Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080710

Dossier : IMM-3534-07

Référence : 2008 CF 861

Ottawa (Ontario) le 10 juillet 2008

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

KAYODE FASASI LAWAL

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision qui a été rendue le 2 août 2007 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) par laquelle celle‑ci a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Le demandeur, un citoyen du Nigéria, prétend qu’il serait persécuté dans son pays, en raison de son appartenance à un groupe social, soit les hommes homosexuels nigériens, par une bande locale appelée les Bad Boys et par le père de son ex‑petite amie. Pour les motifs qui suivent, je suis arrivé à la conclusion que la présente demande devrait être rejetée.

I. Les faits

 

[2]               Le demandeur est né à Lagos (Nigéria), le 4 avril 1970. En 1993, il a commencé à fréquenter une fille et ils ont eu trois enfants ensemble.

 

[3]               Le demandeur prétend que, en 2000, il a entrepris une relation amoureuse avec un homme du nom de M. Brown. Il prétend que, en raison de cette relation, son oncle et une bande locale appelée les Bad Boys se sont mis à lui causer des ennuis alors qu’il travaillait comme serveur et comme chauffeur d’autobus. Il a affirmé qu’il avait peur de ces hommes et il a décrit comment ils lui avaient pointé une arme à la tête et comment ils l’avaient battu. Il prétend également que le père de son ex‑petite amie l’avait menacé. 

 

[4]               Le demandeur a déclaré que M. Brown a soudainement pris des dispositions afin qu’ils puissent tous les deux quitter le Nigéria mais sans lui dire pourquoi. Ils craignaient que l’oncle du demandeur informe la police quant à leur homosexualité, laquelle constitue une infraction criminelle au Nigéria, ou que les Bad Boys leur fassent du tort. 

 

[5]               Le 21 janvier 2005, le demandeur et M. Brown sont arrivés à Lisbonne, au Portugal. Le demandeur est demeuré au Portugal pendant environ deux semaines. Il a habité avec M. Brown. Durant ce temps, il n’a présenté aucune demande d’asile. Le demandeur a déclaré qu’il avait songé à demeurer au Portugal, mais qu’il ne parlait pas le portugais et qu’il ne savait pas où aller pour présenter une demande d’asile.

[6]               M. Brown a pris des dispositions pour que le demandeur puisse quitter le Portugal pour se rendre au Canada. Le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’il avait l’intention de se rendre au Canada afin d’y demander l’asile. Lorsque le demandeur est arrivé au Canada, il a présenté une demande d’asile, mais lorsqu’on lui a demandé ce dont il avait peur, il a déclaré qu’il avait peur des Bad Boys au Nigéria. Il n’a pas mentionné qu’il avait peur de retourner au Nigéria parce qu’il était homosexuel ou parce qu’il avait peur du père de son ex‑petite amie.

 

[7]               Le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas mentionné qu’il avait peur de retourner au Nigéria en raison de son homosexualité parce qu’il craignait qu’on le renvoie chez lui. Il a également déclaré qu’il avait honte et qu’il ne voulait pas dire à l’agent d’accueil qu’il était homosexuel. Quand on lui a demandé pourquoi il n’avait pas dit à l’agent qu’il avait peur du père de son ex‑petite amie, le demandeur s’est mis à faire du verbiage. Il d’abord affirmé qu’il l’avait dit, puis qu’il ne l’avait pas dit puis, enfin, qu’il l’avait peut‑être dit.

 

II. La décision contestée

 

[8]               La Commission a conclu que le témoignage du demandeur n’était pas crédible quant aux motifs pour lesquels il demandait l’asile et qu’il n’avait pas une crainte subjective de persécution. Le commissaire a conclu que le fait que le demandeur n’a pas demandé l’asile au Portugal n’était pas compatible avec les actes d’une personne entretenant une crainte subjective d’être persécutée qui aurait demandé l’asile à la première occasion. 

