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Date : 20080716

Dossier : IMM-240-08

Référence : 2008 CF 877

Toronto (Ontario), le 16 juillet 2008

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

SING YA ZHENG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]         Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention suivant l’article 96 de la Loi, ni une « personne à protéger » suivant l’article 97 de la Loi.

 

[2]         Le demandeur allègue les faits qui suivent à l’appui de sa demande.

 

[3]         Le demandeur allègue être un citoyen de la République populaire de Chine (la Chine) et craindre d’être persécuté du fait de son appartenance à une église chrétienne clandestine.

 

[4]         Le demandeur était un enseignant en Chine, mais il a commencé à se sentir déçu et déprimé en raison des problèmes qu’il percevait dans le système d’éducation chinois, y compris des préoccupations qu’il avait quant à la qualité du système dans son ensemble.

 

[5]         En octobre 2005, le demandeur a écrit une lettre au conseil d’éducation dans laquelle il a exprimé son opinion relativement à ces problèmes. La lettre a été renvoyée à son école et il a été critiqué pour avoir exprimé son opinion. Cela l’a fâché et déprimé.

 

[6]         Le 25 décembre 2005, un ami l’a emmené à un rassemblement d’un groupe religieux et le demandeur a alors appris que son ami était chrétien. Le rassemblement a fait impression sur le demandeur, qui est par la suite devenu membre de l’église clandestine.

 

[7]         Le demandeur a fréquenté l’église régulièrement jusqu’au 25 juin 2006, soit lorsque les personnes présentes au service ont été averties que des agents du Bureau de la sécurité publique (le BSP) se dirigeaient vers l’église. Le demandeur s’est réfugié chez son cousin et, deux jours plus tard, il a appris que des agents du BSP s’étaient rendus chez lui à sa recherche. Le demandeur a été accusé d’avoir participé à des activités religieuses illégales et on lui a ordonné de se rendre au BSP.

 

[8]         Le demandeur a fui la Chine, il est arrivé au Canada le 23 juillet 2006 et il a présenté une demande d’asile le 28 juillet 2006.

 

[9]         Dans une décision datée du 20 décembre 2007, la Commission a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger, puisqu’il n’avait pas été en mesure d’établir son identité de façon satisfaisante.

 

[10]     La Commission est arrivée à cette conclusion à la lumière de ce qui suit :

 

·        Le demandeur a présenté une photocopie de la page couverture seulement de sa carte d’identité de résident (la CIR). Sa mère lui avait envoyé ce document par télécopieur, mais la copie du document présentée à la Commission ne portait aucune inscription d’un télécopieur. Le demandeur a expliqué qu’il avait donné la télécopie de sa carte au consultant et qu’il s’agissait de la copie sans inscription d’un télécopieur que le consultant lui avait remise. Le demandeur a aussi précisé que le dos de la carte n’avait pas été photocopié puisqu’en Chine, on ne photocopiait que le recto du document. La Commission a estimé que cela n’était pas vraisemblable.

 

·        Le demandeur se trouvait au Canada depuis près d’un an et demi, et il était représenté par un conseil. La question 31 du Formulaire de renseignements personnels exigeait du demandeur qu’il joigne des copies de tout rapport médical ou psychologique, rapport de police ou autre document à l’appui de sa demande. Par conséquent, le demandeur et son conseil savaient tous deux qu’il était essentiel de prouver l’identité.

 

·        Le demandeur a témoigné qu’il avait donné sa CIR à un passeur et qu’il s’était fait dire qu’une fois que le passeur aurait été payé, sa CIR serait remise à sa famille. Depuis l’arrivée du demandeur au Canada, sa famille avait versé la somme intégrale due au passeur, mais elle n’avait pas été en mesure de trouver ce dernier pour obtenir la carte. La Commission a jugé que, s’il avait été possible de trouver le passeur pour le payer, il aurait alors été possible d’obtenir la carte originale. La Commission a aussi souligné que les notes prises au point d’entrée indiquaient que le cousin du demandeur avait pris rendez-vous avec le passeur à trois reprises avant que le demandeur quitte la Chine. Par conséquent, la Commission a conclu que l’explication fournie par le demandeur à savoir pourquoi il n’avait pas sa CIR originale n’était pas crédible.

 

·        Comme le demandeur était entré au Canada à l’aide d’un faux passeport japonais et qu’il n’avait aucun document d’identité comportant des éléments de sécurité, la Commission a conclu qu’il n’avait pas établi son identité de façon satisfaisante et, par conséquent, qu’elle n’avait pas à examiner les éléments de sa demande autres que ceux liés à la question de l’identité. Aucun des autres documents d’identité présentés, y compris un formulaire d’enregistrement du lieu de résidence, un permis de conduire, plusieurs diplômes scolaires et un diplôme d’une école professionnelle, ne comportaient d’éléments de sécurité et, de plus, ces documents pouvaient facilement être reproduits. On fait état de la fabrication de documents frauduleux en Chine à de nombreuses reprises dans la preuve documentaire.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[11]     Selon l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la première étape de l’analyse relative à la norme de contrôle exige un examen de la jurisprudence antérieure pour vérifier si elle a déjà établi le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier (Dunsmuir, précité, au paragraphe 62).

