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Date : 20080707

Dossier : IMM-5213-07

Référence : 2008 CF 833

Montréal (Québec), le 7 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

WILSON MATENDA GUMBURA

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’exécution (l’agent), en date du 5 décembre 2007 (la décision contestée), de ne pas reporter son renvoi du Canada en attendant que soit rendue une décision concernant sa demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire.

 

I.   Les faits

 

[2]               Originaire du Zimbabwe, le demandeur est arrivé au Canada en juillet 2001. Avant son arrivée au pays, il avait passé trois ans aux États-Unis, au cours desquels il avait fait des études dans le domaine commercial et en théologie. Durant son séjour aux États-Unis, il a été reconnu coupable en janvier 2001 d’avoir tenté d’obtenir des biens par escroquerie.

 

[3]               Après son arrivée au Canada, le demandeur a déposé une demande d’asile, qui fut finalement rejetée par la Section de la protection des réfugiés, par décision du 8 décembre 2003, au motif que le demandeur n’était pas crédible et que, au Canada, il s’était joint au parti politique appelé Mouvement pour le changement démocratique (MDC), dans le dessein de devenir ainsi un « réfugié sur place » et de renforcer sa demande d’asile.

 

[4]               Le demandeur a ensuite déposé une demande d'examen des risques avant renvoi (demande d'ERAR), qui fut refusée le 18 octobre 2004. L’agent d'ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il serait exposé à un risque après son retour au Zimbabwe.

 

[5]               Outre qu’il avait été reconnu coupable aux États-Unis, le demandeur a été reconnu coupable trois fois au Canada. Le 14 juillet 2004, il a plaidé coupable à des accusations de fraude de plus de 5 000 $ et de violation d’un engagement. Le 9 décembre 2005, il a été reconnu coupable de supposition intentionnelle de personne dans une affaire se rapportant à une demande de prêt hypothécaire. Le 5 avril 2007, il a plaidé coupable à des accusations d’emploi d’un faux document, d’une fraude de moins de 5 000 $, de violation des conditions d’une ordonnance de probation, d’utilisation non autorisée de données relatives à une carte de crédit, de possession d’objets volés dont la valeur dépassait 5 000 $ et de possession illégale d’une marque contrefaite. Le demandeur a aussi été accusé à quatre reprises d’agression, encore que, à chaque fois, les accusations aient été retirées, sous réserve, dans l’un de ces cas, d’un engagement de ne pas troubler la paix publique.

 

[6]               Le demandeur est incarcéré depuis le 1er février 2007, purgeant d’abord une peine pour les déclarations de culpabilité prononcées contre lui, pour être placé ensuite en surveillance de l’Immigration. Il est demeuré incarcéré depuis lors, dans l’attente de son renvoi du Canada. Avant d’être incarcéré, le demandeur avait négligé à plusieurs reprises de se présenter lorsqu’il en était requis, et des mandats d’arrêt avaient donc été délivrés contre lui.

 

[7]               Le demandeur est marié depuis 1990 et il a sept enfants. Le demandeur, son épouse et l’un de ses enfants sont séropositifs pour le VIH. L’épouse et les enfants du demandeur ne sont pas actuellement l’objet de dispositions en vue de leur renvoi du Canada. L’épouse et les deux enfants les plus âgés du demandeur ont la nationalité zimbabwéenne, son troisième enfant est citoyen des États-Unis et ses quatre plus jeunes sont canadiens. Le demandeur a eu aussi un enfant avec une autre femme, mais l’enfant et l’autre femme n’intéressent pas la présente demande.

 

[8]               Le demandeur a déposé le 27 mai 2005 sa demande initiale fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire. Cependant, cette demande lui a été retournée le 13 septembre 2005, parce que Citoyenneté et Immigration Canada voulait que le demandeur et son épouse présentent séparément des formulaires de demande. Le demandeur n’a cependant produit les formulaires que plus de deux ans plus tard, c’est-à-dire le 15 novembre 2007.

 

[9]               Le 19 novembre 2007, le demandeur a sollicité le report de son renvoi du Canada jusqu’à l’issue de sa demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire. Par décision datée du 5 décembre 2007, l’agent a refusé la requête. Le demandeur devait être renvoyé le 8 janvier 2008. Cependant, ce renvoi a été suspendu jusqu’à l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II. La demande est-elle théorique?

 

[10]           La date de renvoi du demandeur est passée, ce qui soulève la question de savoir si cette demande de contrôle judiciaire est théorique. Cette question a été certifiée dans d’autres instances, pour être tranchée par la Cour d'appel fédérale. Quoi qu’il en soit, la Cour souscrit aux arguments des deux parties pour qui, bien que la procédure soit en principe théorique, elle devrait examiner le fond des arguments du demandeur dans la présente affaire, puisque la demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire n’a pas encore été jugée et puisqu’un contexte contradictoire subsiste.

 

III.       La norme de contrôle

 

[11]           Les conclusions de l’agent sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. n° 9 (QL)). Il s’agit là d’une norme accommodante qui reconnaît que certaines questions soumises aux tribunaux administratifs ne se prêtent pas à un résultat particulier mais donnent plutôt lieu à plusieurs conclusions possibles et raisonnables.

 

[12]           La Cour n’interviendra donc pas dans la mesure où la décision de l’agent appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

III. Les questions en litige

 

[13]           La décision contestée soulève trois questions :

a.       L’agent a-t-il commis une erreur en disant que le demandeur ne serait pas exposé à un risque imminent à son retour au Zimbabwe?

b.      L’agent a-t-il négligé de prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants du demandeur?

c.       L’agent a-t-il à tort tiré une conclusion défavorable de la lenteur du demandeur à déposer les formulaires de demande et les frais s’y rapportant?

