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Date : 20080716

Dossier : IMM-5290-07

Référence : 2008 CF 872

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Calgary (Alberta), le 16 juillet 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

ENTRE :

RAVINDER KAUR SANDHU

RAYINDER SINGH SANDHU
SATIPRIT SINGH SANDHU

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs en l’espèce sont une mère (la demanderesse principale) et ses deux enfants qui demandent l’asile au Canada en raison de la persécution dont ils ont été victimes en tant qu’immigrants d’origine indienne vivant en Argentine. Leur demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (la CISR) parce que la CISR a conclu que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans la ville de Buenos Aires.

 

[2]               La principale demanderesse était à l’origine citoyenne de l’Inde avant d’émigrer en Bolivie en 1994 pour se marier. Elle et son mari ont vécu en Bolivie jusqu’en 1997, époque au cours de laquelle les deux demandeurs mineurs sont nés, avant de déménager en Argentine parce qu’ils recevaient des menaces de mort. La principale demanderesse est maintenant citoyenne argentine. Après leur arrivée en Argentine, la principale demanderesse et son mari ont ouvert une épicerie dans la ville de Trancas, dans la province de Tucman. Ils étaient très heureux de vivre en Argentine jusqu’à ce qu’ils commencent à recevoir des menaces de mort de personnes leur disant de fermer leur épicerie et de quitter l’Argentine. Leur magasin a été l’objet de pillages à quelques reprises. Bien que la demanderesse et son mari aient dénoncé ces menaces et pillages à la police, cette dernière ne leur est jamais venue en aide. Alors que la situation empirait, la demanderesse principale et son mari ont embauché des personnes originaires de Trancas pour travailler dans leur magasin afin que les clients de l’épicerie ne les remarquent pas, mais la situation ne s’est pas améliorée. Sa famille était harcelée chaque fois qu’elle sortait et ses enfants étaient harcelés à l’école. 

 

[3]               En mars et avril 2006, leur épicerie a été mis à sac par des personnes qui leur ont dit de ne pas prévenir la police et de quitter l’Argentine, sinon leurs enfants seraient enlevés et assassinés. À la fin du mois d’avril 2006, le mari de la demanderesse principale a été enlevé, et elle et ses enfants ont reçu des menaces visant à leur faire quitter le pays. Elle a alors consulté quelques amis qui lui ont conseillé de quitter l’Argentine. La demanderesse est arrivée au Canada le 3 mai 2006.   

 

[4]               À l’audience, la demanderesse principale a témoigné qu’elle et sa famille ont été soumises à ce traitement parce qu’ils sont ressortissants des Indes orientales : 

[TRADUCTION]

Q. Okay. Alors qu’elle était la cause de vos problèmes en Argentine?

 

A. Je ne sais pas. Ils traitent mal toutes les personnes originaires de l’Inde qui vivent là-bas. Ils ne les aiment pas. 

 

Q. Okay.

 

A. Ils ont des préjugés contre – ils ont des préjugés. Ils ne les aiment pas.

 

(Dossier du tribunal, p.55)

 

[5]                 Dans sa décision par laquelle elle a rejeté la revendication des demandeurs, la SPR n’a pas rendu de conclusion clairement négative quant à la crédibilité des demandeurs et, par conséquent, on doit présumer qu’elle admet toute la preuve qu’ils ont soumise. Toutefois, la SPR en est venue à la conclusion que les demandeurs disposaient d’une PRI à Buenos Aires. Les demandeurs soutiennent que, pour en arriver à cette conclusion, la SPR a mal interprété leur demande et, ce faisant, elle en est arrivée à une conclusion qui n’est pas étayée par la preuve. Je suis d’accord. 

