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Date : 20080506

Dossier : T-414-08

Référence : 2008 CF 579

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2008

En présence de madame la protonotaire Aronovitch

 

ENTRE :

LUNDBECK CANADA INC., H. LUNDBECK A/S and

MERZ PHARMA GmbH & Co. KGaA

 

demanderesses

et

 

 

RATIOPHARM INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demanderesses cherchent à obtenir la gestion de l’instance et proposent un calendrier quant à la procédure, selon lequel la société défenderesse, Ratiopharm Inc. (Ratiopharm), produirait ses éléments de preuve sur les questions d’invalidité avant elles. Autrement dit, elles demandent d’inverser l’ordre dans lequel la preuve doit être présentée dans une procédure d’interdiction introduite sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement).

 

[2]               Du consentement des parties, je vais seulement me pencher sur la question de savoir si, dans les circonstances, il convient d’inverser l’ordre de signification de la preuve, et je vais laisser le juge chargé de la gestion de l’instance examiner la question du calendrier.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci-après, je conclus qu’il est justifié dans la présente affaire d’ordonner l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve relativement aux questions sur l’invalidité parce qu’une telle inversion mènera, selon toute vraisemblance, à la résolution juste et la plus expéditive et économique possible de la demande principale sur le fond.

 

Contexte

 

[4]               Les parties à la présente requête ont engagé une procédure d’interdiction concernant la substance chimique appelée la chlorhydrate de mémantine, l’ingrédient médicamenteux incorporé à un médicament commercialisé et vendu au Canada par Lundbeck Canada Inc. (Lundbeck) sous le nom d’EBIXA pour le traitement de diverses maladies, dont la maladie d’Alzheimer. La procédure d’interdiction a été introduite le 13 mars 2008 lors du dépôt par les demanderesses d’un avis de demande visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la santé de délivrer un avis de conformité à Ratiopharm à l’égard des comprimés de chlorhydrate de mémantine en dose de 10 mg avant l’expiration des brevets canadiens no 2,014,453 (le brevet 453) et n2,426,492 (le brevet 492).

 

[5]               La demande d’interdiction a été déposée en réponse à une lettre datée du 24 janvier 2008 envoyée par Ratiopharm à Lundbeck, se présentant comme un avis d’allégation. Cet avis compte 35 pages et 4 annexes citant des antériorités. Il contient de nombreuses allégations portant sur chacun des deux brevets en cause, notamment sur l’inscription, l’invalidité et l’absence de contrefaçon. Ces allégations reposent sur un nombre important de publications d’antériorités et d’autres références; la liste compte 56 publications à l’appui des allégations à l’égard du brevet 453 et 47 publications en ce qui concerne le brevet 492.

 

[6]               En particulier, Ratiopharm expose les observations ci-après et soulève les arguments suivants dans son avis d’allégation concernant le brevet 453 :

[traduction]

Ratiopharm n’a pas effectué de travaux préalables au sujet du brevet;

Ratiopharm ne violera pas le brevet et, en outre, la défense Gillette s’applique;

Le brevet a été inscrit de manière irrégulière;

Le brevet est invalide pour les motifs suivants :

 

                                                            (i)            L’antériorité

                                                          (ii)            L’évidence

                                                         (iii)            Les revendications ont une portée plus vaste que l’invention réalisée et divulguée

                                                        (iv)            L’insuffisance

                                                          (v)            L’ambiguïté

                                                        (vi)            Le défaut d’utilité

 

[7]               Quant au brevet 492, Ratiopharm présente des arguments, ainsi que les motifs d’invalidité suivants :

[traduction]

 

                                                       (i)            L’antériorité

                                                      (ii)            L’évidence

                                                    (iii)            La paternité de l’invention

                                                    (iv)            Une allégation importante non conforme à la vérité

                                                     (v)            L’absence d’une combinaison brevetable

                                                    (vi)            L’absence d’une poursuite de bonne foi

                                                  (vii)            Le défaut d’utilité

                                                 (viii)            Une allégation d’éléments inutilisables

                                                    (ix)            L’insuffisance

                                                     (x)            L’ambiguïté

 

 

[8]               Dans leur avis de demande, les demanderesses lient contestation à l’égard des allégations susmentionnées et contestent de diverses façons le caractère suffisant de l’avis d’allégation. 

