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Date : 20080704

Dossier : T-776-07

Référence : 2008 CF 837

Toronto (Ontario), le 4 juillet 2008

En présence de monsieur le protonotaire Kevin R. Aalto

ENTRE :

HAROLD COOMBS

demandeur

et

 

Sa Majesté la Reine

défenderesse

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]       À la fin des plaidoiries concernant la requête, après avoir entendu les observations de l’avocat du défendeur ainsi que celles de M. Coombs, qui se représente lui‑même, j’ai motivé oralement ma décision et je me suis réservé le droit de corriger ou de modifier mes motifs. Voici la version révisée définitive des motifs prononcés oralement.

 

[2]       La présente requête est introduite par la défenderesse, Sa Majesté la Reine, en vue d’obtenir 43 410 $ à titre de cautionnement pour les dépens. La défenderesse fonde sa requête en cautionnement pour les dépens sur plusieurs motifs, lesquels sont énoncés comme suit aux paragraphes 1 à 4 du dossier de requête :

[traduction]

 

1.        L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) mène actuellement une enquête sur le demandeur, qui aurait enfreint la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1  (la Loi), en ne payant pas les cotisations sociales pour le compte de Sun-Air Travel Inc. et en faisant des déclarations fausses ou trompeuses dans plusieurs déclarations de revenus.

 

2.         L’ARC a fouillé 23 emplacements, y compris le domicile du demandeur, ses bureaux ainsi que le domicile des membres de sa famille et de ses associés. L’enquête vise, entre autres, des dons à Rocky Ridge – une organisation caritative pour lequel le demandeur agit à titre de comptable – et plusieurs déductions réclamées pour des pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise. On prétend notamment dans la déclaration que divers fonctionnaires de l’ARC ont monté une machination en vue d’intimider le demandeur et sa famille, et de leur causer du tort.

 

3.         Le demandeur a introduit sept demandes et deux instances depuis le 8 février 2007 en vue de contester la vérification fiscale des donateurs de l’organisation caritative ainsi que les enquêtes menées par l’ARC conformément à la Loi. Le défendeur a réussi à faire rayer les demandes pour cause de prescription et pour défaut de compétence de la Cour. Le défendeur a, en outre, présenté une requête en vue d’obtenir la radiation de la déclaration dans la présente action. La demande a été subséquemment modifiée.

 

4.         Le demandeur doit, en raison d’ordonnances rejetant les demandes, 4 750 $ à titre de frais judiciaires, dont 2 250 $ se rapportent à trois instances où la Cour a ordonné que les frais soient payables sans délai. Un mémoire de dépens additionnel concernant une action abandonnée et s’élevant à 987,92 $ reste impayé. Aucune des ordonnances d’adjudication des dépens n’a été respectée.

 

 

[3]       M. Coombs a répondu en déposant un affidavit dans lequel il déclare simplement être indigent. Il invoque donc l’article 417 des Règles des Cours fédérales pour refuser de payer le cautionnement pour les dépens. Voici le texte de l’article 417 :

417. La Cour peut refuser d’ordonner la fourniture d’un cautionnement pour les dépens dans les situations visées aux alinéas 416(1)a) à g) si le demandeur fait la preuve de son indigence et si elle est convaincue du bien-fondé de la cause.

 

 

[4]       Le recours à l’article 417 demeure discrétionnaire; la Cour doit mettre en balance plusieurs facteurs, y compris la force de la preuve dont elle dispose.

 

[5]       La Cour a dû traiter de la question de l’indigence dans le passé. En effet, il y a une jurisprudence volumineuse portant sur la signification de l’indigence. L’attention de la Cour a été portée à la décision prononcée par le juge Campbell dans Heli Tech Services (Canada) Limited c. Weyerhaeuser Co., 2006 A.C.F. no 1494. L’affaire concernait un appel de la décision par laquelle le protonotaire avait accordé un cautionnement pour les dépens malgré la vague déclaration des demandeurs qu’ils étaient indigents. Un des demandeurs était un particulier.

 


[6]       Dans Heli Tech, le juge Campbell examine à fond la signification de l’indigence et fait remarquer comme suit :

 [5]      Un courant jurisprudentiel impose un lourd fardeau de preuve aux parties qui cherchent à éviter d'avoir à fournir un cautionnement pour les dépens en invoquant l'indigence.

 

 

[7]       Le juge Campbell passe ensuite en revue de nombreuses autres décisions traitant de l’indigence, dont Smith Bus Lines Ltd. c. Bank of Montreal (1987), 61 O.R. (2d) 688, aux pages 704 et 705, et, en particulier, le passage suivant :

[traduction]

La société demanderesse qui veut être autorisée à poursuivre l'action, sans démontrer qu'elle détient des actifs suffisants ou sans fournir un cautionnement, doit d'abord démontrer l' « indigence », ce qui signifie non seulement qu'elle ne détient pas elle-même des actifs suffisants, mais aussi qu'elle ne peut pas se procurer auprès de ses actionnaires et associés les fonds nécessaires en vue de payer le cautionnement pour les dépens, en partie parce que les tribunaux ne veulent pas que le défendeur qui a gain de cause soit de fait privé des dépens lorsque, par exemple, de riches actionnaires ont décidé d'exploiter l'entreprise et d'ester en justice par l'entremise d'une société fictive. Le demandeur qui affirme être indigent doit prouver qu'il ne peut pas se procurer les fonds nécessaires afin de payer le cautionnement pour les dépens parce que, s'il s'agit d'une société privée, ses actionnaires ne détiennent pas des actifs suffisants. Comme le juge Reid l'a dit dans la décision John Wink Ltd. c. Sico Inc. (1987), 57 O.R. (2d) 705, à la page 709, 15 C.P.C. (2d) 187 : « L'ordonnance prévoyant la remise d'un cautionnement qui empêche le demandeur de poursuivre l'instance règle de fait l'affaire. » Pour invoquer l'indigence, il doit être prouvé que si le cautionnement est exigé, les poursuites prendront fin -- parce que non seulement le demandeur ne possède pas la somme nécessaire aux fins du cautionnement, mais aussi parce qu'il n'a pas cette somme à sa disposition.

