détermination du délai maximal qui doit s'écouler avant l'examen d'une demande de semi-liberté repose non seulement sur l'interprétation de la Loi et du Règlement, mais aussi sur les corrélations entre leurs dispositions dans le contexte du système des libérations conditionnelles. Selon le défendeur, on ne peut répondre à la question soulevée par M. Dixon qu'en analysant l'ensemble du régime applicable et la manière dont la Commission l'applique. Par conséquent, affirme‑t‑il, [TRADUCTION] « [r]épondre à cette question sans manifester une certaine retenue judiciaire motivée par l'expérience de la Commission dans l'administration et l'examen des demandes de cette nature, et par ce qu'on peut appeler à bon droit son expertise dans la mise en œuvre des dispositions étroitement liées de sa loi habilitante et des politiques qu'elle a élaborées au fil du temps, irait dans une large mesure à l'encontre du but dans lequel elle a été instituée, soit la surveillance efficace des progrès de la réadaptation des délinquants ».

 

[9]               À mon sens, le fondement de la présente demande et la conclusion formulée par la Commission dans la décision qui fait l'objet du présent contrôle dépendent seulement de l'interprétation des dispositions applicables de la Loi et du Règlement. Si – comme je l'ai conclu – la question dont la Cour est saisie est une pure question de droit, soutient le défendeur, ce n'est pas une question qui échappe à l'expertise de la Commission et, pour autant que soit raisonnable l'interprétation de la Loi et du Règlement sur laquelle elle a fondé sa décision, celle‑ci ne devrait pas être remise en cause. Je ne puis souscrire à cette façon de voir.

 

[10]           Une question mettant en jeu l'interprétation de dispositions législatives est une question de droit. La norme applicable au contrôle des décisions attaquées sur le fondement de l'interprétation d'une loi est la norme de la décision correcte. La Commission ne possède pas à cet égard de connaissances plus grandes ou plus spéciales que notre Cour. La juge Snider a conclu dans Latham c. Canada, 2006 CF 284, que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à une décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles mettant en jeu l'interprétation de dispositions législatives est la norme de la décision correcte. À mon avis, les décisions de la Commission qui mettent en jeu une telle interprétation relèvent aussi de la norme de la décision correcte. La valeur de la décision de la Commission attaquée dans la présente espèce repose entièrement sur la justesse de l'interprétation qu'elle suppose des dispositions applicables de la Loi et du Règlement. L'interprétation de ces dispositions par la Commission doit donc être correcte.

 

[11]           Malgré la divergence de leurs interprétations respectives des dispositions du régime applicable, les deux parties affirment se fonder sur le sens manifeste des termes de la Loi et du Règlement.

 

L'INTERPRÉTATION DU DEMANDEUR

[12]           M. Dixon fait valoir que le paragraphe 122(1) régit toutes les demandes de semi-liberté et énonce la règle générale selon laquelle la Commission est tenue d'examiner les demandes de cette nature au cours de la période prévue par règlement, sous réserve de deux exceptions. Or il n'est pas contesté qu'aucune de ces exceptions ne le concerne. Par conséquent, soutient‑il, la règle générale s'applique à son cas.

 

[13]           M. Dixon avance qu'aucune disposition de la Loi ne limite le droit du délinquant à continuer à présenter des demandes de semi-liberté jusqu'à ce qu'il obtienne gain de cause. La seule restriction apportée à son droit de demander la semi-liberté est prévue au paragraphe 122(4) de la Loi, selon lequel le délinquant doit attendre, pour présenter une nouvelle demande de semi-liberté, l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date du rejet de sa demande précédente. M. Dixon fait observer que ce paragraphe est la seule disposition de la Loi qui porte effectivement sur la présentation d'une demande de semi-liberté. Par conséquent, affirme‑t‑il, toutes les demandes de semi-liberté sont présentées sous le régime du paragraphe 122(1).  

