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Date : 20080702

Dossier : IMM-3106-07

Référence : 2008 CF 822

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Montigny

 

ENTRE :

JANNET PACASUM (alias Jannet Basco Pacasum)

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision de la Section de la protection des réfugiés (le tribunal), rendue le 20 juin 2007, par laquelle il a été conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger. La commissaire a jugé que la demanderesse était crédible, mais qu’elle n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l'État. Malgré les arguments pertinents de l’avocate de la demanderesse, je suis parvenu à la conclusion que la présente demande doit être rejetée pour les raisons suivantes. 

 

I. Les faits

 

[2]               La demanderesse est citoyenne des Philippines et d’obédience catholique. Elle a conçu un enfant à l’âge de 18 ans avec son petit ami musulman nommé Edgar Pacasum. Vu cette grossesse et devant l’insistance des parents de la demanderesse, ils se sont épousés le 12 juin 1994. Le couple a eu un deuxième enfant en 1996.

 

[3]               La demanderesse a fait valoir qu’elle ignorait que la tradition musulmane permettait aux hommes d’avoir plus d’une femme à la fois. Elle s’est finalement rendu compte que son mari fréquentait une autre femme. Plus d’une fois, elle lui a demandé de s’expliquer relativement à cette liaison, mais n’a obtenu que des coups en guise de réponse.

 

[4]               Le 15 février 2002, la demanderesse a fait part de la violence physique dont elle était victime à la police et aux représentants officiels, qui lui ont alors dit de les appeler advenant un autre épisode de violence. Son mari lui a dit qu’il enlèverait les enfants et qu’elle ne les reverrait jamais si elle faisait à nouveau rapport à la police à son sujet.

 

[5]               La demanderesse et son mari se sont été séparés pendant plusieurs mois, mais ont par la suite repris la vie commune. En octobre 2002, elle s’est cachée avec ses enfants à Cebu; son mari les a suivis et suppliés de revenir à la maison avec lui, ce qu’elle a fait après que les enfants l’eurent convaincue de retourner à Manille.

 

[6]               Le 12 décembre 2002, la demanderesse a demandé des soins médicaux à l’hôpital de Quirino à la suite d’un épisode de violence qu’elle a signalé à la police.

 

[7]               À un autre moment, la demanderesse a été violée par son mari. À la suite de cet incident, elle est tombée enceinte et a donné naissance à leur fille le 14 décembre 2003. Sa situation s’est empirée lorsqu’elle a appris que son mari avait l’intention de prendre une deuxième épouse.

 

[8]               Le 13 mars 2005, la demanderesse s’est cachée encore une fois avec ses enfants dans la province d’Iloilo, mais son mari les a trouvés et forcés à revenir à Manille. La bonne des enfants l’a informée que son mari vivait avec la femme avec laquelle il avait une liaison.

 

[9]               En juin 2005, le mari de la demanderesse a appris qu’elle avait demandé de l’argent à ses parents pour envoyer leurs enfants à l’école, et il l’a battue encore une fois. La demanderesse prétend qu’elle était battue pratiquement tous les jours. En août 2005, son mari a commencé à passer la majeure partie de son temps avec l’autre femme et ne revenait à la maison que deux ou trois fois par semaine.

 

[10]           En octobre 2005, les beaux-parents de la demanderesse ont demandé la permission de garder les enfants pendant une semaine et elle a accepté. Lorsqu’elle est allée chercher ses enfants chez ses beaux-parents, ils n’étaient plus là. Le 26 octobre 2005, elle a signalé l’enlèvement à la police.

 

[11]           La demanderesse a remarqué plusieurs incidents douteux; elle croyait que la famille de son mari avait embauché des gens pour qu’ils se garent devant sa maison. La famille de son mari est riche et puissante à Mindanao.

 

[12]           Le 2 février 2006, elle est venue au Canada pour recouvrer ses forces et entreprendre une nouvelle vie avant de tenter à nouveau de rechercher ses enfants. Le 18 mai 2006, elle a demandé l’asile. La commissaire a rejeté sa demande le 20 juin 2007, et la demanderesse demande à la Cour le contrôle de cette décision.