 

[6]               La SPR a brossé le tableau de la preuve documentaire relativement au sentiment anti-immigrants en Argentine et a conclu que un grand nombre d’immigrants sont l’objet d’une profonde discrimination, y compris ceux qui vivent à Buenos Aires:

De nombreux immigrants se plaignent de la discrimination et du racisme qui sévissent en Argentine, qui a accueilli d’importantes vagues d’immigrants provenant des pays limitrophes au cours de la période relativement prospère et stable de la première moitié des années 1990, de même qu’au cours des périodes antérieures. D’après un sondage mené par le New Majority Studies Center en 2000, 65 % des répondants d’origine bolivienne ont affirmé ne pas se sentir en sécurité en Argentine. En 2000, plus de 80 familles boliviennes ont été victimes d’une vague d’agressions violentes. Dans les quartiers périphériques, des agresseurs sont entrés par effraction chez des immigrants qui s’occupaient des maisons d’été appartenant à des résidents de Buenos Aires des classes moyenne et aisée. Selon le ministère public de la province de Buenos Aires, les Boliviens ont été battus, soumis à la torture par chocs électriques pendant plusieurs heures, en plus d’être volés; de surcroît, les agresseurs leur ont dit qu’ils avaient intérêt à ne pas ébruiter l’incident, selon le procureur public de la province de Buenos Aires.  

 

[…]

 

Voici ce qu’un sociologue a affirmé avoir découvert au cours de ses recherches dans les hôpitaux publics de l’Argentine : [TRADUCTION] « Les immigrants qui veulent obtenir des soins médicaux doivent d’abord remplir une tonne de paperasse et, une fois qu’ils en sont venus à bout, ils se retrouvent face à des médecins remplis de préjugés, qui les considèrent comme des êtres inférieurs. » Les chercheurs ont également découvert que, dans d’autres institutions publiques, comme la police et les écoles, les immigrants étaient moins bien traités que les autres, voire subissaient de la discrimination pure et simple.     

(Décision, p. 5)

 

 

En se fondant sur cette information, la SPR a reconnu que le racisme et la discrimination existent en Argentine et a conclu ce qui suit à l’égard des demandeurs:   

À la lumière des éléments de preuve documentaire précités, je reconnais que certains des immigrants arrivés plus récemment en Argentine ont été victimes de discrimination et de violence de la part de la société du fait de leur pays d’origine, de leur race ou de leur origine ethnique. Compte tenu de leur race ou de leur appartenance ethnique (ils sont originaires des Indes orientales), j’estime qu’il est vraisemblable que la demandeure d’asile, son mari et les demandeurs d’asile mineurs aient pu être victimes de ce type de discrimination xénophobe ou raciale lorsqu’ils exploitaient une épicerie à Trancas, dans l’État du Tucuman (Argentine), entre 1997 et mai 2006. D’après les éléments de preuve documentaire et le témoignage de la demandeure d’asile principale, j’estime qu’il est également vraisemblable que la demandeure d’asile principale et son mari aient pu être victimes de pillage et de vols dans leur épicerie de Trancas. Toutefois, en l’espèce, l’une des questions déterminantes qu’il m’appartient de trancher consiste à déterminer si les demandeurs d’asile disposent d’une possibilité de refuge intérieur viable en Argentine, à l’extérieur de la province de Tucuman, question qui a été abordée avec les demandeurs d’asile avant et pendant l’audience. Pour les raisons énoncées ci-après, je conclus qu’il n’y a aucun motif sérieux de croire que les demandeurs d’asile subiraient un préjudice grave équivalent à de la persécution s’ils devaient s’installer à Buenos Aires, capitale de l’Argentine, où les demandeurs d’asile bénéficieraient d’une possibilité de refuge intérieur viable.   

 

Pendant l’audience, la demandeure d’asile principale a déclaré qu’il n’y avait pas de possibilité de refuge intérieur viable pour les demandeurs d’asile mineurs à Buenos Aires (Argentine), puisque les actes de discrimination que subissent les étrangers et les immigrants du fait de leur race ou de leur pays d’origine se produisent dans toutes les régions de l’Argentine, et que ses fils pourraient, comme son mari, être victimes d’enlèvement. La demandeure d’asile principale a également affirmé que son mari et elle avaient reçu des menaces xénophobes et racistes en Argentine et que leur épicerie de Trancas avait été pillée ou volée à trois ou quatre occasions, quelques mois avant l’enlèvement de son mari, en avril 2006, et son départ pour l’Argentine avec les demandeurs d’asile mineurs, en mai 2006