 

 


[8]       À la suite de son analyse, le juge Campbell conclut ce qui suit :

 

En ce qui a trait à la preuve requise pour établir l'indigence, la norme exigée est rigoureuse; une divulgation franche et complète est requise. Le fardeau doit être repoussé [traduction] « de façon particulièrement robuste », afin [traduction] qu’ « aucune question importante ne soit laissée sans réponse ».

 

 

[9]       Pour appuyer sa conclusion, le juge Campbell cite également Morton c. Canada (Procureur général) (2005), 75 O.R. (3d) 63 (C.S.J.), au paragraphe 32, ainsi qu’un arrêt de la Chambre des Lords, M. V. Yorke Motors (a firm) c. Edwards, [1982] 1 W.L.R. 444, où le juge Diplock a approuvé les remarques suivantes :

[traduction]

Le fait que l'homme n'ait aucun capital qui lui appartienne ne signifie pas qu'il ne soit pas en mesure d'en rassembler un; il peut avoir des amis, il peut avoir des associés, il peut avoir des parents, qui peuvent tous l'aider au moment où il en a besoin.

 

 

[10]     Compte tenu des éléments de preuve à la disposition de la Cour ainsi que de l’affidavit de M. Coombs, et, en particulier, vu que M. Coombs a dans le passé introduit devant la Cour des instances dans lesquelles ont été rendues à son endroit des ordonnances de dépens, dépens qu’il n’a pas payés, M. Coombs ne devrait pas, en l’espèce, prétendre être indigent sans démontrer son indigence de façon franche, complète et « particulièrement robuste », prétention sur lequel il s’appuie pour demander à la Cour d’exercer le pouvoir discrétionnaire, que lui confère l’article 417, de rejeter la requête en cautionnement pour les dépens présentée par la défenderesse. 

 

[11]     Eu égard aux circonstances de l’espèce, après avoir examiné minutieusement l’affidavit de M. Coombs et entendu ses observations, je ne suis pas convaincu, compte tenu de la jurisprudence, que M. Coombs a démontré son indigence de façon particulièrement robuste. L’affidavit mentionne tout simplement que M. Coombs est indigent, qu’il n’a aucune source de revenu à part sa pension du Canada et sa pension de la sécurité de la vieillesse, et qu’il a des dettes envers l’ARC qu’il règle graduellement. M. Coombs n’y a joint aucune pièce montrant le solde de ses comptes bancaires ou autres données financières. Il déclare que son épouse lui fournit les diverses commodités de la vie, se gardant toutefois de révéler à la Cour s’il peut obtenir de son épouse ou des membres de sa famille des fonds pour poursuivre la présente action. Une ordonnance de cautionnement pour les dépens convient donc tout à fait en l’espèce.

 

[12]     La défenderesse réclame 43 410 $ dans son mémoire de dépens. Le mémoire divise l’instance en deux phases : celle précédant l’instruction et celle postérieure à l’instruction. La somme de 11 990 $ correspond à la phase précédant l’instruction, et, si je comprends bien ce qu’affirme M. Parke, cette somme devrait être portée à 12 070 $ afin d’inclure une somme additionnelle relativement à la phase préalable à l’instruction.

 

[13]     M. Coombs conteste la prétention que l’interrogatoire préalable en l’espèce ait duré 21 heures, ce qui donne 5 040 $ à un tarif de 240 $ l’heure.

 

[14]     Dans les circonstances, j’estime que le cautionnement pour les dépens relatifs à la première phase de l’instance doit être payé. Vingt-et-une heures me semblent excessives pour l’interrogatoire préalable et, après avoir revu la déclaration en l’espèce, je réduirai ce nombre d’un petit pourcentage.

 

[15]     En conséquence, la somme de 10 000 $ est appropriée à titre de cautionnement pour les dépens pour la période allant de la première phase de l’instance à la fin de l’interrogatoire préalable. La défenderesse peut par la suite demander le paiement d’un cautionnement supplémentaire pour les dépens.

 

[16]     Tant que ces fonds ne sont pas déposés en Cour à titre de cautionnement pour les dépens de la défenderesse en l’instance, l’action est suspendue en conformité avec les Règles des Cours fédérales

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.         Le demandeur dépose 10 000 $ en Cour à titre de cautionnement pour les dépens relatifs à la présente instance jusqu’à l’interrogatoire préalable inclusivement.

 

2.         Tant que le demandeur n’aura pas déposé le cautionnement pour les dépens, il ne peut poursuivre la présente instance, sauf pour porter la présente ordonnance en appel.

 

3.         La défenderesse peut présenter d’autres requêtes en cautionnement pour les dépens, au fur et à mesure que des frais sont engagés.

 

« Kevin R. Aalto »

                                                                                                                                 Protonotaire     

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                       T-776-07

INTITULÉ :                                      HAROLD COOMBS c.

                                                           SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :               Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :              Le 23 juin 2008

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      Le protonotaire Aalto

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :           Le 4 juillet 2008

 

COMPARUTIONS :           

Harold Coombs                                                          DEMANDEUR

(Se représente lui-même)

 

Christopher Parke                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harold Coombs                                                          DEMANDEUR

(Se représente lui-même)

 

Christopher Parke                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

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