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Date : 20080627

Dossier : T-1985-07

Référence : 2008 CF 812

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2008

En présence de madame la juge Dawson

 

ENTRE :

 

DEVIL’S GAP COTTAGERS (1982) LTD.

 

 

demanderesse

 

et

 

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA BANDE DE RAT PORTAGE NO 38B,

aussi appelée la NATION WAUZHUSHK ONIGUM, et ladite

BANDE DE RAT PORTAGE NO 38B et

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET

DU NORD CANADIEN

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction et résumé des conclusions

[1]       Blackstone disait : [traduction] « [I]l est une règle générale et incontestable selon laquelle lorsqu’il existe un droit, il existe aussi un recours en justice par voie de poursuite ou d’action chaque fois qu’il est porté atteinte à ce droit »1. La présente affaire illustre cependant que ce n’est pas tout recours en justice qui est ouvert pour tout tort perçu.

 

[2]       En l’espèce, la demanderesse, Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd. (Cottagers), est une société dont les 33 actionnaires sont chacun propriétaires d’un chalet situé sur une parcelle de terrain qui fait partie des terres de réserve de la bande de Rat Portage no 38B, aussi appelée la nation Wauzhushk Onigum (la Première nation). Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre), a loué le terrain en question à Cottagers le 4 janvier 1988. Le bail a été conclu avec le consentement de la Première nation.

 

[3]       Cottagers affirme qu’une entente ayant pour objet de prolonger la durée du bail jusqu’au 31 décembre 2020 a été conclue en 1997 avec le chef et le conseil de la Première nation. Cottagers affirme en outre que, malgré cette entente, les avocats de la Première nation ont fait savoir en 2007 que la Première nation ne voulait pas prolonger le bail ni conclure un nouveau bail avec Cottagers. En conséquence, Cottagers a introduit la présente demande de contrôle judiciaire, qui vise à obtenir, entre autres choses, les réparations suivantes :

 

a)                  une déclaration selon laquelle le refus du chef et du conseil de la Première nation de prolonger le bail (la décision contestée) constitue un manquement à une obligation contractuelle préexistante envers Cottagers de prolonger la durée du bail jusqu’au 31 décembre 2020;

b)                  une déclaration selon laquelle la décision contestée est contraire à la loi;

c)                  une ordonnance de certiorari annulant la décision contestée;

d)                  une ordonnance de mandamus exigeant que la Première nation honore l’obligation contractuelle préexistante et demande au ministre de prolonger la durée du bail jusqu’au 31 décembre 2020.

 

[4]       La demande de contrôle judiciaire est rejetée parce que j’estime que le conseil de la Première nation n’agissait pas à titre d’« office fédéral » lorsqu’il a pris la décision contestée. En conséquence, la Cour n’a pas compétence pour statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire. J’exprime également des doutes quant à savoir si les brefs de prérogative que demande Cottagers lui sont ouverts, étant donné qu’il n’existe aucune obligation de droit public pouvant étayer les demandes de mandamus ou de certiorari. Ces conclusions et observations ne portent pas atteinte à la possibilité d’exercer par voie d’action des recours de droit privé.

 

[5]       Les présents motifs traitent aussi d’une requête de Cottagers sollicitant l’admission par la Cour d’éléments de preuve additionnels et des dépens. Cette requête est rejetée parce que les éléments de preuve n’aideraient pas la Cour à trancher les questions qu’elle estime déterminantes.

 

[6]       D’autre part, aucuns dépens ne sont adjugés parce que la Première nation n’a pas remis en question le bien-fondé de la demande de Cottagers et parce que la question déterminante a été soulevée par la Cour – et non par la Première nation défenderesse.

 

Les faits

[7]       Le terrain en cause est un bloc contigu de 10,34 acres situé sur la rive de Lake of the Woods, au sud de Kenora, en Ontario. Les terres ont été louées à l’origine à Chemin de fer Canadien Pacifique, puis à Devil’s Gap Lodge Limited. Cottagers s’est constituée en personne morale aux fins de reprendre le bail de Devil’s Gap Lodge Limited.

 

[8]       Le 4 janvier 1988, le ministre a conclu un contrat de bail avec Cottagers relativement au terrain. Le 14 janvier 1988, la Première nation a adopté la résolution du conseil de bande numéro 24, portant consentement au bail. Le bail était d’une durée de vingt ans, commençant le 1er janvier 1985 et se terminant le 31 décembre 2004. Le bail conférait aussi à Cottagers un droit de renouveler le bail pour une période additionnelle de trois ans, du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007.

 

[9]       Le 23 août 1997, le chef de l’époque de la Première nation et Cottagers ont convenu par écrit de reporter [traduction] « la date d’échéance actuelle du bail à l’année 2020 ». Cottagers a consenti à payer 5 000,00 $ à la Première nation à titre de « gratification à la signature ». Le 10 décembre 1997, la Première nation a adopté la résolution no 6038 du conseil de bande, portant approbation de la prolongation :

[traduction] IL EST RÉSOLU EN OUTRE : que le conseil de bande Wauzhushk Onigum a prolongé le bail de Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd. jusqu’à l’année deux mille vingt (2020) aux mêmes conditions que le bail initial.

 

[10]     Le 24 juin 1999, la Première nation a adopté la résolution no 7120 du conseil de bande, qui approuvait encore une fois la prolongation du bail.

 

[11]     Le 15 juillet 1999, Cottagers a remis un chèque de 5 000 $ à la Première nation.

 

[12]     Selon Cottagers, la Première nation aurait adopté une troisième résolution du conseil de bande confirmant la prolongation du bail et l’aurait examinée avec ses représentants lors d’une réunion le 9 mars 2001.

 

[13]     Le 14 janvier 2004, la Première nation a élu un nouveau chef et un nouveau conseil de bande.