 

[14]           En résumé, la position du demandeur est que, s'il est vrai que le délinquant doit attendre au moins six mois après le rejet d'une demande de semi-liberté pour pouvoir en présenter une nouvelle, il a le droit d'en présenter une nouvelle sous le régime du paragraphe 122(1) de la Loi. Or, fait‑il valoir, il a déposé une demande valable de semi-liberté le 17 septembre 2007 sous le régime du paragraphe 122(1) de la Loi, et, en vertu du paragraphe 157(2) du Règlement, la Commission était tenue de l'examiner dans les six mois de sa réception. Selon cette interprétation, la Commission devait examiner sa demande au plus tard le 17 mars 2008.

 

L'INTERPRÉTATION DU DÉFENDEUR

[15]            Le défendeur soutient que des dispositions législatives différentes s'appliquent selon que le délinquant fait une première demande ou une nouvelle demande de semi-liberté. Les parties s'accordent à reconnaître, au moins relativement à ce que le défendeur appelle la première demande, qu'on présente la demande de semi-liberté sous le régime du paragraphe 122(1) de la Loi et que, selon le paragraphe 157(2) du Règlement, la Commission doit l'examiner dans les six mois suivant la date de sa présentation.

 

[16]           La divergence fondamentale d'interprétation qui sépare les parties sous le rapport des nouvelles demandes de semi-liberté tient à ce que, selon le défendeur, ni le paragraphe 122(1) de la Loi ni par conséquent le paragraphe 157(2) du Règlement ne s'appliquent à ces nouvelles demandes.

 

[17]           Le défendeur soutient que les nouvelles demandes de semi-liberté sont présentées sous le régime du paragraphe 122(4) de la Loi. En effet, ce paragraphe exclut pour le délinquant la possibilité de former une nouvelle demande de cette nature jusqu'à ce que six mois se soient écoulés après le rejet par la Commission de sa demande précédente. Par conséquent, fait valoir le défendeur, c'est en vertu de cette disposition que le délinquant présente toute nouvelle demande, de sorte que celle‑ci relève du paragraphe 123(5), qui en prescrit l'examen dans les deux ans suivant la décision portant rejet de la première demande. Selon le défendeur, la prescription du paragraphe 157(2) du Règlement selon laquelle un examen doit être effectué dans les six mois ne s'applique qu'à la demande présentée sous le régime du paragraphe 122(1), c'est‑à‑dire à la première demande, à l'exclusion des autres.

 

[18]           Bref, toujours selon le défendeur, la Commission n'est tenue d'examiner la nouvelle demande de semi-liberté de M. Dixon, en date du 17 septembre 2007, que dans les deux ans suivant le rejet de sa demande précédente, soit avant le 15 mars 2009.

 

ANALYSE

[19]           La Cour suprême du Canada, dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, a souscrit au point de vue exprimé par Elmer Drieger dans son ouvrage Construction of Statutes (2e éd., 1983), selon lequel l'interprétation législative ne peut se fonder sur le seul libellé du texte de loi. Drieger écrivait à ce sujet :

[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

 

 

[20]           Je commencerai l'analyse qui suit en examinant le sens ordinaire et grammatical des termes des dispositions applicables à la lumière de l'esprit de la loi, afin de voir s'il fait pencher la balance du côté de l'une ou l'autre des interprétations respectives des parties. J'étudierai ensuite l'objet de la loi et l'intention du législateur, afin d'établir si ces facteurs confirment ou infirment les résultats de la première phase de l'analyse.

 

Le sens ordinaire et grammatical des termes

[21]           À mon sens, l'interprétation du demandeur concorde plus étroitement que celle du défendeur avec le sens ordinaire et grammatical des termes des dispositions applicables dans le contexte de la Loi. L'interprétation du défendeur exige qu'on fasse intervenir les concepts de « première demande » et de « nouvelles demandes » de semi-liberté. Or, on ne trouve dans le sens ordinaire des termes du paragraphe 122(1) aucun élément qui limiterait l'application de ce paragraphe à la première demande de semi-liberté du délinquant. 

