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Date : 20080626

Dossier : IMM-5059-07

Référence : 2008 CF 805

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2008

En présence de Monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

JUSTIN COLBY

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en date du 26 octobre 2007. La Commission a conclu que le demandeur, Justin Colby, n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Le demandeur soulève en l’espèce les trois questions suivantes :

a)      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve ou en l’interprétant de façon erronée?

b)      Y a‑t‑il eu manquement à la justice naturelle causé par l’inefficacité de l’avocat du demandeur?

c)      La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son interprétation des faits?

 

[3]               À mon avis la question déterminante est la suivante : La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas demandé la protection de son État?

 

LE CONTEXTE FACTUEL

[4]               Le demandeur est un citoyen des États‑Unis. Le 6 mai 2003, il s’est enrôlé dans l’armée des États‑Unis comme médecin. Il croyait qu’il faisait la bonne chose en combattant les terroristes, particulièrement ceux qui étaient responsables des attaques sur le World Trade Center du 11 septembre 2001. Il a terminé son instruction de base et a été envoyé en mission pendant un an en Corée du Sud.

 

[5]               En juillet 2004, le demandeur a reçu un ordre de mission pour aller en Iraq. Pendant qu’il se trouvait en congé avant de quitter pour la mission, il a parlé avec son oncle, un professeur d’université, qui l’a avisé qu’aucune arme de destruction massive n’avait été trouvée en Iraq et que les Iraquiens n’avaient pas participé aux attaques du 11 septembre. Le demandeur a expliqué à son premier sergent qu’il était d’avis que les États‑Unis mentaient à leurs troupes. On lui a dit de ne pas douter de la chaîne de commandement.

 

[6]               Après leur arrivée au Koweït, le premier sergent a avisé le demandeur que le Secrétaire à la Défense devait effectuer un examen du personnel. On a dit au demandeur qu’on s’attendait à ce qu’il exprime son soutien envers la mission. Le sergent a demandé à ce que tous ceux qui n’étaient pas d’accord lèvent leur main, ce que le demandeur a fait. Comme punition pour avoir exprimé publiquement son désaccord, on a soumis le demandeur à un type de discipline qui n’est pas inscrit dans les dossiers, connu sous le nom de « smoking ».

 

[7]               Après cette punition, le demandeur s’est présenté au bureau de l’aumônier, où on lui a suggéré de demander le statut d’objecteur de conscience. Lorsqu’il a parlé de cette possibilité avec son premier sergent, on lui a répondu que le statut d’objecteur de conscience était réservé aux gens qui refusaient de porter une arme. Le premier sergent a traité le demandeur de [traduction] « terroriste intérieur ». Le demandeur a aussi appris qu’il pouvait être poursuivi en vertu de l’Uniform Code of Military Justice (le Code uniforme de justice militaire) en raison de son désaccord.

 

[8]               Le demandeur est arrivé en Iraq en août 2004, où il a travaillé comme médecin. À ce titre, il effectuait des tâches administratives et s’occupait des besoins médicaux des patients. On lui donné des patients iraquiens pour qu’il « pratique » des actes médicaux qui dépassaient la portée normale de la pratique permise aux médecins, actes qui comprenait des trachéotomies, des intubations, des drains thoraciques et des dénudations veineuses. On a demandé au demandeur d’effectuer ces actes médicaux sur les patients iraquiens sans anesthésie. On lui a dit que l’utilisation d’anesthésiques sur les terroristes était du gaspillage. Les patients qui portaient le titre de combattants, par opposition aux civils, n’avaient pas droit aux anesthésiques, et le demandeur se souvient d’avoir vu des enfants de 11 et 12 ans porter le titre de combattants. Le demandeur a décrit ces actes comme étant des atrocités.

 

[9]               L’unité du demandeur a quitté l’Iraq en août 2005 et il a été envoyé aux États‑Unis. Il a quitté l’armée en juillet 2006, et est arrivé au Canada le 18 septembre 2006, où il a demandé le statut de réfugié.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]           La Commission a commencé sa décision en examinant le contexte et les allégations de la demande. Les faits portant sur les points de vue du demandeur et sur les services militaires ont été décrits en détail. Cependant, toutes les allégations du demandeur inscrites dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) au sujet des actes qu’on lui demandait d’effectuer à titre de médecin n’ont pas été mentionnées.

 

[11]           La Commission a d’abord conclu qu’elle était liée par la décision de la Cour fédérale dans Hinzman c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 420, [2006] A.C.F. no 521, dans laquelle il était conclu qu’on ne pouvait pas tenir compte de la légalité de la guerre en Iraq lorsqu’on examinait une demande d’asile.

