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Date :  20080624

Dossier :  IMM-3-08

Référence :  2008 CF 791

Ottawa, Ontario, le 24 juin 2008

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

JONATHAN REYES TOLOSA

demandeur

et

 

Le Ministre de la Citoyenneté

et de l'immigration

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au Préalable

[1]               La requête, datée du 19 juin 2008, de la partie défenderesse, reconnait la situation telle que créée par le décideur de première instance et donc, elle demande l’annulation de la décision rendue par la première instance. Cette requête est soumise moins que deux jours ouvrables avant l’audience qui a été cédulée le 9 avril 2008, et, compte-tenu que la partie demanderesse n’accepte pas l’offre de la partie défenderesse, par cette requête, la Cour doit d’office intervenir entre les parties. Ceci est une situation où l’équité procédurale où la justice naturelle a été violée d’une façon flagrante par le décideur de première instance. Dans une situation où la première instance heurte l’ordre public, cela dépasse les parties mêmes. L’intégrité du système judiciaire oblige la Cour, à cause de l’ordre public, reconnu par la partie défenderesse par le fait-même de sa propre requête, d’intervenir pour le bien-être et l’intégrité du système judiciaire en soi. Pour toutes ces raisons, sans s’immiscer dans le fond de la matière substantielle du cas, telle que demandée par la partie défenderesse, cette Cour rend une décision, non sur le fond de la matière du dossier; cela appartient au tribunal spécialisé de première instance de le faire comme décideur des faits; mais, si la Cour n’intervenait pas, pour se prononcer au nom de l’intégrité du système judiciaire et l’ordre public, elle serait elle-même complice par son silence ou manque de justice naturelle et d’équité procédurale perpétré par le décideur de première instance.

 

II.  Introduction

[2]               « Would you please, please, please, please, please, please, please stop talking.» Sept fois « please » par Ernest Hemingway dans « Hills Like White Elephants » est peut-être beaucoup, mais la répétition précise que c’est le temps de s’arrêter de parler et d’écouter. Un décideur de première instance, comme décideur des faits, doit écouter pour décider sur cela qui a été témoigné et démontré; le procès verbal de l’audience démontre le contraire.

 

[3]               En plus de n’avoir pas écouté, le décideur des faits a rendu sa décision à l’audience avant la fin du cas, avant même avoir reçu les soumissions écrites de l’une des parties que lui-même a demandées.

 

[4]               L’art de l’écoute active représente l’essence du travail d’un juge de première instance. Chaque mot, chaque geste, chaque silence représente une encyclopédie de références, un dictionnaire des termes et une gallérie des portraits traçants l’histoire vivante de la personne devant l’audience.

 

III. Procédure judiciaire

[5]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR) de la décision de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue de vive-voix, le 5 novembre 2007, à l’audience-même (voir le paragraphe 29 ci-dessous). La Commission a statué que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR, ni celle de « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR, rejetant par conséquent la demande d’asile déposée par celui-ci.

 

IV.  Faits

[6]               Le jugement de cette Cour est suite à la décision rendue dans le cas de Dea Lorena Tolosa Carranco et Karen Lorena Reyes Tolosa c. le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (dossier IMM-4-08), suite à la séparation du dossier effectuée par le commissaire de première instance.

 

[7]               Le demandeur, Jonathan Reyes Tolosa, est arrivé au Canada, le 15 août 2006, accompagné de sa mère, Dea Lorena Tolosa Carranco et de sa sœur, Karen Lorena Reyes Tolosa. Tous sont des citoyens du Mexique.

 

[8]               Le demandeur, enfant mineur, a eu son histoire expliqué par le récit de sa mère. Il allègue craindre le professeur José Martinez Mejia qui aurait proféré des menaces de mort et d’enlèvement contre lui et sa famille.

 

[9]               De plus, le demandeur a allégué au soutien de sa demande d’asile les lacunes du système d’éducation mexicain à dispenser une éducation spécialisée répondant aux besoins spécifiques occasionnés par l’épilepsie et l’hyperactivité dont il souffre.