 

[14]     Le 5 février 2004, le chef et le conseil de bande nouvellement élus ont avisé le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministère) qu’ils allaient réviser le contrat de bail de Cottagers et qu’ils avaient convenu à l’unanimité de ne signer aucune entente jusqu’à nouvel ordre.

 

[15]     Le 12 mars 2004, Cottagers a reconnu, dans un rapport au ministère, qu’un nouveau contrat de bail était [traduction] « tributaire » :

 

  • de l’approbation du renouvellement du bail par la Première nation par résolution du conseil;

 

  • de la rédaction d’un nouveau contrat de bail et de son approbation à la fois par Cottagers et par la Première nation.

 

[16]     Le 14 décembre 2004, Cottagers a exercé son droit de prolonger le bail jusqu’au 31 décembre 2007.

 

[17]     Par lettre datée du 31 août 2006, le ministère a avisé Cottagers que les résolutions du conseil de bande énonçaient que l’ancien conseil de bande de la Première nation consentait à prolonger le bail et que [traduction] « des employés du ministère suivaient le processus prévu dans les délais requis pour la préparation et la rédaction d’un projet de nouveau bail ». Cependant, au moment où on a mis la dernière main au projet de bail, le nouveau conseil de bande avait été élu et n’avait pas indiqué au ministère qu’il consentait à conclure un nouveau bail.

 

[18]     Le 27 décembre 2006, le chef de la Première nation a informé Cottagers qu’un nouveau contrat de bail ne serait pas conclu au-delà du 31 décembre 2007 :

[traduction] Bien que la question doive être soumise aux membres de la nation pour ratification définitive, le chef et le conseil ont adopté comme position qu’aucun nouveau bail ne serait conclu avec [Cottagers] au-delà du 31 décembre 2007.

 

[19]     Il n’y a aucun élément de preuve indiquant que la question aurait été soumise à quelque moment que ce soit aux membres de la Première nation.

 

[20]     Le 23 février 2007, le ministère a informé Cottagers que le bail ne pouvait pas être renouvelé sans le consentement de la Première nation. Le ministère a également informé Cottagers que la Première nation avait dit qu’elle ne voulait pas renouveler le bail.

 

[21]     Le 4 mars 2007, Cottagers a écrit au chef de la Première nation pour lui demander de « revoir/reconsidérer » sa position concernant la prolongation du bail.

 

[22]     Le 18 octobre 2007, les conseillers juridiques de la Première nation ont informé les conseillers juridiques de Cottagers que la Première nation ne souhaitait pas prolonger le bail, ni conclure un nouveau bail, avec Cottagers.

 

[23]     Le 31 décembre 2007, le bail est arrivé à échéance. À ce jour, Cottagers et le ministre n’ont pas signé de nouveau contrat de bail. La Première nation affirme qu’elle considère le bail échu comme [traduction] « une entreprise commerciale qui a échoué » et qu’elle a maintenant [traduction] « la possibilité d’examiner quel est pour elle l’emploi optimal des terres. »

 

Position du ministre

[24]     Le ministre ne prend aucune position sur les questions de fond en litige dans la présente demande. Son intérêt consiste simplement à veiller à ce qu’aucune ordonnance ne soit prononcée qui l’obligerait à adopter une ligne de conduite particulière.

 

[25]     Le ministre souligne tout de même qu’aucun pouvoir n’a été délégué à la Première nation en vertu de l’article 60 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 (la Loi), qui conférerait à la Première nation le droit d’exercer le contrôle et l’administration sur les terres situées dans la réserve. Les articles 53 et 60 de la Loi sont reproduits en annexe des présents motifs.

 

Historique des procédures judiciaires

[26]     Aucune partie à la présente instance n’a soulevé la question de la compétence de la Cour. Cependant, puisque la compétence ne peut pas être conférée par consentement, la Cour a donné instruction aux parties de se préparer à traiter, lors de l’audition de la demande, de deux décisions antérieures de la Cour qui traitaient de la question de la compétence : J.G. Morgan Development Corp. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1992] 3 C.F. 783 (1re inst.), et Peace Hills Trust Co. c. Première nation Saulteaux (2005), 281 F.T.R. 201 (C.F.).

 

[27]     À l’audience, l’avocat de Cottagers a traité de ces précédents et d’autres décisions pertinentes. L’avocat de la Première nation a affirmé qu’il n’avait pas reçu l’instruction de la Cour. En conséquence, un calendrier a été convenu suivant lequel l’avocat de la Première nation a présenté des observations écrites sur la question de la compétence (dans laquelle il a cité d’autres décisions, dont l’arrêt Aeric Inc. c. Société canadienne des postes, [1985] 1 C.F. 127 (C.A.)) et l’avocat de Cottagers a produit des observations écrites en réponse. Le ministre n’a pas présenté d’observations sur cette question.

 

La question de la compétence

[28]     Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, qui est reproduit en annexe des présents motifs, confère à la Cour fédérale compétence exclusive, en première instance, pour accorder certaines réparations, notamment des certiorari, des mandamus et des jugements déclaratoires contre tout office fédéral. Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales définit le terme « office fédéral » comme suit :

Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. [Non souligné dans l’original.]

 

[29]     L’observation suivante tirée de Brown & Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles, Toronto, Canvasback Publishing, 2007, au paragraphe 1 : 2257, est pertinente au regard de cette définition et de son exigence selon laquelle l’entité doit avoir exercé, exercer ou être censée exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale,:

[traduction] Ce ne sont pas toutes les décisions émanant d’organismes publics ou créés par la loi qui sont susceptibles d’un contrôle judiciaire au moyen de brefs de prérogative ou en vertu de lois sur la procédure de contrôle judiciaire. D’ailleurs, malgré l’origine législative de tous les pouvoirs que les organismes publics peuvent exercer, les tribunaux refusent habituellement de contrôler les décisions qui peuvent être qualifiées de « commerciales » par opposition à « publiques » au motif que, lorsqu’ils exercent des pouvoirs découlant de leur capacité de contracter, les organismes publics n’agissent pas à titre d’autorité publique. [Renvois omis.]

