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Date :  20080624

Dossier :  IMM-4-08

Référence :  2008 CF 792

Ottawa, Ontario, le 24 juin 2008

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

DEA LORENA TOLOSA CARRANCO

KAREN LORENA REYES TOLOSA

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au Préalable

[1]               La requête, datée du 19 juin 2008, de la partie défenderesse, reconnait la situation telle que créée par le décideur de première instance et donc, elle demande l’annulation de la décision rendue par la première instance. Cette requête est soumise moins que deux jours ouvrables avant l’audience qui a été cédulée le 9 avril 2008, et, compte-tenu que les parties demanderesses n’acceptent pas l’offre de la partie défenderesse, par cette requête, la Cour doit d’office intervenir entre les parties. Ceci est une situation où l’équité procédurale où la justice naturelle a été violée d’une façon flagrante par le décideur de première instance. Dans une situation où la première instance heurte l’ordre public, cela dépasse les parties mêmes. L’intégrité du système judiciaire oblige la Cour, à cause de l’ordre public, reconnu par la partie défenderesse par le fait-même de sa propre requête, d’intervenir pour le bien-être et l’intégrité du système judiciaire en soi. Pour toutes ces raisons, sans s’immiscer dans le fond de la matière substantielle du cas, telle que demandée par la partie défenderesse, cette Cour rend une décision, non sur le fond de la matière du dossier; cela appartient au tribunal spécialisé de première instance de le faire comme décideur des faits; mais, si la Cour n’intervenait pas, pour se prononcer au nom de l’intégrité du système judiciaire et l’ordre public, elle serait elle-même complice par son silence ou manque de justice naturelle et d’équité procédurale perpétré par le décideur de première instance.

 

II.  Introduction

[2]               « Would you please, please, please, please, please, please, please stop talking. » Sept fois « please » par Ernest Hemingway dans « Hills Like White Elephants » est peut-être beaucoup, mais la répétition précise que c’est le temps de s’arrêter de parler et d’écouter. Un décideur de première instance, comme décideur des faits, doit écouter pour décider sur cela qui a été témoigné et démontré; le procès verbal de l’audience démontre le contraire.

 

[3]               L’art de l’écoute active représente l’essence du travail d’un juge de première instance. Chaque mot, chaque geste, chaque silence représente une encyclopédie de références, un dictionnaire des termes et une gallérie des portraits traçants l’histoire vivante de la personne devant l’audience.

 

 

III.  Procédure judiciaire

[4]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR) de la décision de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue de vive-voix, le 5 novembre 2007, à l’audience même. La Commission a statué que les demanderesses n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de l’article 96 de la LIPR, ni celle de « personnes à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR, rejetant par conséquent la demande d’asile déposée par celles-ci.

 

IV.  Faits

[5]               Le jugement de cette Cour est suite à la décision rendue dans le cas de Jonathan Reyes Tolosa. c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (dossier IMM-3-08), suite à la séparation du dossier effectuée par le commissaire de première instance.

 

[6]               La demanderesse principale, madame Dea Lorena Tolosa Carranco, est arrivée au Canada le 15 août 2006 accompagné de sa fille, Karen Lorena Reyes Tolosa, et de son fils, Jonathan Reyes Tolosa. Tous sont des citoyens du Mexique.

 

[7]               Au soutient de sa demande d’asile, la demanderesse allègue qu’elle craint le professeur José Martinez Mejia, professeur à l’école de son fils, lequel aurait proféré des menaces de mort et d’enlèvement contre elle et sa famille. La fille de la demanderesse base sa demande d’asile sur celle de sa mère.

 

V.  Questions en litige

[8]               Bien que les demanderesses soulèvent plusieurs questions en litige, les seules questions à déterminer dans la présente affaire sont les suivantes :

(1)        La Commission a-t-elle erré lorsqu’elle a séparé les dossiers des trois demandeurs ?