 

[22]           L'interprétation du défendeur exige aussi que l'on considère le paragraphe 122(4) comme la disposition régissant la présentation des nouvelles demandes de semi-liberté. Or, selon le sens ordinaire de ses termes, ce paragraphe prévoit l'obligation pour le délinquant d'attendre, avant de présenter une nouvelle demande de semi-liberté, l'expiration d'un délai déterminé à compter de la date du rejet de sa demande précédente. Contrairement au paragraphe 122(1), le paragraphe 122(4) ne prévoit pas pour la Commission l'obligation d'examiner les nouvelles demandes de cette nature. Le défendeur soutient que cette obligation est prévue au paragraphe 123(5). À mon avis, cette interprétation ne peut être juste, puisqu'elle a pour conséquence de rendre le paragraphe 122(4) inutile dans l'économie générale de la Loi.

 

[23]           Il en est ainsi pour les raisons suivantes. Premièrement, aucun élément du paragraphe 123(5) n'indique que les réexamens que la Commission doit effectuer doivent l’être seulement à la suite d'une nouvelle demande. Selon le sens ordinaire et grammatical de ses termes, le paragraphe 123(5) dispose que la Commission doit procéder au réexamen du cas du délinquant, que ce dernier présente ou non une nouvelle demande de libération conditionnelle. La seule condition dont dépende l'obligation que le paragraphe 123(5) impose à la Commission de procéder au réexamen du cas du délinquant sous le rapport de la semi-liberté est qu'elle ait auparavant rejeté une demande de semi-liberté présentée en vertu du paragraphe 122(1). Une fois que la Commission a rejeté une telle demande, elle doit, selon le paragraphe 123(5), procéder au réexamen de l'admissibilité du délinquant en question à la semi-liberté dans le délai prévu de deux ans.

 

[24]           Si le défendeur a raison de penser que les nouvelles demandes sont régies par le paragraphe 122(4) et que la Commission doit les examiner dans le délai de deux ans que prévoit le paragraphe 123(5), le paragraphe 122(4) doit être considéré comme redondant, puisqu'il y aura un réexamen d'office du droit du délinquant à la semi-liberté dans le délai prévu au paragraphe 123(5), que ce délinquant forme ou non une nouvelle demande. L'interprétation à privilégier est celle qui n'a pas pour conséquence l'inutilité ou la redondance de dispositions législatives. Dans la présente espèce, c'est l'interprétation du demandeur qui remplit ce critère.

 

[25]           Par conséquent, me paraît‑il, la position du demandeur concorde plus étroitement avec le sens ordinaire et grammatical des termes dans le contexte de la Loi. 

 

[26]           Cette interprétation est-elle confirmée ou infirmée par l'examen de l'objet de la Loi et de l'intention du législateur?

 

L'objet de la Loi

[27]           L'article 3 de la Loi expose la raison d'être du système correctionnel considéré dans son ensemble :

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

 

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

    (b) assisting the   rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

 

[28]           L'objet défini comme la réinsertion sociale des délinquants à titre de citoyens respectueux des lois paraît exprimer la raison d'être de la semi-liberté. Le défendeur fait valoir que son interprétation selon laquelle les examens ne sont obligatoires que tous les deux ans est conforme à cette raison d'être, étant donné que l'écoulement de ce long délai augmente la probabilité que les délinquants qui demandent leur mise en liberté présentent moins de risques pour la société et soient mieux préparés à sortir de prison quand la Commission examinera leurs demandes. Le délai de deux ans est la règle générale, ajoute le défendeur, mais il peut arriver que la Commission envisage de procéder à un réexamen plus tôt si elle estime que la situation particulière du délinquant le justifie.

 

[29]           Le demandeur fait remarquer de son côté que, en plus d'exposer la raison d'être du système correctionnel à l'article 3, la Loi dispose à son article 4 que le Service correctionnel, dans l'exécution de ce mandat, doit être guidé entre autres par les principes suivants : « les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible », et « le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen », sauf de ceux dont la suppression ou la restriction constitue une conséquence nécessaire de sa peine. Si l'on retient l'interprétation du demandeur, le délinquant peut dans une certaine mesure influer sur la chronologie des réexamens indépendamment du réexamen d'office après deux ans. De ce point de vue, le délinquant qui s'estime réadapté et prêt à rentrer dans les rangs de la société aurait le droit de présenter une demande de semi-liberté et de la voir examiner à l'intérieur d'un délai d'un an. Cette façon de procéder serait la mesure à la fois la moins restrictive pour le délinquant et la plus conforme à ses droits de citoyen.

