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Date : 20080624

Dossier : IMM-5020-07

Référence : 2008 CF 775

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2008

En présence de monsieur le juge Max M. Teitelbaum

 

ENTRE :

ZHONG JIANG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]         Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision datée du 7 novembre 2007, dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention suivant l’article 96 de la Loi, ni une « personne à protéger » suivant l’article 97 de la Loi.

 

[2]         Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine (la Chine).

 

[3]         L’oncle du demandeur est un adepte du Falun Gong. Son oncle et un ami ont décidé de fabriquer des tracts expliquant les bienfaits du Falun Gong. Comme l’oncle et son ami n’étaient pas en mesure d’accomplir cette tâche, le demandeur leur a offert de rédiger les tracts. L’oncle du demandeur lui a demandé de rédiger un deuxième paquet de tracts en janvier 2004.

 

[4]         Le 20 ou le 21 janvier 2004, l’oncle du demandeur et d’autres adeptes ont été arrêtés. Quelques jours après cet incident, des agents du Bureau de la sécurité publique (le BSP) se sont présentés chez le demandeur pour l’arrêter, mais il n’était pas à la maison. Les agents ont fouillé les lieux en vue de trouver les tracts.

 

[5]         La mère du demandeur l’a par la suite avisé que des agents du BSP s’étaient rendus chez lui. Le demandeur s’est alors caché. La police a placardé un avis de recherche pour son arrestation. 

 

[6]         Le demandeur s’est enfui de la Chine le 8 juillet 2006, il est arrivé au Canada le 20 juillet 2006, et il a présenté une demande d’asile le même jour.

 

[7]         Dans une décision datée du 7 novembre 2007, la Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié ni une personne à protéger, puisqu’il n’était pas un témoin crédible.

 

NORME DE CONTRÔLE

[8]         La Cour suprême du Canada a indiqué que, pour déterminer la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision doit premièrement vérifier si la jurisprudence antérieure établit déjà le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62). Vu que le nombre de normes de contrôle est passé de trois à deux, le degré de déférence dont il faut faire preuve sera celui associé à la décision raisonnable ou à la décision correcte.

 

[9]         Un examen de la jurisprudence de la Cour révèle que la norme de contrôle applicable à l’évaluation de la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable (Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1701, [2005] A.C.F. no 2127 (QL), au paragraphe 5; Asashi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 102, [2005] A.C.F. no 129 (QL), au paragraphe 6; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Elbarnes, 2005 CF 70, [2005] A.C.F. no 98 (QL), au paragraphe 19).

 

[10]     Compte tenu de la nature factuelle des conclusions relatives à la crédibilité et de l’arrêt Dunsmuir, précité, rendu par la Cour suprême du Canada, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable en l’espèce est la décision raisonnable.

 

[11]     Par conséquent, le présent contrôle judiciaire portera sur « la justification de la décision, […] [sur] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu[e] [sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

 

ANALYSE

[12]     Le demandeur soutient que les motifs de la Commission sont d’une façon générale trop détaillés et qu’ils vont trop loin, et que la Commission a donc commis une erreur susceptible de contrôle. Je souligne que, même s’il est vrai que la Commission ne devrait pas procéder à une interprétation microscopique et exagérée de la preuve (Gill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 921, [2004] A.C.F. no 1144 (QL), au paragraphe 13), la cour de révision a l’obligation correspondante d’interpréter la décision de la Commission dans sa totalité et dans le contexte de la preuve (Miranda c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 437 (QL)).

 

[13]     En fait, la Cour suprême du Canada a réaffirmé ce point de vue, quoique dans un contexte criminel, dans l’arrêt R. c. Gagnon, [2006] 1 R.C.S. 621, [2006] A.C.S. no 17 (QL), au paragraphe 19, où elle a déclaré :

Les propos du juge de première instance doivent être examinés non seulement avec soin, mais aussi dans le contexte. Les termes employés se prêtent la plupart du temps à de multiples interprétations et qualifications. Cependant, l’examen en appel ne commande pas l’analyse de chaque mot, mais bien que l’on détermine si une erreur justifiant l’annulation se dégage des motifs dans leur ensemble.

 

De même, à mon avis, il faut absolument que les cours évitent d’analyser dans les moindres détails les motifs fournis par le tribunal administratif.

 

[14]     Il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission, puisqu’elles constituent « l’essentiel de la compétence de la Commission » (R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] A.C.F. no 162 (QL), au paragraphe 7).

