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Date : 20080702

Dossier : IMM-5200-07

Référence : 2008 CF 826

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

KAMUNDU PIERRIN MASKINI

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]       La présente affaire concerne la possibilité de refuge intérieur. Une personne n’est ni une réfugiée au sens de la Convention des Nations-Unies ni une personne ayant besoin de protection internationale si elle risque d’être persécutée dans une partie du pays, mais non dans une autre.

 

[2]       Mme Maskini est citoyenne de la République démocratique du Congo. Elle vient de Goma, dans le Nord-Kivu, et est membre de la tribu Nande. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a jugé que la demanderesse est crédible et qu’elle risque sérieusement d’être persécutée au Nord-Kivu, situé dans l’Est du pays. Cependant, la Commission a conclu que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur plus à l’ouest, dans la capitale de Kinshasa. Il s’agit, en l’espèce, du contrôle judiciaire de cette conclusion.

 

[3]       À l’audience devant la Commission, comme devant la Cour, Mme Maskini a fait valoir que Kinshasa n’était pas une possibilité valable pour elle. Même si son frère et ses deux sœurs y habitent, contrairement à eux, la demanderesse ne parle pas la langue régionale, le liNgala (malgré qu’elle parle le français, qui est utilisé à travers le pays), et elle ressemble à une Tutsi. Cela dénote un lien avec le Rwanda, tenu responsable du conflit interne qui a ravagé le pays à la fin des années 1990 et au début de la présente décennie.  

 

[4]       On s’est appuyé sur deux arguments principaux pour faire valoir que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. En premier lieu, on prétend que la Commission a commis une erreur en n’appliquant pas le critère juridique approprié à la possibilité de refuge intérieur dont aurait disposé Mme Maskini. En second lieu, on prétend que la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse ne risque pas sérieusement d’être persécutée à Kinshasa est déraisonnable.

 

[5]       Le critère juridique à appliquer pour établir l’existence d’une possibilité de refuge intérieur comporte deux volets. En premier lieu, le demandeur doit démontrer que, selon la prépondérance de la preuve, il y a un risque grave d’être persécuté dans l’ensemble du pays, y compris dans la région offrant prétendument une possibilité de refuge. En second lieu, la possibilité de refuge ne doit pas être déraisonnable, compte tenu de la situation particulière du demandeur (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, 22 Imm. L.R. (2d) 241). On allègue que la Commission n’a pas analysé le second volet du critère.

 

[6]       À mon avis, la Commission a bel et bien appliqué le critère juridique approprié. Dans son analyse de la situation de Mme Maskini, la Commission a examiné en détail la situation particulière de celle-ci. Les antécédents de la demanderesse, son apparence ainsi que la situation de son frère et de ses sœurs ont été analysés, de même que la situation régnant dans le pays. Je ne peux souscrire à la thèse selon laquelle il faut tirer deux conclusions distinctes : en premier lieu, qu’un endroit donné – soit Kinshasa – est sécuritaire, et, en second lieu, qu’il serait trop sévère de s’attendre à ce que Mme Maskini, qui était persécutée dans une partie du pays,  déménage à Kinshasa avant de demander l’asile à l’étranger. La Commission a, dans l’ensemble, bien motivé son analyse. On privilégierait la forme au détriment du fond si l’on concluait que le second volet du critère n’a pas été examiné. En l’espèce, les deux volets ont été examinés lors d’un même exercice.

 

[7]       Quant à la prétention qu’il était déraisonnable pour la Commission de conclure que Kinshasa offrait  une possibilité sécuritaire, cette prétention visait une conclusion de fait. Dans le passé, les conclusions de ce genre commandaient la retenue sauf si elles


