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Date : 20080619

Dossier : IMM-3475-07

Référence : 2008 CF 767

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

HAMID GHOFRANI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               En avril 2004, la province de Québec a accepté la demande présentée par M. Ghofrani pour pouvoir y immigrer en qualité de travailleur qualifié. Dans un tel cas, le ministre a pour unique responsabilité d’évaluer l’admissibilité au Canada de M. Ghofrani et, si ce dernier n’est pas jugé interdit de territoire, de lui délivrer un visa de résident permanent.

 

[2]               Je suis d’avis, compte tenu des faits d’espèce particuliers, que la décision du défendeur de refuser la demande de statut de résidence permanente de M. Ghofrani doit être annulée. Je veux toutefois qu’il soit bien clair, ce faisant, qu’en l’absence des faits particuliers décrits ci-après, l’agent aurait pu rejeter la demande en raison de l’omission du demandeur de se présenter à une entrevue fixée afin de dissiper des préoccupations quant à l’admissibilité.

 

I.          CONTEXTE

[3]               M. Ghofrani est né le 10 septembre 1971 à Mashad, en Iran. En 1995, il a obtenu un baccalauréat de l’Université Amirkubir de Téhéran. Il s’est inscrit au Illinois Institute of Technology de Chicago, qui lui a décerné une maîtrise en 1999. Il s’est ensuite inscrit à un autre programme de maîtrise, cette fois à l’Université Frederick Taylor, en Californie. D’après son avocate, le demandeur est actuellement inscrit au programme de doctorat en finance et statistique appliquée de l’Université de la Californie à Santa Barbara. Le demandeur a également exercé un emploi rémunéré dans le secteur de la haute technologie pendant presque toute la durée de ses études supérieures aux États-Unis.

 

[4]               On a consigné dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), l’évolution du dossier de demande de M. Ghofrani. Ni les avocates ni la Cour, toutefois, ne parviennent à parfaitement comprendre les données consignées. On peut cependant en dégager les faits pertinents qui suivent.

·        21 juin 2004 – Demande notée et consignée pour la première fois dans le STIDI.

·        18 août 2004 – Un agent des visas note l’existence de quelques lacunes en matière d’antécédents personnels et domiciliaires. On a demandé à M. Ghofrani de fournir l’information manquante pour les périodes pertinentes. On a également fait état de la nécessité d’une mise à jour des renseignements médicaux et d’une vérification du FBI. L’agent des visas a également inscrit ce qui suit dans les notes du STIDI :  

[traduction]

PAS DE SUJET DE PRÉOCCUPATION APPARENT
LES DOC SEMBLENT FIABLES
RECOMMANDE DISPENSE DE L’ENTREVUE
[Majuscules dans l’original.]

·        14 janvier 2005 – Un agent des visas note que le bureau a reçu les renseignements généraux demandés à M. Ghofrani pour les périodes pertinentes ainsi que les autres renseignements demandés, et il mentionne qu’on a sorti le dossier pour un « SECDEC ». Aucune explication n’est toutefois donnée dans le dossier, ni n’a été fournie à l’audience, quant au sens de « SECDEC ».

·        19 janvier 2005 – On mentionne dans les notes du STIDI qu’une vérification des antécédents est requise et, le 21 janvier 2005, demande en est transmise par voie électronique à « L’ÉQUIPE EDE ».

·         11 février 2005 – Une demande d’état est reçue de la part de M. Ghofrani, à qui on a transmis la réponse suivante :

[traduction]

Pour donner suite à votre demande, il sera nécessaire de consulter d’autres bureaux des visas, ministères et organismes. Nous répondrons le plus vite possible à votre demande, sans malheureusement pouvoir vous en préciser le moment.

