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Date : 20080710

Dossier : T-555-08

Référence : 2008 CF 859

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

JORGE BARREIRO ET AL.

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Affaire intéressant une requête en radiation de parties d’un affidavit

et une requête en radiation de paragraphes de l’avis de demande)

 

I.          LE CONTEXTE

[1]               Le défendeur présente deux requêtes en radiation dans le cadre de la gestion d’instance d’un contrôle judiciaire concernant les circonstances dans lesquelles des demandes péremptoires de renseignements sont envoyées en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[2]               La première requête vise à faire radier la pièce n6 et tous les renvois à cette pièce trouvés dans l’affidavit de M. Kevin Drolet, lequel concerne la transcription du contre‑interrogatoire au sujet de l’affidavit de Wayne Fjoser, témoin du ministre dans l’affaire Airth c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.) (T-1188-06).

 

[3]               La deuxième requête vise à faire radier les paragraphes 5 et 7 de l’avis de demande, lesquels concernent des demandes de jugements déclaratoires d’anticonstitutionalité de l’alinéa 241(3)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu et de l’article 462.48 du Code criminel.

 

II.         LA REQUÊTE EN RADIATION DE PORTIONS DE L’AFFIDAVIT DE M. DROLET

[4]               Dans l’affaire Airth, M. Wayne Fjoser a déposé un affidavit en qualité de représentant du ministre. Le contre‑interrogatoire de M. Fjoser dans l’affaire Airth fait partie de l’affidavit de M. Kevin Drolet déposé par les demandeurs; c’est ce que conteste le défendeur. L’affidavit de M. Fjoser et nombre de ses pièces n’étaient pas joints à l’affidavit de M. Drolet.

 

[5]               La règle de la Cour quant à la radiation d’affidavits ou de portions d’affidavits a été établie dans l’arrêt Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., 2005 CAF 50, dans lequel la Cour d’appel a conclu qu’une telle requête n’est justifiée que s’il y a préjudice et que la preuve est de toute évidence dénuée de pertinence.

 

[6]               Bien que l’affidavit de Fjoser ne soit pas nécessairement dénué de pertinence, la preuve est préjudiciable parce qu’elle est incomplète et utilisée hors contexte. Le fait de transférer la preuve d’une affaire à une autre sans clairement en établir le contexte soulève des réserves légitimes. De plus, la présente affaire n’est pas l’affaire Airth en soi; elle doit être prouvée et avoir son propre fondement.

 

[7]               La Cour a été avisée que M. Fjoser allait témoigner dans la présente affaire. Par conséquent, dans une certaine mesure, le préjudice peut être atténué par l’ajout, dans l’affidavit, des parties du témoignage produit dans l’affaire Airth, lesquelles sont nécessaires pour établir le contexte. Il est peut‑être compréhensible que les demandeurs aient voulu se fonder sur le témoignage donné par M. Fjoser dans l’affaire Airth, étant donné qu’au moment du dépôt de l’affidavit de M. Drolet, ils ne savaient pas si M. Fjoser allait témoigner dans la présente affaire.

 

[8]               Cependant, aussi compréhensible que cela puisse être, ce n’est pas la procédure appropriée. Si M. Fjoser n’avait pas témoigné en l’espèce, les autres témoins du ministre auraient pu être interrogés sur ses admissions et son témoignage.

 

[9]               À mon avis, les demandeurs auraient dû faire des renvois dans l’affidavit de M. Drolet aux admissions et aux éléments de preuve sur lesquels ils se fondaient (étant donné qu’un renvoi à l’ensemble de la transcription n’est pas assez précis), à savoir des renvois à des sources adéquatement mentionnées : aux parties d’affidavits, aux pièces et aux témoignages pertinents. Le défendeur aurait ainsi suffisamment de renseignements pour savoir quelle position adopter et quelle preuve déposer.

 

[10]           Par conséquent, la requête du défendeur sera accueillie, et les demandeurs auront l’autorisation de déposer un affidavit modifié conformément aux présents motifs dans les quinze jours du prononcé de la présente ordonnance ou dans tout autre délai dont les parties conviendront.

 

III.       LA RADIATION DES PARAGRAPHES 5 ET 7 DE L’AVIS DE DEMANDE

[11]           Le défendeur veut faire radier les paragraphes suivants :

[traduction]

5.         Un jugement déclaratoire selon lequel l’alinéa 241(3)a) de la Loi viole les articles 7 et 8 de la Charte d’une manière qui ne peut être justifiée par l’article premier de la Charte et qu’il est donc inopérant par application de l’article 52 de la Charte.

 

7.         Un jugement déclaratoire selon lequel l’article 462.68 du Code criminel viole les articles 7 et 8 de la Charte d’une manière qui ne peut être justifiée par l’article premier de la Charte et qu’il est donc inopérant par application de l’article 52 de la Charte.