 

[12]     Comme l’a affirmé le juge Michel Beaudry dans la décision Santos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1119, [2007] A.C.F. no 1486 (QL), aux paragraphes 13 et 14, en ce qui concerne les conclusions relatives à l’identité, la jurisprudence est partagée entre l’application de la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir les décisions Gasparyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 863, [2003] A.C.F. no 1103 (QL); P.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 103, [2005] A.C.F. no 130 (QL); Najam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 425, [2004] A.C.F. no 516 (QL)) et celle de la décision raisonnable simpliciter (Ehioghiren c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 985, [2006] A.C.F. no 1244 (QL), au paragraphe 7; Rasheed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587, [2004] A.C.F. no 715 (QL)).

 

[13]     Compte tenu de l’arrêt Dunsmuir et de la jurisprudence antérieure de la Cour, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à l’identité est la raisonnabilité.

 

ANALYSE

 

[14]     L’article 106 de la Loi et l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), soulignent l’importance d’établir l’identité du demandeur. Il incombe au demandeur de présenter des documents acceptables pour établir son identité. Cependant, s’il n’est pas en mesure de le faire, la Commission doit prendre en compte le fait que le demandeur ne peut raisonnablement justifier l’absence de tels documents et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

 

[15]     De plus, la jurisprudence prévoit que, si l’identité du demandeur n’a pas été établie, il n’est pas nécessaire d’analyser plus à fond la preuve et la demande (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 296, [2006] A.C.F. no 368 (QL), au paragraphe 8; Husein c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 726 (QL)). Toutefois, lorsqu’elle tire des conclusions relatives à l’identité, la Commission doit tenir compte de l’ensemble de la preuve pertinente dont elle dispose quant à l’identité (Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1292, [2007] A.C.F. no 1661 (QL), au paragraphe 3; Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 84, [2006] A.C.F. no 104 (QL), au paragraphe 10).

 

[16]     En l’espèce, la Commission, conformément à l’article 106 de la Loi et à l’article 7 des Règles, a pris en compte les explications du demandeur à savoir pourquoi il ne pouvait fournir sa CIR originale, mais ces explications ne l’ont pas convaincue. Plus précisément, la Commission a jugé que, s’il avait été possible de trouver le passeur pour le payer, il aurait alors été possible d’obtenir la CIR originale. De plus, elle a souligné que la copie de la CIR qui aurait apparemment été envoyée par télécopieur ne portait aucune inscription d’un télécopieur. Enfin, la Commission n’a pas cru l’explication du demandeur selon laquelle, en Chine, on ne photocopiait que le recto de la CIR. Par conséquent, je suis d’avis que la conclusion de la Commission relativement à CIR du demandeur « appart[ient] […] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[17]     Cependant, en l’espèce, la copie de la CIR n’était pas le seul document d’identité fourni par le demandeur. Le dossier du tribunal contient copie d’un formulaire d’enregistrement du lieu de résidence, d’un permis de conduire, de diplômes scolaires et d’un diplôme d’une école professionnelle, dont les originaux ont été fournis à la Commission. Tous ces documents corroborent l’identité du demandeur. Dans sa décision, la Commission a rejeté de façon sommaire tous ces documents puisque, selon elle, ils ne comportaient aucun élément de sécurité et pouvaient facilement être reproduits.

 

[18]           Il est vrai que l’évaluation du poids à accorder à des documents relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal qui apprécie la preuve (Aleshkina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 589, [2002] A.C.F. no 784 (QL), au paragraphe 13), mais à mon avis, la Commission n’a fait aucun effort en vue de vérifier l’authenticité de ces autres documents (Lin, précitée, au paragraphe 12). Plus particulièrement, la Commission a déclaré de façon générale qu’aucun des documents présentés ne comportaient d’éléments de sécurité, alors qu’en réalité, ils en avaient sous forme de cachets officiels. Même si ces cachets officiels ne sont peut-être pas aussi sûrs que d’autres éléments d’authenticité, il était d’autant plus important en l’espèce d’examiner attentivement les documents d’identité présentés, compte tenu de la déclaration faite à l’audience par l’agente de protection des réfugiés, selon laquelle elle n’avait aucune réserve à l’égard de ces documents.

 

[19]           Certes, la fabrication de documents frauduleux en Chine est préoccupante. Cependant, comme il incombe à la Commission de tirer ses conclusions relatives à l’identité en tenant compte de l’ensemble de la preuve quant à l’identité, il ne lui était pas raisonnable de rejeter tous les éléments de preuve relatifs à l’identité sans examiner ces documents pour vérifier s’ils étaient réellement frauduleux. 

 

[20]     Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. L’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-240-08

 

INTITULÉ :                                       SING YA ZHENG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 JUILLET 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 16 JUILLET 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

 

POUR LE DEMANDEUR

Manuel Mendelzon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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