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Date : 20080630

Dossier : IMM-5068-07

Référence : 2008 CF 821

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2008

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

ROCIO ECHAVARRIA CONTRERAS

JESUS SALVADOR ECHAVARRIA DIAZ

JESUS ECHAVARRIA CONTRERAS

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]       La demanderesse principale, Rocio Echavarria Contreras, est une citoyenne adulte mexicaine. Les deux autres demandeurs sont son père, Jesus Salvador, et son frère, Jesus Echavarria, également citoyens du Mexique. Tous trois ont demandé l’asile en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Dans une décision rendue le 16 novembre 2007, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile, d’où le présent contrôle judiciaire.

 

[2]       Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

 

LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

a) Les éléments de preuve

[3]       La demanderesse principale a déposé un affidavit dans le cadre de la présente demande. L’affidavit est accompagné de pièces, des articles que la demanderesse a téléchargés à partir d’Internet et qui sont tous datés entre janvier et avril 2008, soit après la date de la décision faisant l’objet du contrôle. Ces articles soutiendraient les allégations de la demanderesse selon lesquelles la police est corrompue – donc indigne de confiance – et elle avait raison de ne pas solliciter l’aide de la police.

 

[4]       Un tel affidavit est inadmissible dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Le contrôle exercé en l’espèce se fait sur la base du dossier à la disposition du décideur. D’autres affidavits ne sont admissibles que lorsqu’ils touchent à la question de savoir si le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale ou s’il y a eu parti pris contre lui. En l’espèce, l’affidavit  ne se rapporte pas à ces questions. Il s’agit d’un contrôle et non d’un appel. L’affidavit est donc inadmissible (Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1194, au paragraphe 10).

 

[5]       La demanderesse a aussi présenté l’affidavit d’une traductrice qui dépose qu’elle a écouté un enregistrement de l’audience et que, selon elle, l’interprète présent à l’audience n’a pas traduit tout le témoignage rendu en espagnol par la demanderesse principale. Il semble qu’aucune objection n’ait été formulée à l’audience devant la SPR, même si l’avocat des demandeurs parle couramment l’espagnol. Il n’a pas été question de cet affidavit à l’audience devant moi et j’y accorde peu de poids.

 

b) La partialité

[6]       Les demandeurs prétendent que le commissaire était partial. À l’audience, l’avocat des demandeurs a expliqué que cette prétention touchait seulement au fait qu’il n’y avait aucun agent de protection des réfugiés (l’agent) lors de l’audience devant la SPR et que le commissaire a lui-même mené l’interrogatoire. Rien au dossier n’indique qu’une objection a été soulevée à cet égard avant ou pendant l’audience. L’absence d’un agent ne suffit pas en soi pour susciter une crainte raisonnable de partialité (Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, conf. par 2007 CAF 199).

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[7]       Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, seulement deux normes de contrôle sont applicables aux affaires telles la présente : la décision raisonnable et la décision correcte. La norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit et de compétence, et celle de la décision raisonnable, aux questions de fait ainsi qu’aux questions mixtes de fait et de droit lorsque ces deux éléments ne peuvent être dissociés. Les conclusions quant à la crédibilité doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, aux paragraphes 17-20). Depuis l’arrêt Dunsmuir, la question de savoir si la protection offerte par l’État est adéquate est également examinée selon la norme de la décision raisonnable (Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 534, au paragraphe 5).

 

LA CRÉDIBILITÉ

[8]       Il est clair que le commissaire a conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible. À l’audience devant moi, l’avocat des demandeurs s’est donné bien du mal pour passer la preuve en revue et pour souligner les multiples fois où le commissaire aurait mal interprété ou mal compris la preuve.

 

[9]       En termes simples, la demanderesse principale est une diplômée universitaire employée par le cabinet d’experts-comptables international PricewaterhouseCoopers. Elle réside à Chihuahua, au Mexique, et a été envoyée par son employeur à Juarez, quelque 400 kilomètres de là, pour faire de la vérification dans une usine qui était une des clientes du cabinet. Quelques semaines après le début de la vérification, la demanderesse rentrait tard du travail lorsqu’elle a vu deux hommes forçant une femme qui criait à monter à bord d’une voiture. Elle a reconnu un des hommes comme étant le garde de sécurité qui vérifiait d’habitude les cartes d’accès des personnes, telles la demanderesse, qui pénétraient dans les locaux de l’usine. La demanderesse s’est enfuie en montant à bord d’un autobus qui passait par là. L’autobus s’est arrêté à un terrain vague près de l’hôtel où elle demeurait et une personne, sans doute complice de l’enlèvement de la femme, a abordé la demanderesse. La demanderesse a été menacée à l’aide d’un couteau et elle était prétendument sur le point d’être assassinée lorsque son assaillant a été appelé ailleurs par un de ses complices. La demanderesse a été malmenée et avertie de ne pas s’adresser à la police. Son sac à main, qui contenait plusieurs de ses pièces d’identité, a été volé. La demanderesse a regagné son hôtel, où un de ses amis ainsi que le personnel de l’hôtel lui ont conseillé de signaler l’incident à la police. La demanderesse ne l’a pas fait. L’ami a plus tard convenu qu’étant donné la situation, il serait malavisé de s’adresser à la police. La demanderesse a subséquemment cherché à obtenir des soins médicaux, en prétendant avoir été agressée seulement. Elle a vite quitté le Mexique pour les États-Unis et, quelques jours plus tard, elle est entrée au Canada.

