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Date : 20080624

Dossier : IMM-3845-07

Référence : 2008 CF 783

 

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

YUAN CHANG WONG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET

DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

            Le contexte

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire du refus de différer le renvoi prononcé le 19 septembre 2007. Le demandeur avait demandé le report de son renvoi en invoquant sa demande pendante d’examen des risques avant renvoi (ERAR) ainsi que l’intérêt supérieur de ses deux enfants nés au Canada.

 

[2]               M. Wong, un citoyen chinois, a de nombreux antécédents avec les autorités canadiennes. Il est arrivé au Canada et a demandé le statut de réfugié en 1988. La demande a été rejetée en 1992 et une mesure d’exclusion a été prise. Il est demeuré au Canada, a été déclaré coupable de possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic en 1997 et a été condamné à un emprisonnement de quatre ans. Il a aussi été déclaré coupable de possession d’armes à feu prohibées. Il a été expulsé en Chine sous escorte en 1998.

 

[3]               Vers le mois de mars 2001, M. Wong est revenu au Canada en utilisant un pseudonyme. Les agents d’immigration ont appris sa présence au pays lorsqu’il a été arrêté et accusé de possession de stupéfiants en mai 2003. Il a déposé une autre demande d’asile et a été déclaré interdit de territoire pour criminalité, suivant l’alinéa 101(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), le 7 mai 2003. Une autre mesure d’expulsion a été prise contre lui.

 

[4]               En novembre 2003, M. Wong a été déclaré coupable de possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic et de complot en vue d’exporter des stupéfiants et condamné à un emprisonnement de 4 ans, moins 14 mois pour détention présentencielle. En avril 2004, un examen des risques avant renvoi a été amorcé, mais le demandeur n’a jamais déposé sa demande. Il affirme maintenant qu’il ne se souvient pas l’avoir reçue et qu’il ne sait pas ce qu’il en a fait.

 

[5]               Le 1er juin 2007, M. Wong a été libéré de la garde de l’Immigration, où il avait été transféré après avoir purgé sa peine criminelle. Il a déposé une demande d’ERAR le 9 août 2007, qui demeure toujours pendante. Le 17 septembre 2007, M. Wong a reçu instruction de se présenter en vue de son renvoi le 24 septembre 2007. Le 18 septembre 2007, M. Wong a demandé que son renvoi soit différé.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

 

[6]               L’agente d’exécution a examiné les observations que M. Wong a présenté à l’ERAR, ainsi que les lettres de ses enfants. Elle a conclu que M. Wong avait eu la possibilité d’avoir accès à l’évaluation des risques en 2004, mais qu’il n’en avait pas fait la demande. Elle a ensuite conclu que la demande d’ERAR déposée le 10 août 2007 était une demande subséquente, et qu’aucune disposition de la LIPR ne prévoyait le sursis dans le cas de demandes subséquentes. Enfin, elle a conclu que l’intérêt supérieur de ses enfants à ce qu’il reste au Canada ne justifiait pas de reporter son renvoi.

 

Questions en litige

 

[7]               Cette affaire soulève deux questions. Premièrement, il faut décider s’il subsiste un litige réel entre les parties. Dans l’éventualité où un litige réel subsiste ou, subsidiairement, si la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire bien que celle-ci n’ait qu’un caractère théorique, la question à laquelle il faut répondre serait de savoir si l’agente a commis une erreur en rendant sa décision.

 

Le caractère théorique

 

[8]               Les deux parties prétendent que cette affaire n’a pas un caractère théorique et fondent leur prétention sur la demande d’ERAR pendante de M. Wong. À l’audience, l’avocat du demandeur a reconnu que des affaires similaires ont été considérées comme théoriques, parce que l’on y demandait de différer une date de renvoi qui était antérieure à l’audition de la demande de contrôle judiciaire. Des questions sur ce point ont été certifiées dans Palka c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 342, [2008] A.C.F. no 435, Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 341, [2008] A.C.F. no 434, et Lewis c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 719. Il a été interjeté appel des décisions rendues dans les affaires Palka et Baron, mais l’appel dans Palka a fait l’objet d’un désistement. L’appel dans Baron, dossier A-165-08, n’est pas encore inscrit pour audience.

 

[9]               L’avocat du demandeur prétend que la demande doit être soit suspendue en attendant que la décision en appel dans Baron soit rendue; soit rejetée sans audience sur le fond avec question certifiée et ordonnance de sursis au renvoi de 30 jours afin de permettre à M. Wong de demander un sursis à la Cour d’appel fédérale en attendant qu’elle se prononce dans Baron; soit entendue sur la base qu’elle se distingue de ces autres affaires. Le défendeur a refusé les deux premières options, et j’ai donc choisi d’entendre les prétentions.

 

[10]           Le demandeur prétend que la Cour a mal compris le statut de la demande sous-jacente dans Maruthalingam c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 823, 63 Imm. L.R. (3d) 242. Il soutient qu’il en résulte que des jugements subséquents ont été fondés sur une prémisse erronée. Les jugements auxquels il fait référence soulignent généralement qu’il subsiste une controverse réelle, quoique possiblement intermittente, puisque l’individu ou les individus concernés demeuraient sous la menace d’une récurrence de la mesure contestée. Cela se traduit, dans l’affaire qui nous concerne, par la possibilité, selon le défendeur, d’un cycle pratiquement sans fin de mesures de renvoi non exécutées en raison de demandes de contrôle judiciaire du refus de différer le renvoi, devenues elles-mêmes théoriques à la date prévue de l’audience. La raisonnabilité du refus en soi ne ferait jamais l’objet du contrôle judiciaire.