(2)        La Commission a-t-elle erré en rendant une décision qui viole un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale?

 

VI.  Analyse

 

[9]               À titre de remarque préliminaire, les demanderesses soumettent qu’aucune question de crédibilité ou véracité des faits allégués n’a été soulevée par la Commission à l’encontre de leur demande.

 

(1)  La Commission, a-t-elle erré lorsqu’elle a séparé les dossiers des trois demandeurs?

[10]           La mère et ses deux enfants présentent leurs demandes d’asile conjointement, en conformité avec la règle 49 (1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (Règles), laquelle stipule que :« La Section joint la demande d'asile du demandeur d'asile à celle de son époux ou conjoint de fait, son enfant, son père, sa mère, son frère, sa sœur, son petit-fils, sa petite-fille, son grand-père et sa grand-mère ».

 

[11]           Nonobstant la règle 49 des Règles et les représentations du conseil à l’effet que les trois dossiers sont liés (Dossier du tribunal à la p. 409), lors de l’audience, le commissaire décide de séparer le dossier de Jonathan Reyes Tolosa de ceux de sa mère et sa sœur et rend deux décisions : une pour Dea Lorena Tolosa Carranco et sa fille Karen Lorena Reyes Tolosa (Dossier du tribunal aux pp. 3-14) et une deuxième pour Jonathan Reyes Tolosa (Dossier du tribunal aux pp. 15-34).

 

[12]           La matière des trois demandes est une seule en l’espèce car l’agent de persécution poursuit mère, fille et fils, pour les mêmes motifs. Vu que les enfants ont basé leurs demandes sur celle de leur mère en ce sens que dans leur Formulaire de renseignements personnels (FRP), ils réfèrent au récit de la mère, qui a été désignée comme représentante pour son fils, enfant mineur, et sa fille, qui, lors de son arrivé au Canada, n’avait pas encore atteint l’âge de majorité (elle aurait toutefois atteint ses 18 ans avant l’audience), il est évident qu’une scission des dossiers n’aiderait pas à l’étude de la problématique soulevée par les trois demandeurs. (Dossier du tribunal à la p. 435).

 

(2)  La Commission a-t-elle erré en rendant une décision qui viole un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ?

 

[13]           Les parties demanderesses ont droit à une audience au cours de laquelle chaque mot, chaque geste et chaque silence soit effectivement entendu. Un décideur de première instance, comme décideur des faits, doit écouter pour décider si cela qui a été témoigné et démontré; le procès verbal de l’audience démontre le contraire.

 

[14]           Le cheminement de ce dossier démontre que les revendicateurs n’ont pas eu l’occasion de procéder à faire évaluer leurs histoires d’une façon propice au déroulement d’une audience.

 

[15]           L’art de l’écoute active représente l’essence du travail d’un juge de première instance. Lorsqu’un décideur omet d’exercer une écoute active, il prive la personne qui témoigne de son droit de peindre et de faire comprendre sa véritable histoire.

 

VII.  Conclusion

[16]           Pour toutes ces raisons, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que le cas soit entendu et décidé de nouveau par un décideur de première instance autre que celui qui a rendu la décision qui est annulée.


 

JUGEMENT

LA COUR,

Considérant que la partie défenderesse a présenté une requête visant à obtenir un jugement;

            Annule la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés, concluant que les parties demanderesses ne sont pas réfugiés au sens de la Convention ni personnes à protéger;

Retourne l’affaire à la Section de la protection des réfugiés pour que la demande d’asile des  parties demanderesses soient entendue et décidée de nouveau par un commissaire autre que celui qui a rendu la décision qui est annulée;

Le tout sans dépens.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4-08

 

INTITULÉ :                                       DEA LORENA TOLOSA CARRANCO

                                                            KAREN LORENA REYES TOLOSA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 23 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 24 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Cristina Marinelli

 

POUR LES DEMANDERESSES

Me Marilyne Trudeau

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CRISTINA MARINELLI

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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