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Date : 20080623

Dossier : T-1677-07

Référence : 2008 CF 793

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2008

En présence de Monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

ROBERT CROCIONE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le 8 février 2002, M. Crocione, dominé par sa conscience, a informé l’Agence du revenu du Canada qu’il n’avait pas déclaré ses revenus ni rempli ses obligations sous le régime de la TPS pour cinq années d’imposition, soit de 1997 à 2001. Du même coup, il demandait à être exempté des pénalités au titre du Programme des divulgations volontaires.

 

[2]               La raison principale, et peut-être même l’unique raison pour laquelle la Cour est saisie de l’affaire est que l’agent à qui M. Crocione a parlé a omis de consigner l’appel au dossier, puis de le traiter, comme un cas de divulgation volontaire. S’il l’eût fait, la procédure habituelle aurait indubitablement été suivie, les parties s’échangeant des lettres en vue de déterminer les conditions auxquelles la divulgation serait acceptée comme étant volontaire et de fixer le délai accordé au contribuable retardataire pour la production des déclarations.

 

[3]               Du fait que la procédure habituelle n’a pas été suivie, il semble que M. Crocione ait omis de produire rapidement ses déclarations tardives comme il aurait dû le faire et qu’il ait en fait attendu encore trois ans pour s’exécuter. De plus, la conversation n’ayant pas été correctement consignée, l’Agence a d’abord considéré qu’il n’y avait pas eu divulgation volontaire de la part de M. Crocione lorsque les déclarations ont été produites en 2005.

 

[4]               En fin de compte, et après qu’une demande eut été présentée à la Cour, l’Agence a été convaincue du contraire et elle accepte désormais qu’il y a eu divulgation volontaire de M. Crocione le 8 février 2002. Par conséquent, l’Agence a renoncé aux pénalités auxquelles donnaient lieu les déclarations en retard pour les années d’imposition 1997 à 2001, inclusivement. La présente demande porte sur la décision de l’Agence de ne pas inclure dans la divulgation volontaire les déclarations de M. Crocione pour les années 2002 à 2004. 

 

[5]               Le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) et l’article 281.1 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, confèrent au ministre du Revenu national le pouvoir discrétionnaire d’accorder une dispense d’application de certains articles de ces lois. En particulier, le ministre est autorisé à annuler, en tout ou en partie, les pénalités ou les intérêts qui lui sont par ailleurs dus ou à y renoncer.  Ce pouvoir discrétionnaire est essentiellement exercé par l’entremise du Programme des divulgations volontaires (PDV). 

 

[6]       Les conditions du PDV en vigueur à la date de la divulgation de M. Crocione sont énoncées dans la Circulaire d’information 00-1 du 12 juin 2000.  Le document nous apprend que le PDV a pour but de promouvoir l’observation volontaire de la déclaration et du paiement des droits et taxes et d’encourager les contribuables à prendre l’initiative de corriger toute anomalie afin de respecter leurs obligations légales.

 

[7]               Les personnes qui procèdent à des divulgations volontaires pour les périodes de déclaration sous examen sont tenues d’acquitter l’impôt et les intérêts dus, mais l’Agence peut annuler les pénalités imposées à l’égard de ces déclarations ou renoncer à celles qui auraient pu l’être.

 

[8]               Il y a quatre conditions à remplir pour qu’une divulgation volontaire soit valide : celle-ci doit être volontaire, être complète, avoir comme enjeu la possibilité d’une pénalité pécuniaire et inclure des renseignements dont la production est en retard d’au moins un an. La présente demande concerne les deux premières de ces conditions préalables, ainsi je reproduirai ici les parties applicables de la circulaire :

La divulgation doit être volontaire. Le client doit prendre l’initiative de faire la divulgation volontaire. Une divulgation pourrait ne pas être admissible à titre de divulgation volontaire en vertu de la politique susmentionnée si l’on constate que le client a fait la divulgation parce qu’il était au courant d’une vérification, d’une enquête ou d’une autre mesure d’exécution de l’ADRC ou d’une administration connexe, telle qu’un autre ministère au niveau provincial ou fédéral.

