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Date : 200807011

Dossier : IMM-4797-06

Référence : 2008 CF 865

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2008

En présence du juge en chef

 

 

entre :

TREVOR BRYAN HALL

Représenté par son tuteur à l’instance Etta Hall

demandeur

et

 

le MINISTRE de la citoyenneté et de l’immigration

défendeur

 

motifs du jugement et jugement

 

[1]        Dans la décision souvent citée Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (1re inst.), aux paragraphes 17 et 21, le juge John Evans confirme qu’il peut être dit d’une décision qu’elle a été rendue « sans tenir compte des éléments dont [le décideur disposait] », lorsque des renseignements personnels importants et pertinents orientent vers une conclusion différente de celle prise par le décideur qui ne fait aucune référence aux éléments de preuve.

 

[2]        Dans le présent contrôle judiciaire, l’agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a tiré une conclusion défavorable; il s’est fondé sur des déclarations attribuées au Dr Earl Wright, le directeur des Services de santé mentale en Jamaïque, déclarations qui avaient été rapportées dans l’édition d’avril 2006 du bulletin d’information intitulé « UK Home Office Country of Information Bulletin », relativement à des propositions de créer des unités de soins d’urgence pour les patients hospitalisés qui souffrent d’une pathologie aiguë.

 

[3]        Toutefois, la décision de l’agent d’ERAR ne fait aucune référence à une lettre du 6 juin 2006 du même Dr Wright à l’intention du bureau d’avocat qui représente le demandeur, Trevor Hall, dans laquelle le Dr Wright écrit en partie ce qui suit :

 

[traduction]

Je vous remercie pour votre lettre relative au Jamaïcain de quarante-neuf ans (49 ans) qui vit au Canada depuis les trente et une (31) dernières années, qui a de longs antécédents de troubles psychiatriques, qui a un comportement violent et un lourd casier judiciaire. Autant que je puisse l’assurer, le patient n’a aucun réseau de soutien en Jamaïque.

[]

Il n’y a aucun établissement pour les personnes qui ont un comportement violent en Jamaïque et si une personne démontrait un comportement violent dans un établissement, il est fort probable que les autres patients useraient de représailles et que cela aurait de graves conséquences pour cette personne : —

 

·                     Les traitements psychiatriques en prison en sont au stade embryonnaire.

·                     Les maladies mentales sont une infamie.

·                     La protection pour TOUTES les personnes entre dans la sphère de protection       générale du système juridique. [texte dans son formatage original]

 

 

[4]        Les commentaires du Dr Wright vont au‑delà de la question de la capacité de la Jamaïque de fournir des soins de santé adéquats au sens du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Ses commentaires donnent à entendre que le comportement erratique de M. Hall comme patient schizophrène aura pour conséquence qu’il sera placé dans un « établissement » jamaïcain, sinon dans un type d’environnement surveillé. Là, [traduction] « les autres patients useraient de représailles et […] cela aurait de graves conséquences » pour lui. Le processus d’ERAR doit tenir compte de la question de savoir si ces renseignements médicaux personnels provenant d’une autorité médicale jamaïcaine crédible donnent à penser, selon la prépondérance de la preuve, qu’il existe un risque de traitements ou peines cruels et inusités en cas de renvoi de M. Hall dans le pays dont il a la citoyenneté.

 

[5]        L'omission de l’agent de tenir compte de la lettre du Dr Wright, laquelle vise précisément la situation du demandeur, entraîne nécessairement l’annulation de la décision de l’agent d’ERAR. La présente affaire doit être renvoyée à un autre agent d’ERAR pour nouvel examen.

 

[6]        L’omission de l’agent est d’autant plus incompréhensible si on tient compte des déclarations de la juge Dolores Hansen dans une instance précédente relative à M. Hall : Hall c. Le ministre de la Citoyenneté de l’Immigration (le 29 mai 2006), Toronto IMM-4837-05 (C.F.). Dans son ordonnance, la juge Hansen a pressé le demandeur d’inclure des renseignements personnels relatifs à ses [traduction] « graves troubles mentaux qui sont l’essence même de sa demande d'examen des risques avant renvoi en Jamaïque », dans toute nouvelle demande d’ERAR qu’il pourrait décider de déposer.