 

[12]           Dans son analyse, la Commission a conclu que la demande du demandeur était fondée sur son opinion politique. La Commission a conclu que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Elle a conclu que la question déterminante était l’existence de la protection de l’État. La Commission a conclu qu’elle était liée par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration); Hughey c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2007 CAF 171, 362 N.R. 1 (Hinzman), au sujet d’un demandeur qui demandait l’asile parce qu’il refusait de participer à une guerre pour des raisons de conscience. Les conclusions dans cette décision ont été examinées en détail. Notamment, la Commission a tenu compte de l’explication de la Cour d’appel selon laquelle un demandeur doit tenter de façon adéquate de se prévaloir des mécanismes de protection de l’État où il habite avant de demander la protection d’un autre pays.

 

[13]           Au vu de cette décision, la Commission a conclu que les premières tentatives du demandeur pour obtenir le statut d’objecteur de conscience ne satisfaisaient pas au critère visant à réfuter la présomption de l’existence de la protection de l’État. La Commission a noté qu’il existait des mécanismes juridiques et militaires auxquels le demandeur aurait pu faire appel. La Commission a examiné la preuve documentaire portant sur les façons dont les déserteurs militaires sont généralement punis s’ils se prévalent de ces mécanismes, et elle a noté qu’une approche plus permissive est prise dans la majorité des cas.

 

[14]           La Commission a noté que la punition pour la désertion est donnée en conformité avec les lois d’application générale après la tenue d’une cour martiale ou d’un autre processus. Elle a noté l’existence d’un droit à un avocat et à une audience ouverte et transparente.

 

[15]           Les observations de l’avocat du demandeur, M. Jeffry House, ont été examinées. La Commission a conclu qu’aucun motif n’avait été fourni sur lequel la demande en l’espèce pouvait se distinguer de l’arrêt Hinzman, et qu’aucun fait n’avait été soulevé qui pouvait fournir des preuves du manque de protection de l’État.

 

[16]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas épuisé tous les recours auxquels il avait accès aux États‑Unis et qu’aucune circonstance exceptionnelle existait qui pouvait l’exempter de l’exigence visant à ce qu’il demande la protection dans son pays.

 

ANALYSE

La norme de contrôle

[17]           La norme de la décision raisonnable s’applique à la question de savoir si la Commission a commis une erreur dans son évaluation de l’existence de la protection de l’État (Chaves c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 55, 57, 62, et 64). Pour qu’une décision soit raisonnable, le processus décisionnel doit être justifié, transparent et intelligible. La décision doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne s’était pas prévalu de la protection de son État?

 

[18]           Le demandeur soulève un certain nombre de questions dans son mémoire; cependant, la Commission a conclu que la question déterminante était celle de l’existence de la protection de l’État.

 

[19]           Au fond, le demandeur conteste la conclusion de la Commission selon laquelle aucune preuve ne laissait entendre que l’affaire en l’espèce se distinguait de l’arrêt Hinzman. En particulier, le demandeur soutient que ses déclarations au sujet des mauvais traitements infligés aux patients iraquiens constituent des circonstances spéciales, qui permettent de distinguer l’affaire en l’espèce de la série de décisions Hinzman. Il soutient que compte tenu du paragraphe 171 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (Guide des procédures du HCNUR), la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des circonstances particulières.

 

[20]           Le Guide des procédures du HCNUR reconnaît que, de façon générale, la poursuite des déserteurs ne constitue pas une persécution. Cependant, le paragraphe 171 prévoit une réserve :

171. N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

 

[21]           Le paragraphe 171 du Guide des procédures du HCNUR traite de questions de persécution, et non de l’existence de la protection de l’État. Dans l’arrêt Hinzman, la Cour d’appel a déclaré que la protection de l’État est la première étape permettant de déterminer l’existence d’une crainte objective. Le juge Sexton de la Cour d’appel fédérale a décrit le cadre analytique permettant d’évaluer la disponibilité de la protection de l’État au paragraphe 42 de l’arrêt :