 

[12]           Le défendeur a pris la position initiale suivante : la décision contestée est la décision du ministre d’envoyer les DPR. Une interprétation légitime de l’avis de demande des demandeurs est que l’objet de l’avis de demande va au‑delà de l’envoi des DPR. Bien que les DPR puissent jouer un rôle important dans la présente affaire, les demandeurs contestent la conduite, l’objectif, les motivations et les plans du défendeur.

 

[13]           La règle de base en matière de radiation de demandes de contrôle judiciaire (je n’ai pas à décider si une partie d’une demande doit être radiée) a été établie dans l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.); de telles requêtes ne devraient être accueillies que lorsque le contrôle judiciaire n’a aucune chance de succès. Il s’agit d’un critère très exigeant.

 

[14]           Selon mon interprétation de leur acte de procédure, les demandeurs ne sollicitent pas dans l’abstrait un jugement déclaratoire d’inopérabilité isolé de toute action administrative. La demande de jugement déclaratoire est fondée sur les actions et les objectifs du défendeur, du ministre et de ses fonctionnaires.

 

[15]           En vue d’obtenir un jugement déclaratoire, les demandeurs devaient présenter une demande de contrôle judiciaire. Avant 1990, ce type de jugement était obtenu par voie d’action en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales. Comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale, la procédure a changé, mais non pas le droit substantiel. Le défendeur soutient que les demandeurs auraient pu fonder leur recours sur l’article 17. Désormais, un demandeur doit présenter une demande de jugement déclaratoire en vertu de l’article 18.1, ce qui n’empêche pas la conversion du contrôle judiciaire en action.

 

[16]           Dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, la Cour suprême a conclu que la Cour fédérale avait compétence absolue « lorsqu’il s’agit d’une question relevant clairement de son rôle de surveillance d’un organisme administratif ». Le ministre est assimilable à un tel organisme, et la Cour fédérale a compétence pour trancher toute contestation de l’action administrative, dont la constitutionnalité de la loi autorisant l’action.

 

[17]           À la suite de l’examen des paragraphes 2, 5 et 6 de l’avis de demande, il semble que les demandeurs contestent la divulgation de renseignements prévue par l’alinéa 241(3)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Par conséquent, la délivrance d’un jugement déclaratoire relève clairement du rôle de surveillance de l’action administrative du ministre. À la présente étape, il serait prématuré de radier le paragraphe 5, concernant le jugement déclaratoire, étant donné que je ne peux dire qu’il n’a aucune chance de succès.

 

[18]           L’article 462.48 du Code criminel est appliqué de concert avec l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu et, plus particulièrement, avec le paragraphe 241(4) : il crée une exception à l’interdiction générale de divulgation des renseignements sur les contribuables prévue à l’article 241.

 

[19]           Cependant, malgré le lien existant entre la Loi de l’impôt sur le revenu et le Code criminel, un jugement déclaratoire à l’encontre de l’article 462.48 du Code criminel est plus problématique parce que son lien avec le fondement de la demande des demandeurs est moins évident. Une demande relative une entrave à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ou alléguant la partialité n’a pas à être fondée sur la Charte (et peut‑être ne devrait-elle pas l’être) étant donné que, en droit public, les principes auxquels cette demande fait appel sont applicables à l’action administrative en général.

[20]           Étant donné le critère exigeant auquel doit satisfaire le défendeur pour que la présente requête soit accueillie, il n’est pas clair et évident qu’il n’y a aucun lien entre la constitutionnalité de l’article 462.48 et l’inaction du ministre, qui n’a pas contesté les demandes présentées en vertu de l’article 462.48. Il incombera aux demandeurs d’établir clairement le bien‑fondé de leur demande à ce sujet.

 

[21]           Dans les circonstances, la Cour n’est pas disposée à radier les paragraphes 5 et 7 à la présente étape de l’instance. Rien dans les présents motifs ou dans la présente ordonnance ne devrait être interprété comme ayant pour effet de limiter le pouvoir du défendeur de soulever toutes ces questions devant le juge qui entendra la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[22]           Pour ces motifs, la présente partie de la requête sera rejetée.

 


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS, LA COUR ORDONNE :

(a)                Est accordée la requête en radiation, présentée par le défendeur, de la pièce no 6 de l’affidavit de M. Kevin Drolet (3e affidavit) et des renvois à cette pièce, et les demandeurs sont autorisés à signifier et à déposer un affidavit modifié conformément aux présents motifs dans les quinze jours du prononcé de la présente ordonnance ou dans tout autre délai convenu entre les parties;

(b)               La requête en radiation, présentée par le défendeur, des paragraphes 5 et 7 de l’avis de demande est rejetée, sans porter atteinte au droit du défendeur de soulever de telles questions dans le contrôle judiciaire;

(c)                Les dépens suivront l’issue de l’affaire.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-555-08

 

INTITULÉ :                                                   JORGE BARREIRO ET AL.

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 25 JUIN 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 10 JUILLET 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martin Peters

Garth Barriere

 

POUR LES DEMANDEURS

Robert Carvalho

Ron Wilhem

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Martin Peters

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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