On s’attend à ce que le client qui fait la divulgation fasse un compte rendu complet et exact de tous les renseignements auparavant inexacts, incomplets ou manquants. Même si les renseignements fournis dans une divulgation doivent être essentiellement complets, une divulgation ne sera pas disqualifiée simplement parce qu’elle contient des erreurs ou des omissions mineures. Toutefois, si l’on constate qu’une divulgation contient des erreurs ou des omissions importantes, elle ne sera pas admissible à titre de divulgation volontaire; les renseignements divulgués pourraient alors être pris en considération et des intérêts et pénalités pourraient s’appliquer au montant intégral.

 

[9]               La circulaire indique également la façon de procéder à une divulgation volontaire :

Pour faire une divulgation volontaire, la personne doit communiquer avec l’ADRC, en personne ou par écrit, et fournir les détails de la divulgation, en expliquant en quoi elle remplit les quatre conditions mentionnées ci-dessus. La personne peut faire une présentation provisoire, auquel cas une présentation finale et complète doit être fournie dans un délai établi par l’ADRC (habituellement 90 jours à compter de la date de la divulgation initiale).

 

[10]           M. Crocione a présenté un affidavit dans lequel il atteste qu’au moment de procéder à la divulgation volontaire, il s’est adressé à un employé qui a reconnu [traduction] « l’ampleur de la tâche consistant à faire le tri d’à peu près 30 boîtes à chaussures et 3 sacs à ordures remplis de reçus, et en outre à retracer les reçus perdus et obtenir des factures de substitution, et le fait que les déclarations ne pourraient être produites à l’intérieur du court délai imparti ». Le demandeur atteste que l’employé aurait dit [traduction] « qu’il prendrait note de ce fait et qu’il fallait présenter toutes les déclarations ensemble, y compris l’année en cours, et que ces années feraient aussi partie de la divulgation volontaire ». 

 

[11]           Deux aspects de cet affidavit sont à noter. D’abord, le demandeur semble avoir compris que le délai normalement accordé, soit celui dans lequel on s’attendait à ce qu’il dépose les déclarations, était de 90 jours. Deuxièmement, bien que l’employé l’ait informé de son obligation de mettre ses déclarations à jour, il n’a pas été question de lui accorder un certain nombre d’années pour présenter les déclarations en retard et, ainsi qu’il l’affirme, on a exigé qu’il les présente « ensemble ». Ces aspects de l’affidavit de M. Crocione sont remarquables du fait que ses déclarations ont été produites près de 1 200 jours après la divulgation – et non 90 jours –, et ne l’ont pas été en une seule fois.

 

[12]           Ainsi, M. Crocione n’a déposé auprès de l’Agence aucune déclaration d’impôt sur le revenu ou de TPS avant la première moitié de 2005, soit plus de trois ans après sa divulgation volontaire. Le 20 juin 2005, il a déposé ses déclarations de 2002 et 2003, et le 23 août 2005, celles de 1997 à 2001, inclusivement.

 

[13]           Lorsqu’il a transmis ses déclarations de 2002 et 2003, il les a accompagnées d’une page couverture où l’on pouvait lire, entre autres : [traduction] « [l]a présente divulgation a été amorcée avec P.J. Flora en 2002 en tant que divulgation volontaire, [moyennant] renonciation de tous intérêts et pénalités [...] les autres [déclarations] suivront lorsque le comptable les aura terminées ».