 

[15]     Cette déférence est assouplie par le principe selon lequel les allégations du demandeur d’asile sont présumées vraies (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] A.C.F. no 1131 (QL), au paragraphe 6; voir aussi Maldonado c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 C.F. 302). Cependant, cette présomption peut être réfutée lorsqu’il existe des incohérences et des contradictions dans le témoignage (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Dan-Ash, [1988] A.C.F. no 571 (QL)), lorsqu’il y a des invraisemblances perçues, tant et aussi longtemps qu’elles sont fondées sur des inférences qui ne sont pas déraisonnables et qui font partie de motifs énoncés en « termes clairs et explicites » (R.K.L., précitée, au paragraphe 9), et lorsque « les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le [demandeur] le prétend » (Valtchev, précitée, au paragraphe 7).

 

[16]     Après avoir examiné attentivement les observations écrites et orales des parties, la décision contestée de la Commission, la preuve documentaire et la transcription de l’audience, je suis d’avis que, dans l’ensemble, la décision est bien fondée et inattaquable suivant la norme de la décision raisonnable.

 

[17]      Dans sa décision, la Commission a souligné de nombreuses incohérences dans le témoignage et dans le récit du Formulaire de renseignements personnels (le FRP) du demandeur. Par exemple, le demandeur a indiqué dans son FRP qu’il avait au départ offert de rédiger les tracts du Falun Gong pour son oncle, alors qu’il a affirmé dans son témoignage que son oncle lui avait demandé de le faire. Lorsque la Commission lui a demandé s’il savait que sa famille pouvait courir un risque en raison de l’aide qu’il fournissait au Falun Gong, le demandeur a répondu de façon contradictoire qu’il était au courant que sa famille pouvait être harcelée par le BSP, mais aussi qu’il ne savait pas que cela arriverait.

 

[18]     De plus, lorsque la Commission a posé des questions au demandeur au sujet du tract qu’il avait préparé, plus précisément, la question de savoir si le tract tentait de désavouer la propagande gouvernementale indiquant que le Falun Gong était néfaste, le demandeur a, au départ, répondu que les principes du Falun Gong figurant dans le tract signifiaient que le Falun Gong n’était pas mauvais, ce à quoi la Commission a répondu que tel n’était pas le cas. Par la suite, le demandeur a affirmé qu’il avait aussi écrit explicitement dans le tract que le Falun Gong n’était pas une secte. La Commission a jugé qu’il s’agissait d’un effort déployé par le demandeur, en réponse à ses questions, en vue d’embellir le tract qu’il prétendait avoir écrit.

 

[19]     La Commission a souligné qu’il existait des incohérences relativement à la façon dont le demandeur avait appris que des agents du BSP s’étaient rendus chez lui. Alors qu’il avait écrit dans son FRP avoir été avisé de la visite du BSP par sa mère, le demandeur a tout d’abord déclaré dans son témoignage que son oncle l’avait avisé de cette visite. Le demandeur a témoigné par la suite que sa mère avait parlé de cette visite à son grand-père, qui l’en aurait avisé. De plus, rien dans son FRP n’indiquait que le demandeur se cachait avant d’apprendre que des agents du BSP s’étaient rendus chez lui. Le FRP semblait plutôt indiquer qu’il n’était tout simplement pas à la maison lorsque les agents étaient venus à sa recherche.

 

[20]     En outre, la Commission a déclaré que le récit du demandeur quant à la façon dont il s’était enfui de la Chine semblait invraisemblable, plus particulièrement, la partie du récit selon laquelle il avait mis l’uniforme d’un employé d’une boutique hors taxes et il avait été en mesure de se rendre directement à l’avion sans être soumis à un contrôle de sécurité. La Commission a également affirmé qu’il n’y avait aucun autre témoignage quant à savoir ce que le demandeur avait fait de l’uniforme après s’être rendu à l’avion. Le demandeur souligne à juste titre qu’aucune question n’a été posée sur ce dernier point précisément, mais je suis d’avis que les conclusions d’invraisemblance tirées par la Commission à cet égard sont énoncées en termes clairs et explicites (R.K.L., précitée, au paragraphe 9), et qu’elles sont fondées sur le bon sens et la raison (R.K.L., précitée, au paragraphe 10), conformément à la jurisprudence. La Commission a affirmé que, compte tenu du climat de sécurité engendré par les attentats du 11 septembre 2001, il n’était pas plausible qu’un employé d’une boutique hors taxes ait accès à un avion sans avoir à passer par un poste de contrôle de sécurité.