 

[30]     Cette observation va dans le sens des propos récents de la Cour suprême du Canada qui rappelait, dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 28, que le contrôle judiciaire vise à « assurer la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue ». Dans ce contexte, le processus administratif s’entend de « l’exercice de fonctions administratives en certaines matières déterminées par le législateur ». Voir : Dunsmuir au paragraphe 27.

 

[31]     Dans DRL Vacations Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, [2006] 3 R.C.F. 516 (C.F.), ma collègue la juge Mactavish a procédé à un examen approfondi de la jurisprudence de la Cour sur la question de savoir si une entité agit à titre d’office fédéral. Je souscris à la fois à son examen des précédents et aux conclusions qu’elle en tire, et je les adopte. J’ajouterais seulement la cause suivante à son examen de la jurisprudence.

 

[32]     Dans J.G. Morgan Development, la Cour a jugé qu’elle n’avait pas compétence pour contrôler une décision de Travaux Publics Canada de conclure un marché portant sur la location de bureaux. La Cour a conclu que les négociations qui avaient mené au contrat avaient été menées en vertu du droit inhérent de contracter de la Couronne et non en vertu du Règlement sur les marchés de l’État, DORS/87-402. Ainsi, la décision finale n’avait pas été prise en vertu de pouvoirs conférés par une loi fédérale. Il s’ensuivait que Travaux publics Canada n’avait pas agi à titre d’« office fédéral » au sens de la définition.

 

[33]     À la suite de son examen de la jurisprudence, la juge Mactavish a synthétisé une série de principes au paragraphe 48 de ses motifs, dont les suivants, particulièrement pertinents au regard de la présente espèce :

 

1.         L’expression « pouvoirs prévus par une loi fédérale » figurant dans la définition de l’expression « office fédéral », au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales, est « particulièrement englobante » et doit recevoir une interprétation libérale : Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694 (C.A.).

 

2.         Les pouvoirs visés au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales ne comprennent pas les pouvoirs susceptibles d’être exercés à titre privé par une société ordinaire créée en vertu d’une loi fédérale qui constituent de simples accessoires de sa personnalité juridique ou de son entreprise autorisée : Wilcox c. Société Radio-Canada, [1980] 1 C.F. 326 (1re inst.).

 

3.         La nature de l’institution est importante pour les besoins de l’analyse, mais c’est la nature des pouvoirs exercés qui permet de déterminer si le décideur est un « office fédéral » pour l’application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales : l’affaire Aeric.

 

4.         Une organisation peut être un « office fédéral » à certaines fins, mais cela n’est pas nécessairement le cas à toutes les fins. En décidant si une organisation est un « office fédéral » dans un cas donné, il faut tenir compte de la nature des pouvoirs exercés : Jackson c. Canada (Procureur général) (1997), 141 F.T.R. 1 (1re inst.); conf. par (2000), 261 N.R. 100 (C.A.).

 

[34]     Plusieurs décisions ont examiné, en conformité avec cette jurisprudence, la question de savoir si un conseil de bande est un « office fédéral ».

 

[35]     Dans Sparvier c. Bande indienne Cowessess, [1993] 3 C.F. 142 (1re inst.), le juge Rothstein a écrit à la page 150 :

Il est bien établi qu’aux fins d’un contrôle judiciaire, un conseil de bande indienne et les personnes qui sont censées exercer des pouvoirs sur les membres d’une bande indienne, et qui agissent conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens constituent un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. [Renvois omis. Non souligné dans l’original.]

 

[36]     Dans Ermineskin c. Conseil de la bande d’Ermineskin (1995), 96 F.T.R. 181 (1re inst.), le juge Jerome, alors juge en chef adjoint, a statué que la Cour avait compétence pour contrôler une décision du conseil de bande de rayer le nom du demandeur de la liste des effectifs de la bande. Un des facteurs sur lesquels il s’est fondé était le fait que les règles qu’applique le conseil de bande, lorsqu’il exerce son autorité en matière d’appartenance à la bande, « sont une "expression" des pouvoirs conférés par le gouvernement du Canada sous l’égide de l’article 10 de la Loi sur les Indiens ». Voir : Ermineskin au paragraphe 14.

 

[37]     Dans Première nation Wood Mountain c. Canada (Procureur général) (2006), 55 Admin. L.R. (4th) 293 (C.F.), le juge Strayer a statué que la mesure que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien avait prise pour accuser réception des résultats d’une élection coutumière ne pouvait pas être contrôlée en tant que mesure d’un « office fédéral » parce que le ministère n’avait pas exercé, n’exerçait pas ni n’était censé exercer en l’espèce une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale. Le juge Strayer a écrit, au paragraphe 8 :

La Cour a conclu que la mention d’élections tenues selon la coutume de la bande dans la définition de « conseil de bande » qui figure à l’article 2 de la Loi ne crée pas la compétence pour des élections coutumières mais ne fait que les définir pour ses propres fins : voir Bone c. Conseil de la bande indienne no 290, 107 F.T.R. 133, paragraphes 31 et 32. Par conséquent, de telles élections ne sont pas tenues en vertu d’une compétence prévue par une loi fédérale. L’avocat des demandeurs n’a porté à mon attention aucune disposition dans la Loi qui accorde au MAINC la compétence de décider qui a gagné l’élection. Le juge Paul Rouleau a conclu au paragraphe 4 de la décision Première nation du Lac des Mille-Lacs et al. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1998] A.C.F. no 94 (QL), que le ministre n’a aucun pouvoir sur ces élections. Le MAINC ne joue aucun rôle quant à savoir ce qui est une coutume de la bande aux fins de la gestion d’une élection : voir Chingee c. Chingee, (1999) 153 F.T.R. 257, paragraphe 13. [Non souligné dans l’original.]

