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Date : 20080703

Dossier : T-2136-07

Référence : 2008 CF 831

Montréal (Québec), le 3 juillet 2008

En présence de Me Richard Morneau, protonotaire

 

ENTRE :

PARMALAT CANADA INC.

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

 

COMPAGNIE GERVAIS DANONE S.A.

et

GROUPE DANONE S.A.

et

DANONE INC.

défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie en l’espèce d’une requête de la demanderesse et défenderesse reconventionnelle Parmalat Canada Inc. (ci-après Parmalat) en vertu des aliénas 221(1)a), b) et d) des Règles des Cours fédérales (les règles) aux fins d’obtenir la radiation du paragraphe 44 de la défense et demande reconventionnelle ré-amendée et précisée produite par les défenderesses et demanderesses reconventionnelles (ci-après collectivement Danone) le 20 mai 2008 (ci-après la défense).

Contexte essentiel

[2]               Par sa déclaration amendée du 14 janvier 2008, Parmalat tente d’obtenir un jugement déclarant que l’emballage de son yaourt probiotique ASTRO BIOBEST VITALITE ne violerait pas les droits de Danone dans son propre emballage pour son yaourt probiotique ACTIVIA.

[3]               Dans sa défense, Danone allègue que Parmalat a contrevenu à des dispositions de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (ci-après la Loi). Plus particulièrement, Danone allègue que :

·                    l’emploi par Parmalat d’une marque composée de la représentation graphique d’un ventre féminin sur lequel apparaît le dessin d’une flèche de couleur jaune pointant vers le bas sur ses emballages et contenants de yaourts constitue une contrefaçon de la marque graphique ICÔNE VENTRE ET FLÈCHE, faisant l’objet de l’enregistrement LMC 710,678 qui est détenu par Danone (ci-après la Marque de commerce de Danone), et ce, contrairement à l’article 20 de la Loi;

·                    l’usage que fait Parmalat d’emballages et de contenants (reproduits au paragraphe 2 des prétentions écrites du dossier de requête de Parmalat) est de nature à causer de la confusion ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada auprès des consommateurs entre les produits respectifs des parties, contrairement aux dispositions de l’alinéa 7b) de la Loi, et ce :

i)                    en raison de la présence de la marque TriActiv+ (où la composante Activ+ est en lettres blanches);

ii)                   en raison de la présence d’un ventre féminin sur lequel apparaît une flèche jaune pointant vers le bas;

iii)                 en raison de la présence de la couleur verte (comme toile de fond)

ce qui constitue aux yeux de Danone une appropriation de l’habillage distinctif des produits de Danone (reproduits au paragraphe 3 des prétentions écrites du dossier de requête de Parmalat).

[4]               Au paragraphe 44 de sa défense initiale, Danone a allégué qu’elle avait récemment remarqué une volonté de Parmalat de reprendre l’apparence des produits de Danone, voir même de les imiter, ce qui ressortirait des différentes admissions contenues dans la déclaration d’action de Parmalat.

[5]               Suite à cette allégation, les procureurs de Parmalat ont fait parvenir aux procureurs de Danone une lettre demandant des précisions au sujet de cette allégation. Cette demande de précisions était formulée ainsi « Aside from the ACTIVIA products of the Defendants at issue, identify all other products of the Defendants referred to ».

[6]               Saisissant l’occasion de répondre à cette demande de détails de Parmalat, Danone a modifié le paragraphe 44 de sa défense pour qu’il se lise dorénavant comme suit :

44.              Grâce à des efforts soutenus tant en recherche et développement qu’au niveau marketing, les défenderesses Compagnie Gervais Danone S.A. et Danone Inc. ont développé des produits de qualité vendus dans des emballages distinctifs et originaux. Or, les défenderesses ont récemment remarqué une volonté de la demanderesse de reprendre l’apparence des produits des défenderesses, voir même de les imiter, ce qui ressort des différentes admissions contenues dans la Déclaration de la demanderesse (et ce, suivant des agissements contraires à certaines dispositions de la Loi sur les marques de commerce, qui sont mentionnés ci-après dans la demande reconventionnelle et qui sont intégrés aux allégués de la présente défense). Cette volonté de la demanderesse de reprendre l’apparence des produits des défenderesses, voir de les imiter, se constate également par les agissements réitérés effectués au Canada par ou au nom de la demanderesse :

