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Date : 20080630

Dossier : IMM-4908-07

Référence : 2008 CF 818

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2008 

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

DMYTRO MATVISYK

 

            demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               Dmytro Matvisyk est le demandeur de la présente demande de contrôle judiciaire. Il est citoyen de l’Ukraine dont la demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (le tribunal ou la SPR), le 30 octobre 2007.

 

[2]               Le tribunal a estimé que « le témoignage du demandeur d’asile n’était pas crédible en ce qui concerne les éléments importants du récit ». Il a en outre jugé que le demandeur n’était « pas plus crédible que ses documents ».

 

[3]               Le demandeur a contesté la décision du tribunal en se fondant sur deux motifs :

 

  • Il a été privé d’une audience équitable lorsque le tribunal a omis de recourir à un formulaire d’obtention de renseignements (FOR) pour obtenir copies d’un procès de l’Ukraine et qu’il a subséquemment conclu que ses documents n’étaient pas authentiques;

 

  • Les conclusions du tribunal concernant la crédibilité ne tenaient pas compte de la preuve et/ou étaient fondées sur des facteurs non pertinents.

 

Les faits

[4]               Le demandeur s’est enfui de l’Ukraine et est arrivé au Canada le 23 septembre 2004. Il craint d’être persécuté par un gang de trafiquants de drogue et il affirme qu’il ne reçoit aucune protection du service de police, car celui-ci entretient des liens avec les trafiquants de drogue. Alors qu’il étudiait à l’université, le leader du gang, Ivan, lui avait demandé de les aider à vendre de la drogue sur le campus et il a refusé. Il prétend avoir été attaqué à trois reprises en raison de son manque de collaboration :

 

  • La première fois, le 10 octobre 2003; il a été amené à l’hôpital pour recevoir des soins et a obtenu son congé le jour même. Il déclare que le médecin de l’hôpital a appelé les policiers, que ceux-ci ont rédigé un rapport, [traduction] « mais n’ont offert aucune aide »;

 

  • Le 24 décembre 2003, il a été attaqué une deuxième fois par des membres du gang qui [traduction] « [l]’ont gravement battu et laissé sur le sol, ensanglanté ». Après huit jours d’hospitalisation, il a obtenu son congé. Il a écrit dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que le médecin a appelé les policiers, qui ont rédigé un rapport et s’en sont allés; [traduction]  « comme la fois précédente, les policiers n’ont rien fait »;

 

  • Le 16 avril 2004, il a été attaqué une troisième fois; il affirme qu’il a été battu jusqu’à en perdre connaissance et qu’il s’est réveillé à l’hôpital où il a séjourné pendant deux semaines. Il dit : [traduction] « Le médecin a appelé les policiers, mais ils n’ont rien fait. »

 

[5]               Dans son FRP, il mentionne un autre incident qui s’est produit le 4 avril 2004, lors d’une fête à l’université. Il écrit qu’il a été abordé par Ivan et trois autres personnes qui avaient pris part à une agression précédente. Il a été battu à nouveau. Il écrit : [traduction] « Ils m’ont laissé un sac de pilules et m’ont dit que si je ne les vendais pas et ne leur rapportais pas l’argent dans les jours suivants, qu’ils me tueraient. » Il a apporté les pilules au poste de police. Les policiers ont pris les pilules, rédigé un rapport et dit qu’ils communiqueraient avec lui, une fois l’enquête terminée, mais [traduction] « ils n’ont jamais communiqué avec moi par la suite. »

 

La première audience

[6]               La demande d’asile du demandeur a été entendue par deux tribunaux. Le premier tribunal a commencé l’audience le 6 octobre 2005. Il a reçu du demandeur la preuve documentaire suivante :

 

  • Un certificat délivré au demandeur par l’hôpital municipal d’urgence de Lviv confirmant qu’il a été traité, le 10 octobre 2003, au service de traumatologie et dirigé ensuite vers une clinique externe pour recevoir d’autres traitements (dossier certifié du tribunal (DCT), volume 1, page 153);

 

  • Un extrait des dossiers médicaux de l’hôpital régional de Lviv indiquant que le demandeur a été admis le 16 avril 2004 souffrant « d’une commotion cérébrale, d’ecchymoses et d’éraflures à la tête, de blessures par pénétration et d’hématomes sur diverses parties du corps, particulièrement prononcés dans la région de l’abdomen  » et qu’il a obtenu son congé le 29 avril 2004 (DCT, volume 1, page 155);

 

  • Une lettre datée du 17 octobre 2003 du bureau de police de district de la rue Horodotska dans la ville de Lviv, selon laquelle le service de police a examiné, le 10 octobre 2003, sa plainte relativement aux blessures infligées, et comme il était impossible d’identifier les coupables, il a été incapable de mener une enquête criminelle sur la question (DCT, volume 1, page 161);

 

  • Une lettre datée du 2 mars 2004 du même bureau de police de district, en réponse à sa plainte datée du 25 décembre 2003, formulée à l’hôpital d’urgence relativement à une agression commise contre lui par un groupe de personnes le 24 décembre 2003 et ayant donné lieu à des blessures corporelles graves. Le demandeur a été informé qu’il était impossible d’ouvrir une enquête criminelle à ce sujet en raison de renseignements insuffisants sur le fait lié à l’infraction et aux personnes l’ayant commise. Elle a été signée par un policier du nom de G.D. Ponomarenko (DCT, volume 1, 159).