 

[9]               La Cour fédérale a publié une Instruction relative à la pratique, en vigueur depuis le 7 janvier 2008, se rapportant aux instances introduites en vertu du Règlement. L’Instruction fait état des difficultés qu’entraîne le nombre croissant d’affaires de propriété intellectuelle, plus particulièrement celles inscrites sous le régime du Règlement, sur la charge de travail de la Cour, et elle traite de la mise en application par la Cour d’une gestion des instances, souple et novatrice, lui permettant de préserver ses ressources tout en assurant une résolution rapide et efficace des instances relatives à un avis de conformité.

 

[10]           En plus de prescrire une gestion de l’instance à l’égard de chaque procédure relative à un avis de conformité nouvellement engagée, l’Instruction prévoit la tenue d’une conférence initiale de gestion de l’instance, vers le début de la procédure, pour que les autres parties examinent, entre autres choses, s’il serait approprié d’inverser l’ordre de présentation de la totalité ou d’une partie des éléments de preuve. Une telle inversion suppose de déroger à l’approche traditionnelle selon laquelle le demandeur dépose la totalité de ses éléments de preuve en premier, et le défendeur dépose tous les siens par la suite, en réponse.

 

[11]           Les demanderesses affirment qu’il convient particulièrement, dans la présente affaire, d’ordonner une inversion de l’ordre de présentation de la preuve relative à l’invalidité, puisqu’une telle inversion servira à restreindre les questions sur l’invalidité, lesquelles à leur tour, restreindront le nombre d’experts et la quantité d’éléments de preuve présentés à la Cour. De plus, les demanderesses affirment que l’inversion réclamée réduira le risque de requêtes interlocutoires et la nécessité de déposer une contre-preuve, ce qui permettra d’économiser globalement temps, argent et ressources judiciaires.

 

[12]           Les demanderesses soutiennent également que l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve sur l’invalidité est compatible avec la présomption de validité du brevet énoncée au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, ainsi qu’avec la jurisprudence sur la question de la charge de la preuve dans les instances relatives à un avis de conformité, selon laquelle il incombe au défendeur de présenter des éléments de preuve concernant l’invalidité et de mettre « en jeu » les allégations d’invalidité contenues dans l’avis d’allégation (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209, 60 C.P.R. (4th) 81). Elles s’appuient également sur les observations suivantes du juge Hughes dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 11, au paragraphe 32, concernant la charge de la preuve et ce qui est requis lorsque sont soulevées des questions de validité d’un brevet :

1.         La seconde personne peut, dans son avis d’allégation, soulever un ou  plusieurs motifs pour faire valoir l’invalidité;

2.         La première personne peut, dans son avis de demande déposé auprès de la Cour, lier contestation à l’égard d’un ou de plusieurs de ces motifs;

3          La seconde personne peut produire une preuve pendant l’instance devant la Cour pour étayer les motifs à l’égard desquels a été liée contestation;

4.         La première personne peut, à ses risques, se fier simplement sur la présomption de validité prévue par la Loi sur les brevets ou, si elle est plus prudente, présenter sa propre preuve quant aux motifs d’invalidité mis en cause […]

 

 

Principes généraux

 

[13]           La défenderesse fait valoir deux arguments de principe en faveur du statu quo. D’abord, Ratiopharm allègue que l’article 307 des Règles des Cours fédérales, qui prévoit que le défendeur dispose de 30 jours suivant la signification des affidavits du demandeur pour signifier et déposer ses affidavits en réponse, confère au défendeur le droit de répondre à la preuve présentée par le demandeur. Ratiopharm affirme qu’en inversant l’ordre de présentation de la preuve la Cour la privera de manière effective du droit que lui garantit l’article 307 des Règles.

 

[14]           Ensuite, Ratiopharm fait valoir qu’une inversion de l’ordre de présentation de la preuve s’avérera au bout du compte inefficace parce qu’elle influera négativement sur l’applicabilité de la doctrine de l’abus de procédure dans les instances relatives à un avis de conformité.

 

[15]           La Cour d’appel fédérale dans Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2007 CAF 163 (l’arrêt Sanofi-Aventis), a notamment déclaré aux paragraphes 22 à 50 que, dans le cadre des instances relatives à un avis de conformité, les parties doivent être informées que la remise en cause d’un brevet qui, dans pareille instance, a déjà été jugé invalide, constitue un gaspillage de ressources judiciaires limitées et un abus de procédure, sauf si la partie peut clairement démontrer qu’elle dispose de meilleurs éléments de preuve ou arguments. Ainsi, il est dans l’intérêt de la première personne de s’assurer qu’elle présente les meilleurs arguments et éléments de preuve au sujet de la question de la validité dans la première instance, puisque d’affirmer qu’on devrait lui accorder une autre occasion de défendre la validité de son brevet dans une instance subséquente portant sur le même brevet et les mêmes allégations d’invalidité constituerait un abus de procédure.