 

-                     Le 7 juillet 2005, la défenderesse Compagnie Gervais Danone S.A. a produit au Canada une demande d’enregistrement pour la marque L. CASEI DEFENSIS sur la base de l’emploi projeté de cette marque; cette dernière a été enregistrée le 3 mars 2008 sous le numéro LMC 708,683 pour des « boissons lactées non alcoolisées où le lait prédomine ». Or, le 2 octobre 2006, environ quinze mois après la production de la demande pour la marque L. CASEI DEFENSIS, la demanderesse (alors connue sous le nom Parmalat Dairy & Bakery Inc.) a produit une demande d’enregistrement sous le numéro 1,318,594 pour la marque MAXI DEFENSIS sur la base de l’emploi projeté de cette marque en liaison avec « milk, yogourt and yogourt beverages »; cette demande est aujourd’hui au nom de la demanderesse. Selon les défenderesses, il y a donc eu adoption par la demanderesse le 2 octobre 2006 d’une marque qui reprend l’élément important DEFENSIS de la marque L. CASEI DEFENSIS de la défenderesse Compagnie Gervais Danone S.A..

 

-                     Depuis au moins aussitôt que août 2007 la défenderesse Danone Inc. commercialise au Canada une boisson probiotique sous la marque DANACTIVE dans une bouteille dont la forme est devenue une icône majeure pour ce produit; or, depuis le début de 2008, la demanderesse vend au Canada une boisson probiotique (associée à la marque MAXIMMUNITÉ) dans une bouteille qui constitue une reprise de la forme de la bouteille de Danone Inc. pour son produit vendu sous la marque DANACTIVE.

(double soulignement dans l’original)

 

Analyse

Critères en matière de radiation

[7]               Tel que le rappelle en partie l’extrait suivant de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17, au paragraphe 6 en page 23, une radiation ne survient sous l’un ou l’autre des alinéas de la règle 221 que si la situation visée est claire et évidente :

[6]     Statements of claim are struck out as disclosing no reasonable cause of action only in plain and obvious cases and where the Court is satisfied that the case is beyond doubt (see Attorney General of Canada v. Inuit Tapirisat of Canada et al., [1980] 2 S.C.R. 735 at 740; Operation Dismantle Inc. v. The Queen, [1985] 1 S.C.R. 441 and Hunt v. Carey Canada Inc., [1990] 2 S.C.R. 959). The burden is as stringent when the ground argued is that of abuse of process or that of pleadings being scandalous, frivolous or vexatious (see Creaghan Estate v. The Queen, [1972] F.C. 732 at 736 (F.C.T.D.), Pratte J.; Waterside Ocean Navigation Company, Inc. v. International Navigation Ltd. et al., [1977] 2 F.C. 257 at 259 (F.C.T.D.), Thurlow A.C.J.; Micromar International Inc. v. Micro Furnace Ltd. (1988), 23 C.P.R. (3d) 214 (F.C.T.D.), Pinard J. and Connaught Laboratories Ltd. v. Smithkline Beecham Pharma Inc. (1998) 86 C.P.R. (3d) 36 (F.C.T.D.) Gibson J.). The words of Pratte J. (as he then was), spoken in 1972, in Creaghan Estate, supra, are still very much appropriate:

 

[… ] a presiding judge should not make such an order unless it be obvious that the plaintiff’s action is so clearly futile that it has not the slightest chance of succeeding […]

(Voir aussi l’arrêt Burnaby Machine & Mill Equipment Ltd. v. Berglund Industrial Supply Co. et al. (1982), 64 C.P.R. (2d) 206, page 210)

[8]               Bien que la défense de Danone contienne une allégation à l’effet que sa Marque de commerce ait été contrefaite, le débat présent entre les parties sous la présente requête concerne la cause d’action en commercialisation trompeuse soulevée par Danone en raison essentiellement de la confusion qui existerait entre l’emballage de son yaourt Activia et l’emballage du yaourt Astro de Parmalat. Cette cause d’action qui peut prendre plusieurs facettes serait en l’espèce celle connue en common law comme une action en « passing-off ».

