Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20080623

Dossie: T-1445-06

Référence : 2008 CF 794

 

 

Vancouver (Colombie-Britannique), le 23 juin 2008

 

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

 

ENTRE :

MATTHEW HENDERSON
et JOSEPH ANTOINE

demandeurs

 

et

 

CHEF ET CONSEIL DE BANDE DE LA

SIOUX VALLEY DAKOTA NATION et

SIOUX VALLEY DAKOTA NATION

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               MM. Matthew Henderson et Joseph Antoine (les « demandeurs ») ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la résolution du conseil de bande no 290/06/018 (la « RCB 018 ») datée du 30 mars 2006 qui a été adoptée par le conseil de bande de la Sioux Valley Dakota Nation (le « conseil »). L’effet de la RCB 018 était de dissoudre le Comité d’appel en matière d’élections de la Sioux Valley Dakota Nation dont les demandeurs étaient des membres.

 

II.         Contexte

[2]               Les demandeurs sont membres de la Sioux Valley Dakota Nation. Le ou vers le 7 mars 2006, chacun d’eux a été nommé au Comité d’appel en matière d’élections de la Sioux Valley Dakota Nation. Les nominations ont eu lieu avant l’élection d’un chef et d’un conseil de bande, qui devait se tenir le 29 mars 2006.

 

[3]               L’élection a eu lieu le 29 mars 2006. Kenneth Whitecloud a été élu président tribal. Donna Elk, Francis Elk, Warren Hotain, Denise McKay et Neil Wanbdiska ont été élus conseillers. À la page Web de la Sioux Valley Dakota Nation, il est précisé que le Code électoral coutumier des Dakotas oyate de Sioux Valley de 2003 (le « Code ») était « en vigueur » durant l’élection. Le Code prévoit la mise sur pied d’un Comité d’appel en matière d’élections. Les articles 7 et 8 du Code sont pertinents et prévoient ce qui suit :

[Traduction]

7.   Comité d’appel.

 

a.       Durant le dixième (10e) [mois] qui suit chaque élection de la bande, le conseil de bande nomme trois (3) agents des appels qui forment le Comité d’appel pour la prochaine élection de la bande et les cent (100) jours qui suivent.

 

b.      Si les agents des appels acceptent leur nomination par le conseil et remplissent leur mandat, ils touchent les honoraires fixés par le président tribal et le conseil dans les trente (30) jours qui suivent leur nomination.

 

c.       Le Comité d’appel instruit tous les appels prévus au Code électoral, conformément à celui-ci. Les membres du Comité exercent également les autres fonctions que leur attribue le conseil.

 

d.      Si un agent des appels est incapable de respecter son mandat, n’est pas disposé à le faire ou décède avant la période de cent (100) jours qui suit une élection de la bande, les deux (2) membres du Comité d’appel qui restent et l’agent électoral pourvoiront au poste vacant.

 

8.   Appels relatifs aux élections de la bande

 

a.       Si, dans les 30 jours suivant une élection de la bande, un candidat ou un électeur ayant voté a des motifs raisonnables de croire :

 

i.         qu’il y a eu une manœuvre corruptrice en rapport avec  l’élection de la bande,

 

ii.       qu’il y a eu violation du présent Code électoral coutumier qui puisse porter atteinte au résultat de l’élection de la bande,

 

iii.      qu’un électeur présenté comme candidat à l’élection était inéligible,

 

il peut interjeter appel en versant des droits de 100 $ et en présentant, à l’agent électoral, un avis d’appel, tel que prévu à l’annexe « 6 » du présent Code électoral coutumier.

 

b.      Dans les sept (7) jours qui suivent la réception d’un avis appel conformément à l’alinéa 8.a., l’agent électoral en transmet une copie, accompagnée de tous les documents à l’appui, à chaque candidat et au Comité d’appel.

 

c.       Dans les quatorze (14) jours qui suivent la réception de la copie de l’avis d’appel, tout candidat peut transmettre à l’agent électoral une réponse par écrit aux détails spécifiés dans l’appel, accompagnée de tous les documents y afférents.

 

d.      Si les documents déposés sont insuffisants pour décider de la validité de l’élection faisant l’objet de la plainte, le Comité d’appel peut conduire une enquête aussi approfondie qu’il le juge nécessaire et de la manière qu’il juge convenable.

