Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080623

 

Dossier : T-991-07

Référence : 2008 CF 787

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 juin 2008

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

LUNDBECK CANADA INC.

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET

APOTEX INC.

défendeurs

 

et

 

 

H. LUNDBECK A/S

 

défenderesse/brevetée

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le présent appel d’une ordonnance interlocutoire du protonotaire Morneau met en cause la façon dont la preuve est présentée dans les demandes soumises à la Cour, par opposition aux actions. L’escarmouche réside dans le contexte du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Lundbeck Canada inc. a demandé une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité à l’égard de la présentation de comprimés d’oxalate d’escitalopram jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 1 339 452 de H. Lundbeck A/S, brevet intitulé « Énantiomères de citaloprame et leurs dérivés ».

 

[2]               Conformément à l’article 300 et aux articles suivants des Règles des Cours fédérales (les Règles), Lundbeck a produit son avis de demande, puis des éléments de preuve qui prennent la forme d’affidavits et de documents utilisés en preuve. La défenderesse, Apotex, a fait de même. La prochaine étape, qui reste encore à venir, sera un contre-interrogatoire au sujet des affidavits, suivi par le dépôt des dossiers des deux parties, qui incluront un mémoire des faits et du droit. L’audience sur le fond est prévue pour le mois de décembre.

 

[3]               Bien qu’il ait reçu un avis, le ministre de la Santé n’a pas pris position et n’a pas participé.

 

[4]               Par voie de requête, Lundbeck a demandé que les affidavits des experts d’Apotex soient radiés en tout ou en partie. À défaut, Lundbeck a demandé d’avoir au moins l’autorisation d’y répondre par d’autres affidavits. Cette autorisation est requise en vertu de l’article 312 des Règles. Lundbeck a également demandé l’autorisation de répondre à certains paragraphes des affidavits déposés par Apotex, même si elle n’a pas demandé la radiation de ces énoncés.

 

[5]               Le protonotaire Morneau a catégoriquement rejeté les requêtes. Bien que Lundbeck ait interjeté appel de l’ordonnance dans son intégralité, elle s’est respectueusement rétractée à l’égard de certains paragraphes de certains affidavits.

 

LA DÉCISION EN APPEL

[6]               Il vaut la peine de mentionner que Lundbeck a initialement présenté deux requêtes distinctes. Cependant, elles ont été entendues ensemble par le protonotaire Morneau, qui a prononcé une ordonnance; un seul appel m’est donc soumis. Dans l’une de ses requêtes, Lundbeck sollicitait une ordonnance de radiation à l’égard de certains paragraphes et de certaines pièces des affidavits d’Aidan Hollis, de Peter Jenner, de John Keana, de Robert McCelland et de Timothy Ward, sinon une ordonnance l’autorisant à déposer des éléments de preuve en réponse à ceux-ci. De plus, dans l’un ou l’autre des cas, elle sollicitait une ordonnance l’autorisant à déposer des éléments de preuve en réponse à certains autres paragraphes. La requête est fondée sur le fait que les paramètres de cette demande ont été établis par Apotex dans l’avis d’allégation qu’elle a présenté en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et que les pièces documentaires desdits affidavits ne répondaient pas aux propres affidavits de Lundbeck et n’étaient pas visées par l’avis d’allégation.

 

[7]               Dans son autre requête, Lundbeck demandait que soient radiés l’affidavit du Dr Richard Kellogg et les deux pièces de celui-ci, dans leur intégralité, de même que certains paragraphes et certaines pièces des affidavits d’autres experts retenus par Apotex qui faisaient référence au rapport du Dr Kellogg, plus particulièrement ceux des docteurs McCelland, Ward et Keana. Les résultats d’essai présentés en preuve ne faisaient pas partie de l’art antérieur inscrit dans l’avis d’allégation et, en fait, ils n’ont été obtenus qu’après que l’avis d’allégation a été signifié.

