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Date : 20080624

Dossier : IMM-5197-07

Référence : 2008 CF 795

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2008

En présence de monsieur le juge Max M. Teitelbaum

 

 

ENTRE :

FERMIN FELICIANO MONCADA MENDOZA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur limmigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 22 novembre 2007 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur, citoyen du Mexique, n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État et qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

Le contexte factuel

[2]               Pendant sept ans, le demandeur fut membre de la Division de la sécurité publique, un service de police national au Mexique. Il a travaillé dans différentes unités de police au cours de ces années, dont au sein de la patrouille ordinaire, de la Division des agents motards, de la Section des gangs et des toxicomanes et de la Section des vols de véhicules.

 

[3]               Le demandeur allègue avoir participé à un barrage routier le 16 mars 2002 où il vérifiait si les conducteurs étaient en état d’ébriété. Une automobile dans laquelle se trouvaient trois personnes a été interceptée. Une de ces personnes était Mme Mendoza, la nièce du maire de la ville de Celaya dans l’État du Guanajuato, au Mexique, ville où le demandeur travaillait. Mme Mendoza et son mari sont devenus agressifs et elle a blessé le demandeur avec son téléphone cellulaire. Ils ont été arrêtés par un autre agent de police et des accusations ont été portées contre eux.

 

[4]               Les accusations ont par la suite été retirées sur ordre du directeur de la sécurité publique. Cependant, le demandeur avait personnellement déposé une plainte contre Mme Mendoza et il a refusé de la retirer. Le demandeur allègue que, en juillet 2002, on lui a offert un règlement pécuniaire en échange du retrait de la plainte, mais qu’il a refusé. Il soutient que peu de temps après il a commencé à recevoir des menaces par téléphone. Il affirme également qu’en avril 2004, il a été pris d’assaut par deux individus parce qu’il mettait Mme Mendoza « dans l’embarras ». Il a par la suite été menacé d’être renvoyé de la police parce qu’il ne retirait pas sa plainte. Il s’est néanmoins rendu à Mexico pour informer le ministère public de la situation, mais on l’a avisé de retirer la plainte. Il a de nouveau tenté de porter plainte en février 2005 : il a informé de la situation la Commission des droits de la personne du ministère public, mais sa plainte a été rejetée. À son retour à la maison, il a commencé à recevoir des menaces de mort.

 

[5]               Le 23 avril 2005, le demandeur a démissionné de son poste au sein du service de police et il s’est rendu dans un ranch avant de venir au Canada le 12 mai 2005, où il a demandé l’asile peu de temps après.

 

La décision contestée

 

[6]               Une grande partie de la décision de la Commission a porté sur une question soulevée par le ministre, à savoir si le demandeur devait faire l’objet d’une exclusion et ne pas bénéficier du statut de réfugié aux termes de l’alinéa 1(F)a) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, 189 R.T.N.U. 2545 (la Convention), parce qu’il aurait été complice de crimes contre l’humanité du fait de son emploi au sein des services de police au Mexique. La Commission a conclu que le ministre ne s’était pas acquitté de son fardeau de la preuve quant à l’allégation selon laquelle le demandeur avait été complice de crimes contre l’humanité et que, par conséquent, il ne faisait pas l’objet d’une exclusion aux termes de l’alinéa 1(F)a) de la Convention. La Cour n’est pas saisie de cette question en l’espèce.

 

[7]               Une fois la question de l’exclusion tranchée, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au Mexique. Elle a apprécié la preuve documentaire qui donne à penser que le Mexique déploie des efforts pour offrir de la protection. Elle a noté que tant l’Agence fédérale d’enquête que le procureur général fédéral avaient fait des efforts pour éliminer les policiers corrompus de leur organisation.

 

[8]               La Commission a souligné que le demandeur n’avait pas déposé de plainte concernant la corruption de la police et qu’il n’avait jamais été témoin d’acte de corruption pendant son service. La Commission a par conséquent conclu que le demandeur n’avait pas épuisé les recours qui s’offraient raisonnablement à lui au Mexique et que, s’il avait persisté, il aurait pu bénéficier de la protection de l’État.

 

La question en litige

[9]               La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est la suivante :

1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État?

 

La norme de contrôle

[10]           Récemment, au paragraphe 6 de la décision Eler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 334, la juge Dawson a conclu que, par suite de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la norme de contrôle applicable à une conclusion relative au caractère adéquat de la protection de l’État était la raisonnabilité, et je suis d’accord avec cette analyse. Comme la Cour suprême l’a affirmé au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, un contrôle lors duquel la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité met l’accent sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel ». La raisonnabilité étant la norme applicable, la décision de la Commission sera confirmée à moins que ses conclusions relatives au caractère adéquat de la protection de l’État n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

Analyse

1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État?

 

[11]           Le demandeur soutient que la Commission a laissé entendre qu’un demandeur devait épuiser tous les recours qui pourraient lui faire bénéficier de la protection de l’État avant qu’il soit admissible au statut de réfugié au Canada. Il allègue que cela constitue une erreur et que le critère applicable est qu’il faut déployer des « efforts raisonnables » pour obtenir de la protection (il a cité la décision Nunez c. Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1661 (ci‑après, la décision Nunez), et la décision L.G.S. c. Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 731 (ci‑après, la décision L.G.S.)).