 

  • 13 juillet 2006 – M. Ghofrani demande dans un nouveau courriel, comme suit, quel est l’état de sa demande :

[traduction]

Mon examen médical n’est plus valide depuis le 24 août 2005. Cela fait deux ans que j’ai subi mon premier examen médical. Le processus de vérification des antécédents est devenu si long que tout dans ma vie en a été affecté. Je ne sais pas si je devrais poursuivre ou non mon programme de doctorat à l’Université de la Californie à Santa Barbara. J’ai également été admis à l’Université Concordia, mais j’y ai déjà retardé trois fois mon entrée. Je sais qu’il y a un très grand nombre de dossiers à traiter, mais je n’ai jamais entendu parler d’un délai de deux ans après l’examen médical. J’apprécierais grandement que vous m’expliquiez pourquoi il faut tant de temps pour traiter ma demande. Je serais reconnaissant pour toute aide accordée à cet égard.

 

Rien au dossier du défendeur n’indique qu’une réponse ait été communiquée à M. Ghofrani.

  • 3 octobre 2006 –  Il y a à cette date deux inscriptions portant que la demande de vérification des antécédents, présentée en janvier 2005, n’a pas été reçue, ou qu’il n’a pas été donné suite à cette demande. Pas de vérification des antécédents tel que demandé en janvier 2005.
  • 19 janvier 2007 – Un agent des visas note : [traduction] INTERRO. DE BASE REQUIS POUR L’INTÉRESSÉ ». Il est d’intérêt de noter que c’est uniquement après que deux années et demie se soient écoulées, sans qu’il y ait eu de modification notable des renseignements relatifs au demandeur, qu’un agent des visas estime désormais nécessaire de faire passer au défendeur une entrevue sur ses antécédents.
  • 23 février 2007 – L’entrevue de M. Ghofrani est fixée au 20 avril 2007.
  • 16 avril 2007 – M. Ghofrani fait savoir par courriel qu’il doit subir un examen le jour prévu de l’entrevue, et il demande qu’une nouvelle date soit fixée pour celle-ci. L’agent des visas répond le même jour que l’entrevue est reportée au 28 juin 2007.
  • 5 juin 2007 – Selon une note, M. Ghofrani a fait savoir, sans en fournir le motif, qu’il ne pourrait assister à l’entrevue fixée au 28 juin 2005.

·        17 juillet 2007 – L’agent des visas note ce qui suit :

[traduction]

On a fixé 2 fois un rendez-vous avec l’intéressé pour un interrogatoire de base. Ce dernier a dit qu’il ne pourrait se rendre au rendez-vous d’avril 2007 en raison de son calendrier d’examen. On a alors fixé un nouveau rendez-vous en juin 2007. L’intéressé nous a informés qu’il ne pourrait être présent, mais sans nous en fournir le motif. Il est résident des États-Unis, de sorte que l’obtention d’un visa américain de non-immigrant ne pose pas de problème en ce qui le concerne.

L’intéressé ne s’étant pas présenté, preuve n’a pu être faite qu’il n’est pas interdit de territoire et qu’il se conforme à la Loi. La demande doit par conséquent être rejetée. Lettre de refus N/S envoyée aujourd’hui. Les FDRP n’ayant pas été payés, aucun remboursement n’est requis.

 

[5]               Le 17 juillet 2007, l’agent de Citoyenneté et Immigration Canada a rendu sa décision, consignée sur une lettre d’une page, à l’égard de la demande de résidence permanente. L’extrait pertinent en est le suivant :

[traduction]

Nous avons accédé à votre demande de report d’entrevue et, par lettre du 16 avril 2007, il vous était enjoint de vous présenter pour une entrevue fixée au 28 juin 2007. On vous informait dans cette lettre que, si vous n’assistiez pas à l’entrevue ainsi fixée, l’examen de votre demande serait effectué sur le fondement des éléments dont celle-ci permet de disposer. Vous ne vous êtes pas présenté à l’entrevue malgré la demande qui vous en était faite en application du paragraphe 15(1). Vous ne m’avez fait part d’aucun motif raisonnable pour expliquer votre absence à l’entrevue.

Dans les lettres de convocation, on vous informait qu’un examen était requis pour établir si vous étiez ou non interdit de territoire et si vous vous conformiez à la Loi […] J’estime, après examen des éléments disponibles, que preuve n’a pas été faite que vous n’êtes pas interdit de territoire et que vous vous conformez à la Loi. Je rejette par conséquent votre demande, en application du paragraphe 11(1).                                  [Non souligné dans l’original.]