 

[9]               En ce qui concerne la demande d’asile présentée au Canada, le commissaire a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’avait pas fait mention au point d’entrée de son homosexualité ainsi que de ses problèmes avec le père de son ex‑petite amie. Le commissaire a reconnu que le demandeur avait peut‑être honte de son homosexualité, ce qui pourrait expliquer son omission, mais il a conclu que ses explications concernant le père de son ex‑petite amie n’étaient pas crédibles.

 

[10]           Le commissaire a également mis en doute l’homosexualité du demandeur car il a conclu qu’il « [avait] fabriqué cette histoire d’homosexualité dans le but d’établir un lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention ». Il a déclaré que le demandeur aurait dû être en mesure de produire une preuve corroborant sa prétention.

 

[11]           Le commissaire n’a accordé que peu de valeur probante aux deux lettres émanant du frère du demandeur parce que, selon lui, celui‑ci n’était pas un témoin indépendant et parce que les lettres semblaient comporter deux écritures différentes. De plus, il a conclu que le demandeur était devenu membre de Égalité pour les gais et les lesbiennes (EGALE), un organisme créé pour les gais, les bisexuels, les transsexuels et leur famille, uniquement dans le but de donner plus de poids à sa demande d’asile. Le commissaire a fondé ses conclusions sur l’incapacité du demandeur à décrire les fins poursuivies par cet organisme.

 

[12]           Le commissaire a également tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur avait répondu avec hésitation lorsqu’on lui avait posé des questions sur les activités locales auxquelles il avait participé au Canada. Le demandeur a prétendu qu’il était devenu membre de nombreux groupes homosexuels, mais il a été incapable de produire ses cartes de membre. De plus, il a été incapable de donner les noms des bars homosexuels qu’il prétendait fréquenter assidument et de dire où ces bars étaient situés. Le commissaire a également rejeté la prétention du demandeur selon laquelle il avait peur du père de son ex‑petite amie.

 

III. Les questions en litige

 

[13]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A- La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant des conclusions de fait déraisonnables?

B- La traduction lors de l’audience de la Commission était‑elle adéquate?

C- Le demandeur a‑t‑il eu droit à une audience équitable?

D- La déclaration du commissaire soulève‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité?

 

IV. L’analyse

 

[14]           Par suite de la récente décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, 164 A.C.W.S. (3d) 727 (Dunsmuir), il est maintenant bien établi en droit que les conclusions sur la crédibilité et sur les faits sont susceptibles de révision selon la norme de raisonnabilité. Il s’agit d’une norme qui appelle un degré élevé de déférence et qui laisse une marge d’appréciation aux tribunaux administratifs tant et aussi longtemps que leurs décisions se situent dans la gamme des « solutions rationnelles acceptables ». Comme la Cour suprême l’a souligné, le caractère raisonnable tient principalement à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[15]           La Cour suprême n’a pas touché à la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale et de justice naturelle. La Cour doit donc déterminer si les exigences ont été dûment observées : voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 F.C.R. 392; Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, au paragraphe 65, [2001] 1 R.C.S. 221.

 

A-        Les conclusions de fait

[16]           Le demandeur prétend que certaines des conclusions de fait de la Commission sont déraisonnables. La première conclusion de fait contestée est la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’a aucune crainte subjective. La Commission a conclu que les actes du demandeur d’asile « ne [ressemblaient] pas à ceux d’une personne qui a fui parce qu’elle avait peur ». Quand on lui a posé des questions à propos du temps qu’il avait passé au Portugal, le demandeur a déclaré qu’il y était demeuré deux semaines et avait habité avec M. Brown. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait songé à demeurer plus longtemps au Portugal, le demandeur a répondu qu’il y avait songé mais qu’il ne savait pas où aller pour présenter une demande d’asile et qu’il ne parlait pas portuguais. Selon la Commission, les explications du demandeur quant à savoir pourquoi il n’avait pas demandé l’asile au Portugal à la première occasion étaient déraisonnables. De plus, la Commission a souligné que ces explications mettaient en doute la crainte subjective du demandeur.

