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Date : 20080702

Dossier : IMM-5401-07

Référence : 2008 CF 827

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

PRIYANTHA SWARN KIRINDAGE DE SILVA,

ARAVINDA WEERATHUNGA,

THILINI WEERATHUNGA ET

KEISHI WEERATHUNGA

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Qui a tué Thushari de Silva le 14 juillet 2000? A-t-elle été tuée par balle par la police sri‑lankaise pour avoir omis de s’arrêter à un contrôle routier, ou a-t-elle été assassinée par son ancien amoureux, Ranjith Wanaraja, le chef corrompu de l’Unité des enquêtes spéciales de la police tout aussi corrompue? La première possibilité constitue la version officielle de sa mort. La demande d’asile présentée par la sœur de Thushari, plus précisément une demande visant à obtenir la protection internationale suivant l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, est fondée sur la deuxième possibilité.

 

[2]               La demande présentée par Priyantha de Silva, son mari et leurs deux enfants a été rejetée en mai 2004. Le tribunal a conclu que les demandeurs n’avaient présenté aucune preuve crédible ou digne de foi établissant qu’il existait une possibilité sérieuse qu’ils soient menacés par la police s’ils retournaient au Sri Lanka. Leur première demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a aussi été rejetée, mais le juge Teitelbaum a accueilli leur demande de contrôle judiciaire : 2007 CF 841, 63 Imm. L.R. (3d) 245. La deuxième décision relative à un ERAR a également été défavorable. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[3]               Il ne fait aucun doute que Thushari de Silva est décédée de façon violente. La demande d’asile présentée au Canada par sa sœur Priyantha comportait un certain nombre d’éléments. Mme de Silva a allégué qu’il y avait eu enquête judiciaire et que la police avait été exonérée de tout blâme. Cependant, elle a par la suite trouvé une lettre d’amour qui mettait pleins feux sur l’inspecteur Wanaraja. Le dossier judiciaire sri-lankais, qui n’a pas été présenté puisqu’il avait apparemment été égaré, devait établir, entre autres, que l’adjointe de Thushari avait été informée de l’arrestation de celle-ci et qu’elle s’était présentée au poste de police pour se renseigner.

 

[4]               Dans sa décision, le tribunal a souligné « l’absence de tout document officiel concernant les éléments de preuve présentés dans le cadre de l’instance judiciaire ». Le tribunal ne croyait pas non plus que la prétendue lettre d’amour avait été écrite par l’inspecteur Wanaraja. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée. Toutefois, le juge Teitelbaum a par la suite accueilli la demande de contrôle judiciaire visant la première demande d’ERAR, puisque l’agente avait omis de tenir compte d’« éléments de preuve » survenus depuis le rejet initial ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles, contrairement à ce qu’exige l’article 113 de la LIPR. Plus précisément, le juge Teitelbaum a affirmé au paragraphe 17 :

Bien que le processus d’ERAR soit conçu pour évaluer seulement les preuves de nouveaux risques, cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas prendre en considération des éléments de preuve nouveaux concernant d’anciens risques. En outre, il ne faut surtout pas confondre la question de savoir si des éléments de preuve sont de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) et celle de savoir si les éléments de preuve établissent l’existence d’un risque. L’agent d’ERAR doit d’abord vérifier si le document est visé par l’un des trois volets de l’alinéa 113a). Dans l’affirmative, il doit ensuite vérifier si le document en question prouve l’existence d’un risque nouveau.

 

[5]               Dans le présent contrôle judiciaire de la deuxième demande d’ERAR, qui a été tranchée par un autre agent, Mme de Silva fait de nouveau valoir que l’agent a commis une erreur de droit en concluant que l’alinéa 113a) de la LIPR exigeait non seulement des éléments de preuve nouveaux, mais également des faits nouveaux. Elle allègue aussi que la décision de l’agent, particulièrement la partie où il a conclu que rien n’indiquait que les autorités sri-lankaises avaient été mises au courant des plaintes de Mme de Silva, était déraisonnable, et que, puisque la crédibilité était en jeu, une audience aurait dû être accordée suivant l’article 167 du Règlement.

 

ANALYSE

[6]               L’alinéa 113a) prévoit :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

      a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet; […]

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection; […]

 

[7]               L’alinéa 113a) exige une analyse en deux étapes. L’agent doit premièrement déterminer si chaque élément de preuve apparemment nouveau l’est réellement. Dans l’affirmative, ces éléments de preuve sont admissibles. Deuxièmement, l’agent doit apprécier les éléments de preuve et leur accorder une valeur probante.

