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Date : 20080715

Dossier : IMM-5220-07

Référence : 2008 CF 870

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Orville Frenette

 

 

ENTRE :

IVANNA CHERTYUK

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Il s’agit d’une demande fondée sur l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en vue du contrôle judiciaire d’une décision datée du 3 décembre 2007 par laquelle une agente d’immigration (l’agente) a refusé la demande de résidence permanente au Canada de Mme Chertyuk au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait (catégorie des époux). L’agente a conclu que le mariage de Mme Chertyuk n’était pas authentique au motif qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi.

 

I. Faits

 

[2]        La demanderesse, Mme Chertyuk, est citoyenne de l’Ukraine. Elle est entrée au Canada à titre de visiteur le 15 septembre 2004 et elle est restée ici depuis ce temps.

 

[3]        Le 6 novembre 2004, Mme Chertyuk a rencontré son répondant actuel, M. Shishmanov, dans un café. Ils ont échangé leurs numéros de téléphone.

 

[4]        M. Shishmanov, citoyen de la Bulgarie, est entré au Canada le 16 février 2003 et a demandé avec succès l’asile à titre de réfugié. Dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP) déposé à l’appui de sa demande d’asile,  M. Shishmanov affirmait qu’il craignait d’être persécuté en Bulgarie du fait de son orientation homosexuelle.

 

[5]        Mme Chertyuk affirme qu’elle est retournée une deuxième fois prendre un café avec M. Shishmanov et qu’ils ont ensuite commencé à passer plus de temps ensemble. En janvier 2005, M. Shishmanov a confié à Mme Chertyuk qu’il était homosexuel.

 

[6]        Le 14 février 2005, Mme Chertyuk affirme qu’elle et M. Shishmanov ont eu leur première relation sexuelle.

 

[7]        Le 1er mars 2005, le visa de visiteur de Mme Chertyuk a expiré.

 

[8]        Le 11 mars 2005, Mme Chertyuk a été informée que sa demande de prolongation de visa de visiteur avait été refusée. Cependant, elle a obtenu jusqu’au 1er mai 2005 pour prendre des dispositions pour quitter le Canada.

 

[9]        Le 2 avril 2005, Mme Chertyuk dit que M. Shishmanov lui a fait une demande en mariage qu’elle a acceptée.

 

[10]      Le 1er mai 2005, le statut de Mme Chertyuk au Canada a pris fin.

 

[11]      Le 31 mai 2005, M. Shishmanov a obtenu la résidence permanente.

 

[12]      Le 30 juillet 2005, Mme Chertyuk et M. Shishmanov se sont mariés.

 

[13]      Le 29 décembre 2005, Mme Chertyuk a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux. Sa demande était parrainée par M. Shishmanov. Le 26 novembre 2007, l’agente a reçu Mme Chertyuk et M. Shishmanov en entrevue séparément.

 

[14]      Le 3 décembre 2007, l’agente a refusé la demande de Mme Chertyuk au motif que son mariage avec M. Shishmanov n’était pas authentique. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II. Décision de l’agente

 

[15]      L’agente a conclu que le mariage entre Mme Chertyuk et M. Shishmanov visait principalement l’acquisition par Mme Chertyuk du statut de résidente permanente aux termes de la Loi. Par conséquent, l’agente a refusé la demande de Mme Chertyuk au titre de la catégorie des époux. À l’appui de sa conclusion, l’agente a fait observer que :

  • dans son FRP, M. Shishmanov a indiqué qu’il a découvert [traduction] « qu’[il] n’éprouvait pas d’attirance pour les femmes » lorsqu’il était adolescent et qu’il craignait d’être persécuté en Bulgarie du fait de son orientation sexuelle;
  • lors de son entrevue, M. Shishmanov a répondu que les renseignements contenus dans son FRP étaient exacts, qu’il avait eu des relations sexuelles avec plusieurs hommes durant toute sa vie d’adulte, et qu’il n’était pas bisexuel;
  •  Mme Chertyuk et M. Shishmanov ont effectivement vécu ensemble;
  •  le moment où serait survenue la relation intime entre Mme Chertyuk et M. Shishmanov et la demande en mariage subséquente coïncide avec celui du refus de la demande de Mme Chertyuk visant à faire prolonger son statut de visiteur.

 

L’agente était d’avis que M. Shishmanov et Mme Chertyuk « vivaient ensemble comme des amis » et qu’il « l’aidait à obtenir la résidence permanente au Canada ». Elle a jugé qu’il n’était pas crédible que M. Shishmanov ait changé son orientation homosexuelle après avoir rencontré Mme Chertyuk.


III. Questions en litige

 

[16]      Mme Chertyuk soulève aux fins du contrôle judiciaire les questions suivantes :

 

(1)          L’agente a-t-elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique pour déterminer si le mariage était authentique aux termes de la Loi?