 

II. La décision contestée

 

[13]           La commissaire a conclu que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, étant donné qu’elle n’a pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État. Bien que la commissaire ait reconnu que la demanderesse était victime de violence conjugale et que ce type de violence conjugale constitue encore un problème grave aux Philippines, elle a fait observer que l’État n’est pas tenu d’assurer une protection parfaite à ses citoyens. Elle a conclu que la demanderesse pourrait se réclamer de la protection de l’État si elle était victime de violence conjugale à l’avenir.

 

[14]           La commissaire a fait observer que des mesures importantes ont été prises par les Philippines au regard de la question de la violence conjugale au cours des dernières années; la Loi de 2004 contre la violence envers les femmes et les enfants a été adoptée; la violence faite aux femmes et à leurs enfants, et les torts qui leur sont causés, sont maintenant criminalisés; le viol est un crime capital et des ordonnances de protection sont offertes. 

 

[15]           Même si la demanderesse a dénoncé son mari à la police à deux reprises, la commissaire a fait remarquer qu’elle avait été avisée de contacter la police si la violence continuait et qu’elle avait été dirigée vers le centre d’assistance et de renseignements pour femmes en crise de la Police nationale des Philippines (PNP) (Philippines National Police (PNP) Women in Crisis Help and Info Desk). La police ne l’a donc pas ignorée. En outre, la commissaire a constaté que le rapport de police daté du 2 décembre 2002 indiquait que la demanderesse avait refusé de divulguer les allées et venues de son mari et qu’elle avait prétendu que l’incident n’était qu’une dispute conjugale. Elle a conclu que rien n’indiquait un manque de protection de la part de l’État.

 

[16]           Après avoir cité un long extrait du rapport intitulé Country Reports on Human Rights Practices du département d'État des États-Unis, la commissaire du tribunal a déclaré qu’elle attribuait une valeur plus importante à la preuve objective qu’au témoignage de la demanderesse au regard de la possibilité de bénéficier de la protection de l’État. Elle a conclu que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l'État.

 

II. Questions en litige

 

[17]           La seule question à trancher est celle de savoir si la commissaire a commis une erreur en concluant que la demanderesse pouvait se réclamer de la protection de l’État aux Philippines.

 

[18]           La Cour a déterminé que la norme de contrôle applicable aux questions relatives à la protection de l’État est celle de la décision raisonnable : voir Chaves c. Canada (MCI), 2005 CF 193, 45 Imm. L.R. (3d) 58. Cette norme a été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans Hinzman c. Canada (MCI), 2007 CAF 171, au par. 38, 282 D.L.R. (4th) 413 (Hinzman) et n’a pas été modifiée par la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, 164 A.C.W.S. (3d) 727 (Dunsmuir). La suffisance de la protection de la protection de l’État soulève des questions mixtes de fait et de droit et doit, par conséquent, faire l’objet d’une grande retenue judiciaire. Une cour de révision n’interviendra pas en cas d’appartenance de la décision « aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir au par. 47.

 

IV. Analyse

 

[19]           La question de la protection de l’État a été débattue à plusieurs reprises par notre Cour et par la Cour d’appel fédérale, ainsi que par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (A.G.) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (QL) (Ward). À défaut d’une situation d'effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer qu’un État est en mesure d’assurer la protection de protéger ses citoyens. Pour réfuter cette présomption, le demandeur doit démontrer par une preuve claire et convaincante l’incapacité de l’État à assurer sa protection. Mon collègue la juge Layden-Stevenson a fort bien résumé les principes applicables dans B.R. c. Canada (MCI), 2006 CF 269, au par. 20, 53 Imm. L.R. (3d) 229 :

 

À défaut d'une situation d'effondrement complet de l'appareil étatique, il est généralement présumé qu'un État est en mesure d'assurer la protection de ses citoyens. Cette présomption sert à renforcer la raison profonde de la protection internationale offerte en remplacement, laquelle entre en jeu lorsque celui qui la réclame n'a plus d'autre solution. Les demandeurs d'asile doivent présenter une preuve corroborant de façon claire et convaincante l'incapacité de l'État à assurer leur protection pour réfuter la présomption voulant que l'État soit en mesure de protéger ses citoyens : Canada (Procureur général) c. Ward, 2 R.C.S. 689. La protection étatique n'a pas à être parfaite, mais elle doit être adéquate. Il ne suffit pas de démontrer qu'un gouvernement n'a pas toujours été efficace pour protéger les personnes dans la situation particulière du demandeur. Toutefois, lorsque l'État se révèle si faible, et sa maîtrise si ténue, qu'il n'est qu'un gouvernement nominal, il peut être justifié d'affirmer être incapable d'obtenir sa protection : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334 (C.A.F.), autorisation d'en appeler refusée, [1993] C.S.C.R. n76.