 

[14]           Ainsi que je l’ai déjà mentionné, la divulgation volontaire du demandeur n’a pas été consignée correctement par l’Agence et lorsqu’il a présenté ses déclarations, on lui a d’abord imposé des intérêts et des pénalités. M. Crocione a engagé une action et, profitant de la communication obligatoire de renseignements en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, c. A-1, il a pu convaincre l’Agence qu’il avait procédé à une divulgation auprès de M. Flora, un employé de l’Agence, en 2002. Par conséquent, en 2007, l’Agence a réexaminé son cas et accepté que ses déclarations correspondant aux années antérieures à 2002 soient couvertes par le PDV, mais a ajouté [traduction] : « … étant donné le délai extraordinaire qui s’est écoulé entre votre divulgation initiale et la date de production effective de vos déclarations T1, votre lettre du 20 juin 2005 [accompagnant les déclarations produites] serait considérée comme une deuxième divulgation, distincte de la première, concernant les années d’imposition postérieures à la divulgation initiale. Compte tenu des faits propres à votre situation, une divulgation se rapportant aux années d’imposition 2002 à 2004 ne serait pas acceptée, puisque l’ARC a commencé à prendre des mesures d’exécution à l’égard de ces années en 2004 ». L’Agence faisait également remarquer qu’à l’époque de la divulgation initiale de M. Crocione, les déclarations de 2002-2004 n’étaient pas encore exigibles. L’appel interne interjeté par M. Crocione n’a pas porté fruit.

 

[15]           Malgré qu’un certain nombre des motifs de redressement aient été énoncés dans le cadre de la présente demande, il est devenu évident à l’audience que M. Crocione demandait à la Cour d’examiner et d’annuler la décision de l’Agence par laquelle cette dernière avait refusé de renoncer aux pénalités relatives aux déclarations d’impôt et de TPS de 2002-2004.  Le demandeur prétend que la décision de l’Agence était déraisonnable puisque son représentant, M. P. J. Flora, l’avait informé, au moment de procéder à la déclaration volontaire, de son obligation de mettre ses déclarations à jour et que, partant, ces années postérieures auraient dû être couvertes par la divulgation volontaire.

 

[16]           Le contrôle de la décision contestée de l’Agence doit se faire selon la norme de la décision raisonnable, comme l’a récemment déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[17]           M. Crocione affirme que si l’employé avait consigné la divulgation correctement, aucune mesure d’exécution n’aurait été prise en 2004 et on aurait jugé les déclarations produites en 2005 admissibles au titre du PDV. Aucun élément de preuve ne permet de soutenir un tel argument. Comme je l’ai fait remarquer précédemment, si la divulgation avait été consignée correctement, des mesures auraient fort probablement été prises pour faire en sorte que le retardataire produise ses déclarations bien avant 2005. N’ayant pas reçu de nouvelles de l’Agence entre la date de la divulgation en 2002 et les demandes de production de 2004, M. Crocione semble avoir procédé à la réorganisation de ses déclarations à un rythme très lent. Il savait que la circulaire prévoyait un délai de production relativement court, et au lieu d’agir prestement pour mettre de l’ordre dans ses affaires, il a choisi de garder la tête dans le sable face à ses responsabilités envers les pouvoirs fiscaux pour les années 2002, 2003 et 2004 jusqu’à ce que ceux-ci se mettent à ses trousses.

 

[18]           À mon sens, le refus de l’Agence de considérer les déclarations produites pour 2002, 2003 et 2004 comme visées par la divulgation volontaire de départ était raisonnable pour les motifs suivants :

1.         Les déclarations n’étaient pas en retard au moment de la divulgation, en 2002;

2.         L’impossibilité de produire ces déclarations dans les délais n’a pu être démontrée puisque M. Crocione et son comptable s’affairaient à ordonner ses déclarations pour 1997 à 2001;

3.         L’Agence avait entrepris des mesures d’exécution avant que ne soient produites les déclarations de 2002-2004.

 

[19]           Par conséquent, la demande est rejetée. Les dépens sont fixés à 1 000 $.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et que les dépens sont fixés à 1 000 $.

 

                                                                                                                 « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1677-07

 

INTITULÉ :                                       ROBERT CROCIONE c.                                                       

                                                            MINISTRE DU REVENU NATIONAL                                                                                                                                                                     

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 juin 2008           

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Crocione

 

POUR LE DEMANDEUR

Marie-Thérèse Boris

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. ROBERT CROCIONE, pour son propre compte

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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