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Date : 20080717

Dossier : IMM-2758-08

Référence : 2008 CF 879

ENTRE :

CHUKS NWAWULOR EBONKA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

[1]               Il s’agit d’une requête visant l’obtention d’une ordonnance sursoyant à l’exécution de la mesure de renvoi vers le Nigeria prise contre le demandeur et qui doit être appliquée le 10 juillet 2008. J’accorde le sursis pour les motifs qui suivent.

 

I. Les faits et l’instance

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Nigeria qui a fui son pays et qui a demandé l’asile en Allemagne en 2003. Cette demande d’asile a été rejetée. Le demandeur est arrivé au Canada le 13 mars 2005 et il a présenté une demande d’asile. Un tribunal de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a entendu sa demande le 31 août 2005 et l’a rejetée le 26 octobre 2005.

 

[3]                Le 21 novembre 2005, le demandeur a présenté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la CISR, mais la demande a été rejetée le 15 mars 2006. Il a présenté une demande de parrainage entre époux en juillet 2006. Il a demandé une audience d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR), mais cette demande a fait l’objet d’une décision défavorable le 28 avril 2008. Une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) a été rejetée le 30 avril 2008.

 

[4]                La preuve révèle que le demandeur s’est marié avec Carlene Paula Wray au Canada le 16 juillet 2006. Elle a donné naissance à un enfant, Jamar, le 27 mai 2006, dont le père biologique est un ancien petit ami.

 

[5]               Le demandeur a travaillé jusqu’au 27 mars 2006, jour où il a été heurté par une camionnette et a été gravement blessé. Depuis, il ne peut pas faire de travail pénible et il a perdu son emploi. Il suit des traitements médicaux et de physiothérapie.

 

II. La décision contestée

 

[6]               L’agent, N. Case, qui a rendu la décision contestée, avait également examiné la demande d’ERAR. Le demandeur a tenté d’obtenir une dispense de l’application des critères de sélection au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, et ce, pour faciliter le traitement de sa demande de résidence permanente au Canada. L’agent a jugé que les questions soulevées par le demandeur pouvaient être résolues de l’extérieur du Canada, et qu’il ne serait pas exposé à [traduction] « des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait présenter une demande de la façon habituelle ».

 

III. Le critère pour l’octroi d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi

 

[7]               Le critère pour l’octroi d’un sursis exige :

a)      qu’il y ait une question sérieuse à trancher;

b)      qu’il y ait un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé; et

c)      que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du demandeur.

 

Voir l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302, 6 Imm. L.R. (2d) 123 (C.A.F.). Toutes ces conditions doivent être remplies pour que le sursis soit accordé.

 

            a)         Question sérieuse

[8]               Le demandeur soutient que le critère à appliquer pour déterminer s’il y a une question sérieuse est constitué d’« exigences peu élevées » et qu’il a été rempli en l’espèce (Oberlander c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 134, 303 N.R. 104).

 

[9]               Le demandeur allègue que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en se fondant sur les conclusions de la SPR et sur l’ERAR pour rendre sa décision CH, puisque le critère applicable n’est pas un critère de risque; il doit plutôt être fondé sur l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

Critères provinciaux

 

(2) Le statut ne peut toutefois être octroyé à l’étranger visé au paragraphe 9(1) qui ne répond pas aux critères de sélection de la province en cause qui lui sont applicables.

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

Provincial criteria

 

(2) The Minister may not grant permanent resident status to a foreign national referred to in subsection 9(1) if the foreign national does not meet the province’s selection criteria applicable to that foreign national.

 

[10]           Le demandeur allègue que l’agent n’a pas tenu compte des conséquences financières catastrophiques qu’entraînerait son renvoi du Canada. Ses blessures l’empêchent d’exercer un emploi lucratif et il reçoit actuellement une indemnité d’une compagnie d’assurances qui a reconnu son obligation d’indemnisation découlant de l’accident. Le demandeur a été avisé que s’il quitte le Canada, il sera mis fin à cette indemnité du remplacement de revenu.

 

[11]           Le demandeur a présenté une lettre de son avocate spécialisée dans les affaires de préjudice corporel, Mme Karoly. Son avocate croit qu’il a une réclamation solide pour préjudice corporel, mais que s’il quitte le Canada, il sera difficile, sinon impossible, de poursuivre cette réclamation. Le demandeur allègue qu’il ne pourra pas travailler au Nigeria et qu’il ne pourra pas y recevoir des traitements médicaux appropriés.

