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Date : 20080707

Dossier : IMM-607-06

Référence : 2008 CF 834

Montréal (Québec), le 7 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

OMAR JESUS DIAZ ESPINOZA

ALEJANDRA PAMELA DIAZ FORTES 

RAMIRO ARCE VERA

SUSANA CECILIA ARCE

MATEO RODRIGO ARCE DIAZ

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur principal, M. Omar Jesus Diaz Espinoza, ses deux filles, Alejandra Pamela Diaz Fortes (la benjamine) et Susana Cecilia Arce (l’aînée), ainsi que l’époux de cette dernière, Ramiro Arce Vera (le beau-fils) et leur fils, Mateo Rodrigo Arce Diaz (le petit-fils), demandent l’annulation d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) concluait le 12 janvier 2006 qu’ils n’étaient pas des « réfugiés au sens de la Convention » ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), L.C. 2001, ch. 27.

 

I. Faits

 

[2]               Le demandeur et ses deux filles ont quitté le Pérou en 1998 pour s’établir aux États-Unis d’Amérique (les É.-U.). Pendant leur séjour illégal dans ce pays, ils n’ont pas présenté de demande d’asile.

 

[3]               L’aînée a fait la connaissance aux É.-U. d’un compatriote, le beau-fils, et l’a épousé. Leur fils, l’enfant demandeur, est né aux États-Unis, tandis que ses parents, sa tante et son grand‑père maternels sont tous des citoyens natifs du Pérou. On ne trouve au dossier aucune allégation de crainte de persécution aux É.-U. visant l’enfant demandeur.

 

[4]               En avril 2000, le demandeur principal a laissé ses deux filles aux É.-U., et il est retourné au Pérou pour s’occuper de sa demande de visa de travail aux É.-U. Toutefois, au lieu d’un visa de travail, il n’a obtenu qu’un visa de visiteur avant de retourner aux É.-U. en juillet 2000.

 

[5]               Durant la période de trois mois suivant son retour au Pérou, le demandeur principal a vécu chez des amis et des membres de la famille et n’a subi ni menace ni attaque par des factions du Sentier lumineux. À l’expiration de leurs visas de visiteur aux É.-U., en mars 2002, le demandeur principal et ses filles ont décidé de demeurer illégalement aux É.-U.

 

[6]               Quant au beau-fils, qui avait présenté une demande d’asile aux É.-U., les autorités américaines ont conclu le 16 octobre 1998 qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention en raison de l’existence de la protection de l’État dans son pays d’origine. Il est demeuré illégalement aux É.-U., a eu un enfant avec l’aînée demanderesse en juillet 2004, et il a ensuite épousé cette dernière en novembre 2004.

 

[7]               Le demandeur et sa fille cadette ont quitté les É.-U. et sont entrés au Canada le 13 décembre 2004, tandis que le beau-fils, la fille aînée et leur enfant sont arrivés cinq jours plus tard. Ils ont tous demandé l’asile dès leur arrivée au Canada.

 

[8]               Ils prétendent que leur vie aurait été en danger s’ils avaient été renvoyés au Pérou. Leur crainte est fondée sur des actions du « Sendero luminoso » (le Sentier lumineux) et des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC), qui s’opposent aux activités religieuses du demandeur principal, et ils craignent le Sentier lumineux qui s’oppose au travail journalistique et aux activités religieuses du beau-fils.

 

[9]               Leurs demandes d’asile ont été entendues le 13 octobre 2005 et elles ont été rejetées dans une décision de la Commission rendue le 12 janvier 2006. Après l’audience, mais avant que la décision ne soit rendue, l’avocat des demandeurs a déposé des documents supplémentaires.

 

II.         Décision contestée

 

[10]           Après examen de tous les dossiers des membres de la famille, y compris les documents déposés par les demandeurs après l’audience, la Commission a conclu que les demandeurs adultes n’avaient pas d’arguments crédibles à l’appui de leurs demandes d’asile en raison de leur omission de demander l’asile aux É.-U., tandis que la demande du beau-fils avait été rejetée en raison de son dépôt tardif et de l’existence de la protection de l’État au Pérou. En ce qui concerne le beau-fils, le seul demandeur qui a fait une demande d’asile aux É.-U., laquelle a été rejetée par les autorités américaines, la Commission a indiqué que la preuve documentaire n’étayait pas son allégation selon laquelle il avait été pris pour cible et, en outre, elle a conclu qu’il existait une protection adéquate de l’État au Pérou.

 

[11]           Enfin, après avoir analysé attentivement les multiples menaces décrites dans les cinq demandes, le mode de vie illégal adopté pendant un certain nombre d’années aux É.-U., le désir confirmé des demandeurs adultes de ne pas retourner au Pérou et leur profil, la Commission a tiré la conclusion suivante :

Je doute peu que les demandeurs d’asile adultes désirent vivement demeurer au Canada étant donné qu’ils vivent à l’extérieur du Pérou depuis plus de 10 ans. Ce désir de rester au Canada s’inscrit toutefois mieux dans le cadre d’un processus d’immigration que dans le processus d’octroi de l’asile. Le droit des réfugiés traite avant tout de besoins, tandis que le droit de l’immigration met surtout l’accent sur les désirs. Avoir recours au processus d’octroi de l’asile comme procédure subsidiaire d’immigration constitue un abus du système et va à l’encontre de la jurisprudence. [Non souligné dans l’original].

 

[. . .]

 

Je conclus que les demandeurs d’asile ne craignent pas d’être exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. De plus, il n’existe pas plus qu’une simple possibilité que leur retour au Pérou les expose à une crainte découlant du risque d’être soumis à la torture. Par conséquent, j’estime que le désir des demandeurs d’asile de vivre au Canada doit être examiné à la lumière du droit de l’immigration et non pas du droit des réfugiés.