[9]               Tel que le fait valoir Parmalat, les conclusions de la défense de Danone n’ont jamais été modifiées et elles visent, en ce qui concerne cette commercialisation trompeuse, une comparaison entre l’emballage du yaourt Astro de Parmalat et celui du yaourt Activia de Danone.

[10]           Suivant Parmalat, Danone a saisi l’occasion d’une demande de détails concernant le paragraphe 44 de la défense pour amender ce paragraphe pour faire valoir deux autres situations d’imitation qui pourraient exister entre des emballages de produits de Parmalat et certains emballages de Danone.

[11]           Suivant Parmalat, les deux situations additionnelles d’imitation ou de confusion qu’allègue maintenant Danone à son paragraphe 44 sont non pertinentes quant à la situation d’imitation ou de confusion qui pourrait exister entre son emballage Astro et l’emballage Activia de Danone.

[12]           Parmalat ajoute de plus que si les deux situations additionnelles de confusion présentes au paragraphe 44 de la défense de Danone demeurent, il s’en suivra que l’ensemble des étapes de mise en état du dossier ainsi que du procès seront grandement amplifiées ou étendues puisque Parmalat devra se défendre non pas à une cause alléguée de confusion mais bien à trois causes du genre.

[13]           En réponse à ces allégations, Danone fait essentiellement valoir que dans le cadre d’une cause en commercialisation trompeuse, l’intention ou la mens rea du contrevenant, ici il s’agirait de Parmalat, peut être pertinente et être démontrée par le plaignant ou la plaignante, soit ici Danone, et ce, contrairement à la situation sous l’allégation de contrefaçon à une marque de commerce enregistrée où là l’intention du contrefacteur n’est pas un élément pertinent. (Voir les arrêts Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772 (ci-après l’arrêt Mattel), Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc. [2005] 3 R.C.S. 302 (l’arret Ritvik) et l’arrêt Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha c. Lexus Foods Inc., [2001] 2 C.F. 15 (C.A.F.)).

[14]           Toutefois, Danone soutient que pour établir cette intention ou cet état d’esprit par rapport aux emballages en jeu, elle est justifiée, par les arrêts mentionnés précédemment ainsi que par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd., [2008] 2 R.C.F. 132, de faire référence à des emballages de Parmalat autres que ceux qui font précisément l’objet de conclusions en commercialisation trompeuse dans sa défense. Selon Danone, ces autres agissements permettraient d’apprécier l’état d’esprit et le comportement de Parmalat dans le cadre du présent dossier qui vise l’emballage de Parmalat relativement à son yaourt Astro et l’emballage de Danone relativement à son yaourt Activia.

[15]           Voici du reste comment s’exprime Danone aux paragraphes 22 et 23 de ses représentations écrites dans le cadre de la requête à l’étude :

22. (…) il est respectueusement soumis que la demande de radiation de la demanderesse devrait être rejetée puisque dans le cadre de leur défense et demande reconventionnelle, les défenderesses sont en droit de référer à des agissements de la demanderesse autres que ceux qui font l’objet de conclusions fondées sur la commercialisation trompeuse (en vertu de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce) puisque ces autres agissements permettent d’apprécier l’état d’esprit et le comportement de la demanderesse vis-à-vis des défenderesses dans le cadre de la réclamation de ces dernières fondée sur la commercialisation trompeuse.