 

[17]           La Commission a également estimé que les actes du demandeur à son arrivée au Canada constituaient une preuve additionnelle d’absence de crainte subjective. Le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’il se proposait de demander l’asile à son arrivée au Canada mais que, lorsqu’on lui a demandé ce dont il avait peur, il n’a jamais fait mention de son orientation sexuelle. Il a plus tard déclaré qu’il n’en avait pas fait mention parce qu’il avait honte, qu’il ne voulait pas que l’agent d’accueil sache qu’il était homosexuel et qu’il avait peur qu’on le renvoie chez lui. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas dit à l’agent qu’il avait peur du père de son ex‑petite amie, le demandeur a répondu qu’il lui avait dit mais il s’est rétracté par la suite et il a affirmé qu’il ne lui avait pas dit et enfin il a affirmé qu’il lui avait peut‑être dit. La Commission a relevé cette contradiction dans le témoignage du demandeur et, selon elle, ce manque de crédibilité constituait une preuve additionnelle d’absence de crainte subjective.

 

[18]           Compte tenu du témoignage du demandeur à propos de ses actes lors de son arrivée au Portugal et au Canada, il était loisible au commissaire de conclure que le demandeur n’avait aucune crainte subjective. La conclusion de la Commission n’est pas déraisonnable. 

 

[19]           Le demandeur prétend également que la conclusion d’absence de crédibilité tirée par la Commission à propos de sa prétendue homosexualité est déraisonnable. La Commission a conclu que « le demandeur d’asile [avait] fabriqué cette histoire d’homosexualité dans le but d’établir un lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention ». 

 

[20]           La Commission a tiré sa conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur le fait que le demandeur n’a soumis aucune preuve corroborante à laquelle on pourrait raisonnablement s’attendre pour établir, selon la prépondérances des probabilités, qu’il est homosexuel. Le demandeur n’a présenté aucun ami, aucun témoin, aucun document pour étayer sa présumée orientation sexuelle. Il a tout simplement affirmé que depuis son arrivée au Canada, il participait à certaines activités de la collectivité homosexuelle à Winnipeg.

 

[21]           Lorsqu’on lui a demandé à quelles activités locales il participait, le demandeur a répondu qu’il y en avait plusieurs mais il a été incapable de les nommer. Il a également répondu qu’il attendait de recevoir les cartes de membre de groupes auxquels il s’était joint après son arrivée au Canada en février 2005. Lorsqu’il a répondu aux questions de la Commission concernant les activités locales, la Commission a relevé que les réponses du demandeur étaient marquées par de longs temps d’arrêt et que celui‑ci semblait incertain de ses réponses. Il confondait les noms et les emplacements des bars homosexuels locaux qu’il prétendait avoir fréquentés. Selon la Commission, les réponses du demandeur n’étaient pas crédibles.

 

[22]           La Commission a accordé très peu d’importance à deux lettres manuscrites, provenant soi‑disant du frère du demandeur, dont la teneur était identique mais qui semblaient avoir été écrites par deux personnes différentes. Lorsqu’on lui a souligné cette contradiction, le demandeur a déclaré qu’il n’avait pas écrit les lettres et qu’il se pouvait que son frère les eût fait écrire par différentes personnes. Compte de tenu de la preuve dont elle était saisie, il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion.

 

[23]           Dans le but d’étayer sa prétention selon laquelle il était homosexuel, le demandeur a produit une lettre émanant d’EGALE Canada confirmant qu’il était membre de cet organisme. Malgré qu’il fût en possession de cette lettre, le demandeur n’a pas été en mesure de décrire à la Commission l’objectif poursuivi par EGALE ou de décrire les avantages découlant de l’appartenance à cet organisme. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la Commission a conclu que le demandeur était « simplement devenu membre d’EGALE dans le but d’étayer sa demande ». Compte tenu de la preuve dont elle était saisie, il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion.