 

[10]     Je suis d’accord que, selon son interprétation du témoignage et les questions qu’il a posées au témoin, le commissaire semble avoir mal compris une partie du témoignage de la demanderesse. Il a mal compris sa crainte, exprimée comme la crainte de « deux personnes qui font partie de la mafia, qui sont impliquées dans des enlèvements, des actes de torture ainsi que dans la disparition et l’assassinat de jeunes femmes à Juarez, Chihuahua, et qui ont proféré des menaces à mon endroit » dans une déclaration qu’a faite la demanderesse – qui parle avec peine l’anglais – lorsqu’elle est entrée au Canada. D’après le commissaire, cette déclaration signifiait que la demanderesse avait été témoin de l’assassinat de deux femmes. L’interrogatoire portant sur ce sujet, ainsi que sur des sujets connexes, tel que consigné dans la transcription, démontre que le commissaire n’a pas bien compris l’expérience vécue par la demanderesse principale.

 

[11]       Cependant, malgré ces malentendus, il reste à trancher la question de l’obligation de solliciter la protection de l’État.

 

LA PROTECTION DE L’ÉTAT

[12]     Rien ne prouve que les demandeurs ont à quelque moment sollicité la protection de l’État, soit-ce de la police ou d’autres au Mexique. La demanderesse principale n’a pas dévoilé la véritable nature de ses blessures lorsqu’elle a reçu des soins à l’hôpital. La direction de l’hôtel l’a avisée de signaler l’incident à la police. Son ami lui a conseillé de faire la même chose, mais a plus tard convenu que ce serait plus prudent de s’en abstenir.

 

[13]     La demanderesse principale n’a déposé aucune preuve qu’elle a signalé l’incident à son employeur, un cabinet d’experts‑comptables international, afin de solliciter des conseils et de l’aide. Elle a tout simplement fui le Mexique et est entrée au Canada.

 

[14]     L’avocat de la demanderesse soutient que la corruption est très répandue au sein de la police mexicaine et il mentionne plusieurs articles à cet égard.

 

[15]     Le commissaire a conclu que, même si des policiers commettaient des abus de pouvoirs dans certains cas, le Mexique avait mis en œuvre des mécanismes pour s’attaquer à ces problèmes.

 

[16]     Il incombe aux demandeurs de prouver de façon claire et convaincante que la protection de l’État n’existe pas ou qu’il serait vain de rechercher cette protection. On prétend qu’il suffit aux demandeurs d’avoir une crainte subjective. Tel n’est pas le cas. Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a donné des directives claires : il y a une présomption réfutable relative à la protection de l’État et bien que, dans certaines situations, la crainte subjective que l’État est incapable d’offrir une telle protection puisse suffire, le demandeur doit prouver d’une façon claire et convaincante que la protection de l’État n’existe pas.

 

[17]     En l’espèce, la demanderesse habitait à plusieurs centaines de kilomètres de l’endroit où les incidents en question se sont produits. Elle n’a jamais communiqué avec la police, ni là où elle habite ni là où les incidents se sont produits. Rien ne prouve qu’elle a parlé à son employeur pour obtenir de l’aide. Elle n’a signalé l’incident à personne; elle est simplement entrée au Canada. Le commissaire a conclu qu’il n’y avait pas de preuve claire et convaincante quant à l’absence de la protection de l’État. Je juge que cette conclusion était raisonnable.

 

LA CONCLUSION

[18]     La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties sont d’accord que l’affaire repose sur des faits qui lui sont propres et qu’il n’y a aucune question à certifier. Aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT

Pour les motifs qui précèdent,

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question n’est certifiée.
  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« Roger T. Hughes »

                                                                                                                      Juge            

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-5068-07

 

INTITULÉ :                                       ROCIO ECHAVARRIA CONTRERAS et al. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Hughes

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 juin 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pablo Fernandez-Davila                                              POUR LES DEMANDEURS

Téléphone : 613-565-8686

Télécopieur : 613-565-8989

 

Brian Harvey                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Téléphone : 613-957-4838

Télécopieur : 613-954-1920

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pablo Fernandez-Davila                                              POUR LES DEMANDEURS

Avocat

162, avenue Laurier Ouest

Ottawa (Ontario)  K1P 5J4

 

Brian Harvey                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice du Canada

Section du contentieux des affaires civiles

234, rue Wellington, Tour Est

Ottawa (Ontario)  K1A 0H8

 

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