 

[10]           En août 2001, Jonathan commença sa première année primaire à l’école Miguel Hidalgo dans la ville de Metepec, État de Mexico. Jonathan fut l’objet de mauvais traitements, malgré le fait que madame Tolosa avait informé la directrice et la professeure de Jonathan de ses problèmes causés par les crises d’épilepsie durant son sommeil ainsi que ses problématiques d’hyperactivité et de difficultés de concentration et de distraction. Il arrivait fréquemment que l’institutrice en charge de Jonathan lui tire les oreilles et soit grossière à son endroit pour le motif qu’il était inattentif. En juin 2002, à la fin de l’année scolaire, on a informé madame Tolosa que Jonathan ne pouvait pas continuer à fréquenter cette école et c’était le cas chaque année subséquent jusqu’en 2005.

 

[11]           En septembre 2005, Jonathan commença sa cinquième année à l’école publique, Alfonso Gomez de Orozco Suarez, dans la ville de Toluca, dans l’État de Mexico. Tout comme elle l’avait fait auparavant, madame Tolosa a expliqué la problématique de Jonathan à la directrice et au professeur José Martinez Mejia. La directrice lui a assuré que Jonathan allait être en des très bonnes mains, mais qu’elle devait savoir qu’il allait y avoir entre 35 à 40 élèves par classe.

 

[12]           Au début d’octobre 2005, madame Tolosa commence à observer des changements chez son fils Jonathan. Pendant la nuit, il ne dormait pas bien, il se réveillait très souvent, il faisait de cauchemars, il criait et il disait beaucoup d’incohérences pendant son sommeil. Aussi, au début du mois d’octobre 2005, madame Tolosa a eu un accident. Elle s’est brisé la cheville droite et, pendant six semaines, elle ne pouvait presque pas sortir.

 

[13]           Madame Tolosa consulta le neurologue, qui prescrit à Jonathan un tranquillisant, à part le médicament qu’il prenait déjà pour l’épilepsie (carbomazepin).

 

[14]           Le mois de novembre, madame Tolosa a eu l’occasion de parler à un compagnon de Jonathan. Ce jeune homme lui dit que monsieur Jose Martinez Mejia, le professeur, était très dur avec eux, il les tapait sur la tête avec des livres, il appelait Jonathan « con », il le ridiculisait devant les autres enfants et il ne voulait pas que Jonathan participe aux activités de la classe. Le professeur l’avait envoyé s’asseoir seul au fond de la salle de classe, il n’avait pas droit à la recréation, ni de manger car, selon lui, Jonathan ne faisait pas ses devoirs et il était un paresseux.

 

[15]           Le 15 décembre 2005, madame Tolosa a confronté le professeur Jose Martinez Mejia sur la façon dont il traitait son fils Jonathan. Le professeur lui a répondu que Jonathan le méritait et qu’il n’avait rien à discuter. Madame Tolosa est allée voir la directrice, mais la directrice lui a répondu qu’elle n’avait pas le temps de discuter de l’affaire.

 

[16]           Madame Tolosa est allée à la Commission des droits de la personne de l’État de Mexico, afin de déposer une plainte contre le professeur Jose Martinez Mejia, concernant les mauvais traitements subis par son fils.

 

[17]           Le 30 décembre 2005, après avoir obtenu l’information demandée, madame Tolosa est retournée à la Commission des droits de la personne afin de déposer une plainte contre le professeur Jose Martinez Mejia. La plainte fut reçue sous le numéro 5234/2005-1. L’avocat Sergio Jimenez dit à madame Tolosa que si sa plainte était recevable, elle allait recevoir une lettre pendant le mois de janvier.

 

[18]           Le 5 janvier 2006, madame Tolosa reçut une lettre lui annonçant que sa plainte était recevable.

 

V.  Questions en litige

 

[19]           Bien que le demandeur soulève plusieurs questions en litige, les seules questions à déterminer dans la présente affaire sont les suivantes :

(1)               La Commission a-t-elle erré lorsqu’elle a séparé les dossiers des trois demandeurs ?