 

[12]           Cette décision défavorable est à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

III.       Questions en litige

 

[13]           À titre préliminaire, l’avocat des demandeurs a présenté des observations écrites bien étoffées alléguant que la Commission avait violé les principes de justice naturelle en adoptant l’ordre inversé des interrogatoires en application des Directives no 7 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Cependant, cet argument a été abandonné, vu la résolution de cette question par la Cour d’appel fédérale dans Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n734 (QL); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2007] C.S.C.R. n394 (13 décembre 2007) (QL).

 

[14]           Ainsi, la seule question qui demeure est de vérifier si la Commission a commis une erreur de fait ou de droit en concluant comme elle l’a fait.

 

Norme de contrôle

 

[15]           Les conclusions de la Commission sur la protection de l’État sont des conclusions de fait susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. n9 (QL); Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, [2008] A.C.F. no 571 (QL); Eler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 418 (QL), 2008 CF 334, au paragraphe 6). Il s’agit de la norme déférente qui reconnaît que certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.

 

[16]           En conséquence, la Cour contrôlera la décision de la Commission par rapport à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à […] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[17]           En outre, la Cour gardera à l’esprit que la Commission n’est pas tenue d’établir l’existence de la protection de l’État. La charge de réfuter la présomption relative à la protection de l’État incombe en tout temps au demandeur d’asile (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74. (QL)).

 

V.   Analyse

 

[18]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a exagérément simplifié les craintes alléguées par les demandeurs adultes et qu’elle a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’engagement politique du beau-fils.

 

 

[19]           Cependant, il ressort clairement de la transcription et de la décision, lues dans leur ensemble, que la Commission a bel et bien tenu compte du témoignage rendu par le beau-fils corroborant son appartenance à un parti politique péruvien. Les motifs exposés par la Commission ne doivent pas être examinés à la loupe et la Commission n’est pas obligée de faire référence à chaque élément de preuve dont elle a été saisie et qui sont contraires à sa conclusion de fait, et elle n’est pas non plus tenue d’expliquer dans tous les détails comment elle a traité ces éléments de preuve. La Commission est présumée avoir soupesé toute la preuve, et il semble que ce soit le cas en l’espèce.  Mais malheureusement, les demandeurs n’ont pas réussi à convaincre la Commission du bien-fondé de leurs prétentions et à réfuter la présomption relative à la protection de l’État, compte tenu de leur situation personnelle.

 

[20]           La Commission pouvait tenir compte du délai des demandeurs à présenter leurs demandes d’asile (Huerta c. M.E.I. (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.), p. 227; Hue c. M.E.I., 8 mars 1988, A‑196‑87 (C.A.F.); Heer c. M.E.I., 13 avril 1988, A‑474‑87 (C.A.F.)), et elle n’a pas commis d’erreur en concluant que le retour du demandeur dans son pays, là où il aurait subi de la persécution, pour une période de trois mois, était difficilement compatible avec le comportement d’une personne qui soutenait craindre avec raison d’être persécutée (Liviu-Mitroi c. M.E.I., [1995] A.C.F. no 216 (QL), 8 février 1995, A-202-92, (C.A.F.)).

 

[21]           Le droit international relatif aux réfugiés n’entre en ligne de compte que si la protection de l’État à laquelle on s’attend du pays de nationalité du demandeur ne peut être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur. Cette présomption « renforce la raison d’être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d’aucune solution de rechange » (Ward, précité, aux pages 709 et 726).

 

[22]           Le demandeur doit confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État dont il est le ressortissant d’assurer sa protection (Ward, précité, à la page 724), en gardant à l’esprit qu’il n’est pas nécessaire que la protection fournie par les autorités du pays d’origine soit parfaite (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.)).

 

[23]           La Commission a examiné en profondeur la preuve documentaire avant de conclure que les demandeurs n’étaient pas des « réfugiés au sens de la Convention » ni des «personnes à protéger » aux termes des articles 96 et 97 respectivement, de la Loi, et que, de surcroît, il pourrait se réclamer de la protection de l’État au Pérou contre le Sentier lumineux et le projet des FARC.

 

[24]           Après avoir examiné la décision contestée au vu de l’ensemble du dossier, y compris les éléments de preuve déposés après l’audience, la Cour conclut que l’évaluation de la Commission appartient entièrement aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La Commission bénéficie d’une certaine expertise par rapport à la présente cour de révision, qui lui permet de facilement déterminer et vérifier la fiabilité des sources, et il faut faire preuve de déférence à l’égard de ses conclusions.

 

[25]           De façon générale, les demandeurs demandent à la Cour de réévaluer la preuve et les articles produits pour qu’elle apprécie leur valeur probante et substitue ses conclusions à celles de la Commission. La Cour refuse de le faire, étant donné qu’il appartient à la Commission et exclusivement à la Commission, de soupeser la preuve. C’est précisément ce que la Commission a fait dans la présente affaire, même si les demandeurs auraient préféré un résultat différent.

 

[26]           Même si les demandeurs ont formulé plusieurs critiques contre la décision, la Cour est convaincue que la décision de la Commission ne renferme aucune erreur de fait ou de droit qui pourrait justifier individuellement ou cumulativement son intervention.

 

[27]           La demande sera donc rejetée. De plus, la Cour est d’accord avec les parties pour dire qu’il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 

 

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT, LA COUR rejette la demande.

 

« Maurice E. Lagacé »

Jupe suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-607-06

 

INTITULÉ :                                       OMAR JESUS DIAZ ESPINOZA ET AL c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE LIMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 18 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                      le 7 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack Davis

 

POUR LES DEMANDEURS

John Loncar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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