 

[8]               Le protonotaire Morneau a refusé de radier quelque partie de quelque affidavit que ce soit et a refusé de donner à Lundbeck l’autorisation de déposer tout autre élément de preuve par affidavit. Il a soutenu que le critère de radiation de certaines parties d’un affidavit en vertu de l’article 307 des Règles est qu’en l’absence de circonstances spéciales, par exemple lorsque l’affidavit est manifestement abusif ou dénué de pertinence, la décision relative à la radiation devrait être laissée au juge des requêtes. Après avoir examiné les documents, il n’a pas pu conclure clairement que la preuve par affidavit déposée par Apotex élargit le fondement juridique et factuel de son avis d’allégation ni qu’elle peut clairement être considérée comme une réponse aux affidavits déposés par Lundbeck en vertu de l’article 306 des Règles.

[9]               En ce qui concerne l’autorisation de déposer une réponse par affidavit en vertu de l’article 312 des Règles, il a voulu appliquer l’arrêt Rosenstein c. Atlantic Engraving Ltd., 2002 CAF 503, 23 C.P.R. (4th) 5, qui établit un critère en quatre volets : a) les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice; b) les éléments de preuve aideront la Cour; c) les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse; et d) les éléments de preuve n’étaient pas disponibles avant ou ne pouvaient pas être anticipés.

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE EN APPEL

[10]            L’ordonnance du protonotaire était de nature discrétionnaire. Il est bien établi que la Cour ne doit pas intervenir dans une telle décision à moins : a) qu’elle ne porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal; ou b) qu’elle ne soit entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. Dans un tel cas, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire de novo (Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459, 30 C.P.R. (4th) 40, au paragraphe 19; Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] A.C.F. no 103, [1993] 2 CF 425, à la page 454).

 

[11]           À mon avis, l’ordonnance rendue par le protonotaire Morneau porte sur des questions qui n’ont pas une influence déterminante sur l’issue du principal.

 

[12]           Sauf à un égard, je suis d’avis qu’il ne s’est basé ni sur un mauvais principe de droit ni sur une mauvaise appréciation des faits. Cependant, je ne peux être d’accord avec l’analyse qu’il a faite à l’égard de l’affidavit du Dr Richard Kellogg et des pièces qui y sont jointes.

 

[13]           L’affidavit du Dr Kellogg est daté du 5 décembre 2007. Dans celui-ci, il affirme qu’un des avocats d’Apotex lui a fourni un exemplaire de deux brevets américains et lui a demandé d’effectuer ou de superviser certaines séparations fondées sur les publications accessibles en juin 1988. Les notes qui l’accompagnent et le rapport indiquent que les travaux ont débuté le 10 avril 2007 et ont pris fin le 21 mai 2007.

 

[14]           D’autres experts retenus par Apotex se sont fondés sur le rapport pour appuyer la proposition suivante, que l’on retrouve dans l’avis d’allégation déposé par Apotex :

De plus, les résultats des essais ont confirmé que la séparation du citalopram à l’aide des techniques classiques (décrites dans la présente) existant avant le 13 juin 1987 a donné du citalopram (+) essentiellement pur.

 

 

[15]           Cet avis d’allégation est daté du 20 avril 2007. Il se compose d’un texte de quarante‑trois (43) pages et d’une annexe comptant dix-sept (17) pages supplémentaires dans laquelle figure une liste de 170 éléments d’art antérieur.

 

[16]           Le 20 avril, Apotex avait peut-être des raisons de croire que les essais alors en cours appuieraient sa preuve, mais un fait bien simple demeure : les essais n’étaient pas terminés, alors ils ne peuvent être considérés comme de l’art « antérieur ». Au mieux, ce sont des éléments d’art « subséquent ».

 

[17]           Si Apotex avait attendu que le rapport soit publié, elle aurait pu l’invoquer. Je suis d’accord avec le protonotaire qu’elle n’aurait pas absolument eu à le mentionner dans le texte de son avis d’allégation, mais elle aurait eu à l’intégrer dans sa liste d’éléments d’art antérieur. Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) exige un énoncé détaillé de la réclamation fondée en fait et en droit appuyant l’allégation selon laquelle un brevet est invalide, qu’il ne sera pas contrefait ou tout autre motif allégué dans le but d’obtenir du Ministre un avis de conformité avant qu’un brevet inscrit ait expiré (Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1993] A.C.F. no 1106, 51 C.P.R. (3d) 329).