 

[12]           Le défendeur répond que ces faits ont été examinés par l’agent, mais que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences élevées applicables en vue d’obtenir une dispense de l’application du paragraphe 11(1) de la LIPR. Il cite sur ce point la décision Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206, 101 A.C.W.S. (3d) 995 (C.F. 1re inst.).

 

[13]           Le demandeur allègue que les commentaires de l’agent CH étaient axés sur le risque auquel il serait exposé s’il retournait au Nigeria, alors que l’agent aurait dû avoir recours au critère de savoir s’il serait exposé à des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives », s’il retournait au Nigeria.

 

[14]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objective pour appuyer cette allégation.

 

[15]           Le demandeur a décrit la situation qui avait cours au Nigeria lorsqu’il est parti, et le fait que son frère avait été tué.

 

[16]           La preuve documentaire sur le Nigeria dont disposait l’agent, particulièrement le document intitulé Country Reports on Human Rights Practices – 2007 du Département d’État des États‑Unis, révèle une situation horrifiante où la violence politique est généralisée et où la police nationale, l’armée et les forces de sécurité commettent des homicides extrajudiciaires; on y trouve par exemple l’affirmation suivante : [traduction] « La force opérationnelle interarmées (la FOI) a mené des raids contre des groupes militants dans la région du delta du Niger, ce qui a entraîné de nombreuses morts et blessures. »

 

[17]           La région du delta du Niger est l’endroit où le demandeur vivait et où il serait renvoyé.

 

i. L’intérêt supérieur de l’enfant

[18]           Le demandeur soutient que l’agent CH n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, soit son beau-fils par remariage Jamar. Le défendeur répond que l’enfant n’a pas été mentionné dans les documents et qu’aucune preuve à l’appui de la position du demandeur relativement à l’intérêt supérieur de son beau-fils n’a même été présentée. Par conséquent, le défendeur estime qu’il ne s’agit pas d’un point litigieux.

 

IV. L’analyse

 

[19]           Une analyse de l’ensemble des faits et des observations susmentionnées révèle qu’il y a des questions sérieuses qui doivent être examinées de façon plus approfondie en l’espèce.

 

b)         Préjudice irréparable

[20]           Le demandeur allègue qu’il subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé du Canada.

 

[21]           Non seulement le demandeur verrait sa [traduction] « nouvelle famille » séparée, mais aussi il perdrait toutes les prestations financières et l’indemnisation à recevoir en raison de son accident et il ne pourrait plus travailler. Le demandeur ne pourrait pas exercer un emploi lucratif au Nigeria, il n’y obtiendrait pas les traitements médicaux nécessaires pour ses blessures et il n’y serait pas en sécurité.

 

[22]           Le défendeur soutient que le critère du « préjudice irréparable » est strict et qu’il exige l’existence d’un préjudice au-delà des inconvénients habituels découlant d’un renvoi du Canada (Kouchek c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 53 A.C.W.S. (3d) 1049, [1995] A.C.F. no 323 (C.F. 1re inst.) (QL).

 

[23]           Selon une analyse de ces observations et des faits établis, il ne fait aucun doute que le demandeur subirait un « préjudice irréparable » s’il était renvoyé du Canada, préjudice qui serait bien au-delà des inconvénients habituels.

 

c)         Prépondérance des inconvénients

[24]           La prépondérance des inconvénients est un examen visant à déterminer quelle partie subirait le préjudice le plus grave en raison du renvoi ou de l’expulsion.

 

[25]           Il ne fait aucun doute que le défendeur a un intérêt à ce que l’exécution de la mesure de renvoi ait lieu d’une manière rapide et efficace et a une obligation à cet égard (Membreno‑Garcia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 C.F. 306, 55 F.T.R. 104 (C.F. 1re inst.).

 

[26]           Cependant, je crois que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du demandeur, qui, mis à part le bien-être de sa famille, a beaucoup à perdre en ce qui concerne ses chances d’emploi et sa possibilité d’indemnisation qui découle du litige relatif à l’accident qu’il a subi.

 

[27]           Les conditions requises pour l’octroi d’un sursis ont été remplies.

 

[28]           Par conséquent, la Cour accueille la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi :

a.       jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur les demandes d’autorisation; et

b.      si les autorisations sont accordées, jusqu’à ce que les demandes présentées en application des articles 18 et 18.1 soient tranchées par la Cour.

 

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2758-08

 

INTITULÉ :                                       CHUKS NWAWULOR EBONKA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 JUILLET 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 JUILLET 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Amina Sherazee

 

POUR LE DEMANDEUR

Ladan Shahrooz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Amina Sherazee

Avocate

637, rue College, bureau 203

Toronto (Ontario) M6G 1B5

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                   

 

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