 

[30]           On pourrait soutenir, à mon avis, que les deux interprétations sont compatibles avec les objets de la Loi, de sorte que cet angle d'analyse n'apporte guère de nouveaux éléments susceptibles de faire pencher la balance d'un côté plutôt que de l'autre.

 

L'intention du législateur

[31]           Si le défendeur a bien proposé des observations touchant l'intention du législateur à l'appui de son interprétation, la preuve qu'il a produite ne me semble démontrer l'existence d'aucune visée particulière du Parlement. Plus précisément, le défendeur a porté à l'attention de la Cour certains passages du Manuel des politiques de la Commission, de son Plan d'action stratégique de 1994 et de son Guide du formateur. Ces documents montrent comment la Commission interprète les dispositions en question, mais la propre interprétation de la Commission ne nous aide pas à établir l'intention du législateur. Qui plus est, c'est justement l'interprétation de la Commission qui est à l'origine de la présente demande.

 

[32]           Le défendeur soutient que le Plan d'action stratégique de 1994 témoigne bel et bien de l'intention du législateur, étant donné qu'il a été communiqué au gouvernement avant l'introduction du projet de loi C‑45 en 1995. Ce projet de loi portait modification des dispositions qui nous occupent, et changeait notamment le paragraphe 123(5) de manière à rendre les délais de deux ans applicables au réexamen de l'admissibilité à la semi-liberté. Le défendeur fait valoir que ce document, où la Commission recommande de porter de un an à deux ans le délai applicable aux réexamens, étaye sa position selon laquelle l'intention du législateur était que l'on ne procède aux réexamens que tous les deux ans. Il se peut que la Commission ait informé le gouvernement que l'obligation d'examiner les demandes de libération conditionnelle seulement tous les deux ans lui permettrait de réaliser des économies et des gains d'efficience dans le système des libérations conditionnelles, mais il n'est pas répondu pour autant à la question de savoir si telle était l'intention du législateur en adoptant le projet de loi C‑45. Le défendeur n'a pas produit de transcriptions de débats parlementaires ni de commentaires ministériels, de sorte qu'il n'a pas étayé sa thèse touchant l'intention du législateur. En outre, la Cour note que le résumé accompagnant le projet de loi C‑45 ne fait aucunement mention de la question qui nous occupe ni de la prolongation à deux ans qu'invoque le défendeur.

 

[33]           Bien qu'aucune des parties n'en ait fait état dans ses conclusions, j'ai pris en considération le contexte législatif des articles 122 et 123 de la Loi dans l'examen de l'intention du législateur. À mon avis, cette analyse est très révélatrice et milite puissamment en faveur de l'interprétation proposée par le demandeur.

 

[34]           Le projet de loi C‑45 n'a pas modifié l'article 122 de manière importante pour ce qui concerne la question en litige. Mais le paragraphe 123(5) a été quant à lui notablement modifié. Il était libellé comme suit avant cette modification :

123. (5) En cas de refus de libération conditionnelle totale dans le cadre de l’examen visé au paragraphe (1) ou encore en l’absence de tout examen pour les raisons exposées au paragraphe (2), la Commission procède au réexamen de cas dans l’année qui suit la date de la tenue du primer examen on application du présent article ou de l’article 122, ou à celle fixée pour cet examen, selon la plus éloignée de ces dates, et ainsi de suite, chaque année, jusqu’à la survenance du premier des événements suivants :

a) la libération conditionnelle totale ou d’office;

b) l’expiration de la peine;

     c) le délinquant a moins de quatre mois à purger avant sa libération d’office.

123.(5) Where the Board decides not to grant full parole following a review pursuant to subsection (1) or a review is not made by virtue of subsection (2), the Board shall conduct another review within one year after the later of

(a) the date on which the first review under this section took place or was scheduled to take place, and

(b) the date on which the first review under section 122 took place,

and thereafter within one year after the date on which each preceding review under this section or section 122 took place or was scheduled to take place, until

(c) the offender is released on full parole or on statutory release;

(d) the sentence of the offender expires; or

(e) less than four months remains to be served before the offender’s statutory release date.