(2)          L’agente a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait?

(3)          La décision de l’agente était-elle déraisonnable?

 

IV. Norme de contrôle

 

[17]      Il n’y a que deux normes de contrôle, celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. Voir : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 34.

 

[18]      La première question soulevée dans la présente demande est une question de droit. La Cour a déjà adopté le point de vue que la norme de la décision correcte s’applique à ce type de question, voir : Mohamed c. Canada (MCI), 2006 CF 696, 296 F.T.R. 73, au paragraphe 34.  Je ne vois aucun fondement justifiable pour m’écarter de ce point de vue en l’espèce. Comme l’a indiqué clairement la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, la norme de la décision correcte demeure la norme applicable lorsqu’une question de droit générale est soulevée. Étant donné ses répercussions sur l’administration de la justice dans son ensemble, pareille question doit être tranchée de manière uniforme et cohérente. Voir : Dunsmuir, aux paragraphes 50, 60 et 122.

[19]      La deuxième question en litige est celle de savoir si l’omission de l’agente de tenir compte d’éléments de preuve pertinents fait intervenir les principes d’équité procédurale. Pareilles questions relèvent de la compétence exclusive de la Cour et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Aucune déférence n’est nécessaire. Voir : Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100. La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir a confirmé que les questions d’équité, qui jouent un rôle central dans l’administration de la justice, ressortissent clairement à la fonction de surveillance de la Cour. Voir : Dunsmuir, aux paragraphes 60 et 151. 

 

[20]      La troisième question soulevée par Mme Chertyuk conteste essentiellement la conclusion de l’agente selon laquelle son mariage avec M. Shishmanov visait principalement l’acquisition du statut de résidente permanente aux termes de la Loi. Au titre de la catégorie des époux, la question de savoir si un mariage est authentique a été traditionnellement examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable simpliciter. Voir p.ex. : Osazuma c. Canada (MCI), 2007 CF 1145, 69 Imm. L.R. (3d) 259, au paragraphe 24. Dans la foulée de la décision de l’arrêt Dunsmuir, la Cour a accepté, quoique dans un contexte différent, que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique désormais à de telles conclusions. Voir : Mustafa c. Canada (MCI), 2008 CF 564, [2008] A.C.F. n717, au paragraphe 13 (QL).

 

[21]      La Cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit se demander si la décision contestée possède les attributs de la raisonnabilité, qui comprend à la fois le processus et l’issue.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir : l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

V. Cadre réglementaire

 

[22]      Selon l’article 124 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), fait partie de la catégorie des époux l’étranger qui est l’époux d’un répondant ou qui vit avec ce répondant au Canada:

 

124. Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada;

 

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada;

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

124. A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they

 

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

(b) have temporary resident status in Canada; and

(c) are the subject of a sponsorship application.

 

[23]      L’article 4 du Règlement prévoit que l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux si le mariage n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi :

4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

VII. Analyse

 

(A)       L’agente a-t-elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique pour déterminer si le mariage était authentique aux termes de la Loi?

 

[24]      Mme Chertyuk soutient que l’agente a commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour déterminer l’authenticité de son mariage. Mme Chertyuk allègue qu’elle et M. Shishmanov respectent les conditions de l’article 124 du Règlement. Le ministre soutient par contre que l’agente a appliqué le bon critère. Selon le ministre, les motifs de l’agente démontrent qu’elle a à juste titre « porté son attention sur la question de savoir si le mariage était authentique ou s’il avait été conclu à des fins d'immigration ». Les positions respectives des parties sur ce point sont examinées ci‑après.

 

[25]      Mme Chertyuk allègue qu’elle répond à la définition d’épouse de l’alinéa 124a) du Règlement. Elle fait également valoir que, conformément à la décision dans Horbas c. Canada (MEI) et Secrétaire d’État aux Affaires extérieures, [1985] 2 C.F. 359, 22 D.L.R. (4th) 600 (1re inst.), elle ne s’est pas mariée « principalement dans le but d’obtenir l’admission au Canada » puisqu’elle était déjà entrée au Canada à titre de visiteur et qu’elle a rencontré M. Shishmanov « par hasard ». Le ministre réplique en alléguant que les articles 4 et 124 du Règlement doivent être lus ensemble et que, contrairement à l’argument avancé par Mme Chertyuk, la question pertinente dont était saisie l’agente était de savoir si son mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi ». À mon avis, l’argument de Mme Chertyuk n’est pas convaincant.

