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Date : 20080716

Dossier : T-703-08

Référence : 2008 CF 875

Toronto (Ontario), le 16 juillet 2008

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC.

demanderesse

 

et

NOVOPHARM LIMITED et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

et

 

ELI LILLY et COMPANY LIMITED

défenderesses/titulaires de brevet

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’un appel par voie de requête interjeté par Novopharm Limited (Novopharm) visant à obtenir l’annulation ou la modification des paragraphes 1 à 5 de l’ordonnance de la protonotaire Tabib datée du 24 juin 2008.

 

[2]               Le présent appel fait suite à une demande concernant le brevet canadien no 2,214,005 (le brevet 005) dont Eli Lilly et Company Limited sont titulaires.

 

[3]               Le 18 mars 2008, Novopharm a signifié un avis d’allégation (l’AA) relativement au brevet 005 et à ses propres comprimés fondants d’olanzapine de 5 mg, 15 mg et 20 mg. En réponse à l’AA, Eli Lilly Canada Inc. (Eli Lilly) a présenté une demande le 2 mai 2008, conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement), visant à déterminer si les allégations de Novopharm d’absence de contrefaçon et d’invalidité sont fondées.

 

[4]               Le 9 mai 2008, Eli Lilly a signifié un avis de requête demandant l’établissement d’un calendrier pour l’examen de la demande.

 

[5]               Le 19 juin 2008, la protonotaire Tabib a entendu la requête et, le 24 juin 2008, elle a rendu sa décision ordonnant, entre autres, que :

1.      Novopharm signifie et dépose ses éléments de preuve sur la question de l’invalidité au plus tard le 18 août 2008.

2.      Lilly signifie et dépose ses éléments de preuve au plus tard le 2 octobre 2008.

3.      Novopharm signifie et dépose sa preuve relative à l’absence de contrefaçon au plus tard le 1er décembre 2008.

4.      Les contre-interrogatoires sur affidavit soient complétés au plus tard dans les 90 jours suivant la signification et le dépôt par Novopharm d’un avis indiquant qu’elle a déposé toute sa preuve relative à l’absence de contrefaçon, ou suivant l’expiration du délai prévu au paragraphe 3 de la présente ordonnance.

5.      Les parties sont autorisées à signifier et à déposer une demande d’audience dans les 10 jours suivant la signification de la preuve relative à la contrefaçon de Novopharm ou suivant l’expiration du délai imparti à cette fin.

 

[6]               La question à trancher dans la présente requête est celle de savoir si les paragraphes 1 à 5 susmentionnés figurant dans l’ordonnance du 24 juin devraient être remplacés, annulés ou modifiés.

 

[7]               La présente affaire porte sur des questions liées au calendrier : l’ordre de présentation de la preuve et le délai accordé à chaque partie pour présenter des éléments de preuve. Les questions liées au calendrier sont de nature discrétionnaire (Bristol-Myers Squibb Company c. Apotex, 2008 CF 824). Il est bien établi que les juges saisis des ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne doivent pas intervenir sauf si la requête porte sur des questions « ayant une influence déterminante sur l’issue du principal » ou si l’ordonnance du protonotaire est « entachée d’une erreur flagrante » (Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2003] A.C.F. n1925 (QL), au paragraphe 19).

 

[8]               Concernant la question de l’ordre de présentation de la preuve, Novopharm soutient que la protonotaire Tabib a commis d’importantes erreurs de principe et qu’elle a mal exercé son pouvoir discrétionnaire lorsque, sans compétence ou fondement pour ce faire, elle a imposé un calendrier qui s’écarte considérablement de la procédure prévue aux articles 306 et 307 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

 

[9]                Conformément à ces dispositions, le demandeur signifie et dépose les affidavits et les pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de sa demande dans les 30 jours suivant la délivrance de l’avis de demande, et le défendeur signifie et dépose les affidavits et les pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de sa position dans les 30 jours suivant la signification des affidavits du demandeur.

