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Date : 20080620

Dossier : IMM-5246-07

Référence : 2008 CF 770

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

 

DARIO CRADMORE MATTHEWS

(représenté par sa tutrice à l’instance,

CONSTANCE NAKATSU)

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 22 novembre 2007 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a estimé que le demandeur, Dario Cradmore Matthews, n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les motifs qui suivent.

 

CONTEXTE FACTUEL

[3]               Le demandeur est un citoyen de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines (Saint‑Vincent). Né le 25 août 2000, il est âgé de sept ans. Mme Constance Nakatsu a été désignée pour le représenter. La demande d’asile du demandeur a été disjointe de celle de sa mère et de son conjoint, qui ont été déboutés. La mère du demandeur a été accusée au Canada de voies de fait sur son conjoint, et le demandeur a été confié aux soins de la Société d’aide à l’enfance. Il vit actuellement dans une famille d’accueil.

 

[4]               La demande d’asile du demandeur est fondée sur les sévices que lui aurait infligés son père, qui le battait quand sa mère n’était pas là. Il craint que son père ne le batte ou ne le tue s’il retournait à Saint-Vincent. Il craint également d’être battu par les membres de sa famille élargie, à l’exception de ses tantes (dossier du tribunal, à la page 198).

 

[5]               Le demandeur a constamment dit à sa représentante désignée avoir été battu à treize reprises par son père, qui le frappait avec la main ou avec des objets. La représentante désignée a ajouté qu’autant qu’elle le sache, le demandeur n’a pas eu besoin de soins médicaux en raison des sévices qu’il a subis.

 

[6]               La grand-mère et les tantes du demandeur demeurent toujours à Saint-Vincent.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

[7]               La Commission a estimé que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu’il pouvait se réclamer de la protection de l’État à Saint-Vincent. La Commission a invoqué les raisons suivantes pour justifier sa décision :

a)      La Commission a signalé qu’elle avait tenu compte des Directives sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié pour rendre sa décision.

b)      La Commission a rappelé les principes applicables en matière de protection de l’État, ainsi que le fardeau dont le demandeur d’asile doit s’acquitter pour démontrer qu’il ne peut compter sur la protection de l’État dans son pays d’origine.

c)      La Commission a examiné la preuve documentaire. Elle a notamment discuté d’éléments de preuve qui allaient dans le sens contraire de la conclusion à laquelle elle est finalement parvenue; la preuve indiquait qu’aucun programme n’était offert aux enfants victimes de violence qui ne peuvent demeurer dans leur famille ou qui ont besoin d’autres conditions de vie que le domicile familial. La Commission a spécifiquement constaté qu’il n’existait aucune loi pour répondre aux besoins des enfants victimes de mauvais traitements.

d)      La Commission s’est penchée sur la situation de la mère du demandeur. Elle a fait observer que, malgré le fait qu’elle avait été accusée de voies de fait, aucune preuve convaincante n’avait été présentée au tribunal pour donner à penser que la mère du demandeur d’asile avait été violente à l’égard de son fils ou qu’elle était une mère inapte. La Commission a expliqué qu’elle ne disposait d’aucune preuve convaincante indiquant que le demandeur d’asile ne continuerait pas de demeurer sous la garde de sa mère s’il était renvoyé à Saint‑Vincent.

e)      La Commission a conclu que la mère du demandeur pouvait réclamer la protection de l’État au nom de son enfant. Elle a passé en revue la preuve documentaire portant sur la protection des enfants qui demeurent sous la garde d’un de leurs parents, ainsi que la loi applicable, la Domestic Violence Act. La Commission a conclu qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable de la part du demandeur d’asile, avec l’aide de sa mère, de s’adresser à l’État de Saint‑Vincent pour réclamer sa protection. Le demandeur n’a pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État avec une preuve claire et convaincante.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[8]               C’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique au contrôle judiciaire de la question de savoir si la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la protection de l’État (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 232, 2005 CF 193; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 55, 57, 62 et 64). Le caractère raisonnable de la décision tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[9]               Le demandeur soutient tout d’abord que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la question de savoir s’il pouvait recevoir des soins à Saint-Vincent. Plus précisément, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas un enfant qui a besoin d’autres conditions de vie que le domicile familial et en concluant que sa mère pouvait s’adresser à l’État en son nom pour réclamer la protection de l’État. Le demandeur soutient qu’il n’y avait aucun élément de preuve sur la façon dont la question de la garde serait tranchée et il ajoute que l’hypothèse retenue par la Commission reposait sur de pures spéculations et n’était pas appuyée par la preuve.

 

[10]           En second lieu, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire portant sur la possibilité de se réclamer de la protection de l’État à Saint-Vincent. Le demandeur explique que la Commission n’a retenu que les éléments de preuve qui favorisaient la conclusion suivant laquelle on peut compter sur la protection de l’État. Le demandeur soutient que la Commission n’a pas expliqué pourquoi elle préférait les éléments de preuve en question.

 

[11]           Je ne traiterai que du premier argument parce que j’estime qu’il est déterminant en l’espèce. Voici ce que la Commission écrit à la page 9 du dossier du tribunal :

[…] Le demandeur d’asile était sous la garde de sa mère pendant les quelques années avant de venir au Canada et il voyait rarement son père. Le tribunal ne dispose d’aucune preuve convaincante indiquant que le demandeur d’asile ne continuerait pas de demeurer sous la garde de sa mère s’il était renvoyé à Saint‑Vincent, et que, s’il devenait la cible de préjudice de la part de son père, sa mère, en tant que principale responsable, le protégerait et, au besoin, solliciterait la protection de l’État pour lui […]

 

[12]           Cette hypothèse n’est pas appuyée par la preuve. En premier lieu, il ressort du  procès-verbal de l’audience (dossier du tribunal, à la page 200) que, s’il retournait à Saint-Vincent, le demandeur irait habiter chez sa grand-mère maternelle. Par l’entremise de sa représentante désignée (dossier du tribunal, à la page 198), le demandeur a expliqué qu’il avait été battu par [traduction] « tout le monde » sauf ses tantes. Je ne suis donc pas convaincu que le demandeur serait protégé.

 

[13]           En second lieu, au moment où la Commission a rendu sa décision, la mère du demandeur avait perdu la garde légale de son enfant. On ne trouve au dossier pas le moindre élément de preuve qui permette de penser que la garde de l’enfant lui sera de nouveau confiée. J’estime donc que la Commission s’est fondée sur des spéculations pour formuler l’hypothèse que le demandeur demeurerait sous la garde de sa mère s’il retournait à Saint-Vincent. La décision de débouter le demandeur de sa demande d’asile ne peut être confirmée, compte tenu de cette erreur, qui justifie notre intervention.

 

[14]           Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune ne se pose.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5246-07

 

INTITULÉ :                                                   DARIO CRADMORE MATTHEWS

                                                                        (représenté par sa tutrice à l’instance,

                                                                        CONSTANCE NAKATSU)

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 18 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 20 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt                                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

 

Gordon Lee                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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