 

[8]               Mme de Silva soutient, et je partage son avis, que l’agent a regroupé les deux étapes et, par conséquent, qu’il n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve, soit les nouveaux éléments de preuve et ceux déjà présentés. Par exemple, la lettre d’un journaliste, qui corroborait en grande partie les allégations, figurait parmi les nouveaux éléments de preuve. L’agent a indiqué que le fait que ces allégations émanaient maintenant d’un journaliste ne signifiait pas qu’elles étaient nouvelles. Cela est bien vrai, mais vu la conclusion de manque de crédibilité dans la décision initiale, les éléments de preuve corroborants émanant d’une personne dont la preuve n’était pas normalement accessible lors de la première audience sont à la fois pertinents et nouveaux.

 

[9]               Des copies des documents de certaines des instances judiciaires sri-lankaises ont été produites lors de l’audience relative à la deuxième demande d’ERAR. Il est possible que le dossier ne soit pas complet, puisqu’il n’établit pas que l’inspecteur Wanajara a été acquitté. Le dossier semble plutôt porter sur une enquête préliminaire. Le juge Teitelbaum a expressément critiqué la première agente d’ERAR pour ne pas avoir tenu compte du dossier judiciaire. Le dossier est important, même s’il concerne seulement d’une enquête préliminaire, puisqu’il indique que l’adjointe de Thushari s’est en effet présentée au poste de police la veille de l’assassinat, comme l’a confirmé le témoignage d’un policier. Cela remet en question l’analyse initiale du tribunal :

Son père lui aurait dit qu’une employée, Zeena, qui travaillait avec Thushari dans son agence de placement, avait affirmé dans son témoignage en cour que, la veille de la mort de Thushari, deux hommes lui avaient rendu visite chez elle pour l’informer que Thushari avait été placée en détention. Un policier aurait confirmé en cour que Zeena s’était rendue au poste de police pour s’enquérir au sujet de la sœur de la demandeure d’asile principale. [Non souligné dans l’original.]

 

Cette allégation a été établie, ce qui pourrait avoir une incidence sur la crédibilité.

 

[10]           Une autre question très importante est de savoir si les autorités sri-lankaises étaient au courant que Mme de Silva s’était plainte publiquement de cette affaire non seulement lorsqu’elle était toujours au Sri Lanka, mais aussi lorsqu’elle se trouvait au Canada. À cet égard, le dossier contient une lettre de Mme de Silva, datée du 10 mai 2004, adressée au président du Sri Lanka, et dont des copies avaient été envoyées au premier ministre, au procureur général, à l’inspecteur général de la police et à un député.

 

[11]           Le moment où la lettre du 10 mai 2004 a été envoyée est important. L’audience initiale devant la Section de la protection des réfugiés de la CISR a été tenue le 19 janvier et le 7 avril 2004. La décision a été rendue le 21 mai 2004. Le ministre souligne que cette lettre a été envoyée avant le rejet de la demande. Le paragraphe 161(2) du Règlement exige du demandeur qu’il désigne expressément les nouveaux éléments de preuve et qu’il indique dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas. Cela n’a pas été fait en l’espèce et, par conséquent, il n’est pas surprenant que l’agent n’ait pas fait mention de la lettre.

 

[12]           Néanmoins, la pierre angulaire de la conclusion défavorable était que les autorités ne seraient pas au courant des diverses activités de Mme de Silva. La lettre semble réfuter ce point de vue. Elle constitue clairement un élément de preuve important. L’agent est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve au dossier, même s’il ne les a pas mentionnés. Cependant, plus la preuve est importante, plus il est important d’en faire mention (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL)). Le ministre se livre à des conjectures en affirmant que l’agent a tenu compte de la lettre, mais qu’il l’a rejetée au motif qu’il ne s’agissait pas d’un nouvel élément de preuve.

 

[13]           Considérée dans son ensemble, la décision de l’agent est profondément imprégnée de la conclusion tirée par le tribunal initial relativement à la crédibilité. L’article 167 du Règlement prévoit comme suit le pouvoir discrétionnaire de l’agent de tenir une audience :

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

 

[14]           Une audience aurait dû être accordée.

 

[15]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Il ne fait aucun doute que Mme de Silva désignera la lettre qu’elle a envoyée au président du Sri Lanka comme nouvel élément de preuve. Il reste à voir si la lettre constitue un nouvel élément de preuve dans les circonstances.

ORDONNANCE

            VU la demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 16 novembre 2007, que l’agent d’examen des risques avant renvoi a rendue dans les dossiers numéros 5234-6006, 5234‑6005, 5240‑3935 et 5240-3948, et dans laquelle il a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi des demandeurs;

            POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS;

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

3.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5401-07

 

INTITULÉ :                                       PRIYANTHA SWARN KIRINDAGE DE SILVA ET AUTRES c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 JUIN 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 2 JUILLET 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jared Will

 

POUR LES DEMANDEURS

Evan Liosis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jared Will

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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