 

IV.   Analyse

 

[14]           Le dossier montre que l’agent a tenu compte de la séropositivité du demandeur. Il a relevé que le demandeur ne prenait pas actuellement de médicaments, que les médicaments antirétroviraux étaient disponibles, bien que coûteux, au Zimbabwe et que les parents du demandeur, qui sont encore au Zimbabwe, sont sans doute en mesure de subvenir à ses besoins. La conclusion de l’agent sur ce point semble raisonnable, d’autant plus que le pouvoir discrétionnaire de l’agent ne fait pas double emploi avec le rôle de l’agent d'ERAR ou de l’agent d’évaluation des demandes fondées sur des circonstances d’ordre humanitaire. Le fait que des soins de meilleure qualité soient disponibles au Canada ne constitue pas un motif de report. La question de la discrimination ou de la réprobation que pourrait subir au Zimbabwe le demandeur en raison de sa séropositivité ne saurait non plus justifier un report et échappe à l’autorité de l’agent d’exécution.

 

[15]           L’agent a relevé que les enfants du demandeur sont sous la garde de leur mère et sous la supervision de la Société d’aide à l’enfance, par ordonnance de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. L’agent a fait remarquer qu’aucune observation n’avait été faite portant sur le rôle du demandeur dans l’éducation de ses enfants, si ce n’est les propres affirmations du demandeur.

 

[16]           Manifestement, le demandeur n’a pas vécu avec ses enfants depuis le 10 février 2007, puisqu’il est incarcéré depuis cette date. Partant, le renvoi du demandeur maintiendrait essentiellement le statu quo, puisque les enfants continueraient de vivre au Canada sous la garde de leur mère, avec le soutien, au besoin, de la Société d’aide à l’enfance. Par conséquent, l’agent n’a pas commis d’erreur en disant que l’intérêt immédiat des enfants continuerait d’être protégé si le demandeur devait être renvoyé du Canada. Le statu quo serait maintenu et les enfants resteraient au Canada auprès de leur mère, ou sous la tutelle de l’État jusqu’à nouvel ordre.

 

[17]           Le demandeur se dit préoccupé parce que son épouse et ses trois enfants les plus âgés sont également sous le coup de mesures de renvoi. Cependant, à ce stade, aucune disposition n’a été prise pour renvoyer l’épouse du demandeur ou l’un quelconque de ses enfants. Les préoccupations du demandeur sont donc pure conjecture et sont prématurées.

 

[18]           Les attributions de l’agent ne l’obligent pas à entreprendre à ce stade un examen de fond de l’intérêt supérieur des enfants. Cette tâche revient à l’agent chargé d’évaluer les circonstances d’ordre humanitaire (Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 187 F.T.R. 219 (1re inst.)). L’agent n’a donc pas commis d’erreur susceptible de contrôle en disant que l’intérêt immédiat des enfants serait protégé si le demandeur devait être renvoyé du Canada.

 

[19]           L’agent a estimé que l’explication donnée par le demandeur pour justifier le dépôt tardif des formulaires de la demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire n’était pas crédible. Le demandeur avait prétendu que, s’il n’avait pas déposé les formulaires et payé les frais de dossier, c’était parce qu’il s’affairait aux accusations criminelles dont il était l’objet, et parce qu’il avait du mal à réunir la somme nécessaire pour payer les frais. Mais il n’y a nul bien‑fondé dans l’argument selon lequel les accusations criminelles portées contre le demandeur justifient le délai de deux ans. La Cour relève aussi que, selon le dossier, le demandeur avait pu obtenir 2 500 $ le 29 juin 2006 comme cautionnement pour sa mise en liberté après qu’il avait été arrêté deux semaines plus tôt à la faveur d’un mandat d’immigration.

 

[20]           Une demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire qui est déposée tardivement ne justifie pas un report même si le traitement de telles demandes accuse un arriéré. Le législateur n’entendait pas instituer un sursis légal d’exécution d’une mesure de renvoi pour ceux qui présentent une demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire. Les demandes de cette nature doivent être déposées dès que possible (arrêt Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2007] 4 R.C.F. 3 (C.A.F.), au paragraphe 18).

 

[21]           Le demandeur voudrait en somme que l’agent reporte son renvoi indéfiniment, dans l’attente d’un processus qui pourrait nécessiter des années, et cela, en grande partie à cause du dépôt tardif de sa demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire.

 

[22]           Cet argument ne soulève pas une question sérieuse :

[traduction]

 

L’effet de l’observation des demandeurs est que, toutes les fois qu’est déposée une demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire, une mesure valide de renvoi ne pourrait plus dès lors être exécutée. Les demandeurs pourraient ainsi « surseoir automatiquement et unilatéralement à l’exécution de mesures de renvoi valablement prises en déposant la demande appropriée » : Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 187 F.T.R. 219 (1re inst.) Si le législateur avait voulu un tel résultat, il l’aurait dit explicitement.

 

(Ferreira c. Le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, C.F., IMM‑1538‑06, ordonnance datée du 28 mars 2006).

 

 

[23]           Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire restreint, l’agent d’exécution n’a pas commis d’erreur en disant que la demande pendante fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire – qui continuerait d’être traitée en l’absence du demandeur – ne justifiait pas ici un report.

 

[24]           Pour tous ces motifs, la Cour conclut que la décision de l’agent, loin d’être déraisonnable, appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et qu’il n’a commis dans sa décision aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[25]           La demande sera donc rejetée. La Cour reconnaît aussi avec les parties qu’il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS, LA COUR rejette la demande.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5213-07

 

INTITULÉ :                                       WILSON MATENDA GUMBURA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 JUIN 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 7 JUILLET 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aviva Basman

 

POUR LE DEMANDEUR

Manuel Mendelzon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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