 

[10]           Bien que les dispositions précitées énoncent expressément la procédure à suivre en ce qui concerne l’ordre de présentation de la preuve, d’autres dispositions des Règles commandent une certaine souplesse dans l’application et l’interprétation de ces dispositions. L’alinéa 385(1)a) revêt une importance particulière puisqu’il traite des pouvoirs du juge ou du protonotaire responsable de la gestion de l’instance, établissant que celui-ci tranche toutes les questions qui sont soulevées avant l’instruction de l’instance à gestion spéciale et qu’il peut « donner toute directive nécessaire pour permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». L’article 3 énonce également que les Règles sont interprétées et appliquées « de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». De plus, l’article 55 autorise la Cour à modifier une règle ou à accorder une exemption d’application dans des circonstances spéciales.

 

[11]           Dans une série de décisions récentes, ces dispositions ont été interprétées comme permettant au protonotaire responsable de la gestion d’une instance de modifier l’ordre de présentation de la preuve s’il est persuadé que cela est nécessaire pour apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible (Lundbeck Canada Inc. c. Ratiopharm Inc., 2008 CF 579; Astrazeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 537, [2008] A.C.F. no 681 (QL); Abbot Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 1291, [2007] A.C.F. no 1660 (QL); Pharma c. Pharmascience Inc., 2007 CF 1196, [2007] A.C.F. n1568 (QL)).

 

[12]           Novopharm cite l’affaire Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 438, [2003] A.C.F. n1725 (QL), dans laquelle la Cour d’appel fédérale, en matière de droits relatifs à l’interrogatoire préalable, a déclaré que les « termes généraux » des articles 3 et 385 des Règles ne sont pas suffisants pour permettre de passer outre aux autres droits spécifiques expressément prévus ailleurs dans les Règles. Novopharm soutient que ce principe s’applique également au cas qui nous occupe dans la mesure où la formulation précise des articles 306 et 307 des Règles ne devrait pas être subordonnée à la formulation générale des articles 3 et 385.

 

[13]           Cependant, comme l’a indiqué la protonotaire Aronovitch dans Lundbeck, précitée, au paragraphe 20, l’article 307 des Règles confère un droit procédural plutôt qu’un droit substantiel et « [l]’inversion de l’ordre de présentation de la preuve ne constitue pas non plus une inéquité de procédure lorsque le défendeur peut démontrer qu’un droit de réponse est requis et qu’il a la possibilité de le faire ».

 

[14]           J’ajouterais que l’ordre inversé de présentation de la preuve a été expressément prévu dans la Directive de pratique entrée en vigueur le 7 janvier 2008. Par conséquent, je suis d’avis que la protonotaire Tabib avait compétence pour inverser l’ordre de présentation de la preuve.

 

[15]           Novopharm soutient subsidiairement que, si la protonotaire Tabib avait effectivement compétence pour inverser l’ordre de présentation de la preuve, elle a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvais principe et commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des facteurs établis dans la jurisprudence antérieure sur la question ou en n’en tenant pas compte de manière appropriée.

 

[16]           Selon la jurisprudence, pour déterminer si une inversion de l’ordre de présentation de la preuve est appropriée, il faut d’abord se demander si « elle doit l’être pour permettre d’apporter au litige une solution qui soit la plus expéditive et la plus économique possible, tout en demeurant juste » (Pharma, précitée, au paragraphe 8). Par conséquent, une inversion de l’ordre de présentation de la preuve ne devrait pas modifier « les droits substantiels des parties ni l’équité de leurs droits procéduraux ». (Lundbeck, précitée, au paragraphe 19; Pharma, précitée, au paragraphe 8). En outre, en appliquant l’ordre inversé, « il faudrait pouvoir compter sur d’importantes épargnes de temps, d’argent et de ressources, tant pour la Cour que pour les parties ». (Pharma, précitée, au paragraphe 20; voir Astrazeneca, précitée, au paragraphe 10).