 

[12]           Le demandeur soutient également que la Commission a commis une erreur en omettant d’expliquer pourquoi les efforts du demandeur n’étaient pas suffisants. Il soutient que le sous‑entendu de la Commission, selon lequel il aurait dû se plaindre de la corruption, constituait une erreur. Il affirme que les efforts qu’il a déployés pour informer les autorités de la situation et le fait que la police l’avait sommé de se désister de la plainte et menacé de renvoi établissent suffisamment qu’il a tenté d’obtenir de la protection, mais qu’elle lui a été refusée.

 

[13]           Le défendeur soutient que le Mexique est présumé être capable de protéger ses citoyens (Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 66, paragraphe 12) et que la Commission a appliqué le critère juridique adéquat à la preuve. Selon le défendeur, qui cite l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Villafranca (1991), 99 D.L.R. (4th) 334 (C.A.F.), rendu par la Cour d’appel fédérale, la protection de l’État n’a pas à être parfaite, elle n’a qu’à être adéquate. Le défendeur allègue que, en l’espèce, l’absence d’aide de quelques agents de police ne constitue pas une réfutation de la présomption de la protection de l’État (Arenas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 458). Selon le défendeur, la Commission n’a donc pas commis d’erreur dans sa décision.

 

[14]           La plus grande partie de l’analyse effectuée en l’espèce par la Commission concernant le caractère adéquat de la protection de l’État est un compte rendu sur les différentes agences du gouvernement et les unités de police du Mexique ainsi que sur les réformes et les mécanismes internes de contrôle mis en place pour régler les problèmes d’inconduite et de violence policières. La Commission a noté que, au sein du bureau du procureur général du district fédéral, la fonction d’inspecteur général avait été créée pour combattre la corruption et l’impunité; cet inspecteur est chargé d’enquêter sur les plaintes déposées contre le ministère public et les agents de la police judiciaire et d’en faire le suivi. La Commission a souligné que les documents sur la situation au pays montrent que l’agence fédérale d’enquête « n’hésite pas à mettre ses propres commandants en état d’arrestation » et que le procureur général du district fédéral a déployé des efforts « pour éliminer les policiers corrompus de ses agences ». La Commission a continué en notant que les victimes de corruption et du crime organisé pouvaient signaler ces infractions à tout bureau du ministère public et elle a conclu que, bien que « le demandeur d’asile [ait] présenté sa dénonciation au ministère public, […] il n’a pas signalé d’acte de corruption » et que la preuve même du demandeur établissait qu’il n’avait pas été témoin de quelque acte de corruption que ce soit lorsqu’il était employé par le service de police.

 

[15]           La Commission a poursuivi en affirmant que « [l]orsque l’État en cause est un état démocratique, le demandeur d’asile doit aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses » et elle a insisté sur le fait que plus les institutions de l’État sont démocratiques, plus le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur est lourd. La Commission a ensuite conclu que le demandeur n’avait pas épuisé tous les recours qui s’offraient à lui et qu’elle « [n’était] pas convaincue que les autorités du Mexique ne pourraient pas raisonnablement faire des efforts sérieux pour protéger le demandeur d’asile s’il retournait au Mexique et qu’il tentait d’obtenir la protection de l’État ».

 

[16]           Je souligne que la Commission n’a pas affirmé que le demandeur n’était pas crédible. L’avocat du demandeur a, à mon avis, judicieusement soutenu qu’étant donné que la crédibilité du demandeur n’était pas remise en question et que [traduction] « le demandeur a tenté à douze ou treize occasions » d’obtenir de la protection, laquelle lui a été refusée, il incombait à la Commission de dire pourquoi les efforts déployés par le demandeur pour obtenir de la protection n’étaient pas suffisants. La jurisprudence établit clairement que le demandeur n’a pas à épuiser tous les recours qui peuvent lui faire bénéficier de la protection de l’État (voir les décisions Nunez et L.G.S., précitées).

 

[17]           Comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur a tenté à plusieurs occasions d’obtenir la protection de l’État et il ne l’a pas obtenue; malgré cela, la Commission a rejeté la demande du demandeur et elle a conclu que le demandeur n’avait pas établi que « les autorités du Mexique ne pourraient pas raisonnablement faire des efforts sérieux pour protéger le demandeur ». Pour cette raison, je conclus que la Commission devait expliquer pourquoi de tels efforts n’étaient pas suffisants et que, malgré les nombreuses tentatives du demandeur, les autorités du Mexique seraient disposées à faire de sérieux efforts pour protéger le demandeur s’il retournait au Mexique et tentait encore une fois d’obtenir la protection de l’État.

 

[18]           À mon avis, la Commission a imposé au demandeur un fardeau de la preuve trop lourd et a omis d’entreprendre une analyse minutieuse et satisfaisante de la demande du demandeur; elle s’est plutôt appuyée sur le fait que le Mexique est un État démocratique et que, par conséquent, le demandeur devait « aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’[était] adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches [avaient] été infructueuses ». Il incombait à la Commission, à mon avis, d’expliquer clairement pourquoi les nombreuses tentatives du demandeur d’obtenir de la protection étaient insuffisantes pour établir qu’il avait pris tous les moyens raisonnables dans les circonstances afin d’obtenir la protection de l’État. La décision de la Commission, à mon avis, ne fournit aucune justification, manque de transparence et n’est pas raisonnable.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvelle audience. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification.

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5197-07

 

INTITULÉ :                                                   Fermin Feliciano Mancada Mendoza c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 JUIN 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 24 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Boniface Ahunwan

 

POUR LE DEMANDEUR

John Locar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Boniface Ahunwan

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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