 

[16]           La défenderesse prétend que, par suite d’une inversion de l’ordre de présentation de la preuve, la demanderesse ne serait plus tenue de présenter ses meilleurs arguments. Elle serait simplement tenue de répondre à la preuve produite par les défendeurs et, il ne serait donc plus possible pour le défendeur d’invoquer la doctrine de l’abus de procédure. Il en résulterait un gaspillage de ressources judiciaires limitées, qu’on préserve actuellement en évitant la répétition des instances.

 

[17]           Enfin, selon Ratiopharm, si la Cour est disposée à inverser l’ordre de présentation de la preuve sur l’invalidité, elle devrait limiter l’inversion à certains motifs d’invalidité. Notamment, les demanderesses devraient déposer en premier leurs éléments de preuve à l’égard des allégations de Ratiopharm portant que les revendications du brevet 453 sont inutiles et qu’elles ont une portée plus vaste que l’invention réalisée et divulguée, et que les revendications du brevet 492 sont invalides pour défaut d’utilité et absence de bonne foi. Cette inversion partielle de la présentation de la preuve concernant l’invalidité est justifiée au motif que ces allégations reposent sur une preuve factuelle dont les demanderesses ont connaissance et qui est à leur disposition.

 

[18]           Bien que la Cour ait antérieurement examiné des demandes d’inversion relative à l’ordre de dépôt de la totalité ou d’une partie de la preuve, il semble s’agir en l’espèce de la première décision depuis l’adoption récente de l’Instruction relative à la pratique. Remarquablement, dans chacune des décisions antérieures, la Cour a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’ordonner l’inversion de l’ordre de dépôt.  Cependant, la Cour a confirmé qu’elle a le pouvoir discrétionnaire de prononcer une telle ordonnance soit en vertu de l’article 55 des Règles, qui l’autorise à modifier une règle habituelle, soit en vertu de l’alinéa 385(1)a) des Règles, qui confère au juge responsable de la gestion de l’instance un large pouvoir discrétionnaire. (Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 1291.)

 

[19]           Compte tenu du pouvoir discrétionnaire conféré au juge responsable de la gestion de l’instance, la Cour peut approuver plusieurs types de calendriers différents expressément adaptés aux faits et aux questions soulevés dans chaque cas. Dans une requête visant à obtenir une ordonnance fixant un calendrier, laquelle consiste à modifier le cours normal des choses, il incombe au requérant de prouver que l’ordonnance sollicitée permettra d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. La Cour doit être convaincue de l’efficacité de la demande sans toutefois modifier « les droits substantiels des parties ni l’équité de leurs droits procéduraux » : Purdue Pharma c. Pharmascience Inc., 2007 CF 1196, 62 C.P.R. (4th) 449, au paragraphe 8 (Purdue).

 

[20]           Je commenterai d’abord les deux arguments avancés par Ratiopharm, essentiellement en faveur du statu quo, contre toute inversion de l’ordre de présentation de la preuve. Quant à savoir si la fabricante de médicaments génériques défenderesse sera privée de son « droit » de signifier sa preuve en réponse que lui garantit l’article 307 des Règles, cette disposition lui confère un droit procédural plutôt qu’un droit substantiel, sous réserve toujours du pouvoir discrétionnaire de la Cour de l’exempter de l’application de la règle. L’inversion de l’ordre de présentation de la preuve ne constitue pas non plus une inéquité de procédure lorsque le défendeur peut démontrer qu’un droit de réponse est requis et qu’il a la possibilité de le faire.

 

[21]           Je ne suis pas non plus convaincue par le deuxième argument de Ratiopharm concernant la doctrine de l’abus de procédure. Tout d’abord, l’arrêt Sanofi-Aventis établit un principe devant être appliqué en fonction de chaque cas. Pour ce seul motif, il est prématuré d’émettre des hypothèses sur l’application du principe. Cependant, en règle générale, peu importe la partie qui dépose en premier sa preuve sur l’invalidité, la preuve présentée par le demandeur doit répondre aux allégations contenues dans l’avis d’allégation, et non pas à la preuve déposée par le défendeur. Je ne vois aucune raison empêchant la Cour de continuer d’exiger que la demanderesse présente sa meilleure preuve, quel que soit l’ordre de présentation de la preuve.