 

[26]      Comme le ministre le fait observer à juste titre, l’article 124 du Règlement doit être lu en corrélation avec l’article 4 du Règlement. Voir : Cao c. Canada (MCI), 2006 CF 1408, 58 Imm. L.R. (3d) 218, aux paragraphes 8 et 24. Selon l’article 124, un étranger, comme Mme Chertyuk, sera considéré comme faisant partie de la catégorie des époux s’il est l’époux d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada. Autrement dit, l’article 124 définit les conditions liées à la catégorie des époux. Il ne précise pas, comme le prétend Mme Chertyuk, qui est ou n’est pas visé par la définition d’« époux » aux termes du Règlement. Cette définition se trouve à l’article 4, laquelle exige que l’étranger établisse que son mariage est authentique et qu’il ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi. Si j’acceptais l’interprétation proposée par Mme Chertyuk, cela mènerait au résultat absurde que tout étranger présentant un certificat de mariage et une preuve documentaire de cohabitation serait considéré comme un « époux » aux termes de la catégorie des époux. Une telle interprétation ne tiendrait pas compte de l’objet précis et de la portée générale de l’article 4 du Règlement.

 

[27]      Pour ce qui est de l’argument de Mme Chertyuk selon lequel elle affirme avoir satisfait au critère établi dans Horbas, en ne se mariant pas « principalement dans le but d’obtenir l’admission au Canada » puisqu’elle était déjà entrée au Canada à titre de visiteur, il est important de souligner que la décision Horbas a été tranchée en vertu du paragraphe 4(3) de l’ancien Règlement sur l’immigration, 1978, DORS/78-172. Ce paragraphe a depuis été remplacé par l’article 4 du Règlement, qui exige désormais que le mariage ne vise pas « principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi ». C’était cette condition prescrite par la loi à laquelle Mme Chertyuk devait satisfaire.

 

[28]      Mme Chertyuk soutient également que l’agente a commis une erreur en ne mentionnant pas expressément l’article 4 du Règlement et en tenant compte implicitement d’un facteur non pertinent, à savoir qu’un mariage authentique est celui qui unit deux personnes hétérosexuelles. Le ministre n’est pas d’accord avec cet argument, et il fait valoir que l’agente n’a pas appliqué pareil facteur et que ses motifs « concordaient manifestement » avec le Règlement. Après avoir examiné les motifs de l’agente dans leur ensemble, je ne puis être d’accord avec l’interprétation faite par Mme Chertyuk.

 

[29]      L’omission de l’agente de mentionner expressément l’article 4 du Règlement ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle judiciaire. Lorsqu’on lit les motifs de l’agente dans leur ensemble, il est clair qu’elle était guidée par des considérations juridiques appropriées :

 

[traduction] [U]n étranger n’est pas considéré comme faisant partie de la catégorie des époux ou des conjoints de fait si le mariage ou la relation n’est pas authentique ou vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

Je ne suis pas convaincue que ce mariage n’a pas été contracté principalement aux fins d’immigration, par conséquent, vous ne répondez pas aux conditions applicables à la catégorie des époux et conjoints de fait et votre demande de résidence permanente au Canada au titre de cette catégorie est donc refusée.

 

Quant à la suggestion de Mme Chertyuk, selon laquelle l’agente a eu tort de strictement définir le mariage authentique comme celui qui unit deux personnes hétérosexuelles, la décision de l’agente, ses motifs et ses notes ne révèlent aucune considération de ce genre, expresse ou implicite.

 

[30]      Mme Chertyuk allègue également que l’agente a commis une erreur en tenant compte du moment de sa relation avec M. Shishmanov par rapport au moment de sa demande infructueuse de prolongation de visa de visiteur. La question du moment est considérée comme non pertinente pour déterminer si un mariage est authentique ou non. Mme Chertyuk allègue également que l’agente n’a pas tenu compte de la décision rendue dans Donkor c. Canada (MCI), 2006 CF 1089, 299 F.T.R. 262, portant qu’un mariage qui visait initialement l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi peut devenir authentique. Le ministre adopte un point de vue contraire, soutenant qu’il était loisible à l’agente de tenir compte des circonstances entourant la demande de visa de visiteur de Mme Chertyuk. Quant à l’effet de la décision rendue dans Donkor, le ministre fait valoir qu’il ne s’applique pas en l’espèce, en raison [traduction] « des doutes sérieux de l’agente au sujet de la relation tout au long de l’affaire ». Je ne suis pas d’avis que l’agente a commis une erreur comme Mme Chertyuk le prétend.