 

[24]           Il était loisible à la Commission d’apprécier la preuve dont elle était saisie et de tirer des conclusions de fait sur cette question. La Cour ne peut modifier ces conclusions, en contrôle judiciaire, que si elles sont manifestement déraisonnables. Le demandeur n’a pas démontré que les conclusions n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 


B-         La traduction

[25]           L’article 14 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2002-228, modifiées par L.C. 2002, ch. 8, alinéa 182(3)a)) prévoit que les services d’un interprète sont disponibles dans le cadre des procédures de la Commission. Le droit aux services d’un interprète dans le cadre d’une procédure est également un droit légal consacré par l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne; comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale dans Mohammadian c. Canada (MCI), 2001 CAF 191, [2001] 4 C.F. 85, l’analyse effectuée par la Cour suprême du Canada à propos de l’article 14 dans R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, 117 D.L.R. (4th) 7, s’applique généralement aux procédures engagées devant la Section du statut de réfugié.

 

[26]           La norme générale que l’on doit satisfaire en matière de qualité de la traduction est que celle-ci doit être continue, fidèle, impartiale et concomitante. De plus, pour que la traduction satisfasse à la norme, il faut démontrer qu’elle a été comprise par le demandeur et qu’elle lui a permis de s’exprimer adéquatement par l'intermédiaire de l’interprète. La perfection n’est pas requise (voir Mohammadian, précité, aux paragraphes 4 et 6; Lamme c. Canada (MCI), 2005 CF 1336, au paragraphe 3, 143 A.C.W.S. (3d) 146.

 

[27]           Lorsque des doutes sont soulevés quant à la qualité de la traduction, le demandeur doit présenter ses objections à la première occasion, lorsqu'il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il le fasse. Si le demandeur ne présente pas ses objections en temps opportun, il se trouve à renoncer aux droits qui lui sont conférés par l’article 14 de la Charte et à la possibilité de soulever la question de la qualité de la traduction comme motif de contrôle judiciaire.

[28]           Le demandeur prétend que, comme il n’y a pas eu de traduction à un certain moment au cours de l’audience, il y a eu violation à l’obligation d’agir équitablement à son égard et violation des droits qui lui sont conférés par l’article 14 de la Charte. Pourtant, ni le demandeur ni son avocat n’ont soulevé une objection quant à la qualité de la traduction durant l’audience. Aucune objection n’a été ensuite soulevée au cours de la période pendant laquelle l’avocat du demandeur préparait la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de ce dernier. Ni la demande d’autorisation en vue d’un contrôle judiciaire ni le ne mémoire des faits et du droit ne faisaient mention de la qualité de la traduction. Le demandeur n’a soulevé cette question pour la première fois que lorsqu’il a déposé son mémoire additionnel des faits et du droit.

 

[29]           Le demandeur a renoncé au droit qui lui est conféré par l’article 14 de la Charte ainsi qu’à son droit à l’équité procédurale en présentant tardivement au cours de l’instance une objection quant à la qualité de la traduction plutôt que de le faire lors de l’audience. Il n’est donc pas autorisé à soulever la question de la traduction comme motif de contrôle judiciaire.

 

[30]           De toute façon, le demandeur se plaint que la traduction n’a pas été continue parce que le commissaire lui a demandé s’il pouvait procéder en anglais et que c’est ce qu’il a fait. Encore une fois, au lieu de présenter des objections, le demandeur a consenti en répondant en anglais. Ce que le demandeur omet de souligner c’est que cette brève interruption s’est produite vers la fin de l’audience. Il ressort de la transcription qu’il y a eu une certaine confusion avec l’échange en anglais, mais il semble que ce problème de confusion a été réglé grâce à l’aide de l’avocat du demandeur. Toutefois, la partie de l’audience au cours de laquelle le commissaire s’est adressé directement en anglais au demandeur était courte. Le demandeur n’a pas affirmé que, dans l’ensemble, la qualité de la traduction laissait à désirer. C’est la traduction d’une très petite partie de l’audience qui le préoccupe.