[18]           Comme il est mentionné dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. no 855, 7 C.P.R. (4th) 272, au paragraphe 23, tous les faits devraient être énoncés dans l’avis d’allégation, non pas être révélés pièce à pièce au moment où on en sent le besoin. Dans la mesure où l’on se fonde sur un élément de l’art antérieur, celui-ci doit être identifié.

 

[19]           Par conséquent, je ne peux être d’accord avec le protonotaire, qui est d’avis que la partie de l’avis d’allégation d’Apotex à laquelle référence est faite ci-dessus expose suffisamment l’existence des résultats d’essai. Si de tels résultats existent vraiment, ils ne figurent certainement pas dans le rapport Kellogg, qui n’était pas publié à ce moment.

 

[20]           Permettre que l’affidavit subsiste, ou même donner à Lundbeck un droit de réponse, serait permettre à Apotex de fractionner sa preuve. Le rapport Kellogg va au-delà de l’avis d’allégation et il serait manifestement injuste de permettre qu’il demeure au dossier (Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., 2005 CAF 50, 2005 A.C.F. no 215).

 

[21]           Je ne crois pas que cette mauvaise appréciation du rapport Kellogg ait imprégné le reste de la décision rendue par le protonotaire Morneau, mais par prudence, j’ai décidé d’examiner la question de novo.

 

 

[22]           Il n’est manifestement pas clair du tout que les affidavits restants vont ou non au-delà de ceux de Lundbeck et de l’avis d’allégation. Dans la mesure où des rapports mentionnés ne figurent pas dans l’avis d’allégation, il faut donner à Apotex une occasion véritable de répondre aux affidavits de Lundbeck. Nul ne sait comment la personne qui a inscrit un brevet réagirait à un avis d’allégation, alors l’auteur de celui-ci ne peut entièrement prévoir tout ce qui pourrait être énoncé dans les affidavits de la demanderesse. Je ne peux déterminer clairement si les affidavits apportent de nouveaux points dans l’affaire ou sèment la confusion.

 

[23]           L’une des raisons pour lesquelles ces questions sont habituellement laissées au juge des requêtes, c’est qu’avec le temps et à l’aide de la transcription des contre-interrogatoires et l’argumentation sur tous les points en litige, ce juge est bien mieux placé, à ce moment, pour évaluer la pertinence des énoncés attaqués, le poids qui devrait leur être attribué et leur contexte. Si Apotex a fractionné sa preuve ou si certains des énoncés de son avis d’allégation sont trop vagues, ce sera alors au juge des requêtes d’en arriver à cette conclusion, en se fondant sur un dossier complet, sans que d’autres affidavits soient nécessaires.

 

[24]           Suivant la décision Atlantic Engraving, je ne vois pas de circonstances indiquant que les intérêts de la justice seraient mieux servis si le dépôt d’affidavits supplémentaires était permis, ce qui donnerait fort possiblement lieu à d’autres requêtes visant le dépôt d’affidavits de réponse et de nouveaux contre-interrogatoires. Apotex a fait son lit dans son avis d’allégation et Lundbeck, dans son avis de demande et ses affidavits. Les parties devraient maintenant s’y coucher.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel de l’ordonnance du protonotaire Morneau datée du 6 mars 2008 soit admis en partie :

1.                  L’affidavit du Dr Richard Kellogg et ses deux pièces sont radiés dans leur intégralité.

2.                  Les paragraphes et les pièces ci-dessous des experts retenus par Apotex qui font référence au rapport Kellogg sont radiés :

a.       le paragraphe 91 et la pièce 2 de l’affidavit du Dr McCelland;

b.      les paragraphes 26 à 29 et la pièce 3 de l’affidavit du Dr Ward; et

c.       le paragraphe 117 et les pièces 3 et 4 de l’affidavit du Dr Keana.

3.                  Le reste de l’appel est rejeté.

4.                  Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-991-07

 

INTITULÉ :                                       LUNDBECK CANADA INC. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET APOTEX INC. ET H. LUNDBECK A/S

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 juin 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marie Lafleur

Julie Desrosiers

 

POUR LA DEMANDERESSE ET POUR LA DÉFENDERESSE/BREVETÉE

David Lederman

POUR APOTEX INC., DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martin DuMoulin, S.E.N.C.R.L.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE ET POUR LA DÉFENDERESSE/BREVETÉE

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ, DÉFENDEUR

 

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR APOTEX INC., DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.