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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080711

Dossier : IMM-1326-07

Référence : 2008 CF 863

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Mandamin

ENTRE :

VIGNESRAJAH NADARAJAH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]       Vignesrajah Nadarajah, Tamoul âgé de 27 ans, vient du Nord du Sri Lanka. Il déclare avoir été persécuté et détenu par trois groupes différents : l’armée sri-lankaise (l’ASL), qui l’a emprisonné pendant deux ans entre 1996 et 1998, l’Organisation populaire de libération de l’Eelam tamoul, qui l’a détenu pendant six semaines en 1999, et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET), qui l’ont déténu pendant 16 mois. Il dit avoir par la suite quitté Mannar, sa région natale, et s’être réfugié à Colombo, avant de fuir le Sri Lanka en 2004. Après avoir été détenu aux États-Unis pour y avoir vécu illégalement, le demandeur est finalement entré au Canada. Il a demandé l’asile au moment d’entrer au Canada.

 

[2]       La Commission a accepté l’identité de M. Nadarajah ainsi que sa citoyenneté sri‑lankaise, mais a conclu qu’il n’était pas un témoin crédible. La Commission a également jugé que, comme jeune homme tamoul, M. Nadarajah disposait d’une possibilité de refuge intérieur à Colombo. En conséquence, la Commission a conclu que M. Nadarajah n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, et a rejeté sa demande.

 

[3]       Le présent contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.      La Commission a-t-elle commis une erreur en appréciant la crédibilité?

2.      La Commission s’est-elle trompée en concluant que Colombo offrait une possibilité de refuge intérieur viable?

 

[4]       Je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Mes motifs sont les suivants.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en appréciant la crédibilité?

[5]       Une question préliminaire se pose puisque M. Nadarajah a introduit, par affidavit, un nouveau document, soit un permis de conduire datant de 2003 du Sri Lanka, en vue de contester la conclusion de la Commission selon laquelle elle ne disposait d’aucune preuve crédible que M. Nadarajah était au Sri Lanka entre 2001 et 2003. Le permis de conduire de 2003 n’a pas été présenté à la Commission.

 

[6]       Pour répondre brièvement à la question préliminaire, le décideur n’était pas saisi de cet élément de preuve. Comme il se doit, je vais faire abstraction de cet élément de preuve, ainsi que des nouveaux éléments de preuve mentionnés dans l’affidavit de M. Nadarajah (Lemiecha (Tuteur d'instance) c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1333, au paragraphe 4). La preuve qui importe est la preuve dont disposait la Commission au moment de l’audience.

 

[7]       M. Nadarajah fait valoir que la Commission a commis trois erreurs en tirant ses conclusions quant à la crédibilité. Le demandeur soutient que la Commission a fait erreur, car :

·                    elle a attribué de l’importance au fait qu’en réponse à une question dans le Formulaire de renseignements personnels, le demandeur n’a pas déclaré avoir été détenu par l’ASL, mais elle a ignoré le fait que le demandeur avait bien indiqué, ailleurs dans le formulaire, avoir été détenu par les TLET;

·                    elle a relevé l’omission du demandeur de produire des documents corroborant sa détention par l’ASL, malgré le fait que la mère du demandeur avait demandé à la Croix‑Rouge internationale et à la Commission nationale des droits de la personne d’obtenir sa remise en liberté, mais elle n’a pas donné au demandeur l’occasion d’expliquer l’absence de documents;

·                    elle a mis en question la crédibilité du témoignage du demandeur, selon lequel celui-ci aurait été soumis à des vérifications policières, parce que le demandeur n’avait pas eu de mal à obtenir un passeport sri-lankais, alors qu’elle n’avait aucune preuve établissant un lien entre l’obtention d’un passeport et la surveillance policière.

 

[8]       M. Nadarajah soutient que l’appréciation de la crédibilité par la Commission est erronée du fait de ces erreurs.

 

[9]       La présente demande a été entendue, mais non tranchée, avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. L’arrêt Dunsmuir établit que, désormais, seulement deux normes de contrôle sont applicables : la décision correcte et la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 34). Lorsque les questions à l’examen se rapportent aux faits et à la crédibilité, la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable (Sukhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, au paragraphe 15).

 

[10]     Le témoignage d’un demandeur d’asile est présumé véridique (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 6). La présomption peut être réfutée lorsqu’il existe des incohérences et des contradictions dans le témoignage, lorsqu’il y a de l’invraisemblance, et lorsque les faits articulés ne sont pas ceux à quoi on peut logiquement s’attendre (Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 775, au paragraphe 15). Enfin, les conclusions de la Commission quant à la crédibilité appellent la retenue judiciaire (Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 7).