 

[20]           La demanderesse ne se trompe sans doute pas en déclarant que le pouvoir de l’État de protéger ses citoyens doit être apprécié non seulement en examinant le mécanisme législatif et procédural en place, mais également la capacité et la volonté d’en mettre efficacement les dispositions à l’œuvre : voir, par ex., Elcock c. Canada (MCI) (1999), 175 F.T.R. 116, 91 A.C.W.S. (3d) 820; Mitchell c. Canada (MCI), 2006 CF 133, 51 Imm. L.R. (3d) 159; Franklyn c. Canada (MCI), 2005 CF 1249, 142 A.C.W.S. (3d) 308. Cela étant dit, le critère ne doit pas être élevé au point qu’il soit virtuellement impossible à satisfaire même dans les démocraties les plus développées comme le Canada. Comme le juge Gibson l’a affirmé dans Smirnov c. Canada (Secrétariat d’État), [1995] 1 C.F. 780 (1re inst.), au par. 11, 52 A.C.W.S. (3d) 398 :

 

En toute déférence, je conclus que Madame le juge Tremblay-Lamer fixe une norme trop élevée en ce qui concerne la protection de l'État, norme que, dans bien des cas, il serait difficile d'atteindre même dans notre pays. C'est une réalité moderne que la protection offerte est parfois inefficace. Bien des incidents de harcèlement ou de discrimination ou à la fois de harcèlement et de discrimination peuvent survenir d'une manière qui rend très difficiles toute enquête et toute protection efficaces. Le recours à des lettres non signées qui ne donnent pas l'identité de leurs auteurs et à des communications téléphoniques établies au hasard dans lesquelles la personne qui appelle ne s'identifie pas en constituent des exemples. Un simple incident de dégradation d'un bien en constitue un autre. Les requérants ont été victimes de ces genres d'incidents et n'ont pas obtenu satisfaction lorsqu'ils les ont signalés à la milice ou à la police. Il est également difficile premièrement d'enquêter efficacement sur des agressions commises au hasard, comme celles subies par les requérants, où les agresseurs ne sont pas connus de la victime et dont aucun tiers n'a été témoin et deuxièmement de protéger efficacement la victime contre ses agresseurs. Dans de tels cas, même la police la plus efficace, la mieux équipée et la plus motivée aura de la difficulté à fournir une protection efficace. Notre Cour ne devrait pas imposer à d'autres pays une norme de protection « efficace » que malheureusement la police de notre propre pays ne peut parfois qu'ambitionner d'atteindre.

 

Voir également : Ferguson c. Canada (MCI), 2002 CFPI 1212, 118 A.C.W.S. (3d) 702; Malik c. Canada (MCI), 2004 CF 189, 129 A.C.W.S. (3d) 161; Danquah c. Canada (MCI), 2003 CF 832, 124 A.C.W.S. (3d) 553; Syed c. Canada (MCI) (2000), 195 F.T.R. 39, 100 A.C.W.S. (3d) 471.

 

 

[21]           Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a effectué une lecture attentive de l’arrêt Ward et elle a confirmé que le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique « devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile » : Hinzman, au par. 57. 

 

[22]           Encore plus récemment, la Cour d’appel fédérale a été appelée à  répondre à une question certifiée relativement à la protection de l’État, dans le contexte d’une demande d’asile fondée sur la violence conjugale (Le ministre de la Citoyenneté et de l’immigration c. Carrillo, 2008 CAF 94). S’exprimant au nom de la Cour, le juge Létourneau a d’abord mentionné que le demandeur avait à la fois une charge de présentation et une charge de persuasion. En d’autres mots, le demandeur doit non seulement introduire des éléments de preuve quant à l'insuffisance de la protection de l'État (charge de présentation), mais doit également convaincre le juge des faits que les éléments de preuve ainsi produits établissent l'insuffisance de la protection de l'État (la charge de persuasion). Bien que le fardeau de la preuve soit la norme habituelle de la prépondérance de la preuve applicable pour réfuter les présomptions dans les affaires administratives et civiles, la qualité de la preuve produite pour satisfaire à ce fardeau devra être d’un niveau élevé si, comme il est affirmé dans l’arrêt Ward, la « présomption sert à renforcer la raison d'être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d'aucune solution de rechange » (par. 51). En conséquence, la preuve produite devra non seulement être fiable, mais également avoir une valeur probante.