 

D’après le FRP de la demandeure d’asile principale, tous les problèmes liés à l’immigration ou à la race qu’ont connus les demandeurs d’asile se sont produits dans la province de Tucuman (Argentine), et nulle part ailleurs en Argentine (par exemple, à Buenos Aires). En outre, selon leur FRP, les demandeurs d’asile se trouvent à l’extérieur de l’Argentine depuis le 3 mai 2006, soit depuis environ un an ou un an et demi. Selon son FRP, la demandeure d’asile principale a vécu en Bolivie entre juin 1994 et septembre 1997, mais elle n’est ni ressortissante ni citoyenne de la Bolivie. Bien qu’elle soit d’origine indienne orientale, la demandeure d’asile principale ne peut être considérée comme une autochtone de la Bolivie. Aucun des éléments de preuve qui m’ont été présentés ne semblent indiquer que les résidents ou les criminels de Trancas (province de Tucuman) qui ont menacé les demandeurs d’asile, pillé leur épicerie et kidnappé le mari de la demandeure d’asile principale en avril 2006, aurait le moindre intérêt à pourchasser les demandeurs d’asile s’ils devaient s’installer à Buenos Aires, capitale de l’Argentine. Pour ces raisons, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que ces criminels xénophobes et racistes de Trancas n’auraient aucun intérêt à pourchasser les demandeurs d’asile s’ils devaient s’installer à Buenos Aires, et ignoreraient que les demandeurs d’asile vivent à cet endroit.  

 

[Je souligne.]

 

(Décision p. 5 à 7)

 

[7]               En ce qui a trait à la demande d’asile des demandeurs, la SPR devait déterminer s’il existait plus qu’une simple possibilité qu’ils soient persécutés s’ils devaient retourner en Argentine. Les demandeurs ont le fardeau de prouver que ce risque existe et qu’il serait présent dans toute l’Argentine. Toutefois, la SPR a conclu que ce risque prospectif existe pour les demandeurs en Argentine en raison de leur identité combinée d’immigrants de la Bolivie et des Indes orientales. Toutefois, bien que la SPR ait accepté la preuve soumise par la demanderesse principale suivant laquelle il n’existe pas de possibilité de refuge intérieur ailleurs en Argentine, la SPR n’a accordé aucun poids à cette preuve en se fondant sur une conclusion selon laquelle la violence dont ils ont été victimes dans le passé ne survient que dans la région où les demandeurs vivaient et il n’y aurait pas lieu de croire qu’ils puissent être exposés à la même situation à Buenos Aires. À cet égard, Buenos Aires est identifiée comme un asile. Selon moi, ces conclusions névralgiques sont foncièrement erronées.

 

[8]               La preuve de persécution antérieure déposée par les demandeurs ne permet en aucune façon de conclure que la violence liée au racisme en Argentine ne se produit qu’en certains endroits. La preuve indique que le racisme flagrant et violent a cours dans toute l’Argentine contre les personnes de couleur. En effet, il n’y a pas de preuve révélant que le racisme flagrant et violent ne s’étend pas à Buenos Aires. Par conséquent, je suis d’avis qu’il n’existe pas de preuve sur laquelle la SPR pouvait fonder sa conclusion selon laquelle Buenos Aires est un asile pour les demandeurs.

 

[9]               Par conséquent, je conclus que la décision de la SPR ne se fonde pas sur la preuve au dossier et qu’il s’agit donc d’une erreur révisable.  

 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que :

 

La décision de la SPF est donc annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.   

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

«Douglas R. Campbell»

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A.

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-5290-07

 

INTITULÉ :                                                                          RAVINDER KAUR SANDHU, RAYINDER SINGH SANDHU, SATPRIT SINGH SANDHU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 LE 15 juillet 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :           LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 16 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Birjinder P. S. Mangat

 

POUR LES DEMANDEURS

 

W. Brad Hardstaff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Cabinet juridique Mangat

Avocat et conseil

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, C.R.

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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