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Date : 20080623

Dossier : IMM-4869-07

Référence : 2008 CF 790

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2008

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

JACQUELINE ANNMARIE LEWIS

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Jacqueline Annmarie Lewis a quitté la Jamaïque pour venir au Canada en 1992. Au fil des ans, elle a tenté à plusieurs reprises d’obtenir la résidence permanente au Canada, sans succès. Sa dernière tentative a également échoué : elle a tenté, sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire, d’être exemptée de l’obligation de présenter sa demande de résidence permanente de l’étranger.

[2]               Mme Lewis soutient que l’agente qui a examiné sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) a commis une erreur dans l’analyse de la question de l’intérêt supérieur de son enfant, Matthew, né au Canada. En particulier, elle affirme que l’agente a porté toute son attention sur le degré de difficulté auquel serait exposé Matthew s’il quittait le Canada avec elle et qu’elle présentât une demande de retour au Canada à partir de la Jamaïque. Selon Mme Lewis, l’agente aurait plutôt dû déterminer l’intérêt supérieur de Matthew et ensuite évaluer à quel degré le renvoi de Matthew du Canada lui porterait atteinte.

[3]               Bien que je convienne que le raisonnement de l’agente pourrait causer un problème dans d’autres circonstances, les faits qui ont été portés à ma connaissance ne justifient pas que j’infirme la décision de l’agente. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

I.  La question en litige

[4]               L’agente a-t-elle effectué une analyse raisonnable concernant l’intérêt supérieur de l’enfant?

II.  Analyse

[5]               Je peux infirmer la décision d’un agent seulement si je conclus qu’elle était déraisonnable : Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646, [2008] A.C.F. no 814 (QL), paragraphe 11.

[6]               Mme Lewis admet que l’agente n’a pas négligé ou mal interprété la preuve relative à la situation de son fils. Elle allègue plutôt que l’agente n’a pas utilisé la bonne approche. L’agente a affirmé ce qui suit :

[traduction]

 

Selon tous les renseignements dont je dispose, je ne peux conclure que si Matthew devait accompagner la demanderesse, qui doit être renvoyée en Jamaïque, cela équivaudrait à l’exposer à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives qui justifieraient une exception fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[7]               Mme Lewis soutient que l’agente a commis une erreur en omettant de comparer les difficultés auxquelles serait exposé Matthew s’il quittait le Canada avec le scénario qui, dans les faits, servirait le mieux l’intérêt supérieur de Matthew. Elle affirme que l’approche adéquate est celle adoptée par le juge Evans dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2002] A.C.F. n1687 (QL). Dans cet arrêt, le juge Evans a estimé que l’agente avait commis une erreur parce qu’elle n’avait pas déterminé l’intérêt supérieur de l’enfant au moment de la décision, intérêt qu’elle aurait ensuite dû comparer aux difficultés entraînées par le renvoi.

[8]               Cependant, les juges majoritaires dans l’arrêt Hawthorne, dont les motifs ont été rédigés par le juge Robert Décary, auxquels souscrivait le juge Marshall Rothstein, ont estimé qu’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant sera souvent « quelque peu superficiel[le] » parce que l’enfant sera presque toujours dans une situation plus favorable s’il demeurait au Canada avec sa mère ou son père. Comme l’a affirmé le juge Décary :

En pratique, l'agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d'un parent exposera l'enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d'intérêt public, qui militent en faveur ou à l'encontre du renvoi du parent.

[9]               En me fondant sur cette approche, je ne peux trouver aucune erreur dans l’analyse de l’agente relative à l’intérêt supérieur de Matthew : elle a adéquatement tenu compte des conséquences que le renvoi en Jamaïque pourrait avoir sur lui.

 

[10]           Mme Lewis soutient également que l’agente n’aurait pas dû sous‑estimer les difficultés auxquelles Matthew serait exposé simplement parce qu’elles ne pouvaient être décrites comme étant « inhabituelles, injustifiées ou excessives ». Selon elle, l’effet du renvoi sur Matthew aurait dû prendre une place importante dans l’analyse globale des motifs d’ordre humanitaire, et ce, même si l’un de ces adjectifs ne pouvaient être utilisés pour qualifier les difficultés.

[11]           Ici, je crois que Mme Lewis a un bon argument. La jurisprudence nous somme de « bien identifi[er] et défini[r] » l’intérêt supérieur de l’enfant (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. no 457 (C.A.F.) (QL), paragraphe 12), parce qu’il constitue un facteur important auquel il faut donner beaucoup de poids dans les demandes CH (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). À mon avis, ce ne sont pas seulement les « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » qui comptent. Toute difficulté à laquelle un enfant pourrait être exposé devrait être considérée lorsque l’on doit déterminer si des motifs d’ordre humanitaire justifient d’accorder une exception. On peut facilement comprendre qu’une analyse qui mettrait l’accent seulement sur les difficultés « inhabituelles, injustifiées ou excessives » courrait le risque de ne pas tenir compte de facteurs importants relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme le juge Décary l’a souligné dans l’arrêt Hawthorne, précité, les adjectifs « inhabituel », « injustifié » et « excessif » peuvent être inappropriés pour décrire les souffrances d’un enfant (particulièrement « injustifié »).

[12]           Cependant, dans l’affaire dont je suis saisi, je suis convaincu que l’évaluation de l’intérêt supérieur de Matthew effectuée par l’agente satisfaisait à l’obligation d’être « réceptif, attentif et sensible » aux facteurs pertinents et que l’utilisation par l’agente des adjectifs « inhabituel, injustifié ou excessif » n’a pas entraîné l’omission de tenir compte adéquatement de ses facteurs.

[13]           Par conséquent, je conclus que l’analyse de l’agente était raisonnable, et je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Étant donné que la présente conclusion s’impose en raison de l’arrêt Hawthorne rendu par la Cour d’appel fédérale, précité, aucune question de portée générale n’est soulevée aux fins de certification.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4869-07

 

INTITULÉ :                                                   JACQUELINE ANNMARIE LEWIS c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 JUIN 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeinis Patel                                                        POUR LA DEMANDERESSE

 

Manuel Mendelzon                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann & Associates

Toronto (Ontario)                                             POUR LA DEMANDERESSE

 

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

 

 

 

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