 

II.        DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[6]               Le demandeur fait valoir les trois motifs de contrôle judiciaire suivants :

1.                  l’agent des visas a manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne précisant pas sur quels faits et règles de droit il s’était fondé pour refuser de délivrer le visa;

2.                  l’agent des visas a manqué à l’obligation d’équité procédurale en n’informant pas le demandeur dans l’avis de convocation qu’il pouvait être interdit de territoire au Canada;

3.                  l’agent des visas a manqué à l’obligation d’équité procédurale en n’informant pas le demandeur, avant le rejet de la demande, de son refus de reporter l’entrevue.

 

III.       NORME DE CONTRÔLE

[7]               Le demandeur soutient que l’agent des visas a manqué à son endroit à l’obligation d’équité procédurale. Les questions d’équité procédurale mettant en cause un agent des visas pour les besoins du processus qui nous occupe doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte (Lak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 350).

 

IV.       ANALYSE

[8]               Examinons tout d’abord la question du report de l’entrevue.

 

[9]               L’agent des visas n’a nullement agi incorrectement, à mon avis, lorsqu’il a fixé une nouvelle date d’entrevue. L’agent a fixé une nouvelle date immédiatement après avoir été informé que M. Ghofrani devait subir un examen à la première date prévue.

 

[10]           Le demandeur se plaint de ce que l’agent n’a pas dit pour quel motif il refusait le deuxième report. Or, rien n’indique au dossier que M. Ghofrani ait informé l’agent de la raison pour laquelle il ne pouvait alors être présent. Tout ce que révèle le dossier, c’est que M. Ghofrani a retourné la formule de convocation, où il avait coché la case apposée à côté de la phrase : [traduction] « Non, je ne pourrai être présent au rendez-vous fixé ». 

 

[11]           M. Ghofrani a joint à sa demande de contrôle judiciaire un affidavit où il déclare avoir envoyé une télécopie au consulat le 4 juin 2007 pour faire savoir qu’un conflit d’horaire l’empêcherait d’être présent à l’entrevue fixée, et demander le report de cette entrevue. Cependant, nulle pareille télécopie n’a été jointe comme pièce à l’affidavit, ni n’a été versée au dossier officiel. Si une telle lettre avait bien été envoyée, on pourrait s’attendre à ce que M. Ghofrani ait relancé l’affaire en l’absence d’une réponse, compte tenu du fait qu’on avait immédiatement répondu à sa demande antérieure de report d’entrevue. Le défendeur a donc agi correctement compte tenu des éléments dont il disposait.

 

[12]           Pour ce qui est de la deuxième question, de même, je conclus qu’il n’y avait rien d’inéquitable dans le fait qu’on n’ait pas informé M. Ghofrani dans l’avis de convocation que l’objet de l’entrevue était d’évaluer son admissibilité au Canada. Comme je l’ai dit précédemment, dans les cas où la province a déjà admis un demandeur à titre de travailleur qualifié, le seul rôle de l’autorité fédérale consiste à établir s’il est admissible.

 

[13]           Il est bien vrai, toutefois, que la lettre type envoyée aux personnes dans la même situation que le demandeur ne constitue par un modèle de clarté ni de transparence à cet égard. Un avocat peut en comprendre que l’objet de l’entrevue concerne des questions d’admissibilité, mais qu’en est-il d’un éventuel immigrant, même avisé? On indique comme suit dans la lettre type le motif de l’entrevue : [traduction] « [U]ne entrevue vous a été fixée à nos bureaux pour pouvoir évaluer votre demande de résidence permanente au Canada […] »

 

[14]           Il est également troublant que dans la lettre de rejet de la demande de visa, on présente erronément, pourrait-on dire, la teneur de la lettre type. On déclare en effet dans la lettre de rejet : [traduction] « Dans les lettres de convocation, on vous informait qu’un examen était requis pour établir si vous étiez ou non interdit de territoire et si vous vous conformiez à la Loi […] » Comme je viens de le souligner, on ne mentionne pas dans les lettres de convocation que l’examen vise à évaluer si l’intéressé est interdit de territoire, si ce n’est indirectement du fait du rôle joué par l’autorité fédérale. Malgré tout, encore que le défendeur serait bien avisé de reformuler la lettre de convocation pour que son contenu concorde avec celui de la lettre de rejet, on ne peut dire que le libellé utilisé a été source pour le demandeur d’iniquité procédurale.