 

[11]           Bien que je sois d’accord qu’un tel cycle est un effet négatif possible du système dans son état actuel, je crois qu’il appartient au législateur, et non à cette Cour, de trouver des moyens de résoudre ce problème. Je maintiens mon raisonnement de Lewis, et je conclus que la présente demande a un caractère théorique.

 

Est-ce que l’agente d’exécution a commis une erreur en rendant sa décision?

 

[12]           Cependant, il y a une utilité à rendre une décision sur le fond de cette affaire et je vais, par conséquent, exercer mon pouvoir discrétionnaire de l’entendre, bien qu’elle soit théorique. Pour arriver à cette conclusion, j’ai accordé une importance cruciale à l’objectif de l’ERAR, puisqu’il s’agit du moyen par lequel le Canada remplit ses obligations internationales de ne pas renvoyer des demandeurs d’asile s’ils sont pour faire face à un risque de persécution ou de torture.

 

[13]           La question soulevée par le demandeur est de savoir si l’agente d’exécution a commis une erreur en refusant sa demande visant à différer son renvoi. Il prétend qu’elle a commis une erreur dans l’évaluation des risques auxquels il ferait face s’il devait retourner en Chine et qu’elle a rendu une décision déraisonnable en ce qui concerne les motifs d’ordre humanitaire, en particulier l’intérêt supérieur de ses enfants.

 

[14]           À l’audience, il a seulement maintenu l’allégation voulant que l’agente d’exécution n’ait pas évalué le danger auquel il s’exposait à son retour en Chine, comme elle était obligée de le faire. La question soulevée au sujet des motifs humanitaires était, à mon avis, non fondée.

 

[15]           La défendeur a répliqué que le pouvoir discrétionnaire de l’agent de différer le renvoi ne s’étend pas à l’évaluation des risques, cette tâche appartenant aux agents d’ERAR : Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 741, [2001] A.C.F. no 1082.  Le paragraphe 15 de Kaur se lit comme suit : « Je suis également d'avis que le pouvoir discrétionnaire que doit exercer l'agente de renvoi ne comprend pas l'évaluation du risque mais inclut plutôt l'identification de circonstances spéciales qui pourraient la justifier de surseoir au renvoi. »

 

[16]           Même si Kaur fait autorité au sujet de l’argument voulant que l’évaluation des risques ne fasse pas partie de tâches d’un agent de renvoi, je souligne que lorsqu’on lit cette décision dans le contexte de Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682, dont de larges extraits y sont cités, il est clair que l’intention de mon collègue le juge Edmond P. Blanchard était d’énoncer que les agents de renvoi n’ont pas pour fonction de se concentrer seulement sur l’évaluation des risques. Cependant, les allégations de risques doivent être pris en compte par les agents d’exécution, spécialement lorsqu’aucune évaluation des risques auxquels fait face la personne susceptible de renvoi n’a eu lieu, comme dans le cas qui nous concerne : Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1370, [2006] F.C.J. No. 1717.

 

[17]           Il a été déclaré à maintes reprises par la Cour et par les instances supérieures que le Canada a l’obligation de ne pas retourner des demandeurs d’asiles déboutés s’ils font face à la persécution grave, la torture ou la mort : voir, entre autres, Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3. En l’espèce, la preuve ne démontre pas que dans le cas de M. Wong un agent s’est préoccupé de cette question. Ses allégations de risques ont été faites avant la demande de report et l’agente d’exécution a indiqué que les observations de M. Wong figuraient dans son dossier lorsqu’elle a rendu sa décision.

 

[18]           L’agente a commis une erreur en fondant son refus de différer le renvoi entièrement sur le motif qu’il s’agissait, techniquement, d’une deuxième demande d’ERAR, sans accorder d’importance à la question du risque réel de persécution grave, de torture ou de mort si M. Wong devait retourner en Chine. Il n’était pas nécessaire d’entreprendre une évaluation complète, similaire à une ERAR, mais elle aurait dû prendre en compte le risque auquel il pourrait faire face en tant que criminel de retour. Il n’y a pas d’indices dans les notes de l’agente qu’elle ait examiné de quelque façon cette question.

 

[19]           Vu cette erreur et en dépit du caractère techniquement théorique de la demande, je vais renvoyer l’affaire pour réexamen, mais seulement sur la question des risques auxquels s’exposerait M. Wong à son retour en Chine, si risques il y a.

 

[20]           Les avocats ont proposé que je certifie une question concernant le caractère théorique de la question, similaires à celles certifiées dans Baron, Palka et Lewis. Compte tenu de ma décision d’examiner le fond de l’affaire, je ne vois aucune raison d’agir ainsi.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est accueillie en partie et que l’affaire est renvoyée à l’agente d’exécution pour réexamen, mais seulement sur la question du risque. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3845-07

 

INTITULÉ :                                       YUAN CHANG WONG

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 17 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :                      le 24 juin 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

Alexis Singer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BARBARA JACKMAN

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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