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Date :  20080627

Dossier :  IMM-5270-07

Référence :  2008 CF 816

Ottawa, Ontario, le 27 juin 2008

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

Elias Humberto Ortegon Palacios

demanderesse

et

 

Le Ministre de la Citoyenneté

et de l'Immigration

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               La preuve documentaire sur le trafic de drogue au Mexique dépeint une situation assez sérieuse; les différents clans poursuivent une lutte sanglante de plus en plus violente pour s’approprier le marché du transit de la drogue vers le[sic] États-Unis; des villes situées à la frontière américaine comme Nuevo Laredo, Ciudad Juarez, Tijuana, Reynosa sont contrôlées par les narcotrafiquants, qui ont infiltré les autorités policières, à tel point que dans ces lieux, la protection de l’État ne peut plus raisonnablement être assurée. Cette situation ne s’étend heureusement pas à tout le Mexique; la preuve documentaire ne mentionne pas Ecatepec comme une ville où la protection ne saurait être assurée aux citoyens.

 

            Un principe bien établi est celui de la présomption de protection d’un État envers ses citoyens. La Cour fédérale a maintes fois réitéré que la protection internationale ne saurait être offerte qu’à une personne qui démontre qu’elle ne peut bénéficier de la protection de son État. Pour renverser la présomption qu’un État est en mesure de protéger efficacement ses citoyens, le demandeur devait présenter au tribunal une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État d’assurer sa protection.

 

Comme spécifié par madame la commissaire Michelle Langelier dans la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié.

 

[2]               Également, comme analysé d’une façon approfondie par monsieur le juge Yves de Montigny dans son jugement dans Campos Navarro c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 358, [2008] A.C.F. no 463 (QL) :

 

[11]      Il est maintenant de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable à une décision portant sur la protection de l’État est celle de la décision raisonnable : voir Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193.

 

[12]      En ce qui concerne la possibilité de refuge interne, il était de pratique courante d’appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable compte tenu de la nature éminemment factuelle d’une telle détermination : voir, par exemple, Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCT 193; Ezemba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 1023. Or, la Cour suprême du Canada en est récemment arrivé à la conclusion dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], que les deux normes de raisonnabilité devaient se fondre en une seule, étant donné les difficultés d’application auxquelles ces deux normes donnaient lieu et l’incongruité pour les parties de devoir se soumettre à une décision irrationnelle pour la seule raison que l’irrationalité n’était pas assez évidente suivant une norme appelant la déférence.

 

[13]      Est-ce à dire que l’application d’une seule norme de raisonnabilité ouvre la porte à une plus grande intervention judiciaire? Ce n’est pas le sens et la portée qui me semble devoir être attribués à l’arrêt Dunsmuir. Bien au contraire, les juges Bastarache et LeBel insistent sur la déférence dont les tribunaux doivent faire preuve lorsque le législateur a choisi de confier à un organisme administratif le soin de prendre certaines décisions dans l’application de la loi qui lui est confiée. Voici ce qu’ils écrivent à ce sujet :

 

[48] L’application d’une seule norme de raisonnabilité n’ouvre pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire ni ne constitue un retour au formalisme d’avant l’arrêt Southam. À cet égard, les décisions judiciaires n’ont peut-être pas exploré suffisamment la notion de déférence, si fondamentale au contrôle judiciaire en droit administratif. Que faut-il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » : Mossop, p. 596, la juge L’Heureux-Dubé, dissidente. […]

 

[49] […] La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien.

 

[14]      Que faut-il retenir de ces considérations? Il semble bien que les cours de justice devront continuer de faire preuve d’une grande retenue lorsque la question tranchée par le tribunal administratif ne se prête pas à une seule bonne réponse. Il en ira notamment ainsi lorsque la question est de nature essentiellement factuelle, ou fait appel au pouvoir discrétionnaire ou à la politique qu’est chargé de mettre en œuvre l’organisme créé par le législateur : Dunsmuir, supra para. 53. En de tels cas, les cours devront se demander si la décision contestée est raisonnable, compte tenu de la « justification de la décision », de la « transparence » et de « l’intelligibilité du processus décisionnel », et de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, supra para. 47).

 

[15]      Compte tenu de cette norme de contrôle, peut-on conclure que le Tribunal a erré en concluant que la protection de l’État était disponible pour les demandeurs, et qu’ils avaient la possibilité de trouver un refuge interne au Mexique? Je ne le crois pas.

 

II.  Introduction

[3]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR) de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié (Commission), datée du 7 novembre 2007, par laquelle la Commission a statué que le demandeur n’avait pas la « qualité de réfugié » au sens de l’article 96 de la LIPR, ni celle de « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR, rejetant par conséquent la demande d’asile déposée par celui-ci.

 

III. Faits

[4]               Le demandeur, monsieur Elias Humberto Ortegon Palacios, est citoyen du Mexique. Au cours de ses études secondaires, il a été sollicité par un groupe de jeunes gens liés au trafique de drogue.

 

[5]               Le demandeur base sa revendication en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit celui des « jeunes persécutés par des trafiquants de drogue pour avoir refusé de vendre de la drogue ». (Décision de la Commission à la p. 2.)

 

 

IV.  Questions en litige

[6]               La décision rendue par la Commission est-elle entachée d’irrégularités qui justifieraient l’intervention de cette Cour en considérant :

a) la protection de l’État, et également

b) la possibilité de refuge interne.

Plus précisément, la conclusion de la Commission concernant la possibilité de refuge interne est-elle déraisonnable? Existe-t-il une preuve capable d’étayer celle concernant la protection de l’État?

 

V.  Analyse

La décision rendue par la Commission est-elle entachée d’irrégularités qui justifieraient l’intervention de cette Cour?