 

[7]               À cette audience qui a été tenue le 6 octobre 2005, la question de l’authenticité de ces documents a été soulevée. Avec l’accord de l’avocat du demandeur et de l’agent de protection des réfugiés (APR), le tribunal a envoyé un formulaire d’obtention de renseignements (FOR) à la Section de recherche de renseignements précis (SRRP) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

 

[8]               La SRRP a ensuite demandé au moyen d’une requête datée du 21 novembre 2005 que l’ambassade canadienne à Kiev (l’ambassade) mène les enquêtes appropriées. En janvier et février 2006, la SRRP a reçu trois réponses de l’ambassade; elle les a communiquées à l’APR, lequel a ensuite transmis une copie des renseignements à l’avocat du demandeur.

 

[9]               L’ambassade a avisé les hôpitaux mentionnés dans la preuve documentaire du demandeur, lesquels l’ont informée que les documents censés provenir d’eux étaient faux, car ils ne détenaient aucun dossier indiquant que le demandeur avait reçu des soins médicaux dans leurs établissements.

 

[10]           L’ambassade a également donné son avis concernant l’authenticité des lettres provenant du bureau de police de district de la rue Horodotska dans la ville de Lviv que le demandeur a produites en preuve. Elle a indiqué que l’un de ses représentants avait communiqué anonymement avec le poste de police et que l’adresse du poste de police était exacte, mais le numéro de téléphone ne l’était pas. En outre, en ce qui a trait à la plainte formulée concernant l’attaque du 24 décembre 2003, il n’y avait aucun policier du nom de G.D. Ponomarenko à ce bureau de police de district. De plus, le service de police a dit à l’ambassade : [traduction] « Les certificats semblent faux car ils ne sont pas marqués d’un sceau quelconque, etc. »

 

[11]           Le tribunal a repris l’audience sur la demande d’asile du demandeur le 11 mai 2006. Le demandeur a été invité à expliquer les renseignements reçus de la SRRP et de l’ambassade. Il a déclaré que des policiers avaient rencontré son père à son domicile le 5 janvier 2006 et qu’ils l’avaient interrogé au sujet du demandeur; ils (les policiers) semblaient savoir que les rapports d’hôpitaux qu’il avait produits au tribunal pour confirmer ses séjours à l’hôpital avaient été envoyés en Ukraine à des fins de vérification. Il a déclaré que les policiers avaient exercé des pressions sur les hôpitaux pour que soient rédigés de faux rapports indiquant qu’il n’avait jamais reçu de soins de leurs établissements (DCT, volume 2, page 203) et qu’ils avaient exercé ces pressions parce qu’ils étaient associés aux trafiquants de drogue (DCT, volume 2, pages 309 et 310).

 

[12]           Interrogé concernant le fait d’avoir fourni un numéro de téléphone inexact pour le bureau de police de district, il a répondu qu’il avait effectué des recherches sur Internet, trouvé le site Web de la municipalité et téléchargé le numéro de téléphone du bureau de police de district, ce qui lui a confirmé que son document contenait le bon numéro de téléphone du poste de police.

 

[13]           Lors de l’audience du 11 mai 2006, le demandeur a également été interrogé concernant la signification d’un autre document qu’il avait produit, à savoir deux extraits de son carnet de santé : l’un daté du 23 octobre 2003 et l’autre, du 16 avril 2004 (DCT, volume 2, page 203). Le demandeur a déclaré que son carnet de santé, délivré au moment de sa naissance en 1982, indiquait tous les soins médicaux qu’il avait reçus. Il a confirmé que ces extraits avaient été écrits par son médecin de famille et non par les médecins qui l’ont traité dans les deux hôpitaux auxquels il fait référence dans ses documents.

 

[14]           On a ensuite demandé au demandeur s’il détenait des renseignements quelconques sur les médecins qui l’avaient traité. Dans le DCT, volume 2, page 314, il a déclaré que son père avait communiqué avec le médecin qui l’avait traité en octobre 2003 et lui avait demandé pourquoi l’hôpital avait écrit qu’il n’avait pas traité son fils. Il a déclaré que le médecin avait répondu à son père que les renseignements fournis par l’hôpital étaient inexacts et qu’en réalité, il avait effectivement traité son fils. Il a déclaré que le médecin avait demandé à l’hôpital de justifier ce faux rapport, qu’il avait été congédié pour cette raison et qu’il avait poursuivi l’hôpital pour congédiement injustifié. Il a indiqué qu’il pourrait, dans un délai d’un mois, obtenir des renseignements sur le procès, car le médecin avait dit à son père qu’il consentirait à fournir ces documents judiciaires. Il a également déclaré que le médecin avait informé son père par la suite que la Cour avait tranché en sa faveur.