 

[23]           En l’espèce, la demanderesse soutient que le tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte de son récit des incidents où elle n’a pas pu bénéficier de la protection d'État. La demanderesse a fourni deux rapports de police au tribunal, mais il a été jugé que lesdits rapports ne faisaient pas état d’une d’insuffisance de protection. La demanderesse a affirmé qu’elle n’a reçu aucune aide, malgré le renvoi de son dossier au centre d’assistance et de renseignements pour femmes en crise de la PNP, et qu’on lui avait dit d’attendre, car d’autres dossiers avaient été présentés avant le sien.

 

[24]           Toutefois, une lecture attentive de la décision révèle que le tribunal a tenu compte des rapports de police. Le premier de ces rapports, daté du 15 février 2002, indique que la demanderesse a signalé la violence physique dont elle avait été victime de la part de son mari et qu’elle avait été avisée de contacter la police et le commissariat si un autre incident de violence se produisait. Elle a également été dirigée vers le centre d’assistance et de renseignements pour femmes en crise de la PNP. Selon le tribunal, cela indiquait que la demanderesse n’avait pas été ignorée par les autorités.

 

[25]           En ce qui a trait au deuxième rapport, daté du 2 décembre 2002, il semble que la demanderesse ait refusé de divulguer les allées et venues de son mari et qu’elle ait prétendu que l’incident était en fait une dispute conjugale. Là encore, la demanderesse ainsi que sa famille et les amis qui l’accompagnaient ont été avisés de contacter la police et le commissariat si d’autres actes violents étaient commis, et ils ont été encore une fois dirigés vers le centre d’assistance et de renseignements pour femmes en crise de la PNP. Encore une fois, le tribunal a estimé que cela ne démontrait pas une insuffisance de protection de la part des autorités.

 

[26]           Il m’est impossible de conclure qu’il n’était pas raisonnable de la part du tribunal de juger que la demanderesse n’avait pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État à l’aide d’éléments de preuve clairs et convaincants. Il peut très probablement y avoir eu des retards dans le traitement du dossier de la demanderesse à l’ONG en place au commissariat de police, mais ces retards sont loin de démontrer que la demande de la demanderesse a été ignorée. En outre, la police a expressément dit à la demanderesse et à sa famille de revenir au commissariat si d’autres actes de violence conjugale étaient commis. Enfin, la demanderesse semble avoir eu elle-même des avis partagés le 2 décembre 2002 lorsqu’elle s’est plainte à la police et qu’elle a ensuite refusé de divulguer les allées et venues de son mari. Le rapport indique que les enquêteurs de la police ont communiqué avec le mari, malgré la réticence de la demanderesse à cet égard. Cela ne démontre manifestement pas un manque de volonté de la part de la police d’assurer un suivi concernant la plainte de la demanderesse et, de ce fait, il y a lieu d’établir une distinction entre la présente affaire et les affaires précédentes dans lesquelles le demandeur a été repoussé ou ignoré par les autorités.

 

[27]           Comme la présente Cour l’a mentionné à maintes reprises, on ne peut pas s’attendre à ce que la police assure une protection efficace, particulièrement dans le cas de violence conjugale, lorsque la demanderesse elle-même n’est pas prête à collaborer. Certains crimes sont évidemment plus difficiles à punir que d’autres et, en l’absence d’un défaut, d’une incapacité ou d’un refus évident et systémique des autorités d’enquêter et de porter des accusations, nous devrions hésiter avant de conclure qu’un État est incapable de protéger ses citoyens. 