 

e.       Cette enquête peut être tenue par le Comité d’appel ou par toute personne qu’il désigne à cette fin. Lorsque le Comité d’appel désigne une personne pour tenir une telle enquête, cette personne doit présenter un rapport détaillé de l’enquête à l’examen du Comité d’appel.

 

f.        Les règles de justice naturelle et d’équité s’appliquent à l’ensemble des délibérations, procédures, enquêtes et audiences.

 

g.       Le Comité d’appel rend sa décision dans les soixante (60) jours qui suivent la tenue d’une élection de la bande.

 

h.       Pendant qu’il délibère, et si les circonstances de l’appel le justifient, le Comité d’appel a le pouvoir de déclarer, à titre provisoire, lesquels des candidats au poste de président tribal ou de conseiller, seront autorisés à remplir leur mandat respectif.

 

i.         Aucun conseiller juridique n’est admis à participer aux délibérations, procédures, enquêtes et audiences ayant trait à l’appel.

 

j.        Le Comité d’appel peut annuler l’élection par la bande d’un président tribal ou d’un conseiller s’il est convaincu :

 

i.         qu’il y a eu  une manœuvre corruptrice lors de l’élection de la bande;

 

ii.       qu’il y a eu violation du présent Code électoral coutumier qui puisse porter atteinte au résultat de l’élection de la bande;

 

iii.      qu’un électeur présenté comme candidat à l’élection de la bande était inéligible en conformité avec les présentes règles.

 

iv.     que la décision du Comité d’appel sera, à toutes fins, définitive et exécutoire pour les Dakotas oyate de Sioux Valley, pour tous les candidats admissibles à une élection de la bande et pour tous les électeurs. Ladite décision ne peut faire l’objet d’un appel.

 

 

[4]               Les demandeurs ont déposé leur demande de contrôle judiciaire le 9 août 2006, à la suite d’une ordonnance rendue par le juge Teitelbaum le 7 août 2006, accueillant une requête en prorogation du délai de dépôt de la présente demande.

 

[5]               Les défendeurs ont interjeté appel de la décision de proroger le délai et, par ordonnance datée du 12 juin 2007, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel.

 

[6]               Les demandeurs ont déposé un affidavit conjoint, souscrit le 8 août 2006. Ils ont déposé un autre affidavit, fait le 30 mars 2007, en réponse aux affidavits déposés au nom des défendeurs. D’après la preuve fournie par les demandeurs, y compris les transcriptions de leurs contre-interrogatoires, le conseil de bande défendeur a dissout le Comité d’appel en matière d’élections le 30 mars 2006, après l’adoption de la RCB 018. Dans les éléments de preuve présentés lors du contre-interrogatoire, chacun des demandeurs a qualifié de manœuvre électorale frauduleuse la dissolution du Comité d’appel électoral.

 

[7]               Les demandeurs ont demandé initialement que l’audience soit fixée au 17 août 2006. Or, l’appel des défendeurs concernant l’ordonnance du juge Teitelbaum était en instance et, en outre, les défendeurs n’avaient pas encore déposé leur dossier.

 

[8]               Le 28 janvier 2008, l’audience a été fixée et devait avoir lieu à Winnipeg (Manitoba) le 12 mars 2008. À cette date, les défendeurs n’avaient pas encore déposé leur dossier de requête, de sorte qu’ils ne respectaient pas les délais fixés par le protonotaire Lafrenière dans son ordonnance datée du 16 août 2007. Dans une lettre du 21  janvier 2008 transmise au greffe de la Cour le, les avocats des défendeurs ont fait savoir qu’ils n’avaient pu obtenir d’instructions de leurs clients. Le 11 février 2008, ils ont déposé un avis de requête pour demander l’autorisation de cesser de représenter les défendeurs.

 

[9]               La requête présentée par les avocats des défendeurs devait initialement être entendue à Winnipeg le 12 mars 2008, mais l’audience a été reportée au 18 mars 2008 afin de permettre aux avocats des défendeurs de soumettre un affidavit plus complet à l’appui de leur requête visant à se retirer du dossier.

 

[10]           La requête a de nouveau été présentée à la Cour par vidéoconférence le 18 mars 2008. À cette date, les avocats des défendeurs ont indiqué que le litige les opposant aux défendeurs avait été résolu et que la requête pour retrait du dossier n’était plus pertinente. Elle a été rejetée par ordonnance datée du 19 mars 2008.