 

[15]           Après discussion avec le demandeur et l’APR, le tribunal a convenu que la question ayant trait à l’accès aux documents judiciaires devait être poursuivie et il a ajourné l’audience relative à la demande d’asile du demandeur au 7 septembre 2006.

 

[16]           Avant la reprise de l’audience du 7 septembre 2006, l’avocat du demandeur a informé l’APR que le demandeur lui avait dit que le médecin en question avait peur de faire parvenir le récent jugement de la cour, car il craignait des représailles. L’avocat a proposé de tenter d’obtenir le jugement de la cour en recourant à d’autres moyens, notamment en s’adressant directement au tribunal de l’Ukraine, en demandant au père du demandeur de déployer d’autres d’efforts à cette fin ou en envoyant un deuxième FOR.

 

[17]           L’audience qui a été tenue en septembre a porté principalement sur la nécessité d’obtenir la décision judiciaire ukrainienne. Au tribunal qui disait douter que l’ordonnance de la cour comprenne des renseignements sur l’hospitalisation du demandeur, l’avocat du demandeur a répondu qu’elle ferait probablement référence au demandeur, puisque le médecin avait été congédié lorsqu’il avait contesté la déclaration de l’hôpital voulant qu’il n’ait jamais traité le demandeur. Le tribunal est demeuré sceptique quant à la question de savoir si l’obtention de l’ordonnance de la cour pourrait faciliter la tâche du tribunal. L’avocat du demandeur a admis qu’il faisait des conjectures au sujet de ce que l’ordonnance de la cour pourrait révéler. L’APR a indiqué que la crédibilité était la principale question à trancher en l’espèce et que, même s’il affirmait que personne ne savait réellement ce que le document judiciaire pourrait indiquer en fin de compte, il estimait qu’il s’agissait pour le demandeur d’une occasion de produire des éléments de preuve. Il a ajouté que ceux-ci auraient une incidence importante sur sa crédibilité. Il a proposé, tout en reconnaissant qu’il n’y avait aucune garantie quant à son contenu et qu’il faudrait peut-être investir beaucoup plus de temps pour l’obtenir sans garanties, qu’il serait peut-être dans l’intérêt supérieur du demandeur de lui donner cette occasion (dossier certifié du tribunal, pages 349 à 351).

 

[18]           Après avoir examiné la question, le tribunal, malgré ses réserves quant au contenu possible du document judiciaire, a déclaré à la page 353 du volume 2 du DCT : [traduction] « Toutefois, étant donné la gravité de la question que nous traitons ici, à savoir la question de crédibilité, je crois que nous devrions au moins, si cela est possible, tenter d’obtenir ces renseignements une fois de plus. » L’audience a été ajournée au 4 décembre 2006.

 

[19]           L’audience qui a eu lieu le 4 décembre 2006 a été de courte durée, car le tribunal n’avait toujours pas accès au document de la cour ukrainienne. Des discussions ont eu lieu quant à la raison pour laquelle le père du demandeur ne pouvait pas obtenir ce document. Dans le DCT, volume 2, page 378, l’APR a confirmé qu’une démarche avait été convenue, selon laquelle le tribunal demanderait d’abord à l’avocat du demandeur s’il pourrait obtenir le document en déployant des efforts de son côté et, dans la négative, le deuxième FOR serait expédié. Le 4 décembre 2006, le président de l’audience a signé le deuxième FOR en date de ce jour et l’a envoyé au SRRP, lui demandant [traduction] « d’obtenir l’ordonnance de la cour délivrée en août 2006 par le tribunal de […] relativement à la poursuite intentée par le Dr […] pour congédiement injustifié contre le service de soins de santé du conseil municipal de Lviv … ».

 

[20]           Durant l’audience, la commissaire a souligné qu’il était important d’obtenir les résultats du deuxième FOR le plus tôt possible, étant donné que sa nomination à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié prendrait fin le 19 janvier 2007. L’audience a ensuite été ajournée au 15 janvier 2007; l’avocat et l’APR ont demandé à être informés de l’évolution du dossier entre-temps.

 

[21]           Le deuxième FOR a été envoyé à l’ambassade située à Kiev qui a fait savoir, peu de temps après, que la demande relative à l’ordonnance de la cour ukrainienne devrait être faite par l’intermédiaire du ministère des Affaires étrangères de l’Ukraine, car [traduction] « les tribunaux ne divulgueront pas de renseignements à des tiers ».

 

[22]           Le tribunal a repris l’audience le 15 janvier 2007. À cette audience, l’APR a soulevé la question de savoir si [traduction] « la poursuite de cette recherche pourrait ne pas constituer un exercice raisonnable » pour les trois motifs suivants : il est possible que le jugement de la cour ne fasse pas mention  de la situation du demandeur; il semble que le jugement ait été porté en appel et il peut s’écouler beaucoup de temps avant d’obtenir une réponse. Par ailleurs, il a indiqué qu’il pourrait être également raisonnable de poursuivre les démarches, puisqu’une nouvelle recherche avait permis de découvrir le nom du juge et le numéro de dossier de la cour et que ces renseignements pourraient accélérer les choses. À cet égard, l’APR a souligné que la crédibilité était une question fondamentale.