 

[21]     En concluant que les parents du demandeur auraient fait l’objet de pressions plus accrues par le BSP, la Commission a fait référence à la Réponse à la demande d’information, réponse datée du 11 juillet 2007 (CHN102560.EF). Elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités et compte tenu de l’avis de recherche visant le demandeur, les parents du demandeur auraient fait l’objet de pressions accrues par le BSP pour obliger le demandeur à se livrer. Le demandeur fait référence à une partie du document intitulé « Traitement réservé aux membres de la famille », qui indique que, selon une représentante de l’Association Falun Dafa du Canada :

[traduction] [les] autorités [chinoises] utilisent […] les membres de la famille comme « otages » afin de forcer les adhérents à quitter le mouvement du Falun Gong. Si un adhérent ne collabore pas avec les autorités, les membres de sa famille s’exposent également à des châtiments : […] harcèlement de la part de la police (visites inattendues de la police), interrogatoires arbitraires, perte [d’un] emploi, évanouissement de [l’]espoir d’une promotion, perte [de la] pension ou d’un logement de l’État, etc.

 

D’après le demandeur, ce passage révèle une gamme de formes de harcèlement, harcèlement qui ne va pas nécessairement plus loin que des visites par des agents du BSP. Je partage l’avis du demandeur selon lequel ce passage révèle une gamme de formes de harcèlement. Cependant, la Commission a formulé sa conclusion à la lumière de l’allégation selon laquelle un avis de recherche visant le demandeur avait également été lancé. Par conséquent, l’existence de l’avis de recherche indiquait le contexte entourant la recherche du demandeur et, compte tenu de ce contexte, la Commission était d’avis que, selon la prépondérance des probabilités, les parents du demandeur auraient fait l’objet de pressions accrues.

 

[22]     La Commission a jugé que, à la lumière de la Réponse à une demande d’information, datée du 1er juin 2004, et de l’avis de recherche, le BSP aurait délivré une assignation et l’aurait montrée aux membres de la famille du demandeur lorsqu’il était à sa recherche. Le demandeur fait référence au même document, qui indique :

Toutefois, dans une communication écrite du 21 avril 2004 envoyée à la Direction des recherches, le professeur agrégé a ajouté que même si le droit procédural en Chine devait être appliqué uniformément et que le ministère de la Sécurité publique avait déployé des efforts concertés afin d’améliorer les normes policières, en pratique, le [traduction] « BSP [Bureau de la sécurité publique] n’a pas encore établi la primauté du droit » (ibid. 21 avr. 2004). Selon le professeur agrégé, l’application de la loi peut varier considérablement en fonction des régions, où les différences constituent parfois des politiques écrites, mais [traduction] « la plupart du temps la règle écrite cède le pas aux normes de la rue » (ibid.).

 

Le demandeur soutient que rien dans la preuve documentaire n’indique qu’une assignation aurait nécessairement été délivrée ou montrée à sa famille. Même si cet argument est valable, je suis d’avis qu’il n’est pas suffisant pour justifier l’annulation de la décision dans son ensemble.

 

 

[23]     Le demandeur conteste aussi la conclusion de la Commission selon laquelle la carte de visite au détenu qu’il avait présentée comme preuve de l’arrestation et de l’incarcération de son oncle était frauduleuse. Pour conclure que ce document était frauduleux, la Commission s’est fondée sur la preuve documentaire selon laquelle la fabrication de documents frauduleux était courante en Chine, sur l’absence d’éléments de sécurité sur le document, sur le fait que le document semblait ne jamais avoir été utilisé, et sur ses autres inférences défavorables. Je souligne que la Commission est habilitée à tirer des conclusions fondées sur la preuve dont elle dispose. Même si l’expertise de la Commission lorsqu’il s’agit d’établir qu’un document est frauduleux peut faire l’objet d’un débat, cet argument n’est pas suffisant pour justifier l’annulation des conclusions de la Commission, compte tenu de la décision dans son ensemble.

 

[24]     Je conclus que, dans l’ensemble, l’analyse relative à la crédibilité de la Commission « appart[ient] […] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », conformément à l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

 

[25]     Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5020-07

 

INTITULÉ :                                                   ZHONG JIANG c. LE MINISTRE DE LA

                                                                        CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 JUIN 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   LE 24 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

 

                                  POUR LE DEMANDEUR

Ricky Y.M. Tang

 

                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine & Associates

Toronto (Ontario)

 

                                  POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

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