 

[38]     Enfin, dans Peace Hills Trust, la juge Heneghan a statué que la Cour n’avait pas compétence pour contrôler une résolution du conseil de bande prescrivant au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et/ou à un tiers gestionnaire de retenir des paiements sur une dette due à la société de fiducie demanderesse. La juge Heneghan a dit qu’« il fa[llait] s’abstenir d’appliquer les principes du droit administratif au règlement de ce qui [était] au fond une question de droit commercial […] » La résolution du conseil de bande ne pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire parce qu’elle était « sans lien avec l’exercice du pouvoir accordé par la Loi sur les Indiens ». Voir : Peace Hills Trust aux paragraphes 61 et 62.

 

[39]     Tout en reconnaissant qu’un conseil de bande peut être un « office fédéral » à certaines fins, j’examinerai maintenant la nature du pouvoir que le chef et le conseil ont exercé en l’espèce lorsque, contrairement aux déclarations antérieures, ils ont décidé de refuser de consentir à une prolongation du bail de Cottagers.

 

[40]     Je commence par noter que dans Woodward, Native Law, feuilles mobiles, Toronto, Thomson Carswell, 1994, il est affirmé à la page 259 que :

[traduction] Les bandes exercent des aspects du contrôle et de l’administration de terres de réserve en vertu de différentes dispositions de la Loi sur les Indiens. En vertu du paragraphe 18(2), le conseil de bande peut autoriser le ministre à « prendre » toute terre dans une réserve pour le bien-être général de la bande. Le conseil de bande peut prendre des règlements concernant le zonage, les travaux publics, les normes de construction, etc. en vertu de l’article 81 de la Loi. Le conseil de bande peut autoriser le ministre à exploiter des fermes en vertu du paragraphe 58(1) et à disposer de minerais non métalliques, de sable, de gravier et de glaise en vertu du paragraphe 58(4). Mais les pouvoirs les plus vastes qu’un conseil de bande peut exercer sont ceux qui découlent d’une déclaration faite en vertu de l’article 60. [Renvoi omis. Non souligné dans l’original.]

 

[41]     Comme je l’ai mentionné plus haut, aucun droit n’a été conféré à la Première nation en vertu de l’article 60 de la Loi. Il résulte d’un examen des dispositions susmentionnées de la Loi qu’une décision de ne pas prolonger un bail ne relève d’aucun des aspects du contrôle ou de l’administration de terres de réserve visés par la Loi. Il convient également de noter que Cottagers n’a évoqué aucun pouvoir d’origine législative que le chef et le conseil auraient exercé lorsqu’ils ont pris la décision contestée. D’ailleurs, tel que je l’ai indiqué au paragraphe 3, Cottagers considère que le fond du litige tient à « un manquement à une obligation contractuelle préexistante » dont Cottagers serait créancière.

 

[42]     En 1873, le Traité no 3 a été signé. La Première nation est une signataire du Traité no 3. La disposition suivante de ce traité est pertinente en l’espèce :

Et Sa Majesté la reine convient par les présentes et s’engage de mettre de côté des réserves de terres arables, l’attention voulue étant portée aux terres cultivées à présent par les dits Indiens, et aussi de mettre de côté et réserver pour le bénéfice des dits Indiens, pour être administrées et contrôlées pour eux par le gouvernement de Sa Majesté pour le Canada, de la manière qui semblera la meilleure, d’autres réserves de terres dans le dit territoire cédé par les présentes, lesquelles dites réserves seront choisies et mises de côté où il sera jugé le plus convenable et le plus avantageux pour chaque bande ou bandes des Indiens, par les officiers du dit gouvernement nommé pour cette fin, et tel choix sera fait après conférence avec les Indiens; […] pourvu aussi que les réserves susdites de terres ou tout intérêt ou droit sur elles ou en dépendant, puissent être vendus, loués ou aliénés autrement par le dit gouvernement pour l’usage et le bénéfice des dits Indiens, avec le consentement préalablement donné et obtenu des Indiens qui y ont droit. [Non souligné dans l’original.]

 

[43]     Ainsi, en vertu du Traité no 3, la Première nation a conservé le droit inhérent de consentir à toute location de terres de réserve.

 

[44]     Dans Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, la Cour suprême du Canada a examiné la nature du droit d’une première nation dans des terres situées dans une réserve. Le juge Dickson, qui est devenu plus tard juge en chef, s’exprimant au nom de la majorité, a noté à la page 379 que « [l]e droit qu’ils ont sur leurs terres est un droit, en common law, qui existait déjà et qui n’a été créé ni par la Proclamation royale, ni par le par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, ni par aucune autre disposition législative ou ordonnance du pouvoir exécutif. » [Non souligné dans l’original.]

 

[45]     Étant donné cette nature du droit de la Première nation dans les terres de réserve, et la réserve de droits prévue aux termes du Traité no 3, je ne puis conclure que la décision de refuser de conclure une convention de prolongation de bail est un exercice d’un quelconque pouvoir conféré sous le régime de la Loi ou de quelque autre loi fédérale. En conséquence, j’estime que le chef et le conseil n’agissaient pas à titre d’« office fédéral » lorsqu’ils ont refusé de consentir à une prolongation du bail de Cottagers. Il s’ensuit que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[46]     Ce résultat est également compatible avec la décision Peace Hills Trust, où la Cour a jugé qu’une décision prise par résolution d’un conseil de bande et concernant un contrat de prêt commercial relevait du droit privé et n’avait rien à voir avec l’intérêt public. Il a été reconnu que les conseils de bande possèdent un pouvoir implicite de contracter, sans fondement législatif exprès aux termes de la Loi. Voir, par exemple : Gitga’at Development Corp. c. Hill (2007), 66 B.C.L.R. (4th) 349 (C.A.) au paragraphe 27.

 

[47]     Pour parvenir à cette conclusion, j’ai examiné les arguments opposés présentés par Cottagers. Ils peuvent se résumer comme suit.