 

[7]        L’ordonnance de la juge Hansen a été transmise aux responsables du défendeur dans le cadre de la deuxième demande d’ERAR de M. Hall, en même temps que les renseignements médicaux personnels qu’il venait d’obtenir. La deuxième décision défavorable d’ERAR ne reflète pas les préoccupations de la juge Hansen; cette décision fait seulement allusion à l’un des trois documents relatifs à la situation personnelle de santé mentale de M. Hall.

 

[8]        Les responsables du défendeur vont maintenant examiner de nouveau la demande d’ERAR de M. Hall, en même temps qu’ils examineront sa demande en cours invoquant des motifs d’ordre humanitaire et fondée sur l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[9]        M. Hall qui a maintenant cinquante et un ans réside au Canada depuis 1975, quand il est devenu résident permanent. Sa mère, son fils, sa fille et six de ses frères et soeurs sont tous canadiens. Le dossier révèle que M. Hall n’a aucun proche parent qui vit en Jamaïque, un élément mentionné dans la lettre du Dr Wright.

 

[10]      Le dossier révèle que M. Hall a été déclaré coupable d’environ vingt infractions depuis 1982. Selon les avocats des parties, une seule de ces infractions répond clairement à la définition de « grande criminalité » donnée à l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Ils n’étaient pas sûrs si une infraction de 1998 pour laquelle M. Hall s’est vu infliger une peine avec sursis entrait dans le champ d’application de « grande criminalité ».

 

[11]      Quoi qu’il en soit, la seule déclaration de culpabilité à laquelle la mesure de renvoi du demandeur fait référence avait abouti à la peine [traduction] « des six mois passés en prison » bien que l’infraction eût été punissable d’un emprisonnement à perpétuité. Cette déclaration de culpabilité était‑elle le résultat d’un jugement contradictoire pour lequel la maladie mentale de M. Hall avait été l’un des points débattus? Ou cette déclaration de culpabilité résultait‑elle d’un accord de réduction de peine? Les personnes alors intéressées par le processus judiciaire pénal ont‑elles compris les conséquences d’une déclaration de culpabilité en droit de l’immigration?

 

[12]      La cause de M. Hall requiert un examen complet de sa situation personnelle, médicale et familiale. Autrement, ni les responsables de l’immigration lorsqu’ils prennent des décisions individuelles et ponctuelles ni les juges de la Cour dans le cadre de futurs contrôles judiciaires, ne comprendront qui est M. Hall : un schizophrène qui a un casier judiciaire en raison de son omission de suivre les traitements médicaux contre sa maladie mentale ou un contrevenant en raison de circonstances extérieures à sa schizophrénie? Le renvoi en Jamaïque de M. Hall, une personne qui est résidente permanente depuis 1975, est-il une issue raisonnable si on prend en compte sa situation personnelle, médicale et familiale et les circonstances qui entourent la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine pour l’infraction qui a entraîné son interdiction de territoire?

 

[13]      La Cour partage le point de vue des avocats des parties que la présente instance ne soulève aucune question grave à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

la cour ORDONNE ET ADJUGE que :

 

1.      la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.      la décision de l’agent d’examen des risques avant renvoi du 27 juillet 2006 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

 

« Allan Lutfy »

Juge en chef

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M, M.A.Trad.jur.

 

 

 

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

avocats inscrits au dossier

 

 

DOSSIER :                                              IMM-4797-06

 

INTITULÉ :                                             Trevor Bryan Hall c. M.C.I.

 

LIEUX DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

                                                                  Calgary (Alberta)

 

 

DATES DES AUDIENCES :                  Le 11 juin 2008

                                                                  Le 19 juin 2008 par téléconférence

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    Le juge en chef

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 11 juillet 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Carole Simone Dahan

 

POUR LE DEMANDEUR

Jamie Todd

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

avocats inscrits au dossier :

 

 

Carole Simone Dahan

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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