 

[11]           Le dossier de demande des défendeurs a été déposé le 3 avril 2008. Les parties ont sollicité la tenue d’une conférence de gestion du cas, laquelle a eu lieu par voie de téléconférence le 8 avril 2008. Les avocats des défendeurs ont alors indiqué que leurs clients étaient disposés à consentir à une ordonnance accordant pour l’essentiel la demande de contrôle judiciaire, soit une ordonnance annulant la RCB 018. Les défendeurs se sont réservés le droit de soulever les questions de la réparation et des dépens. Le 17 avril 2008, une ordonnance portant annulation de la RCB 018 et réservant les questions de la réparation et des dépens à l’audience fixée au 20 mai 2008 a été rendue.

 

[12]           Les demandeurs ont présenté leur dossier initial le 20 octobre 2006. Ce dossier comportait l’affidavit original souscrit par les demandeurs le 8 août 2006. Un certain nombre de documents y étaient joints, notamment le [traduction] « Code coutumier régissant les élections des Dakotas oyate de Sioux Valley », une « Offre de règlement » préparée par les demandeurs le 3 avril 2006, une lettre datée du 10 avril 2006 mettant fin immédiatement à l’emploi du demandeur Matthew Henderson auprès de la Sioux Valley Dakota Nation, et une lettre datée du 26 mai 2006 de la Sioux Valley Dakota Nation adressée au demandeur Joseph Clayton Antoine le suspendant de son emploi pour une durée indéterminée.

 

[13]           Des copies de la RCB 018 et de la résolution du conseil de bande 290/06/015 (« RCB 015 ») y étaient également annexées. Le premier document fait l’objet de la présente procédure et précise ce qui suit :

[Traduction]

 

ATTENDU QUE les Dakotas oyate de Sioux Valley ont élu Kenneth Whitecloud comme chef de la Sioux Valley Dakota Nation;

 

ATTENDU QUE les Dakotas oyate de Sioux Valley ont élu les personnes suivantes au titre de représentants au conseil de bande de la Sioux Valley Dakota Nation : Donna Elk, Francis Elk, Warren Hotain, Denise McKay et Neil Wanbdiska;

 

ATTENDU QUE le chef et le conseil de bande de la Sioux Valley Dakota Nation dissolvent par la présente l’actuel Comité des appels et accepteront les candidatures en vue de la constitution d’un nouveau comité des appels le mercredi 5 avril 2006. Les employés des entités de la Sioux Valley Dakota Nation ne seront pas pris en considération.

 

IL EST DONC RÉSOLU QUE les Dakotas oyate de Sioux Valley reconnaissent la présente résolution du conseil de bande telle qu’adoptée par le chef et le conseil de bande de la Sioux Valley Dakota Nation.

 

[14]           La RCB 015 concerne la gouvernance de la Sioux Valley Dakota Nation après l’élection de mars 2006 et est libellée comme suit :

[traduction]

ATTENDU QUE les Dakotas oyate de Sioux Valley ont élu Kenneth Whitecloud comme chef de la Sioux Valley Dakota Nation;

 

ATTENDU QUE les Dakotas oyate de Sioux Valley ont élu les personnes suivantes au titre de représentants au conseil de bande de la Sioux Valley Dakota Nation : Donna Elk, Francis Elk, Warren Hotain, Denise McKay et Neil Wanbdiska;

 

ATTENDU QUE le chef et le conseil de bande de la Sioux Valley Dakota Nation serviront auprès des Dakotas oyate de Sioux Valley comme représentants élus à plein temps à moins qu’un nouveau Code électoral coutumier révisé soit adopté et indique le contraire;

 

IL EST DONC RÉSOLU QUE les Dakotas oyate de Sioux Valley reconnaissent la présente résolution du conseil de bande telle qu’adoptée par le chef et le conseil de bande de la Sioux Valley Dakota Nation.

 

[15]           Pour leur part, les défendeurs ont déposé les affidavits des personnes suivantes : Kenneth Whitecloud, affidavit souscrit le 8 novembre 2006, Denise Pearl McKay, affidavit souscrit le 22 novembre 2006, Donald J. Sheldon, c. r., affidavit souscrit le 27 décembre 2006, et Andrew Sioux, déclaration non faite sous serment versée à l’origine au dossier de la requête déposé le 4 janvier 2007.