 

[48]     Cottagers soutient que la jurisprudence n’est pas claire quant à la question de savoir si la Cour a compétence lorsqu’une autorité publique prend des décisions « privées ». Elle cite en particulier Brown & Evans au paragraphe 7 : 2320. Elle prétend que trois approches distinctes se dégageraient de la jurisprudence de la Cour et que, suivant chacune de ces approches, la Cour a compétence à l’égard des faits de l’espèce.

 

[49]     À ses dires, les trois courants jurisprudentiels seraient illustrés par les décisions suivantes :

 

i)          McCabe c. Canada (Procureur général), [2001] 3 C.F. 430 (1re inst.).

ii)                   687764 Alberta Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 166 F.T.R. 87 (1re inst.).

iii)                 J.G. Morgan Development.

 

[50]     La décision McCabe établirait, selon la demanderesse, que la définition d’« office fédéral » au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales a pour objet d’établir une distinction entre des types d’entités – et non des types d’actions. Elle soutient que la Loi sur les Cours fédérales s’applique à des entités dont les pouvoirs découlent de lois fédérales. Dès lors qu’il est établi qu’une entité dispose de pouvoirs conférés par une loi fédérale, tous les actes de cette entité peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour.

 

[51]     Or, l’affaire McCabe a été tranchée sans mention des décisions antérieures mentionnées dans DRL Vacations, et en particulier sans mention des arrêts antérieurs Aeric et Jackson de la Cour d’appel fédérale. Dans Aeric, aux pages 135 à 138, la Cour d’appel fédérale a statué que, bien que Postes Canada revêtît un caractère public important, le facteur déterminant quant à l’existence de la compétence de la Cour tenait à la question de savoir si le pouvoir qu’exerçait Postes Canada était de nature publique, ou s’il s’agissait plutôt d’un pouvoir général de gestion qui lui avait été conféré à titre accessoire pour lui permettre de mener ses activités commerciales. Ainsi, l’arrêt Aeric a retenu comme critère déterminant non pas la nature de l’entité, mais la nature du pouvoir exercé.

 

[52]     La décision McCabe ne peut pas être invoquée dans la mesure où elle est contraire à des arrêts antérieurs de la Cour d’appel fédérale.

 

[53]     Quant à 687764 Alberta Ltd., cette décision représenterait, selon la demanderesse, l’approche à privilégier : « Chaque fois qu’il y a convergence de droits contractuels et de droits conférés par la loi, chaque cas est un cas d’espèce lorsqu’il s’agit de décider s’il peut y avoir ouverture au contrôle judiciaire. » Voir : 687764 Alberta Ltd. au paragraphe 21.

 

[54]     Or, dans cette affaire, la Cour était saisie d’une demande de prorogation du délai prescrit pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Les commentaires de la Cour sont des remarques incidentes (voir en particulier le paragraphe 28) parce qu’il s’agissait dans cette affaire de savoir si la demanderesse avait la moindre chance raisonnable d’obtenir gain de cause. La confirmation ultérieure par la Cour d’appel témoigne aussi de la question étroite dont était saisie la Cour. En outre, encore une fois, l’attention de la Cour n’a apparemment pas été attirée sur la jurisprudence antérieure de la Cour d’appel fédérale. Pour ces motifs, la cause est d’une utilité limitée, et elle ne modifie pas les principes établis par la Cour d’appel fédérale exposés plus haut.

 

[55]     La décision J.G. Morgan Development poserait quant à elle le principe selon lequel, si la décision en cause est de nature privée, elle n’est pas susceptible de contrôle. À mon avis, cette décision est compatible avec la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale. Plus précisément, elle pose le principe selon lequel c’est la source ou le caractère du pouvoir exercé qui détermine si une entité agit à titre d’« office fédéral » et peut donc être visée par un contrôle.

 

[56]     Cottagers formule deux arguments au soutien de sa prétention selon laquelle le chef et le conseil avaient exercé, exerçaient ou étaient censés exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale, de sorte que la décision contestée serait susceptible de contrôle. Elle fonde ses arguments sur le passage suivant tiré de Goodtrack c. Lethbridge (2003), 242 Sask. R. 45 (B.R.), aux paragraphes 6 et 7 :

           [traduction] Il est bien établi qu’un conseil de bande indienne est un « office fédéral » au sens de la Loi sur la Cour fédérale. Dans Canatonquin c. Gabriel, [1980] 2 C.F. 792, la Cour d’appel fédérale a statué que puisqu’un conseil de bande indienne était un « office fédéral », l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale conférait compétence sur l’affaire à la Cour fédérale, Section de première instance. Il est intéressant de noter que la Cour a aussi statué que la Cour fédérale avait compétence même si la validité de l’élection contestée du conseil était régie par le droit indien coutumier et non par une loi fédérale.

           Dans le cadre d’une analyse des pouvoirs d’un conseil de bande indienne, le juge Cameron de la Cour d’appel a affirmé, dans Whitebear Band Council c. Carpenters Provincial Council of Saskatchewan and Saskatchewan Labour Relations Board (1982), 15 Sask.R. 37 à la p. 44 (C.A.) :

[…] [U]n conseil de bande indienne est une autorité publique élue, dont l’existence, les pouvoirs et les responsabilités sont entièrement déterminés par le Parlement, et dont la principale fonction est d’exercer des pouvoirs municipaux et gouvernementaux qui lui sont délégués par le Parlement à l’égard de la réserve dont les habitants l’ont élu. À ce titre, il agit de temps à autre comme mandataire du ministre et comme représentant de la bande en ce qui concerne l’administration et l’exécution de certains programmes fédéraux au profit des Indiens sur des réserves indiennes, et il joue un rôle consultatif et parfois même décisif en rapport avec l’exercice par le ministre de certains de ses pouvoirs légaux relativement à la réserve.

Par conséquent, il est clair que les pouvoirs d’un conseil de bande indienne sont délégués par le Parlement fédéral. Ses pouvoirs lui sont conférés en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5.