 

[7]               Des échanges importants ont eu lieu entre le demandeur et la Commission concernant la protection de l’État et également concernant la possibilité de refuge interne y inclut la preuve concrète qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de fuir dans une autre partie du Mexique sans avoir une situation qui l’empêcherait de déménager.

 

La possibilité de refuge interne

[8]               Tel que l’explique la Commission :

Si la preuve ne permet pas au tribunal de conclure que le demandeur pourrait être en danger dans son État, à plus forte raison le tribunal ne peut que conclure que le demandeur n’a pas établi de manière crédible comment ses agresseurs pourraient le retrouver ailleurs dans ce vaste pays qu’est le Mexique.

 

Par conséquent, le demandeur n’a pas établi qu’il n’y avait pas pour lui de possibilité de refuge intérieur et n’a pas établi que le risque auquel il allègue être exposé en tous lieux au Mexique.

 

(Décision de la Commission à la p. 4.)

 

 

[9]               Il est bien établi qu’en matière de possibilité de refuge interne le fardeau de preuve appartient au demandeur :

[18]      Madame Del Real ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, il existait une possibilité sérieuse de persécution partout au Mexique et qu’il serait déraisonnable pour elle de chercher le refuge dans une autre partie de son pays. (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.); [1994] A.C.F. no 1172 (QL).)

 

(Del Real c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 140, [2008] A.C.F. no 170 (QL).)

 

[10]           Ainsi, le demandeur d’asile doit démontrer qu’il serait déraisonnable pour lui de chercher refuge dans une autre région du pays :

[8]        [...] Pour que la PRI soit déraisonnable, il doit y exister des conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur qui se rendrait ou se réinstallerait temporairement dans ce lieu. L’absence de parents dans la PRI n’est pas pertinente à moins qu’elle ne mette en danger la sécurité du demandeur (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.F.)).

 

 

(Parras Camargo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 472, [2006] A.C.F. no 601 (QL).)

 

[11]           Sachant que la Cour réalise que :

[28]      Il a lieu de noter que l’existence d’une possibilité de refuge intérieur suffit en soi pour disposer de la demande d’asile. Dans Sarfraz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1974 (QL), au paragraphe 12, Madame la juge Snider explique que « l’existence d’une PRI valide tranche la demande d’asile et conséquemment, que les autres questions soulevées par le demandeur dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire n’ont pas à être examinées » (voir aussi Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 1256 (QL)).

 

(Carrasco Baldomino c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1270, [2007] A.C.F. no 1638 (QL).)

 

[12]           La conclusion de la commissaire quant à cette possibilité de trouver refuge à l’intérieur du Mexique est raisonnable. Il n’y a, par conséquent, pas lieu pour cette Cour d’intervenir.

 

La protection de l’État

[13]           La norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la protection de l’État est celle de la décision raisonnable. Ainsi, seule la présence de conclusions tirées sans égard à la preuve justifierait une intervention de la Cour. Tel que rappelé récemment par monsieur le juge Simon Noël :

[8]        D’emblée, la norme de contrôle applicable lorsqu’il s’agit de la protection de l’état est celle de la décision raisonnable simpliciter. Voir Amiragova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. no 1116, 2006 CF 882.  Pour réussir la demanderesse doit démontrer que la décision de la SPR n’était pas raisonnable; qu’il n’existe aucune preuve capable d’étayer sa conclusion. Il s’agit donc d’un fardeau lourd à soulever pour la demanderesse.

 

(Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2008] C.F. 66, [2008] A.C.F. no 76 (QL); également, Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1 aux para. 43-64.)

 

[14]           La Cour est d’accord avec la conclusion de la Commission que le demandeur n’avait pas démontré, par une preuve claire et convaincante, que le Mexique était incapable de lui fournir la protection nécessaire :

Par conséquent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas démontré qu’il était justifié de ne pas s’être réclamé de la protection de son État lors de l’agression en mars 2005. Quant à sa plainte de juillet 2006, aucune agression n’étant survenue, il n’était pas déraisonnable pour les autorités de ne pas procéder à une enquête dans les circonstances. Le demandeur n’a pas présenté aucun élément de preuve clair et convaincant selon lequel il ne pourrait bénéficier de la protection de l’État du Mexique.

 

(Décision de la Commission à la p. 3.)

 

 

[15]           Il est clair, à la lecture de la décision, que la Commission a consulté les documents qui décrivent la situation au Mexique, incluant celle qui démontre que la protection peut parfois être difficile à obtenir à certains endroits. La Commission réfère à la preuve documentaire objective dans plusieurs extraits de sa décision.

 

[16]           La Commission a raisonnablement interprété et analysé toute la preuve, ainsi que le témoignage du demandeur.

 

[17]           L’intervention de cette Cour n’est, par conséquent, pas justifiée.

 

VI.  Conclusion

[18]           En tant que pays signataire de la Convention concernant les réfugiés et/ou personne à protéger qui pourrait se retrouver en péril au sens de l’article 97 de la LIPR, le Canada accorde une protection aux revendicateurs qui ne peuvent obtenir une protection de leurs pays. Toutefois, la LIPR impose une obligation auprès du revendicateur de sorte que ce dernier doit épuiser toute possibilité de protection au sein de son pays et que malgré tout effort sa vie pourrait être en danger. En reconnaissant que le demandeur n’a pas rempli le fardeau qui lui est imposé, cette Cour doit rejeter sa demande de révision judiciaire.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5270-07

 

INTITULÉ :                                       ELIAS HUMBERTO ORTEGON PALACIOS

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 26 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 27 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Manuel Centurion

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Mireille-Anne Rainville

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MANUEL CENTURION, Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

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