étaient manifestement déraisonnables (Balakumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 20, [2008] A.C.F. no 30 (QL) ainsi que la jurisprudence qui y est citée). Cependant, compte tenu de l’arrêt récent de la Cour suprême dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la conclusion de la Commission doit désormais être examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[8]       La demanderesse prétend qu’elle court un danger car elle ne parle pas la langue régionale, le liNgala, prétention que la Commission a acceptée malgré le fait que, dans son Formulaire de renseignements personnels, la demanderesse a déclaré parler cette langue. La demanderesse prétend aussi qu’elle a l’apparence d’une Tutsi, que son frère l’a avisée de ne pas parler le swahili, et que, de façon plus générale, les Tutsis ne pouvaient être considérés en sécurité à Kinshasa que lorsque le pays était en paix. Il est soutenu que, selon le dossier, la violence aurait repris. Plus particulièrement, on allègue que la Commission n’a pas tenu compte de sa propre Réponse à la demande d’information datant de 2006; elle s’est appuyée uniquement sur son rapport de 2005. Il y avait également des rapports plus récents réalisés par d’autres organismes.

 

[9]       Même si la Cour présume que la Commission a tenu compte de tous les documents dans le dossier, il est bien établi que plus les renseignements sont importants, plus il importe pour la Commission d’en faire expressément mention dans ses motifs. On a invoqué la décision, souvent citée, rendue par monsieur le juge Evans dans l’affaire Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL), ainsi que la décision Rojas Renteria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 160, [2006] A.C.F. no 284 (QL), dans laquelle monsieur le juge Shore fait ressortir, aux paragraphes 31 et 32, la nécessité pour la Commission de tenir compte des conditions dans le pays, conditions déterminées selon les propres analyses de celle-ci.

 

[10]     La prétendue omission de la Commission de mentionner la Réponse à la demande d’information de 2006, plutôt que son rapport de 2005, est erronée. Le rapport de 2005, publié le 12 décembre, indiquait que, même si les autres groupes ethniques se méfiaient des citoyens congolais d’origine rwandaise, en particulier des Tutsis, rien n’indiquait que ces citoyens avaient récemment été la cible d’autres groupes ethniques. Le rapport de 2006, publié le 20 janvier, à peine un mois plus tard, est en fait plus encourageant quant à la possibilité de refuge intérieur. Selon le rapport, les personnes originaires du Kivu étaient les premières à Kinshasa à être soupconnées de complicité avec les groupes rebelles, mais « [l]a situation actuelle des personnes originaires de la région du Kivu vivant à Kinshasa ne diffère pas de celle des autres citoyens ». Rien ne prouve qu’il y a discrimination contre elles, même si elles sont parfois méprisées. Le rapport indiquait aussi qu’il y avait encore de la persécution fondée sur l’apparence tutsi d’une personne seulement dans des cas exceptionnels.

 

[11]     Quant aux autres rapports, il y en a un qui était mentionné explicitement dans les notes en bas de page. Tout ce qu’on peut dire est qu’il y avait une certaine violence à Kinshasa au début de 2007 et que des menaces de guerre planaient à nouveau sur le Nord‑Kivu et le Sud‑Kivu.

 

[12]     Il peut y avoir plus d’une décision raisonnable. Comme il a été établi dans Dunsmuir, précité, la question est de savoir si la décision appartient aux issues acceptables. Je conclus que tel est le cas.

 

[13]     La Commission a également souligné que des circonstances d’ordre humanitaire étaient présentes dans la situation de Mme Maskini, mais que ces circonstances devraient être évoquées dans une demande séparée visant à permettre à la demanderesse de déposer une demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada. La Commission avait raison. Les raisons d’ordre humanitaire qui vont au‑delà de ce qu’implique la possibilité de refuge intérieur ne sont pas évaluées dans le cadre d’une demande d’asile.

 


ORDONNANCE

            VU la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 20 novembre 2007 dans le dossier MA7‑00512, décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de refugié du Canada a rejeté la demande d’asile de la demanderesse;

            ET POUR LES motifs qui précèdent;

            LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

« Sean Harrington »

   Juge             

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       IMM-5200-07

INTITULÉ :                                      KAMANDU PIERRIN MASKINI c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              Le 18 juin 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET L’ORDONNANCE :                  Le juge Harrington

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 2 juillet 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jared Will

 

                       POUR LA DEMANDERESSE

Daniel Latulippe

 

                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jared Will

Avocat

Montréal (Québec)

 

                       POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

                       POUR LE DÉFENDEUR

 

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