 

[23]           À l’audience du 15 janvier 2007, l’avocat du demandeur a accepté de poursuivre les démarches. Il a fait observer que les documents provenant de la SRRP étaient extrêmement préjudiciables et que certains indices permettaient de croire que les renseignements pouvaient être biaisés et que, dans les circonstances, le demandeur devrait avoir la possibilité de répondre ou d’obtenir des renseignements additionnels (DCT, volume 2, pages 398 à 401).

 

[24]           Le tribunal a convenu que la prochaine étape consisterait à envoyer le numéro de dossier de la cour ukrainienne à la SRRP et qu’advenant l’obtention d’une réponse, [traduction] « la cour fournirait probablement assez de renseignements pour permettre à un autre commissaire de déterminer à quel moment suffisamment d’efforts auront été déployés pour obtenir autant de renseignements que possible et ensuite de poursuivre en rendant une décision ». [Non souligné dans l’original.]

 

Le deuxième tribunal

[25]           Le nouveau tribunal s’est réuni le 1er août 2007 pour une instruction de novo. Il a commencé par l'étape de la conférence préparatoire en présence d’un nouvel APR et de l’avocat du demandeur, et il a conclu en les convoquant à une audience pour entendre le témoignage du demandeur.

 

[26]           À l’étape de la conférence préparatoire, le nouveau tribunal a vérifié l’état de la preuve documentaire et si ce qu’il avait en sa possession était complet.

 

[27]           L’avocat du demandeur a alors demandé au nouveau tribunal si le premier tribunal avait demandé que les extraits du carnet de santé du demandeur produits en preuve soient vérifiés. Il a indiqué que le tribunal précédent avait gardé en sa possession le carnet de santé du demandeur : [traduction] « C’est  pour cela que la commissaire le gardait avec elle. Parce que nous avions justement envisagé de faire vérifier le carnet. » (DCT, volume 2, page 416). Consécutivement à cette assertion, le président de l’audience a déclaré : [traduction] « Il incombe au demandeur d’asile de prouver ses prétentions, et je ne pense pas que nous, la commission, soyons un organisme d’enquête chargé de le faire. Je crois que certains documents préoccupaient la commissaire. Ils ont été envoyés. Nous avons déjà une réponse concernant ces documents. Et je crois que le demandeur s’en est inspiré pour donner ses réponses à plusieurs moments au cours de l’audience. Par conséquent, nous pouvons peut-être clarifier sa situation actuelle (il vit au Canada depuis maintenant près de trois ans) et voir en quoi consiste la crainte qu’il éprouve, en ce moment, de retourner en Ukraine. » Lorsque le tribunal a demandé à l’avocat du demandeur s’il voulait aborder d’autres points, ce dernier a déclaré qu’il était uniquement préoccupé par le statut de la demande relative à l’ordonnance de la cour. Le tribunal a alors répondu : [traduction] « Je n’ai pas l’intention de repousser le procès pour attendre que cette requête me parvienne. Jusqu’à présent, je n’ai pas eu vent qu’elle a été reçue. » L’APR a répondu en affirmant qu’elle n’était pas « vraiment certaine de son importance par rapport à la demande d’asile du demandeur. Je veux dire que, si le médecin était ici et faisait une demande d’asile, elle serait fondamentale, mais en ce qui a concerne le demandeur, elle est très accessoire, je crois. » L’avocat du demandeur a réagi à cette déclaration en disant : [traduction] « Je ne suis pas de cet avis. » (DCT, volume 2, page 417).

 

[28]           Le tribunal a terminé la conférence préparatoire en répétant : [traduction] « la commission n’est pas un tribunal d’enquête. Je suis uniquement tenu d’examiner si le demandeur d’asile a démontré le bien-fondé de sa demande et de la crainte qu’il éprouve en ce moment de retourner dans son pays, c’est-à-dire s’il a démontré le bien-fondé de tous les aspects de sa demande et si la crainte qu’il éprouve à l’idée d’un éventuel retour est justifiée. Cela étant dit, vous pouvez, bien sûr, approfondir ces questions vous-même ou avec le demandeur. Toutefois, j’estime que l’affaire perdure depuis un bon moment déjà. Je crois qu’il souhaiterait probablement que l’on tire une conclusion à cet égard, pour voir ce qui se passera. Par conséquent, je pense que nous pourrions peut-être passer à l’instruction. » (CTR, volume 2, page 418).

 

[29]           Le tribunal a commencé l’audience en indiquant au demandeur ce qui s’était passé lors de la conférence préparatoire. Le tribunal a mentionné la demande de renseignements et la requête particulière visant les documents judiciaires et il a déclaré à propos de ces derniers : [traduction] « Autant que je sache, aucune réponse n’a été obtenue. Toutefois, certains points émanant de renseignements précédemment fournis de même que la confirmation envoyée en Ukraine ont fait l’objet d’un examen, et vous avez été interrogé à ce sujet par la commissaire précédente. Je le sais, parce que j’ai en ma possession une transcription que j’ai lue… » (DCT, volume 2, page 420). 