 

 

Inversion partielle ou totale de l’ordre de présentation de la preuve sur l’invalidité

 

[22]           Quant aux observations précises qui ont été formulées sur l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve, comme je l’ai mentionné précédemment, les deux parties conviennent que les demanderesses devraient déposer en premier leurs éléments de preuve sur la contrefaçon. La question qui oppose les parties porte sur l’ordre de présentation de la preuve à l’égard des allégations d’invalidité. À cet égard, il convient d’examiner les possibilités suivantes :

·        Lundbeck dépose en premier sa preuve relative à l’invalidité (statu quo).

·        Lundbeck dépose en premier sa preuve relative à l’utilité (brevets 453 et 492), à la portée excessive des revendications (brevet 453) et à l’absence de bonne foi (brevet 492); Ratiopharm dépose en premier sa preuve à l’égard de tous les autres motifs d’invalidité (inversion partielle de l’ordre de présentation de la preuve sur l’invalidité);

·        Ratiopharm dépose en premier sa preuve relative à l’invalidité (inversion totale de l’ordre de présentation de la preuve sur l’invalidité);

[23]           Avant d’examiner les possibilités en détail, il m’apparaît utile d’examiner brièvement la décision rendue par la protonotaire Tabib dans l’affaire Purdue, précitée, où elle a été saisie d’une requête semblable aux fins d’examen. Dans cette affaire, la demanderesse avait proposé un calendrier prévoyant que la défenderesse devait signifier en premier sa preuve concernant l’invalidité. La décision dans Purdue a été rendue avant la publication de l’Instruction relative à la pratique, mais cela est, à mon avis, sans conséquence.

 

[24]           Aux paragraphes 13 à 21 de sa décision, la protonotaire Tabib examine la proposition de calendrier de la demanderesse et traite ainsi de la pertinence d’inverser l’ordre de présentation de la preuve relative à l’invalidité :

[13]      C’est à propos des questions d’invalidité que je puis imaginer le plus fort potentiel de réduction des questions et d’épargne de temps et d’argent. La demanderesse a admis que, s’agissant des allégations d’absence de solides prévisions et des allégations de portée excessive des revendications, il lui faudrait probablement produire une preuve factuelle des inventeurs avant que Pharmascience puisse être requise de produire sa preuve.  [Non souligné dans l’original.]

La protonotaire Tabib passe ensuite à l’examen des épargnes qui seraient réalisées par la réduction des questions et du nombre d’experts, du fait que le fabricant de médicaments génériques présente sa preuve en premier :

 [16] […] Moins il y aura d’experts, moins il faudra de temps pour coordonner, organiser et conduire leurs contre‑interrogatoires. Le résultat, c’est que les points litigieux seront décidés d’une manière plus économique, et d’une manière plus expéditive.

Ensuite, elle souligne certaines difficultés que pose l’inversion partielle de l’ordre de présentation de la preuve relative à l’invalidité :

[17] […] D’ailleurs, la complexité même des points litigieux et l’étrangeté résultant de l’inversion partielle requise pour l’examen des allégations de non‑contrefaçon, d’absence de prévisions solides et de portée excessive des revendications, nécessiteraient un degré élevé de coopération entre les parties […]

 

[21] Comme je l’ai dit plus haut, cette affaire fait intervenir des questions de contrefaçon, d’absence de solides prévisions et d’invalidité, pour lesquelles la preuve devrait être produite dans l’ordre normal; l’inversion de cet ordre ne s’appliquerait donc qu’à une partie de la preuve, une procédure qui, à ce jour, reste mal connue de la Cour et des parties et qui, pour cette raison, et sauf coopération exemplaire entre les parties, pourrait nécessiter davantage d’interventions interlocutoires de la part de la Cour.

 

[25]           En l’espèce, les avocats sont cordiaux et coopératifs, mais ne s’entendent manifestement pas sur l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve et sur les épargnes, le cas échéant, réalisables grâce à cette inversion. La présente affaire se distingue d’avec l’affaire Purdue. Comme l’indique la décision, la demanderesse dans cette affaire avait admis que, si la Cour devait ordonner une inversion, il lui faudrait probablement produire au moins une partie de sa preuve factuelle avant que la défenderesse puisse être requise de produire sa preuve, ce à quoi les demanderesses s’opposent en l’espèce. Elles affirment qu’il revient au fabricant de médicaments génériques de présenter des arguments convaincants sur l’invalidité, et elles se demandent pourquoi elles devraient être tenues de fournir les faits sur lesquels reposeront les allégations formulées par le fabricant de médicaments génériques.