 

[35]           On remarquera que le projet de loi C‑45 a modifié le paragraphe 123(5) sous deux rapports importants. Premièrement, avant la modification, ce paragraphe, comme le reste de l'article 123, ne s'appliquait qu'à la libération conditionnelle totale et non à la semi-liberté. Du fait de la suppression du terme « totale » et de l'adjonction d'une référence à l'article 122 à propos de l'examen, l'application du paragraphe 123(5) se trouvait étendue à la semi-liberté aussi bien qu'à la libération conditionnelle totale. Deuxièmement, le délai maximal devant s'écouler avant le réexamen passait de un an à deux ans.

 

[36]           Selon l'ancienne version de la Loi, le délinquant ne pouvait se voir accorder la semi-liberté qu'en la demandant sous le régime de l'article 122; il n'y avait pas de réexamen d'office des demandes de semi-liberté comme il y en avait un pour les demandes de libération conditionnelle totale sous le régime de l'article 123. Par conséquent, le délinquant qui souhaitait être mis en semi-liberté devait toujours présenter une demande en ce sens. Il formait la première demande de cette nature sous le régime de l'article 122, et la Commission devait l'examiner dans un délai de six mois, conformément au paragraphe 157(2) du Règlement. En cas de rejet, le délinquant pouvait présenter une nouvelle demande de semi-liberté après six mois. Selon l'interprétation que le défendeur voudrait voir retenir de l'article 122, que le projet de loi C‑45 n'a pas sensiblement modifié, cette nouvelle demande serait formée sous le régime du paragraphe 122(4) et non du paragraphe 122(1). La question se pose alors de savoir quand la Commission serait tenue d'examiner ladite nouvelle demande.

 

[37]           Le paragraphe 157(2) du Règlement, qui oblige la Commission à examiner la demande dans  les six mois suivant sa réception, n'a pas changé depuis l'ancienne version de la Loi. Ce paragraphe ne s'applique qu'aux demandes de semi-liberté formées sous le régime des paragraphes 122(1) ou 122(2) de la Loi. Par conséquent, selon l'interprétation du défendeur, l'obligation d'examiner une demande de semi-liberté dans les six mois ne s'appliquerait pas à une nouvelle demande présentée sous le régime du paragraphe 122(4) de la Loi. Il s'ensuivrait que, sous le régime de l'ancienne version de la Loi, la Commission pouvait examiner la nouvelle demande à n'importe quel moment de son choix, à la condition peut-être de ne pas se montrer déraisonnable. C'est là à mon sens une conséquence absurde.

 

[38]           Il est en effet absurde de penser que la Commission aurait été tenue d'examiner une première demande de semi-liberté dans les six mois, mais aurait pu attendre aussi longtemps qu'elle aurait voulu pour examiner une nouvelle demande de même nature.

 

[39]           C'est l'interprétation que donne le demandeur des dispositions applicables qui est plutôt à retenir, parce qu'elle est conforme au sens ordinaire des termes de la Loi et du Règlement et que son application ne crée pas de contradictions ni d'absurdités. Plus précisément, je conclus que M. Dixon avait le droit de présenter une nouvelle demande de semi-liberté à partir du 15 septembre 2008 et que le paragraphe 157(2) du Règlement obligeait la Commission à l'examiner dans les six mois suivant sa réception.

 

[40]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE COMME SUIT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens.
  2. Le demandeur avait le droit de voir examiner par la Commission nationale des libérations conditionnelles avant le 17 mars 2008 sa demande de semi-liberté en date du 17 septembre 2007, en vertu du paragraphe 157(2) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620.
  3. Il est ordonné à la Commission nationale des libérations conditionnelles d'examiner le plus tôt possible la demande de semi-liberté du demandeur en date du 17 septembre 2007.

 

   « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2243‑07

 

INTITULÉ :                                                   JOHN DIXON

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 21 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 18 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bibhas Vaze

 

POUR LE DEMANDEUR

Curtis Workun

POUR LE DÉFENDEUR

                                     

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Conroy & Company

Avocats

Abbotsford (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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