 

[30]           La commissaire a affirmé à la même page de la transcription [traduction] « nous allons commencer l’instruction. La question ou les questions demeurent sans réponse, et il vous incombe d’établir le bien-fondé de votre demande d’asile au regard de votre situation concernant la criminalité, la corruption ou le fait d’avoir été la victime d’un crime commis en Ukraine; de dire en quoi consiste la crainte que vous éprouvez en ce moment ou quels seraient les préjudices qui vous seront causés si vous retournez en Ukraine. Je dispose donc pour ce faire de vos témoignages antérieurs, et vous aurez l’occasion de vous expliquer et de répondre à davantage de questions aujourd’hui et, plutôt que d’attendre des réponses, il serait préférable de régler cette question, car vous voudriez que l’on statue sur votre demande, vous souhaiteriez obtenir une réponse concernant votre demande d’asile. Le facteur déterminant est donc ici la crédibilité et la question de savoir si des préjudices vous seront causés si vous retournez dans votre pays et si les documents que vous avez produits sont crédibles. Pour y parvenir, nous donnerons la possibilité de répondre aux questions. »

 

[31]           Deux pages plus loin dans la transcription, le tribunal insiste encore une fois sur la crédibilité. Elle reconnaît la crédibilité du document présenté par le demandeur et en s’adressant à lui, elle dit : [traduction] « Il est important que je vous croie. »

 

[32]           L’audience s’est ensuite poursuivie avec plusieurs questions de la part de l’APR (DCT, volume 2, pages 423 à 454) portant notamment sur sa crainte de subir des préjudices s’il retournait en Ukraine aujourd’hui; la question de savoir si les rapports médicaux ont mentionné les causes de ses blessures; ce qui expliquait certaines omissions dans son FPR, par exemple, pourquoi il n’a pas mentionné que la police était derrière Ivan; ce qu’il attendait du service de police, étant donné qu’il ne connaissait pas le nom de famille d’Ivan; les conséquences de la divulgation de son nom aux autorités, ce à quoi il a répondu qu’il n’était pas certain qu’il s’agissait d’une fuite de la part de l’ambassade; une contradiction évidente dans son témoignage sur ce point; ses nombreux déplacements à l’extérieur de l’Ukraine; ses deux rencontres avec Ivan dans les locaux de son employeur sans informer ce dernier qu’Ivan était un trafiquant de drogue; l’absence de mention dans son FRP de la crainte qu’il éprouvait à l’égard de son employeur; du parrainage au Canada de son père et de son frère par la deuxième femme de son père; de la possibilité que le médecin craigne des représailles et qu’il refuse de lui faire parvenir les documents judiciaires.

 

[33]           À la page 454, le président de l’audience a posé quelques questions particulièrement sur le fait que la femme de son père vive au Canada et qu’elle ait parrainé son père et son frère.

 

[34]           Lorsque le président de l’audience lui a demandé expressément : [traduction] « Alors, de nombreuses questions ont été soulevées à l’audience précédente concernant les extraits du carnet de santé et la réponse que nous avons reçue. Avez-vous autres choses à ajouter? Le cas échéant, je vous donne maintenant l’occasion de le faire. ». Le demandeur a répondu : [traduction] « Non, j’ai dit tout ce que j’avais à dire » puis il a ajouté : « Je souhaite uniquement que l’on puisse tenter de vérifier si mon médecin a été entendu en Ukraine. » Je reproduis la réponse du président de l’audience à ce commentaire dans le DCT, volume 2, page 459 :

 

[traduction] Monsieur, je veux tout simplement que vous sachiez comment notre (inaudible) organisation, dont le fonctionnement vous a été expliqué je crois, effectue ses enquêtes dans d’autres pays. Elles sont très confidentielles. À la présente étape, il vous incombe d’établir le bien-fondé de votre demande d’asile et, de mon côté, je dois évaluer si la crainte que vous éprouvez à l’heure actuelle à l’idée d’un éventuel retour est justifiée. Je vous donne l’occasion de vous expliquer, de me faire part de vos motifs. Quant aux documents judiciaires auxquels vous faites référence, Monsieur, même s’ils étaient vérifiés, comment quelqu’un serait-il en mesure de dire qu’ils l’ont été, que ces choses se sont vraiment produites parce qu’une enquête a été tenue. Comme il a déjà été dit, la Commission n’est pas une unité chargée de faire enquête. Toutefois, je prendrai en considération, aujourd’hui, tout ce que vous avez affirmé lors des séances antérieures, tous les documents qui m’ont été présentés. Mais à cette étape-ci, je dois donner à l’avocat l’occasion de poser ses questions dans le cadre d’un nouvel interrogatoire. D’accord?

 

[35]           L’avocat du demandeur a d’abord montré à ce dernier son carnet de santé. Quand il lui a demandé quels renseignements il contenait, le demandeur lui a répondu que tous ses antécédents médicaux s’y trouvaient. Il a confirmé que seulement deux extraits avaient été traduits : l’inscription du 23 octobre 2003 et celle du 16 avril 2004. Lorsqu’on lui a demandé comment son médecin de famille pouvait savoir ce qu’il devait écrire, il a répondu que son médecin de famille avait appelé l’hôpital; il a confirmé qu’aucune demande de vérification indépendante du carnet de santé n’avait été effectuée.