 

[16]           Aux termes d’une ordonnance en date du 16 août 2007, le protonotaire Lafrenière a enjoint aux défendeurs de déposer leur dossier, ce qu’ils n’ont pas fait. Ils n’ont pas demandé à ce que le délai pour ce faire soit prorogé, ce qui leur aurait permis de le déposer à temps pour que l’audience ait lieu comme prévu le 12 mars 2007. Au lieu de cela, les avocats des défendeurs ont demandé l’autorisation de cesser de représenter les défendeurs.

 

[17]           Par ordonnance rendue le 19 mars 2008, on a enjoint aux défendeurs de soumettre leur dossier au plus tard le 4 avril 2008, ce qu’ils ont fait.  Le dossier comprend les affidavits de M. Whitecloud, Mme MacKay, M. Sheldon et M.  Sioux, ainsi que les transcriptions du contre-interrogatoire des demandeurs.

 

[18]           Les demandeurs ont obtenu l’autorisation de déposer un affidavit en réponse aux affidavits des défendeurs. Dans cet affidavit du 30 mars 2007, il est question de la réception de deux plaintes à l’égard de l’élection du 30 mars 2006. Des copies de ces plaintes étaient jointes audit affidavit. Les deux plaintes portent sur des irrégularités qui auraient été commises lors de l’élection du 30 mars 2006 et, dans l’une d’elles, l’adoption de la [traduction] « RCB, datée de mars 2006 [sic] » est qualifiée de manœuvre corruptrice.

 

[19]           Les demandeurs sollicitent une injonction afin que le Comité d’appel en matière d’élections, qui a été dissout par suite de l’adoption de la RCB 018, soit reconstitué. Ils font valoir qu’ils doivent être autorisés à accomplir le travail pour lequel ils avaient été nommés au Comité d’appel en matière d’élections. Ils font valoir qu’il est essentiel qu’ils soient rétablis dans leurs fonctions afin qu’ils puissent continuer à assurer l’application régulière de la loi au sein de la Sioux Valley Dakota Nation et d’autres Premières nations.

 

[20]           Pour leur part, les défendeurs soutiennent que toute la question est théorique, puisqu’une élection du conseil de bande de la Sioux Valley Dakota Nation a eu lieu en mars 2008. Ils affirment qu’il ne servirait à rien de reconstituer le Comité d’appel en matière d’élections auquel les demandeurs ont été nommés en 2006. Ils font valoir qu’au contraire cela créerait de la confusion au sein de la collectivité et risquerait de compromettre chacune des résolutions adoptées par le chef et le conseil, qui sont les défendeurs en l’espèce, durant leur mandat.

 

III.       Examen et décision

[21]           L’octroi d’une réparation en réponse à une demande de contrôle judiciaire est discrétionnaire. Les paragraphes 18(1) et 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, sont pertinents et énoncent ce qui suit :

Recours extraordinaires : offices fédéraux

 

18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

 

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

 

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

 

 

 

 

Exercice des recours

 

 

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

 

Extraordinary remedies, federal tribunals

 

18. (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

 

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

 

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

 

 

Remedies to be obtained on application

 

(3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1.

 

 

[22]           En l’espèce, la réparation que cherchent à obtenir les demandeurs est une injonction. Plus particulièrement, dans la demande de contrôle judiciaire, ils décrivent cette réparation de la manière suivante :

[Traduction]

                        a)         […]

                        b)         Une injonction mandatoire exigeant que les défendeurs et tous leurs membres, employés et agents permettent aux demandeurs de s’acquitter de leurs fonctions, de procéder aux enquêtes et aux instructions, et d’exercer leurs pouvoirs, selon que les circonstances l’exigent, en leur qualité de membres du Comité d’appel en matière d’élections de la Sioux Valley Dakota Nation, en conformité avec le Code électoral coutumier des Dakotas oyate de Sioux Valley daté du 30 septembre 2003, et interdisant aux défendeurs d’empêcher les demandeurs d’agir en cette qualité de quelque façon que ce soit;

                        c)         Une injonction mandatoire prorogeant le mandat de 100 jours des demandeurs en tant qu’agents des appels en matière d’élections et la limite de 30 jours fixée pour le dépôt de plaintes ayant trait à l’élection, à compter de la date de signature de l’ordonnance demandée à la Cour et annulant et frappant d’invalidité la résolution no 290/06/018 du conseil de bande de la Sioux Valley Dakota Nation datée du 30 mars 2006, si la Cour y consent.