(2)               La Commission a-t-elle erré en rendant une décision qui viole un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ?

 

VI.  Analyse

[20]           À titre de remarque préliminaire, le demandeur soumet qu’aucune question de crédibilité ou véracité des faits allégués n’a été soulevée par la Commission à l’encontre de sa demande.

 

(1)  La Commission, a-t-elle erré lorsqu’elle a séparé les dossiers des trois demandeurs ?

[21]           La mère et ses deux enfants présentent leurs demandes d’asile conjointement, en conformité avec la règle 49 (1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (Règles), laquelle stipule que : « La Section joint la demande d'asile du demandeur d'asile à celle de son époux ou conjoint de fait, son enfant, son père, sa mère, son frère, sa sœur, son petit-fils, sa petite-fille, son grand-père et sa grand-mère ».

 

[22]           Nonobstant la règle 49 des Règles et les représentations du conseil à l’effet que les trois dossiers sont liés (Dossier du tribunal à la p. 409), lors de l’audience, le commissaire décide de séparer le dossier du demandeur de ceux de sa mère et sa sœur et rend deux décisions : une pour Dea Lorena Tolosa Carranco et sa fille Karen Lorena Reyes Tolosa (Dossier du tribunal aux pp. 3-14) et une deuxième pour le demandeur, Jonathan Reyes Tolosa (Dossier du tribunal aux pp. 15-34).

 

[23]           La matière des trois demandes est une seule en l’espèce car l’agent de persécution poursuit mère, fille et fils, pour les mêmes motifs. Vu que les enfants ont basé leurs demandes sur celle de leur mère en ce sens que, dans leur Formulaire de renseignements personnels (FRP), ils réfèrent au récit de la mère, qui a été désignée comme représentante pour son fils, enfant mineur, et sa fille, qui, lors de son arrivé au Canada, n’avait pas encore atteint l’âge de majorité (elle aurait toutefois atteint ses 18 ans avant l’audience), il est évident qu’une scission des dossiers n’aiderait pas à l’étude de la problématique soulevée par les trois demandeurs. (Dossier du tribunal à la p. 435.)

 

(2)   La Commission a-t-elle erré en rendant une décision qui viole un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ?

 

[24]           À la fin de l’audience, le commissaire a rendu sa décision de vive-voix. Au début de la décision le commissaire affirme ce qui suit :

Il s’agit de ma décision concernant les demandes d’asile de madame Dea Lorena TOLOSA CARRANOE et sa fille Karen Lorena REYES TOLOSA.

 

En ce qui concerne Jonathan REYES TOLOSA, le fils des demandeurs, le tribunal a demandé au conseil qu’il fasse parvenir des observations par écrit car le conseil a soulevé des points importants en ce qui concerne l’application de l’article 97 et aussi l’article 96 de la Loi. […]

 

(Motifs, Dossier du tribunal à la p. 17.)

 

 

[25]           Le commissaire avait dans les faits rendu une décision de vive-voix à l’égard du demandeur sans attendre les soumissions écrites que le commissaire a lui-même demandé à la fin de l’audience (selon le procès verbal à l’audience même). Ceci ressort clairement de la lecture de la décision.

 

[26]           Il est important de souligner qu’à ce stade, le commissaire n’avait pas encore entendu les soumissions du conseil concernant l’applicabilité des articles 96 et 97 de la LIPR à la revendication du demandeur, Jonathan.

 

[27]           Le demandeur rappelle que la norme de contrôle judiciaire en matière d’équité procédurale et de justice naturelle est celle de la décision correcte. (Morales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1220 au par. 7, 163 A.C.W.S. (3e) 820.)