 

[36]           Son avocat lui a ensuite demandé s’il pouvait décrire Ivan physiquement; il a dit qu’il était grand, puis il a ajouté qu’il avait fourni une description de ce dernier au service de police et qu’il avait indiqué qui étaient ses acolytes.

 

[37]           Le demandeur a dit à son avocat que son père avait reçu des appels anonymes récemment; au cours de l’un de ces appels, on lui a demandé des renseignements à son sujet, tandis que les autres fois, on ne faisait qu’appeler et raccrocher. Il croit que les appelants sont des personnes qui le recherchent, car il détient des renseignements étant donné qu’il a été témoin d’un déchargement de caisses dans les locaux de son employeur et qu’il pense que ces caisses contenaient de la drogue.

 

[38]           À la question : « Pensez-vous que vous pourriez obtenir la protection de quiconque en Ukraine, aujourd’hui, si vous y retourniez? » posée par son avocat, le demandeur a répondu « Non ».

 

[39]           Dans un argument invoqué devant le tribunal, à la page 466 du volume 2 du DCT, l’avocat du demandeur a fait des observations concernant la crédibilité des documents. Il a expliqué que le demandeur d’asile avait produit une preuve qui faisait grandement douter des conclusions de la SRRP, particulièrement en ce qui a trait à la question du numéro de téléphone inexact. Il a dit qu’à son avis ce facteur et la déclaration du demandeur selon laquelle les policiers se seraient rendus au domicile de son père après que la demande de vérification eût été effectuée auprès de l’ambassade située à Kiev, ont incité le premier tribunal à vouloir obtenir des renseignements démontrant que le demandeur avait reçu des soins médicaux. Il a indiqué que le demandeur a fait tout ce qu’il pouvait pour obtenir les preuves, allant même jusqu’à obtenir le numéro de dossier de la cour et le nom des plaideurs. Il a affirmé que les renseignements concernant la poursuite judiciaire étaient importants. Il a souligné que la reconnaissance de la qualité de réfugié est de nature prospective et que son témoignage démontre le bien-fondé d’un autre élément de sa crainte – la crainte du service de police qui s’est manifestée après qu’il eût quitté l’Ukraine et préparé son FRP.

 

[40]           L’avocat du demandeur d’asile a soutenu que son client s’attendait légitimement à ce que les documents et les renseignements qu’il avait fournis soient vérifiés, puisque que c’est le tribunal lui-même qui avait entrepris la démarche. Il a fait valoir que le demandeur avait produit son carnet de santé, document très fiable faisant état de tous ses antécédents en matière de soins de santé sans égard à quelque demande d’asile que ce soit, sur lequel se sont appuyés les tribunaux précédents. Comme le carnet contenait des notes sur les incidents d’octobre 2003 et d’avril 2004, l’avocat du demandeur a prétendu qu’il s’était acquitté de son obligation de prouver qu’il avait demandé des soins médicaux lors de ces incidents, faisant ainsi douter davantage des conclusions de la SRRP.

 

[41]           Il a fait valoir que M. Matvisyk a produit une preuve crédible, démontrant qu’il avait été blessé; les blessures correspondaient à celles d’une personne battue, et le rapport du médecin canadien ajoute foi à cette déclaration.

 

[42]           Il a souligné que la situation est difficile en Ukraine : souvent les policiers ne sont pas étrangers aux activités illicites et sont soudoyés, ce qui correspond aux allégations faites par le demandeur. Le fondement objectif de sa crainte a été établi.

 

La décision du tribunal

[43]           Le tribunal a déclaré que les questions déterminantes étaient la crédibilité et la protection de l’État.

 

[44]           Le tribunal a rejeté la demande de protection fondée sur l’article 96 de la LIPR visant à lui faire reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention. Il a conclu qu’il n’existait aucun lien entre les cinq motifs énoncés dans la Convention et sa crainte à l’égard de gangs criminels. Le tribunal a décidé d’évaluer la demande d’asile du demandeur en vertu de l’article 97 de la LIPR. La conclusion du tribunal selon laquelle l’article 96 ne s’applique pas n’a pas été contestée par l’avocat du demandeur.

 

[45]           Le tribunal a entrepris son évaluation de la crédibilité en indiquant sur quel fondement il s’appuierait pour justifier sa conclusion selon laquelle les documents et le témoignage du demandeur n’étaient pas crédibles. Il a déclaré ce qui suit :

 

Le tribunal a pris en compte le témoignage du demandeur d’asile dans son ensemble. Il a aussi pris en considération son âge, son éducation, les différences culturelles et le stress associé à la salle d’audience qui a pu influer sur le témoignage qu’il a livré.

 

Le tribunal n’estime pas crédible le témoignage du demandeur d’asile pas plus que ses documents.