 

[57]     Selon Cottagers, deux choses découleraient de ce passage. Premièrement, l’existence, les pouvoirs et les responsabilités d’un conseil de bande indienne seraient supposément entièrement déterminés par le Parlement. Il s’ensuivrait que la décision de refuser de prolonger le bail était le fruit de l’exercice de pouvoirs conférés par le Parlement. Deuxièmement, le refus du chef et du conseil de prolonger le bail aurait supposément joué un rôle décisif relativement à l’exercice du pouvoir légal du ministre.

 

[58]     Concernant tout d’abord l’argument selon lequel l’existence, les pouvoirs et les responsabilités d’un conseil de bande indienne sont entièrement déterminés par le Parlement, comme il est affirmé dans Woodward, l’arrêt Whitebear Band Council, qui a été appliqué dans Goodtrack, illustre la conception étroite d’un conseil de bande et de ses pouvoirs. Woodward affirme que les pouvoirs qu’exercent les conseils de bande dans l’exécution de leurs fonctions sous le régime de la Loi se fondent de plus en plus sur leur qualité de gouvernements et non de simples mandataires du gouvernement fédéral. Voir : Woodward au paragraphe 7 : 690. Selon la conception plus large, les conseils de bande possèdent au moins tous les pouvoirs nécessaires pour s’acquitter efficacement de leurs responsabilités, même si la Loi ne les prévoit pas expressément :

[traduction] L’on peut dire que les conseils de bande possèdent au moins tous les pouvoirs nécessaires pour s’acquitter de leurs responsabilités sous le régime de la Loi sur les Indiens, même lorsque ces pouvoirs ne sont pas prévus expressément. Il existe un pouvoir implicite de contracter, qui ne requiert pas d’habilitation aux termes de la Loi sur les Indiens. [Renvois omis.]

 

Voir : Woodward au paragraphe 7 : 700.

 

 

[59]     En outre, l’idée voulant que l’existence et les pouvoirs d’un conseil de bande indienne soient entièrement déterminés par le Parlement est incompatible avec la jurisprudence de la Cour, notamment avec la décision Wood Mountain. Dans le passage précité de cette décision, le juge Strayer note que, bien que les conseils de bande élus selon la coutume soient reconnus en vertu de la Loi, les élections coutumières elles-mêmes ne sont pas tenues en vertu d’une compétence prévue par la Loi ni par aucune loi fédérale. Cela est contraire à toute idée voulant que l’existence et les pouvoirs d’un conseil de bande indienne soient entièrement déterminés par le Parlement, et cela traduit la conception plus large selon laquelle les pouvoirs des conseils de bande ne sont pas conférés exclusivement par la Loi.

 

[60]     Il s’ensuit que Cottagers ne m’a pas convaincue que le Parlement est l’unique source des pouvoirs d’un conseil de bande, de sorte que le conseil aurait exercé un pouvoir d’origine législative lorsqu’il a refusé de prolonger le bail.

 

[61]     En ce qui a trait maintenant l’argument de Cottagers selon lequel la décision du conseil de refuser de prolonger le bail a joué un « rôle décisif » dans la décision du ministre de ne pas prolonger le bail, j’admets que le ministère a informé Cottagers par lettre datée du 23 février 2007 que le [traduction] « bail ne p[ouvait] pas être renouvelé sans le consentement de la Première nation. » En effet, la décision de la Première nation a été décisive en ce que le ministère n’entendait pas prolonger ni renouveler le bail sans l’approbation de la Première nation.

 

[62]     Dans le contexte de ce rôle décisif, il est demandé à la Cour de prendre en compte ce qui suit :

•          La Première nation a convenu de céder les terres à des fins de location.

•          Les terres sont louées par le ministre en vertu des pouvoirs légaux que lui confère la Loi.

•           En matière de location de terres cédées, le ministre a pour politique d’obtenir du chef et du conseil le consentement à tout bail, prolongation ou addenda.

•           Bien qu’il dispose du pouvoir ultime quant à la location de terres cédées, le ministre n’exercera pas ce pouvoir sans que le chef et le conseil acceptent les « éléments clés » de chaque bail. Ces éléments clés sont le nom du locataire, le loyer, la durée du bail et l’usage envisagé des terres. Les faits de la présente espèce montrent que cette acceptation est une condition préalable nécessaire à l’exercice du pouvoir légal du ministre.

•           En acceptant le bail en 1988, le chef et le conseil ont rempli la condition préalable nécessaire pour que le ministre exerce son pouvoir légal à l’égard des terres en cause.

•           En acceptant de prolonger le bail jusqu’en 2020, le chef et le conseil ont rempli la condition préalable nécessaire pour que le ministre exerce son pouvoir légal à l’égard des terres en cause.

•           En décidant de rompre leur engagement contractuel, le chef et le conseil ont défait la condition préalable nécessaire à l’exercice par le ministre de son pouvoir légal à l’égard des terres en cause.

 

[63]     La Première nation ne conteste pas sérieusement ces faits.

 

[64]     Ces faits ne modifient pas, à mon avis, la nature ou la source du pouvoir exercé par le chef et le conseil. Le pouvoir de refuser de prolonger le bail, et peut-être de rompre ce faisant un contrat existant, n’a découlé d’aucun octroi de pouvoir légal ni d’aucun pouvoir de nature publique. Le pouvoir de refuser résulte plutôt du droit inhérent de la Première nation dans ses terres et de la réserve, faite aux termes du Traité no 3, de ses droits de consentir.

 

[65]     Par souci d’exhaustivité, je note que Cottagers invoque aussi la conclusion de la Cour dans Williston c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (2005), 274 F.T.R. 260 (C.F.), selon laquelle, par l’effet du paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales, la décision de la Première nation dans cette affaire de ne pas renouveler un bail sur des terres de réserve pouvait seulement être contestée par voie de contrôle judiciaire. Le paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales est reproduit en annexe des présents motifs.