 

[28]           Comme la Cour Suprême du Canada l’a rappelé, l’équité procédurale exige que « les décisions soient rendues par un décideur impartial, sans crainte raisonnable de partialité » (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 au par. 45, 174 D.L.R. (4e) 193). Dans le cas sous étude, le commissaire n’avait pas reçu les soumissions du conseil du demandeur, mais il avait pourtant déjà rejeté sa demande, ce qui appert clairement de la lecture de la décision : 

CONCLUSION

 

Pour tous ces motifs de l’analyse ci-dessus, le tribunal n’a aucune autre alternative que de rejeter les demandes d’asile.

 

Considérant ce qui précède, ce qui suit répondra aux observations écrites du conseil… (La Cour souligne.)

 

(Motifs, Dossier du tribunal à la p. 25.)

 

 

[29]           Il est aussi pertinent de soulever que la décision a été rendue de vive-voix à l’audience-même concernant l’enfant Jonathan malgré que son conseil n’a déposé ses soumissions écrites qu’après la décision de vive-voix avait déjà été rendue par le commissaire de première instance, peu importe quand le commissaire a affixé sa signature sur la décision écrite sachant qu’il avait déjà rendu sa décision de vive-voix à l’audience-même. (Dossier du tribunal aux pp. 15 et 317.)

 

[30]           La partie demanderesse soumet que la décision écrite de la Commission compte 9 pages de plus que la décision verbale. Pourtant, certains éléments de la demande de Jonathan avaient déjà été étudiés et rejetés dans la décision de vive-voix, datée du 5 novembre 2007, déjà rendue, donc fait établi, lors de l’audience-même.

 

[31]           Il est important de rappeler aussi que le commissaire, au moment de la décision de vive-voix, a tranché les questions de la protection de l’État et de la possibilité de refuge interne. Ce faisant, au moment de la décision écrite, le sort de la demande de Jonathan était déjà décidé bien avant d’analyser les arguments relatifs aux articles 96 et 97 de la LIPR, qui comporte également l’étude des questions relatives à la protection de l’état et la possibilité de refuge interne.

 

[32]           Ainsi, un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité, tel que la Cour fédérale l’a maintes fois rappelé.

 

[33]           Le critère de la crainte raisonnable de partialité qui est approuvé depuis longtemps par la Cour Suprême du Canada a été énoncé par le juge Louis-Philippe de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, 68 D.L.R. (3e) 716 : « une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait-elle que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » (Chung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 161 F.T.R. 146, 46 Imm. L.R. (2d) 220 au para. 8.)

 

[34]           Ayant déterminé que le décideur de première instance a erré en procédant à scinder les dossiers et du fait que le commissaire aurait rendu sa décision dans le dossier de la mère et de la fille de vive-voix, compte tenu des circonstances, amène cette Cour à conclure qu’il y a une crainte raisonnable de partialité justifiant l’intervention de cette Cour.

 

VII. Conclusion

[35]           Le demandeur, Jonathan Reyes Tolosa, a droit à une audience équitable au cours de laquelle tous les éléments de preuve requis puissent être considéré et pris en compte par le décideur. Ayant conclut que le dossier du demandeur est étroitement relié à celui de sa mère et de sa sœur, la décision rendue à vive-voix par le commissaire lors de l’audience a eu pour effet de lier le demandeur avant que le décideur de première instance puisse bénéficier des soumissions écrites qu’il aurait lui-même sollicité du conseil du demandeur.

 

[36]           Pour toutes ces raisons, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que le cas soit entendu et décidé de nouveau par un décideur de première instance autre que celui qui a rendu la décision qui est annulée.


JUGEMENT

LA COUR,

            Considérant que la partie défenderesse a présenté une requête visant à obtenir un jugement;

            Annule la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés, concluant que la partie demanderesse n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger;

            Retourne l’affaire à la Section de la protection des réfugiés pour que la demande d’asile de la partie demanderesse soit entendue et décidée de nouveau par un commissaire autre que celui qui a rendu la décision qui est annulée;

            Le tout sans dépens.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3-08

 

INTITULÉ :                                       JONATHAN REYES TOLOSA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 23 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 24 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Cristina Marinelli

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Marilyne Trudeau

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CRISTINA MARINELLI

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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