 

[31]           Il ne s’agit pas d’une erreur de traduction du genre de celle qu’envisage la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mohammadian dans lequel c’était la capacité du demandeur à communiquer par l’entremise de l’interprète qui était en cause. La norme générale en matière de traduction, le droit conféré au demandeur par l’article 14 de la Charte et le droit du demandeur à l’équité procédurale n’ont pas été violés en l’espèce. Il n’a pas été établi que le demandeur était incapable de comprendre la traduction ou qu’il ne pouvait pas s’exprimer par l’entremise de l’interprète. Dans les circonstances de la présente affaire, il n’y a aucune erreur de droit concernant la question de la traduction.

 

C-        Audience équitable

[32]           Le demandeur prétend que la Commission a enfreint la justice naturelle en tenant l’audience comme elle l’a fait. Il affirme qu’on l’a empêché de faire valoir sa cause parce que le commissaire l’a interrompu alors que l’on discutait de deux points litigieux.

 

[33]           Premièrement, le demandeur prétend qu’on ne lui a pas permis d’exposer l’ensemble des raisons pour lesquelles il n’avait pas demandé l’asile au Portugal. Dans son affidavit, il explique que lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas demandé l’asile au Portugal, il a répondu qu’il ne l’avait pas fait pour trois au quatre raisons. La première raison était qu’il ne parlait pas le portugais et la deuxième raison était qu’il ne savait pas où aller et qu’il ne savait pas comment fonctionnait le système de protection des réfugiés au Portugal. Après que le demandeur eut donné cette deuxième raison, le commissaire lui a posé la question suivante : [Traduction] « Puis‑je poursuivre monsieur? Merci » (Dossier du tribunal, page 9, paragraphe 15).

 

[34]           Le demandeur prétend que, si on lui avait permis de poursuivre, il aurait affirmé ce qui suit : [Traduction] « J’aurais dis que c’était mon ami qui m’avait amené là‑bas. Mon ami voulait aller dans un autre pays pour des raisons professionnelles. Mais, je n’ai pas eu l’occasion de le dire » (Dossier du demandeur, page 9, paragraphe 6).

 

[35]           Le demandeur prétend également qu’on ne lui a pas permis de donner une réponse complète lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas fait mention de son orientation sexuelle lorsqu’il avait présenté sa demande d’asile à l’aéroport. Il a affirmé dans son témoignage qu’il avait peur et qu’il n’avait jamais été menotté ou incarcéré auparavant. Dans son affidavit, le demandeur prétend qu’il a alors été interrompu et qu’il n’a pas pu ajouter que dans son pays, lorsqu’une personne est menottée et incarcérée, c’est habituellement parce qu’elle a commis un crime (Dossier du demandeur, page 9, paragraphe 6).

 

[36]           Un tribunal n’observe pas les principes de la justice naturelle lorsque, par exemple, il y a interruption constante, intervention flagrante dans la présentation de la cause d’un demandeur, insensibilité à l’égard de la situation particulière du demandeur, désintéressement à l’égard de la demande, formulation inexacte de la preuve ou absence de prise en considération de la preuve : voir Reginald c. Canada (MCI), 2002 CFPI 568, [2002] 4 C.F. 523; Kumar c. Canada (MEI), [1988] 2 C.F. 14, 81 N.R. 157; Iossifov c. Canada (MEI), [1993] 71 F.T.R. 28, 45 A.C.W.S. (3d) 728.

 

[37]           En l’espèce les plaintes du demandeur peuvent être distinguées de celles qui exigent l’intervention de la Cour. Le demandeur n’a donné que deux exemples de ce qui, selon lui, étaient des interruptions. Ces deux exemples sont loin d’être des situations d’interruption constante et d’intervention flagrante dans la présentation de la cause d’un demandeur dont il était question dans Reginald et Kumar. La transcription révèle que le demandeur a eu amplement la possibilité de faire valoir son point de vue et de fournir des explications. Il n’y a eu aucun déni de justice naturelle qui justifierait l’intervention de la Cour.