 

[66]     J’ai examiné cette décision avec soin, et je note ce qui suit. Premièrement, il ne semble pas que, dans Williston, la question de savoir si la décision en cause avait été prise par un « office fédéral » ait été soulevée. Deuxièmement, cela est peut-être lié au fait que, dans Williston, le pouvoir d’administration de terres avait été délégué à la Première nation en vertu des articles 53 et 60 de la Loi. Dans Williston, l’exposé conjoint des faits énonçait que le ministre avait « délégué au chef et aux conseillers élus de la Première nation la gestion, conformément à la Loi sur les Indiens et aux conditions de la cession, » des terres en cause. [Non souligné dans l’original.] Il se peut bien qu’une telle délégation de pouvoir en vertu de la Loi ait suffi à conférer un pouvoir légal ou public à la Première nation.

 

[67]     Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée parce que la Cour n’a pas compétence pour connaître de l’affaire.

 

[68]     Trois autres questions appellent des commentaires.

 

La réparation demandée

[69]     Comme je l’ai noté plus haut, Cottagers demande, entre autres réparations, un mandamus et un certiorari. Compte tenu de ma conclusion concernant la compétence, il n’est pas nécessaire, et cela serait peut-être même inapproprié, que j’examine en détail d’autres questions.

 

[70]     Cependant, dans l’hypothèse où ma conclusion concernant la compétence serait erronée, j’exprime un doute quant à savoir si l’un ou l’autre des brefs de prérogative serait ouvert à Cottagers. À cet égard, il convient de souligner que la caractéristique qui définit les brefs de prérogative réside dans le fait que ceux-ci sont ouverts uniquement à l’égard des manquements à une obligation imposée par le droit public. Voir : Brown & Evans au paragraphe 1 : 1200.

 

[71]     Lorsque le décideur mis en cause possède les caractéristiques des paradigmes des droits tant public que privé, il est nécessaire d’examiner plusieurs facteurs, notamment :

 

•     la nature du décideur – dans quelle mesure il est assujetti au contrôle du gouvernement;

 

•     la source et la nature du pouvoir du décideur – est-ce un pouvoir conféré par la loi, ou un pouvoir découlant d’une autre source, comme un contrat par exemple;

 

•     la fonction du décideur – est-il au service des intérêts de membres (c’est-à-dire, la fonction permet à l’entité de faire des affaires) ou est-il au service de l’intérêt public plus général (c’est-à-dire, la fonction en est une dont, autrement, le gouvernement se chargerait).

Voir : Brown & Evans au paragraphe 1 : 2252.

 

[72]     L’une des conditions pour qu’un mandamus puisse être accordé est l’existence d’une obligation légale d’agir à caractère public. Voir : Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), à la page 766.

 

[73]     Au sujet de cette condition, Brown & Evans affirment au paragraphe 1 : 3220:

[traduction] [L]’obligation doit avoir un caractère « public » et non « privé » pour pouvoir faire l’objet d’un mandamus. Par conséquent, et bien qu’une telle obligation puisse être implicite, il doit y avoir une disposition législative imposant et définissant l’obligation dont l’exécution est recherchée. [Renvois omis. Non souligné dans l’original.]

 

[74]     Dans le même ordre d’idées, Wade and Forsyth, dans Administrative Law (9e éd., Oxford, Oxford University Press, 2004) écrivent à la page 621 :

[traduction] Une distinction appelant des précisions est celle entre les obligations à caractère public, dont l’exécution peut être obtenue par mandamus, – lesquelles obligations sont habituellement d’origine législative –, et les obligations qui découlent simplement d’un contrat. L’exécution d’obligations contractuelles relève du droit privé et s’obtient au moyen des recours contractuels ordinaires, tels les dommages-intérêts, l’injonction, l’exécution en nature et le jugement déclaratoire. Leur exécution ne peut pas être obtenue au moyen du mandamus, lequel, tout d’abord, est confiné aux obligations à caractère public, et deuxièmement, n’est pas accordé lorsqu’il existe d’autres recours adéquats. [Renvois omis et soulignement ajouté.]

 

[75]     Pour les motifs exposés ci-dessus, notamment l’absence de toute disposition législative « imposant et définissant l’obligation » dont l’exécution est recherchée, je doute qu’il y ait la moindre obligation légale à caractère « public » qui puisse étayer une demande de mandamus ou de certiorari.

 

L’existence d’autres recours

[76]     Étant donné sa procédure rapide, je comprends bien le caractère attrayant du contrôle judiciaire comme recours pour Cottagers. Bien que j’aie conclu que le recours en contrôle judiciaire ne leur était pas ouvert eu égard aux faits de la présente espèce, cette conclusion n’empêche nullement Cottagers de demander par voie d’action les réparations relevant du droit privé, notamment des dommages-intérêts et une exécution en nature, auxquelles elle pourrait avoir droit.

 

La requête relative à de nouveaux éléments de preuve

[77]     Après l’audience sur la demande de contrôle judiciaire, une téléconférence a été organisée dans le but de vérifier si le ministre souhaitait formuler des observations sur la question de la compétence. Avant le moment prévu pour cette téléconférence, Cottagers a déposé une requête visant à obtenir la permission de déposer des affidavits additionnels. Elle affirmait que ces affidavits répondaient à un argument formulé par l’avocat de la Première nation et à des questions soulevées par la Cour. La Première nation s’est opposée à cette requête. Il a été convenu qu’il serait statué sur la requête sur le fondement des observations écrites des parties.

 

[78]     Les éléments de preuve précis que Cottagers souhaite produire :

•     répondent à l’affirmation selon laquelle la conduite de Cottagers après 2002 indiquait qu’elle ne se fiait pas à l’entente conclue avec le chef et le conseil en août 1997; et

 

•     répond au commentaire de la Cour selon lequel il n’y avait aucun élément de preuve relatif au prix de vente des chalets.