[42]      Les appelants affirment craindre d’être persécutés s’ils sont renvoyés aux États‑Unis. Cependant, pour obtenir l’asile, ils doivent également démontrer que leur crainte est fondée objectivement : voir Ward, à la page 723. Pour établir si la crainte d’être persécuté qu’éprouve un demandeur d’asile est fondée objectivement, la première étape de l’analyse consiste à évaluer si le demandeur peut être protégé de la persécution alléguée par son État d’origine. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans Ward, à la page 722, « [i]l est clair que l’analyse est axée sur l’incapacité de l’État d’assurer la protection : c’est un élément crucial lorsqu’il s’agit de déterminer si la crainte du demandeur est justifiée […] » Quand l’État offre une protection suffisante, le demandeur ne peut pas prouver que sa crainte d’être persécuté est fondée objectivement et, par conséquent, il ne peut pas se voir accorder l’asile. Ce n’est qu’en l’absence de protection étatique que la cour doit passer à la seconde étape, où elle examine si la conduite que le demandeur assimile à de la persécution peut fournir un fondement objectif à une crainte de persécution. Si l’illégalité de la guerre est bel et bien pertinente, ce ne serait qu’à cette seconde étape que la cour aurait à se pencher sur cette question. Cependant, parce que j’ai conclu que les appelants n’ont pas été en mesure de satisfaire à la première étape de l’analyse, c’est‑à‑dire montrer que les États‑Unis sont incapables de les protéger, il n’est pas nécessaire d’examiner les questions relevant de la seconde étape, y compris la pertinence de la légalité de la guerre en Iraq. [Non souligné dans l’original, sauf pour la citation de l’arrêt Ward.]

 

[22]           Par conséquent, les faits soulevés par le demandeur qui relèveraient du paragraphe 171 du Guide des procédures du HCNUR ne sont pertinents que s’il peut établir qu’il n’avait pas accès à la protection de l’État.

 

[23]           À ce sujet (la protection de l’État), je suis d’avis que la conclusion de la Commission est raisonnable.

 

[24]           Le défendeur souligne le fait que le demandeur a interrogé son premier sergent au sujet de la possibilité d’obtenir le statut d’objecteur de conscience, mais il n’a fait aucune autre demande. La Commission a conclu que « la tentative et les enquêtes préliminaires de M. Colby pour obtenir le statut d’objecteur de conscience sont loin de constituer toutes les solutions possibles dans son propre pays avant de demander la protection internationale de substitution qu’offre la qualité de réfugié. » En tant que citoyen d’un pays démocratique, le demandeur devait épuiser toute forme de recours qui lui était disponible dans son pays. Ce fait est confirmé au paragraphe 57 de l’arrêt Hinzman :

Les arrêts Kadenko et Satiacum ensemble montrent que, dans le cas de démocraties bien établies, il incombe au demandeur de prouver qu’il a épuisé tous les recours dont il pouvait disposer et celui‑ci ne sera exempté de son obligation de solliciter la protection de son pays qu’en certaines circonstances exceptionnelles : Kadenko, à la page 534, Satiacum, à la page 176. Selon l’ensemble de ces précédents, le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile. Compte tenu du fait que les États‑Unis sont une démocratie ayant adopté un ensemble complet de mesures garantissant que les personnes s’objectant au service militaire font l’objet d’un traitement juste, je conclus que les appelants n’ont pas produit suffisamment de preuve pour satisfaire à ce critère exigeant. En conséquence, je conclus qu’il était objectivement déraisonnable pour les demandeurs de ne pas avoir pris de mesure tangible pour tenter d’obtenir la protection des États‑Unis avant de demander l’asile au Canada.

 

[25]           Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel la demande du demandeur ne peut se distinguer sur le fond de l’arrêt Hinzman, sauf que dans l’affaire en l’espèce, le demandeur est un médecin qui a été envoyé en mission en Iraq plutôt qu’un soldat qui a déserté après que son unité ait été envoyée en mission dans ce pays.

 

[26]           Finalement, j’ajouterais que le demandeur a eu la possibilité lors de l’audience de traiter, de donner des détails ou de répondre à des questions au sujet des actions inhumaines qu’il avait eu l’ordre d’effectuer en Iraq, mais il ne l’a pas fait (Dossier du Tribunal, pages 692 à 695). On ne peut pas reprocher à la Commission de ne pas avoir mentionné toutes les allégations qui se trouvaient dans le FRP du demandeur dans ses motifs. Le demandeur doit subir les conséquences de la stratégie légale que son ancien avocat a adoptée.

 

[27]           Le demandeur propose que les questions suivantes soient certifiées :

1.  Un soldat qui refuse de continuer à servir dans l’armée parce qu’on lui demande de participer personnellement à des actions qui sont contraires à la loi humanitaire internationale, est‑il visé par l’exception spéciale fournie au paragraphe 171 du Guide des procédures du HCNUR?

 

2.  Une personne dans cette situation pourrait‑elle obtenir l’asile si elle faisait face à une punition pour la désertion parce qu’elle avait refusé de participer à des actions qui étaient contraires à la loi humanitaire internationale?

 

[28]           Le défendeur s’oppose à ce que ces questions soient certifiées. À mon avis, elles ne permettraient pas d’interjeter appel en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5059-07

 

INTITULÉ :                                       JUSTIN COLBY

 

c.

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine Sadoway                                                                  POUR LE DEMANDEUR

 

Angela Marinos                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Parkdale Community Legal Services                                         POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

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