 

Documents

Le premier tribunal a envoyé les extraits du rapport médical afin qu’ils soient vérifiés et selon l’information reçue, la lettre de l’hôpital est fausse. Le demandeur d’asile a ensuite fourni un présumé carnet de santé. Dans son témoignage, il a également déclaré que le médecin a été congédié et qu’il existait des documents judiciaires, dont le premier tribunal a demandé la vérification.

 

La décision du premier tribunal de faire vérifier les documents judiciaires présumés ne lie pas le présent tribunal. Cependant, il incombe au demandeur d’asile de présenter tous les aspects de sa demande d’asile.

 

Il y a eu des omissions et des incohérences qui n’ont pas été expliquées de façon satisfaisante.

 

[46]           Sous la rubrique « Préjudice en Ukraine », le tribunal a déclaré : « Le tribunal estime que les éléments de preuve produits à l’appui des allégations du demandeur d’asile ne sont pas crédibles et n’établissent pas qu’il risque de subir un préjudice s’il retourne en Ukraine. »

 

[47]           Pour justifier cette conclusion, le tribunal a examiné en détail les faiblesses de ses éléments de preuve. Je signale ce qui suit en particulier :

 

  • Il était certain que le service de police appuyait le groupe criminel en février 2004. Pourtant lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas donné cette information dans son FRP, il a répondu qu’il a oublié de le faire, mais il estime maintenant qu’il aurait été important de la mentionner;

 

  • Lorsqu’on lui a demandé s’il avait mentionné le nom d’Ivan aux policiers, il a d’abord répondu qu’il ne s’en souvenait pas; ensuite il a déclaré se souvenir de leur avoir indiqué le prénom au service de police en octobre 2004, mais lorsqu’on lui a demandé s’il en était sûr, il a dit qu’il n’était pas certain, mais que cela aurait pu être en 2003;

 

  • Il a affirmé avoir remis le rapport du médecin aux policiers pour étayer sa plainte; on a fait observer au demandeur que le rapport du médecin n’indiquait pas qui était responsable de ces blessures. Le tribunal a affirmé que le demandeur d’asile n’a pas répondu à la question et que lorsqu’on lui a demandé de le faire, il a répondu que le rapport n’indiquait rien de tel;

 

  • Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il soupçonnait les policiers, il a affirmé qu’ils n’avaient pas donné suite à ses rapports et qu’ils avaient menacé son père lorsqu’ils se sont rendus à son domicile, une fois le processus de vérification lancé;

 

  • Le tribunal a indiqué que le demandeur continuait d’allonger la liste des personnes qu’il craignait, et qu’il ne le faisait pas de façon spontanée, mais dans le cadre de l’interrogatoire serré mené par l’APR.

 

[48]           Le tribunal s’est appuyé sur d’autres éléments de son dossier pour tirer une conclusion défavorable au regard des omissions dans son FRP et des incohérences dans son témoignage, « ce qui entache sa crédibilité générale ».

 

[49]           Quelques exemples suffisent :

 

  • Les réponses confuses qu’il a données lorsqu’on lui a demandé si le service de police avait appris qu’il était au Canada du fait que la vérification avait été faite par l’ambassade;

 

  • Il a omis de mentionner dans son FRP qu’il était de notoriété publique que le service de police et les entreprises collaboraient avec les trafiquants de drogue;

 

  • Il a omis de mentionner dans son FRP que le directeur de l’entreprise pour laquelle il travaillait était peut-être de connivence avec les trafiquants de drogue.

 

[50]           Le tribunal a conclu qu'il était invraisemblable que ses amis qui vivaient dans la même ville n’étaient pas au courant qu’Ivan le menaçait.

 

[51]           Sous la rubrique intitulée « Rapport médical », le tribunal a écrit en partie :

 

Le demandeur d’asile a indiqué que, lorsqu’il a dit à son père qu’on l’avait informé que le rapport médical était faux, ce dernier a décidé de trouver le médecin et de lui demander de fournir des documents. Le demandeur d’asile a déclaré que le médecin avait été congédié, qu’il y avait eu un procès et que cela avait déjà fait l’objet d’un règlement. Selon le témoignage du demandeur d’asile, son père l’a informé après mars 2006, et, dès août 2006, le dossier était clos.

 

Lors de la précédente audience, le commissaire a prié le demandeur d’asile de produire des documents judiciaires, mais le conseil avait écrit que la famille du demandeur d’asile n’était pas en mesure d’obtenir ces documents et avait demandé à la Commission de les obtenir.

 

Le tribunal estime qu’il incombe au demandeur d’asile de présenter tous les aspects de sa demande d’asile. La Commission n’est pas un organisme d’enquête dont le mandat serait d’aller fouiller certains aspects d’une demande d’asile, et la décision du commissaire précédent ne lie pas le présent tribunal.

 

[52]           Le tribunal a ensuite examiné l’évaluation faite par le médecin du demandeur au Canada, mais ne lui a accordé aucun poids parce qu’elle était fondée sur des faits jugés non crédibles.

 

[53]           Le tribunal a ensuite examiné le fait que le demandeur n’avait pas fait mention de ses nombreux allers-retours en Pologne. Certains de ces déplacements ont eu lieu en mars 2003, d’autres en mars et en septembre 2004. Il a expliqué qu’il ne pouvait plus se rappeler étant donné qu’il était alors stressé. Le tribunal a jugé ses explications insatisfaisantes et a tiré une conclusion défavorable du fait de toutes ses omissions.