 

[38]           En outre, les prétentions a posteriori du demandeur quant à ce qu’il aurait dit à l’audience relèvent de la pure conjecture. Si l’on revient aux réponses qu’il a données à l’audience, il est probable qu’il aurait souhaité donner des réponses différentes ou des réponses plus élaborées. Il ne convient pas que le demandeur, à ce stade du processus de contrôle judiciaire, complète, à l’aide de ses observations écrites, les réponses qu’il a données à l’audience.

 

D-        La partialité

[39]           Enfin, le commissaire a déclaré ce qui suit : [Traduction] « Je vous le dis tout de suite – je ne crois pas que vous êtes homosexuel » (Dossier du tribunal, page 49). Selon le demandeur, cette déclaration suscite une crainte raisonnable de partialité. Il prétend qu’elle constitue une [Traduction] « conclusion finale » indiquant que le commissaire avait pris sa décision avant que l’ensemble de la preuve soit soumise.

 

[40]           Le critère en matière de partialité qui s’applique aux décisions d’un tribunal administratif indépendant comme la CISR consiste à savoir si une personne raisonnable, bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, penserait que le tribunal était probablement partial : voir Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, aux pages 394 et 395; Ahumada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 97, au paragraphe 19, [2001] 3 C.F. 605. Les motifs de crainte de partialité doivent être importants.

 

[41]           Une lecture attentive de la transcription révèle que la déclaration susmentionnée était une manifestation du désire du commissaire de traiter la question de l’orientation sexuelle et était une invitation au demandeur de répondre par une explication. L’affirmation du demandeur selon laquelle le commissaire avait pris sa décision avant que l’ensemble de la preuve soit soumise est non fondée. Le commissaire a fait sa déclaration vers la fin de l’audience, mais le demandeur a eu la possibilité de répondre à la déclaration et il l’a fait. Après que l’échange sur la question de l’orientation sexuelle fut terminé, la Commission a posé des questions et a entendu les observations de l’avocat du demandeur.

 

[42]           De plus, et malgré les affirmations contraires du demandeur, il ne s’agit pas d’une situation de crainte de partialité comme dans Santos c. Canada (MCI), 2006 CF 1476, 153 A.C.W.S. (3d) 1211. Dans cette décision, les déclarations du commissaire ont à ce point porté préjudice à la demande du demandeur que le défendeur a admis que ses déclarations concernant l’orientation sexuelle du demandeur étaient de façon générale « regrettables » et « indélicates ». La Cour a non seulement conclu que les extraits cités de la transcription révélaient que le commissaire avait fait preuve d’« étroitesse d’esprit » et d’une « certaine impatience » mais également que les opinions du commissaire avaient porté un très grand préjudice à la demande d’asile et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que l’approche négative du commissaire ait une incidence sur sa conclusion quant à la crédibilité du demandeur. Le demandeur affirme que la demande de contrôle judiciaire n’avait été accueillie que parce que le commissaire avait tranché la demande avant d’entendre l’ensemble de la preuve et qu’il y a lieu d’établir une distinction entre Santos et la présente affaire en raison de la gravité et de l’effet préjudiciable des commentaires et des conclusions du commissaire.

 

[43]           En l’espèce, une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique conclurait raisonnablement que, malgré la déclaration susmentionnée, le commissaire serait capable de trancher la demande de façon équitable. Il n’y a aucun motif sérieux de croire qu’il y a eu partialité. En outre, le fait que le demandeur et son avocat n’aient formulé aucune objection à l’audience constitue une renonciation implicite au droit de soulever cette question à l’étape du contrôle judiciaire Acuna c. Canada (MCI), 2006 CF 1222, aux paragraphes 34 à 36, [2002] 303 F.T.R. 40.

 

[44]           Pour l’ensemble de ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée pour la certification et aucune ne sera certifiée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3534-07

 

INTITULÉ :                                       KAYODE FASASI LAWAL

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

Dhara Crew

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

602-255, rue Vanghan

Winnipeg (Manitoba)

R3C 1T7

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims,

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.