 

[11]     Les objections soulevées par M. Nadarajah ne sont pas fondées. La Commission a relevé des incohérences et des contradictions dans le témoignage de M. Nadarajah, et a apprécié les faits de l’instance, mais elle a conclu qu’ils n’étaient pas ceux à quoi on pouvait logiquement s’attendre. Étant donné que les motifs de la Commission sont appuyés par la preuve au dossier, les conclusions de celle-ci appellent la retenue judiciaire.

 

[12]     J’estime que la Commission n’a été ni abusive ou arbitraire, ni déraisonnable dans son appréciation de la crédibilité de M. Nadarajah.

 

La Commission s’est-elle trompée en concluant que Colombo offrait une possibilité de refuge intérieur viable?

 

[13]     Selon M. Nadarajah, en tant que jeune homme tamoul venant du Nord du Sri Lanka, il court un plus grand risque que la population en général au pays. Il soutient que la Commission a fait abstraction du fait que l’ASL et les TLET l’ont persécuté. Il fait valoir que la Commission n’a tenu compte ni de la preuve quant aux violations des droits de la personne au Sri Lanka ni de la preuve quant aux mesures de sécurité sévères à Colombo.

 

[14]     Dans Rincon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 407, la juge Snider a résumé comme suit l’approche à adopter lors de l’évaluation d’une possibilité de refuge intérieur :

Lorsque la possibilité d’une PRI est soulevée, il incombe au demandeur d’établir qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution dans le ou les secteurs de refuge intérieur désignés (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), au paragraphe 9; Ochoa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1957, 2005 CF 1577, au paragraphe 12).

 

Pour conclure à l’existence d’une PRI, il faut appliquer un critère à deux volets. La Commission doit être convaincue que : (i) il n’y a pas de possibilité de persécution sérieuse dans la région envisagée; (ii) il ne serait pas déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur cherche refuge dans la région en question (autrement dit, il ne serait pas indûment exigeant pour lui de déménager dans la région) ((Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 12).

 

[15]     La Commission a conclu que M. Nadarajah n’avait pas démontré qu’il avait été emprisonné par l’ASL ou les TLET, et a ensuite examiné la question de savoir si le demandeur, en tant que jeune homme tamoul, risquait d’être persécuté par les autorités ou par les TLET ailleurs au pays. La Commission a pris acte de l’instabilité dans le Nord et le Nord-Est du Sri Lanka ainsi que de l’échec de l’accord de cessez-le-feu, et elle a étudié le risque auquel serait exposé M. Nadarajah ailleurs, notamment à Mannar et à Colombo.

 

[16]     La Commission a examiné à fond la preuve documentaire. Elle a conclu que M. Nadarajah pourrait faire l’objet d’une certaine discrimination et d’une certaine surveillance par les autorités, mais que, compte tenu du degré d’intégration des Tamouls dans la société sri-lankaise, il ne serait pas persécuté par les autorités sri lankaises du seul fait qu’il soit un jeune homme tamoul vivant à Colombo ou, encore, à Mannar.

 

[17]     La Commission a aussi examiné la question de savoir si M. Nadarajah serait ciblé par les TLET. Elle a conclu que les TLET avaient probablement infiltré Mannar et qu’ils s’adonneraient peut-être à l’extorsion ou au recrutement de force des jeunes hommes de moins de 18 ans, et au meurtre des opposants politiques. La Commission a conclu que, si la situation à Mannar devenait trop tendue, M. Nadarajah aurait une possibilité de refuge intérieur à Colombo. La Commission a fait remarquer que les TLET prenaient pour cible les opposants politiques ou les critiques, mais que M. Nadarajah ne participait pas à des activités qui feraient en sorte que les TLET s’en prennent à lui à Colombo.

 

[18]     Enfin, la Commission a jugé qu’il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce que M. Nadarajah puisse s’établir à Colombo, étant donné qu’il est jeune et mobile.

 

[19]     La Commission a manifestement satisfait au critère applicable à la détermination d’une possibilité de refuge intérieur viable. C’est à M. Nadarajah qu’incombe la charge de démontrer pourquoi il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’il cherche refuge à Colombo. M. Nadarajah n’a pas démontré qu’il s’exposerait à un risque grave de persécution à Colombo; il ne fait que déclarer constamment avoir été détenu par l’ASL et mentionner des violations de droits de la personne, violations dont la Commission a bien tenu compte dans son analyse.

 

[20]     J’estime que la Commission ne s’est pas trompée en concluant que Colombo offrait une possibilité de refuge intérieur viable à M. Nadarajah.

 

[21]     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Leonard S. Mandamin »

Juge                

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                       IMM-1326-07

 

INTITULÉ :                                      VIGNESRAJAH NADARAJAH c.

                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :               Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              Le 24 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             Le juge Mandamin

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                      Le 11 juillet 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Helen Luzius                                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Asha Gafar                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Helen Luzius                                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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