 

Analyse

a) La norme de contrôle

[54]           Il est bien établi que les questions d'équité procédurale ne sont pas assujetties à une analyse pragmatique et fonctionnelle. En règle générale, ce sont des questions de droit et la norme de contrôle qui leur est applicable est celle de la décision correcte. Voir GRK Fasteners c. Leland Industries Inc., 2006 CAF 118.

 

[55]           L’avocat du demandeur a invoqué comme autre argument que les conclusions du tribunal concernant la crédibilité n'étaient pas étayées par la preuve et/ou qu’elles étaient fondées sur des considérations non pertinentes. Là encore, il est bien établi que les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR sont des conclusions de fait pouvant faire l’objet d’un contrôle en vertu de l’article 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, selon lequel cette Cour prend  « [l]es mesures prévues… si [elle] est convaincue que l'office fédéral, selon le cas … a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier ».

 

[56]           La Cour suprême du Canada a  affirmé ce qui suit au sujet de cette disposition dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 38 :

 

38     En ce qui concerne la question de fait, le tribunal de révision ne peut intervenir que s'il est d'avis que l'office fédéral, en l'occurrence la SAI, « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » (al. 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale). La SAI peut fonder sa décision sur les éléments de preuve qui lui sont présentés et qu'elle estime crédibles et dignes de foi dans les circonstances : par. 69.4(3) de la Loi sur l'immigration. Le tribunal de révision doit manifester une grande déférence à l'égard de ses conclusions. La CAF a d'ailleurs elle-même statué que la norme de contrôle applicable à une décision sur la crédibilité et la pertinence de la preuve était celle de la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, par. 4.

 

[57]           Récemment, la Cour suprême du Canada a modifié le droit régissant la norme de contrôle. Dans l’arrêt Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, elle a instauré la norme de la raisonnabilité, faisant fondre la norme de la décision manifestement déraisonnable. L’affaire Dunsmuir mettait en cause un tribunal administratif provincial, non pas un tribunal fédéral, lequel correspond au statut de la SPR. La Cour suprême ne s'est pas encore prononcée sur les répercussions de sa modification, le cas échéant, sur la disposition législative de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales. Je crois qu’un manquement à cette disposition législative rend une décision déraisonnable.

 

b) Discussion et conclusions

[58]           L’avocat du demandeur a fait valoir que le tribunal a enfreint les principes de la justice naturelle lorsqu’il a [traduction] « omis de recourir à un deuxième FOR pour obtenir des copies du procès ukrainien ». Il prétend que le tribunal a commis une erreur quant au motif qu’il a invoqué pour ne pas l’avoir fait – soit que ce n’est pas un organisme d’enquête. Il s’est appuyé sur la décision que la Cour d’appel fédérale a rendu récemment dans la décision Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Daniel Thamotharem, 2007 CAF 198, aux paragraphes 43 à 46.

 

[59]           Avec égards, je n’interprète pas ces paragraphes de manière à soutenir le point de vue du juge Evans exprimé au nom de la Cour d’appel fédérale, portant que la procédure devant la SPR est de type inquisitoire. Le point de vue qu’il a exprimé dans ces paragraphes est plus nuancé que les déclarations faites par l’avocat.

 

[60]           Quoi qu’il en soit, la décision du tribunal ne repose pas sur cette question. Lorsque l’on examine la décision du juge dans son ensemble, on constate que le juge a décidé de ne pas accorder un autre ajournement pour attendre les résultats d’un deuxième FOR. Bien que ne faisant pas référence à l’article 48 des Règles de la SPR, l’essence de sa décision montre que le tribunal a tenu compte des facteurs pertinents. Je ne vois aucune erreur dans les conclusions du tribunal. Il incombe au demander de fournir des éléments de preuve crédibles pour étayer sa demande; il ne peut pas retarder la procédure pendant deux ans pour produire ces éléments de preuve. En outre, le premier tribunal a expressément déclaré qu’il incombait au deuxième tribunal de décider s’il devait attendre ou non.

 

[61]           Le deuxième argument avancé par l’avocat du demandeur est également rejeté. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada, il faut manifester « grande déférence » à l’égard des conclusions de faits de la SPR. Le tribunal a fondé ses conclusions relatives à la crédibilité sur un grand nombre d’omissions et d’incohérences. Il a évalué la qualité du témoignage du demandeur et l’a jugé insuffisant. Je suis d’accord pour dire que sur un ou deux points, le tribunal s’est peut-être trompé, mais lorsque la décision est considérée dans son ensemble, on ne peut pas dire qu’elle soit clairement irrationnelle ou non étayée par la preuve.

 

[62]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'a été proposée aux fins de certification.

                                                                                                          « François Lemieux »

                                                                                                ___________________________

                                                                                                                        Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Danielle Benoit

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4908-07

 

INTITULÉ :                                       DMYTRO MATVISYK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Steven Beiles

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Sally Thomas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Steven Beiles

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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