 

[31]      Pour déterminer si un mariage est authentique, un agent doit évaluer la crédibilité du demandeur et tirer des conclusions de fait au vu du dossier dont il dispose. Dans le cadre de son analyse, un agent doit tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents. Il n’était pas fautif de la part de l’agente de tenir compte du moment de la relation de Mme Chertyuk à la lumière de ses antécédents en matière d’immigration. Cela ne veut pas dire que le moment est un aspect déterminant pour conclure si un mariage est authentique ou non, mais plutôt que le moment n’est que l’un des facteurs susceptibles d’être pris en considération pour évaluer l’authenticité d’un mariage au titre de la catégorie des époux. Dans la présente affaire, la décision défavorable de l’agente ne reposait qu’en partie sur le moment de la relation. Bien que Mme Chertyuk ait raison de faire valoir que la décision dans Donkor reconnaît qu’un mariage qui visait initialement l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi peut devenir authentique, ce principe ne s’applique pas en l’espèce. Il est clair que l’agente, même à la date de la décision, n’était pas convaincue que Mme Chertyuk et M. Shishmanov entretenaient une relation conjugale authentique :

[traduction] Je ne suis pas convaincue que la demanderesse et son époux répondant entretiennent une relation conjugale authentique.

 

(B)       L’agente a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait?

[32]      Mme Chertyuk soutient également que l’agente a commis une erreur en ne prenant pas en compte tous les éléments de preuve pertinents. Plus particulièrement, Mme Chertyuk fait référence à une police d’assurance-maladie, qui la désignait comme bénéficiaire, à un certain nombre de factures d’interurbains, qui consignaient les appels téléphoniques qu’elle avait faits à sa famille en Ukraine et à la famille de  M. Shishmanov en Bulgarie, et à de nombreuses photos d’elle et de M. Shishmanov au mariage, à des réunions de famille et en vacances. Le ministre allègue cependant que les éléments de preuve sur lesquels s’est fondée Mme Chertyuk établissent simplement qu’elle et M. Shishmanov vivaient ensemble et n’indiquent rien sur la question de savoir si le mariage visait l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi. Simplement dit, le ministre est d’avis que l’agente a tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait. Mme Chertyuk n’a pas réussi à me convaincre que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents.

 

[33]      Il est bien établi qu’une instance administrative décisionnelle n’est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve dont elle dispose. À moins que le contraire ne soit démontré, un décideur est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont il disposait. Voir : Florea c. Canada (MEI), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL). Dans la présente affaire, l’agente a expressément signalé la documentation déposée par Mme Chertyuk à l’appui de sa demande de résidence permanente, y compris des factures de cartes de crédit, une police d’assurance-maladie, des lettres, un bail, un certificat de mariage et des permis de conduire. En somme, Mme Chertyuk n’a pas réfuté la présomption selon laquelle l’agente a tenu compte de tous les éléments de preuve.

 

(B)       La décision de l’agente était-elle déraisonnable?

[34]      Mme Chertyuk soutient de plus que la décision de l’agente de refuser sa demande de résidence permanente est déraisonnable. Selon Mme Chertyuk, l’« unique fondement » de l’agente pour conclure que son mariage n’était pas authentique reposait sur la demande d’asile de M. Shishmanov qui avait été accueillie du fait de son homosexualité. Mme Chertyuk affirme que l’agente n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle sa relation avec M. Shishmanov s’est développée avec le temps et que M. Shishmanov ne se considère plus comme un homosexuel. Le ministre adopte le point de vue contraire, alléguant que la décision de l’agente est raisonnable et étayée par la preuve relative à l’orientation sexuelle déclarée de M. Shishmanov et au moment où Mme Chertyuk a voulu acquérir un statut au Canada.

 

[35]      L’orientation sexuelle de M. Shishmanov n’était pas, comme Mme Chertyuk le prétend, l’unique fondement de la décision de l’agente. Cette dernière s’est également dit préoccupée par le fait que la relation [traduction]  « coïncid[ait] avec le moment où [Mme Chertyuk] s’était vu refuser la prolongation de son statut de visiteur au Canada ». Quant à l’argument voulant que l’agente n’ait pas tenu compte de la preuve selon laquelle la relation s’était développée avec le temps et que M. Shishmanov ne se considérait plus comme un homosexuel, il importe de souligner que cette preuve a effectivement été examinée par l’agente et jugée non crédible. L’agente a refusé de croire que l’orientation sexuelle de  M. Shishmanov avait soudainement changé après avoir rencontré Mme Chertyuk. Ayant examiné la conclusion défavorable quant à la crédibilité en fonction du propre témoignage de M. Shishmanov, selon lequel il avait eu des relations homosexuelles durant toute sa vie d’adulte et qu’il n’était pas bisexuel, on ne peut pas dire que la décision de l’agente n’est pas étayée par la preuve ou n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Mme Chertyuk peut ne pas être d’accord avec la décision de l’agente mais on ne saurait dire que cette décision était déraisonnable.

 

[36]      Les parties n’ont pas proposé de questions aux fins de certification, et je suis convaincu que le présent dossier ne soulève aucune question grave de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée et qu’aucune question ne soit certifiée.

 

 

 

« Orville Frenette » 

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5220-07

 

INTITULÉ :                                       Ivanna Chertyuk

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 8 juillet 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 15 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Avocat

Waldman & Associates

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)  M4P 1L3

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims,

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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