 

[79]     Cottagers soutient que les éléments de preuve devraient être admis s’ils satisfont au critère énoncé dans Mazhero c. Canada (Conseil canadien des relations industrielles) (2002), 292 N.R. 187 (C.A.). Dans cette affaire, la Cour a statué que le critère consistait à savoir si les documents additionnels serviraient l’intérêt de la justice, s’ils aideraient la Cour et s’ils ne causeraient pas de préjudice grave à la partie adverse. La Cour a affirmé en outre que tout affidavit supplémentaire ne devrait pas porter sur des documents qui auraient pu être communiqués à une date antérieure et ne devrait pas retarder indûment l’instance.

 

[80]     À mon avis, les éléments de preuve additionnels proposés n’aideront pas la Cour parce qu’ils ne sont pas pertinents quant à la question que la Cour a jugée déterminante. En conséquence, cette requête est rejetée.

 

Conclusion et dépens

[81]     Cottagers et la Première nation réclament toutes deux des dépens. Le ministre, qui a demandé d’être ajouté comme partie à la demande, n’a pas réclamé de dépens, à juste titre.

 

[82]     Bien qu’ils suivent habituellement le sort de la cause, les dépens relèvent toujours entièrement du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Les facteurs pertinents comprennent ceux énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

 

[83]     Deux facteurs influent sur l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire en l’espèce.

 

[84]     Premièrement, dans son affidavit, le chef Skead de la Première nation prend bien soin de ne pas traiter d’événements qui sont survenus avant 2004 (mis à part une brève mention d’un litige antérieur concernant la juste valeur marchande des versements de loyer). La Première nation ne remet pas en question le bien-fondé de la demande de Cottagers.

 

[85]     Deuxièmement, c’est la Cour, et non la Première nation, qui a soulevé la question de la compétence.

 

[86]     À mon avis, compte tenu de ces facteurs, il y a lieu à ce que chaque partie supporte ses propres dépens.

 

[87]     La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée, sans frais.

 

 

1. William Blackstone, Commentaries on the Laws of England, vol. 3 à la p. 23.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée, sans frais.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE

 

 

            Les articles 53 et 60 de la Loi sur les Indiens énoncent :

 

53(1) Le ministre ou son délégué peut, conformément à la présente loi et aux conditions de la cession à titre absolu ou de la désignation:

a) administrer ou vendre les terres cédées à titre absolu;

b) effectuer toute opération à l’égard des terres désignées et notamment les administrer et les donner à bail.

 

(2) Lorsque l’acquéreur initial de terres cédées est mort et que l’héritier, cessionnaire ou légataire de l’acquéreur initial demande une concession des terres, le ministre peut, sur réception d’une preuve d’après la manière qu’il ordonne et exige à l’appui de toute demande visant cette concession et lorsqu’il est convaincu que la demande a été établie de façon juste et équitable, agréer la demande et autoriser la délivrance d’une concession en conséquence.

 

(3) La personne qui est nommée à titre de délégué conformément au paragraphe (1), ou qui est un fonctionnaire ou préposé de Sa Majesté à l’emploi du ministère, ne peut, sauf approbation du gouverneur en conseil, acquérir directement ou indirectement d’intérêts dans des terres cédées à titre absolu ou désignées.

[…]

 

60(1) À la demande d’une bande, le gouverneur en conseil peut lui accorder le droit d’exercer, sur des terres situées dans une réserve qu’elle occupe, le contrôle et l’administration qu’il estime désirables.

 

(2) Le gouverneur en conseil peut retirer à une bande un droit qui lui a été conféré sous le régime du paragraphe (1).

53(1) The Minister or a person appointed by the Minister for the purpose may, in accordance with this Act and the terms of the absolute surrender or designation, as the case may be,

(a) manage or sell absolutely surrendered lands; or

(b) manage, lease or carry out any other transaction affecting designated lands.

 

(2) Where the original purchaser of surrendered lands is dead and the heir, assignee or devisee of the original purchaser applies for a grant of the lands, the Minister may, on receipt of proof in such manner as he directs and requires in support of any claim for the grant and on being satisfied that the claim has been equitably and justly established, allow the claim and authorize a grant to issue accordingly.

 

 

 

(3) No person who is appointed pursuant to subsection (1) or who is an officer or a servant of Her Majesty employed in the Department may, except with the approval of the Governor in Council, acquire directly or indirectly any interest in absolutely surrendered or designated lands.

 

 

[…]

 

60(1) The Governor in Council may at the request of a band grant to the band the right to exercise such control and management over lands in the reserve occupied by that band as the Governor in Council considers desirable.

 

(2) The Governor in Council may at any time withdraw from a band a right conferred on the band under subsection (1).

 

            Les paragraphes 18(1) et 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales énoncent :

 

18(1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

 

 

[…]

 

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

18(1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

 

[…]

 

(3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1985-07

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            DEVIL’S GAP COTTAGERS (1982) LTD., demanderesse et

                                                            LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA BANDE DE RAT PORTAGE No 38B ET AL., défendeurs

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 MAI 2008

 

OBSERVATIONS ÉCRITES

COMPLÉMENTAIRES :                 LES 12 ET 14 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MADAME LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 JUIN 2008

 

COMPARUTIONS :

 

WILLIAM G. HAIGHT                                                           POUR LA DEMANDERESSE

 

WILLIAM J. MAJOR                                                             POUR LES DÉFENDEURS

le chef et le conseil de la bande de Rat Portage no 38B et al.

 

PAUL ANDERSON                                                                POUR LE DÉFENDEUR

le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DUBOFF EDWARDS HAIGHT & SCHACHTER                 POUR LA DEMANDERESSE

AVOCATS

WINNIPEG (MANITOBA)

 

KESHEN & MAJOR                                                              POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS

KENORA (ONTARIO)

 

JOHN H. SIMS, C.R.                                                              POUR LE DÉFENDEUR

SOUS‑PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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