 

[28]           Finalement, la Cour n’a pas pour tâche de décider si elle aurait dû parvenir à la même conclusion que le tribunal, mais plutôt d’examiner la question de savoir si la décision fait partie des issues acceptables au regard des faits et du droit. Le tribunal était non seulement justifié de conclure que la preuve présentée par la demanderesse pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État n’était pas convaincante, mais son évaluation était également renforcée par la preuve documentaire présentée. Après avoir pris connaissance de cette preuve, le tribunal a reconnu que la violence conjugale représente toujours un problème important aux Philippines, et que la protection de l’État peut ne pas être parfaite. Le tribunal a conclu, toutefois, que les Philippines constituent une démocratie dont le fonctionnement n’est pas remis en question et que des mesures importantes ont été prises pour lutter contre la violence conjugale, notamment l’adoption de la Loi de 2004 contre la violence envers les femmes et les enfants. Ladite loi criminalise les préjudices ou abus physiques, sexuels et psychologiques causés aux femmes et à leurs enfants par leurs conjoints ou partenaires, prévoit la peine de mort en cas de viol et permet d’avoir recours à des ordonnances de protection. Bien que ladite loi soit insuffisante en soi pour permettre de conclure que les Philippines protègent efficacement les femmes dans la situation de la demanderesse, il y a des raisons de croire qu’elle est effectivement appliquée. Le rapport de 2006 du département d'État des États-Unis, cité par le tribunal, indique que la PNP a signalé, au cours de ladite année, 818 dossiers en application de cette nouvelle loi et 2 015 autres dossiers de femmes battues et de préjudices corporels en application des plus anciennes. Ce même rapport indique également qu’il existe un réseau important d’ONG capable d’assurer un soutien aux victimes et d’offrir de la formation sur la sensibilisation aux disparités entre les sexes pour s’occuper des victimes de crimes sexuels et de violence conjugale. Ainsi, le tribunal pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État et que ce n'est pas le rôle de la Cour de réévaluer la preuve qui a été déposée devant le tribunal.  

 

[29]           Enfin, la demanderesse a fait valoir que le tribunal n'a fourni aucun motif expliquant pourquoi il a préféré la preuve documentaire à son témoignage. Je conviens qu’il serait inadmissible d’affirmer qu’on devrait toujours privilégier la preuve documentaire au dépens de la preuve présentée par le demandeur d’asile parce que ce dernier a un intérêt dans l'issue de l'audience (voir Coitinho c. Canada (MCI), 2004 CF 1037, 132 A.C.W.S. (3d) 1154), surtout lorsque le demandeur a été jugé crédible (voir Ramsaywack c. Canada (MCI), 2005 CF 781, 46 Imm. L.R. (3d) 249). Cependant, il est également vrai que la narration des faits par le demandeur ne peut pas toujours être entièrement déterminante. Il faut tenir compte de la situation globale pour déterminer s’il était raisonnable que le demandeur cherche à obtenir la protection de l’État. En effectuant cette évaluation, le tribunal est autorisé à se fier à la preuve documentaire et à la préférer à celle présentée par le demandeur : Zvonov c. Canada (MCI) (1994), 83 F.T.R. 138  (1re inst.), 28 Imm. L.R. (2d) 23; Zhou c. Canada (MEI) (1994), 49 A.C.W.S. (3d) 558, [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) (QL). En l’espèce, le tribunal a conclu que la preuve documentaire provenait de diverses sources fiables et indépendantes, dont aucune n’avait un intérêt direct dans la question de savoir si la demanderesse d’asile aurait la qualité de réfugiée au sens de la Convention. En outre, les expériences vécues par la demanderesse ont eu lieu avant l’adoption de la nouvelle loi en 2004. Sur ces fondements, le tribunal pourrait préférer la preuve documentaire à celle présentée par la demanderesse.

 

[30]           Pour tous ces motifs, je suis donc d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

.

 

« Yves de Montigny »

Juge

                                                                                                                                       

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Danielle Benoit

 


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3106-07

 

INTITULÉ :                                       JANNET PACASUM

                                                            c.

                                                            LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 AVRIL  2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR :                     LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 2 JUILLET 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vaska Bozinovski

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ned Djordejevic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vaska Bozinovski

Avocate

4665, rue Yonge, bureau 304

Toronto (Ontario) M2N 0B4

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims,

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                   

 

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