 

23. Une partie qui allègue qu’une autre a commis des gestes de commercialisation trompeuse selon l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce en raison de l’emploi d’un emballage donné peut également faire référence à d’autres agissements de cette partie relativement à l’emploi d’un autre emballage ou d’une autre marque de commerce pour mesure l’état d’esprit et le comportement (« conduct ») du prétendu contrevenant; ce comportement serait dicté par son désir d’influencer le processus décisionnel des consommateurs. Dans les circonstances, il appartiendra au ou à la juge du procès d’apprécier le poids à accorder à ces autres agissements.

 

[16]           Bien qu’il soit loisible qu’une partie plaignante puisse vouloir miser sur l’état d’esprit d’une partie contrevenante (voir l’arrêt Ritvick, supra, page 341, paragraphe 68) et que l’on doive en conséquence étudier l’intention ou le comportement d’un prétendu contrevenant dans le cadre d’une action pour commercialisation trompeuse, je ne vois aucun enseignement dans les arrêts et la doctrine mentionnés par Danone qui puisse nous amener à conclure que cette étude d’intention peut s’inférer ou se déduire d’une étude du comportement d’un prétendu contrevenant à l’égard d’autres emballages non en cause mais qui imiteraient ceux d’un plaignant.

[17]           En ce sens, je ne puis appuyer la thèse soutenue par Danone aux paragraphes 22 et 23 précités et qui est reprise dans des termes similaires au paragraphe 40 des mêmes représentations écrites de Danone et que je cite :

40. Par ses allégations au paragraphe 44, les défenderesses allèguent cette connaissance de la demanderesse par différents moyens en attirant l’attention de la Cour sur différentes manifestations d’une volonté de la demanderesse de reprendre l’apparence des produits des défenderesses, voir même de les imiter; cette volonté n’a pas à être limitée aux seuls produits ACTIVIA puisque la connaissance que doivent établir les défenderesses pourra se démontrer grâce à l’un ou l’autre élément mentionné dans ces allégations.

 

[18]           Ainsi, le paragraphe 44 de la défense dans son entièreté doit à mon sens être radié puisque l’ensemble de ce paragraphe fait référence à des situations additionnelles de confusion qui sont, tel que mentionné aux paragraphes 11 et 12 supra, non pertinentes et qui risquent de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder. Aucune cause d’action ou de défense valable de la part de Danone est donc ici présente. Ainsi, les alinéas 221(1)a), b) et d) des règles sont engagés. Je ne considère pas également que Parmalat est d’une certaine façon empêchée de rechercher la radiation du paragraphe 44 dans son entièreté du fait que cette dernière s’est attardée à ce paragraphe 44 premièrement par le biais d’une demande de précisions. Cette demande de précisions a amené l’ampleur véritable du paragraphe 44 de la défense et ce paragraphe 44 est justifié d’être maintenant radié.

[19]           Il n’y a pas lieu par ailleurs de permettre à Danone de modifier ou d’amender ce paragraphe 44 de sa défense aux fins de permettre un lien entre la défense et la demande reconventionnelle de Danone puisque la demande reconventionnelle de cette dernière peut très bien prendre place à sa défense sans la présence aucune dudit paragraphe 44.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE donc que :

1.                  La requête de Parmalat soit accueillie, le tout avec dépens, et ordonne la radiation du paragraphe 44 de la défense et demande reconventionnelle ré-amendée et précisée produite par les défenderesses et demanderesses reconventionnelles le 20 mai 2008.

2.                  Parmalat devra signifier et déposer une réponse et défense à la demande reconventionnelle dans les quinze (15) jours de la date de la présente ordonnance.

 

 

 

« Richard Morneau »

protonotaire

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2136-07

 

INTITULÉ :                                       PARMALAT CANADA INC. c.

                                                            COMPAGNIE GERVAIS DANONE S.A. ET AL.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 30 juin 2008

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      le 3 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me François Guay

 

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Me Barry Gamache

 

POUR LES DÉFENDERESSES/DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Léger Robic Richard

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDERESSES/DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

 

 

 

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