 

[17]           Après avoir examiné l’ordonnance de la protonotaire Tabib, je suis convaincue qu’elle a bien saisie les faits entourant la présente affaire et qu’elle a tenu compte de tous les facteurs pertinents. Comme l’a indiqué le juge Evans dans Sawridge Band c. Canada, 2006 CAF 228, [2006] A.C.F. no 956 (QL), au paragraphe 21 :

[. . .] la Cour est fort peu disposée à modifier les décisions rendues par un juge durant la gestion d’une instance antérieure à son instruction, surtout s’il s’agit d’une affaire complexe, ancienne et difficile comme celle‑ci. Le juge responsable de la gestion de l’instance est un familier du dossier depuis quelque temps, et il en aura donc acquis une connaissance d’ensemble, connaissance qu’un tribunal supérieur, saisi d’un appel portant sur un point donné, ne saurait, en profondeur ou en étendue, posséder.

 

 

[18]           La protonotaire Tabib, en tant que protonotaire responsable de la gestion de l’instance, était particulièrement bien placée pour comprendre les circonstances de la présente affaire. Elle a géré d’autres instances entre ces parties et d’autres défendeurs concernant les brevets relatifs à l’olanzapine et, par conséquent, elle comprend bien le raisonnement adopté par les parties et le contexte factuel complexe en cause. Grâce à son expérience, elle a acquis un degré d’expertise à l’égard de ces questions.

 

[19]           Pour ce qui est de la décision de la protonotaire, après avoir lu le dossier et entendu la plaidoirie des parties, la protonotaire Tabib a conclu qu’une inversion de l’ordre de présentation de la preuve était appropriée. Dans ses motifs, elle a indiqué que, vu les faits particuliers de l’espèce, une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible sera vraisemblablement apportée dans la présente demande si Novopharm dépose les éléments de preuve à l’appui de son allégation d’invalidité en premier, qu’Eli Lilly dépose ensuite ses éléments de preuve sur l’absence de contrefaçon et l’invalidité en même temps, et que la preuve de Novopharm relative à l’absence de contrefaçon soit produite en dernier. Elle a également traité expressément  des épargnes substantielles de temps et d’argent que réaliseraient les parties et la Cour en obligeant Novopharm à déposer sa preuve sur l’invalidité en premier, étant donné que les questions seraient ainsi considérablement restreintes.

 

[20]           En conséquence, je ne trouve pas d’erreur de droit dans la décision en question, ni d’erreur manifeste dans l’exercice du large pouvoir discrétionnaire conféré à la protonotaire.

 

[21]           Concernant la question du délai accordé aux parties pour déposer leurs documents, je conclus également que la protonotaire Tabib n’a pas commis d’erreur manifeste. Elle a accepté la plupart des éléments de preuve incontestés soumis par le Dr Bugay, et elle était d’avis qu’une période de 105 jours était raisonnablement nécessaire pour permettre à Eli Lilly de signifier et de déposer ses éléments de preuve relatifs à la contrefaçon. En outre, elle a accepté les observations faites par l’avocat de Novopharm à l’audience, selon lesquelles une période de 60 jours serait raisonnablement nécessaire pour lui permettre de signifier et de déposer ses affidavits sur l’invalidité, s’il était obligé de le faire avant que le demandeur ne dépose sa preuve, et aussi qu’il lui faudrait 60 jours après la signification de la preuve de contrefaçon d’Eli Lilly pour présenter une réponse.

 

[22]           Pour les motifs qui précèdent, l’appel de l’ordonnance de la protonotaire est rejeté.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel de l’ordonnance de la protonotaire soit rejeté.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-703-08

 

INTITULÉ :                                       ELI LILLY CANADA INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                            et

                                                           

                                                            NOVOPHARM LIMITED ET AL                                                                                                                                                                                           défendeurs

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 juillet 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      REJETÉS (le 14 juillet 2008)

 

MOTIFS ÉCRITS

RENDUS :                                         Le 16 juillet 2008

 

COMPARUTIONS :

 

JAY ZAKAIB

SCOTT ROBERTSON

POUR LA DEMANDERESSE

ANDY RADHAKANT

    POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

HEENAN BLAIKIE s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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