 

[26]           La décision Purdue prévoit également que, s’agissant des allégations relatives aux solides prévisions et à la portée excessive, le demandeur dépose seulement sa « preuve factuelle des inventeurs » avant que le défendeur produise la sienne. En l’espèce, Ratiopharm soutient que les demanderesses devraient déposer en premier tant leur preuve factuelle que leur preuve d’expert en ce qui concerne l’inutilité, la portée excessive des revendications et l’absence de bonne foi. En effet, on peut prétendre qu’une preuve factuelle en l’absence de commentaires d’experts sur le sujet pourrait ne pas être utile ou intelligible à sa juste mesure, tout comme dans les affaires où les parties refusent, à juste titre, de contre-interroger sur les affidavits si elles n’ont pas vu les observations à cet égard formulées par la partie qui présente la preuve.

 

[27]           Après avoir examiné ces facteurs, je ne suis pas convaincue qu’une inversion partielle permettrait de réaliser des épargnes dans les circonstances. Comme l’a fait observer la protonotaire Tabib, l’inversion partielle constitue une procédure qui, à ce jour, reste mal connue de la Cour et qui nécessite une grande coopération. D’autant plus, dans la présente affaire, aucun des avocats ne préconise cette procédure ou ne manifeste d’enthousiasme à son égard. Je conviens avec les avocats, qui s’entendent sur ce point, qu’une inversion partielle, dans la présente instance, n’offre pas un avantage plus économique que le statu quo.

 

[28]           J’ajouterais que la dissection des motifs d’invalidité, de la manière expliquée précédemment, laisse entendre qu’il est possible de cerner la preuve et les arguments à l’égard des allégations relatives aux solides prévisions, à la portée excessive et à l’article 53 de la Loi sur les brevets, et de les distinguer d’avec la preuve et les arguments présentés à l’égard des autres allégations soulevées dans l’avis d’allégation de Ratiopharm. Dans la pratique, il existe probablement un recoupement important entre la preuve et les arguments relatifs aux différentes allégations d’invalidité. Le fait d’obliger les experts de chaque partie à ne traiter que de certains points dans leurs affidavits initiaux et d’autres questions connexes en réponse risque d’entraîner une répétition et une complexité inutiles, puisqu’il est prévisible que les parties présentent des requêtes supplémentaires pour obtenir des précisions, ce qui exigerait de longues interventions de la Cour dans le cadre de la gestion de l’instance. 

 

[29]           L’inversion totale de l’ordre de présentation de la preuve relative à l’invalidité n’est pas non plus sans complexité. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les motifs d’invalidité comprennent  l’absence de solides prévisions, la portée excessive des revendications et la mauvaise foi, et lorsque le demandeur peut vouloir déposer à cet égard une nouvelle preuve factuelle et une nouvelle preuve d’expert, une décision sur les requêtes sera probablement requise avant que puisse être déposée une preuve en réponse à cet égard, ce qui ajoute ainsi un degré de complexité. Cependant, dans le cours normal d’un litige, ces procédures sont rarement à l’abri des requêtes en production d’une preuve en réponse et, en l’espèce, des avantages considérables et évidents peuvent être tirés si l’on permet aux défendeurs de présenter tous leurs éléments de preuve sur les questions d’invalidité en premier, avantages qui l’emportent sur la complexité qui découle de la possibilité d’avoir à fournir des réponses à l’égard de nouveaux faits dont les demanderesses pourraient disposer.

 

[30]           La réduction importante des questions d’invalidité mises en jeu et la possibilité de restrictions comparables dans le nombre d’experts ne peuvent que permettre de réaliser de grandes économies, notamment en ce qui concerne la possibilité qu’il soit requis de présenter une preuve en réponse. Je suis convaincue qu’une inversion totale de l’ordre de présentation de la preuve relative aux questions d’invalidité, dans les circonstances de l’espèce, est juste, et donnera lieu à une procédure plus expéditive et économique.

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         Les demanderesses doivent déposer leurs éléments de preuve sur la contrefaçon et Ratiopharm doit déposer ses éléments de preuve sur l’invalidité en même temps, à la date que fixera le juge responsable de la gestion de l’instance.

 

2.         Avec l’accord des avocats, les dépens afférents à la requête suivront l’issue de l’instance.

 

 

                                                                                                                « R. Aronovitch »

Protonotaire

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-414-08

 

INTITULÉ :                                       LUNDBECK CANADA INC. et al.

                                                            et RATIOPHARM et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 avril 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA PROTONOTAIRE ARONOVITCH

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 6 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Garland

T. Nessim Abu-Zahra

 

POUR LES DEMANDERESSES

Arthur Renaud

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

Bennett Jones LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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