 

[23]           Le critère relatif à l’octroi d’une injonction est bien établi. Il s’agit d’un triple critère cumulatif qui exige que le demandeur établisse l’existence d’une question sérieuse à juger, que le fait de refuser la réparation demandée causerait un tort irréparable et que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de la mesure de redressement demandée; voir l’arrêt RJR –MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général du Canada), [1994] 1 R.C.S. 311.

 

[24]           Je suis disposée à dire que l’affaire soulève une question sérieuse, ne serait‑ce que parce que les défendeurs ont consenti à l’annulation de la RCB 018. Toutefois, je suis loin d’être persuadée que les demandeurs ont présenté suffisamment d’éléments de preuve pour montrer l’existence d'un préjudice irréparable.

 

[25]           Lors du contre-interrogatoire au sujet de leur affidavit conjoint, chaque demandeur a fait mention du préjudice que causerait à la collectivité la dissolution du Comité d’appel en matière d’élections. M. Henderson a décrit le remplacement du Comité comme une [traduction] « manœuvre corruptrice » contraire au Code électoral.

 

[26]           Pour sa part, M. Antoine a déclaré que la tenue de l’élection visait [traduction] « davantage à faire du tort à toute la collectivité », à la page 9 de son contre-interrogatoire.

 

[27]           Aucun des demandeurs n’a démontré qu’il avait subi ou qu’il subirait un préjudice irréparable à cause de l’adoption de la RCB 018. Le fait que le statut respectif de chaque demandeur ait changé n’a pas été invoqué au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire. Quoi qu’il en soit, M. Henderson a déclaré dans son témoignage qu’il avait déposé une plainte auprès de Ressources humaines et Développement social Canada à cet égard.

 

[28]           Les déclarations générales faites par les demandeurs au cours de leur contre-interrogatoire à propos du préjudice causé à la collectivité n’établissent pas l’existence d’un préjudice irréparable. De même, les observations des avocats ne répondent pas aux exigences juridiques concernant la production d’éléments de preuve non hypothétiques établissant qu’il y a eu préjudice irréparable lorsqu’on demande une injonction. Sur ce point, je m’appuie sur l’arrêt Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1996), 69 C.P.R. (3d) 455 (C.A.F.).

 

[29]           Dans Edgar c. Bande Kitasoo (Conseil), 228 F.T.R. 161, la Cour a fait remarquer que le terme irréparable renvoie à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue.

 

[30]           De plus, la preuve doit démontrer que le préjudice irréparable allégué touche personnellement les demandeurs; voir Beausejour c. Première nation Yekooche, 2003 CF 1213, [2003] A.C.F. no 1958 et Dodge c. Première nation Caldwell de la Pointe-Pelée, 2003 FCT 36, [2003] A.C.F. no 45.

 

[31]           Étant donné que les demandeurs n’ont pas réussi à établir la deuxième partie essentielle du triple critère cumulatif auquel il faut satisfaire pour obtenir une injonction, il n’est pas nécessaire d’examiner la troisième condition, celle de la prépondérance des inconvénients. L’injonction sollicitée par les demandeurs est refusée.

 

[32]           Toutefois, il y a lieu d’examiner quelques questions de pratique.

 

[33]           Comme je l’ai mentionné, les demandeurs ont souscrit et déposé des affidavits conjoints. Les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles ») ne prévoient pas le dépôt d’affidavits conjoints. Sur ce point, je rappelle la règle 80(1), qui prévoit :

 

80(1) Forme

Les affidavits sont rédigés à la première personne et sont établis selon la formule 80A.

80(1) Form of affidavits – Affidavits shall be drawn in the first person, in Form 80A.

 

[34]           L e 3 avril 2008, les défendeurs ont versé au dossier un Mémoire des faits et du droit. Les fait sont présentés dans les trois paragraphes suivants :

[Traduction]

1.         La présente est une demande de contrôle judiciaire d’une résolution adoptée par la Sioux Valley Dakota Nation dissolvant le Comité d’appel de Sioux Valley.

 

2.         Le 29 mars 2006, une élection a eu lieu au sein de la Sioux Valley Dakota Nation.

 

3.         Depuis l’élection de 2006, une nouvelle élection a été tenue le 28 mars 2008 à Sioux Valley et un nouveau président tribal et un nouveau conseil de bande ont été élus.

 

 

[35]           L’essentiel de l’argumention des défendeurs est énoncé aux paragraphes 5 et 9 de leur Mémoire des faits et du droit, comme suit :

[Traduction]

 

5.         La demande des demandeurs est devenue théorique puisqu’un nouveau président tribal et un nouveau conseil ont été nommés à Sioux Valley.

 

[…]

 

9.         Les demandeurs ont soumis cette demande afin que la Cour déclare la résolution du conseil de bande no 290/06/018 nulle et comme n’ayant plus aucun effet. Cette réparation est demandée afin que les demandeurs puissent être rétablis dans leur poste et exercer les fonctions et les pouvoirs qui leur incombent en tant que membres du Comité d’appel en matière d’élections, et qu’ils puissent entendre les plaintes concernant l’élection du 29 mars 2006. Conformément à l’alinéa 8j) du Code électoral coutumier régissant les élections de la Sioux Valley Dakota Nation, le Comité d’appel, après avoir entendu les plaintes et après avoir enquêté sur elles, « peut annuler l’élection par la bande d’un président tribal ou d’un conseiller » s’il l’estime  justifié.

 

[36]           Les défendeurs n’ont déposé aucun affidavit concernant les élections de mars 2008. Dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, les éléments de preuve sont généralement présentés au moyen d’un affidavit; voir les règles 306 et 307. Durant l’audience, j’ai formulé des observations au sujet de l’absence d’affidavit souscrit par un ou plusieurs des défendeurs au sujet des élections de mars 2008. L'avocat des défendeurs a répondu que le « fait » que constituent les élections de mars 2008 n’était pas contesté par les demandeurs. Il a renvoyé à l’application de la règle 3 des Règles pour justifier l’absence d’un autre affidavit sur ce qui, pour les défendeurs, était un fait pertinent.

 

3. Principe général –

Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

3. General principle 

These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.

 

[37]           Les défendeurs ont tort d’interpréter ainsi la règle 3. Cette disposition n’excuse pas le non-respect des règles régissant les demandes de contrôle judiciaire. Dans ce genre de procédures, la preuve est généralement fournie au moyen d’un affidavit. Elle n’est certainement pas présentée dans un Mémoire des faits et du droit.

 

[38]           Le seul argument de fond soulevé par les défendeurs, aussi bien dans leur Mémoire des faits et du droit qu'à l’audience du 20 mai, est que la demande est théorique. À cet égard, ils s’appuient sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.

 

[39]           À mon avis, la question du caractère théorique ne se pose pas lorsqu’il s’agit d’une réparation. Cette doctrine a été élaborée en réponse à l’utilisation de ressources judiciaires dans le cadre de l’instruction d’une affaire où il n’existe aucun litige actuel entre les parties. En l’espèce, le « litige actuel » a été réglé par l’ordonnance sur consentement qui a été rendue le 17 avril. Cette ordonnance accordait la réparation substantielle que sollicitaient les demandeurs. L’octroi d’une autre réparation relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

 

[40]           Pour les motifs susmentionnés, la demande d’injonction ne sera pas accordée.

 

[41]           Enfin, il y a la question des dépens. Les avocats ont déposé des observations écrites à ce sujet et ont également débattu de la question à l’audience du 20 mai. Les demandeurs demandent l’adjudication des dépens sur la base avocat-client ou, subsidiairement, le versement d’une somme forfaitaire de 30 000 $. Fait peu surprenant, les défendeurs s’opposent à une adjudication des dépens sur la base avocat-client ou au versement d’un montant de 30 000 $.

 

[42]           Pour décider de la meilleure façon d’exercer mon pouvoir discrétionnaire concernant l’adjudication de dépens en l’espèce, j’ai, conformément à la règle 400, donné une directive demandant aux demandeurs de fournir des éléments de preuve quant aux débours et honoraires relatifs à la présente instance. Par conséquent, la question des dépens est toujours en délibéré.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande d’injonction soit rejetée. Les dépens feront l’objet d’une autre ordonnance.

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1445-06

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            MATTHEW HENDERSON et JOSEPH ANTOINE c. CHEF ET CONSEIL DE BANDE DE LA SIOUX VALLEY DAKOTA NATION et SIOUX VALLEY DAKOTA NATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 juin 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

JARETT D. KEHLER

 

POUR LES DEMANDEURS

R. IVAN HOLLOWAY

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DONALD LEGAL SERVICES

Brandon (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

D’ARCY & DEACON LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.