 

[15]           On a également soutenu que l’équité procédurale exigeait que la lettre de convocation précise les sujets de préoccupation quant à l’admissibilité du demandeur. Je suis d’accord à cet égard avec le commentaire suivant formulé par le juge O’Reilly dans la décision Lehal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1110 :

Dans certaines circonstances, l’équité exige que le décisionnaire prévienne la personne qu’il a une préoccupation particulière. On s’assure ainsi que les décisions défavorables sont toujours prises en pleine connaissance des faits.

 

[16]           Dans l’affaire Lehal, on avait convoqué le demandeur pour évaluer s’il était véritablement un étudiant. On lui avait posé des questions auxquelles un étudiant aurait pu répondre facilement; dans ce contexte, le juge O’Reilly a statué qu’un préavis n’était pas requis.

 

[17]           Le problème qui se pose dans le cas de M. Ghofrani, c’est qu’absolument rien ne permettait de savoir lequel parmi les différents motifs possibles d’interdiction de territoire préoccupait l’agent, puisque rien dans la lettre de convocation à l’entrevue ou les notes du STIDI ne laisse voir la raison pour laquelle l’agent a jugé qu’une entrevue était requise pour dissiper ses préoccupations en la matière.

 

[18]           La lettre de convocation en l’espèce fait contraste avec celle en cause dans l’affaire Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 642. Dans cette affaire, l’agent des visas avait écrit à M. Chiau pour le convoquer à une entrevue personnelle et lui avait indiqué qu’il y avait des motifs de croire qu’il tombait sous le coup de l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, en sa version modifiée, aux termes duquel les membres du crime organisé étaient interdits de territoire au Canada. L’agent précisait dans sa lettre que [traduction] « l’entrevue vise à déterminer si vous avez gardé des liens avec des triades ou autres organisations criminelles ».

 

[19]           Lors de contrôle judiciaire, M. Chiau a soutenu que l’agent avait manqué à l’obligation d’équité procédurale à son endroit en ne lui communiquant pas un sommaire des renseignements dont il disposait et qu’on ne l’avait ainsi pas informé des faits relevés contre lui. Le juge Dubé a rejeté cette prétention. Estimant qu’on avait fait preuve d’équité procédurale à l’endroit de M. Chiau, le juge a déclaré ce qui suit au paragraphe 15 :

À mon avis, l’agent des visas a observé tous les impératifs d’équité procédurale dans les circonstances de la cause. M. Chiau a été dûment informé à l’avance, par lettre avant l’entrevue, de ce qu’on lui reprochait. Les renseignements communiqués par l’agent des visas Delisle étaient suffisants pour lui permettre de se préparer à l’entrevue et de convaincre l’agent qu’il n’était membre d’aucune organisation criminelle. Cette lettre mentionne expressément l’alinéa 19(1)c.2) ainsi que les [traduction] « liens [de M. Chiau] avec des triades ».

 

[20]           En l’espèce toutefois, il y a lieu de se demander, au vu du dossier, pourquoi l’agent a jugé une entrevue nécessaire. La juge Dawson s’est penchée sur l’état du droit en matière de contrôle de la décision de convoquer un demandeur à une entrevue dans Qazi v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1177. Elle l’a fait avant que la Cour suprême du Canada ne rende l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; j’estime néanmoins que ses observations et conclusions, formulées comme suit, demeurent valides.

[16]      […] [L]e régime législatif actuel confère toujours à l’agent le pouvoir discrétionnaire d’exiger qu’un demandeur se soumette à une entrevue. Il faut, pour déterminer quelle norme de contrôle s’applique à l’exercice de ce pouvoir, tenir compte des quatre facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle (l’existence d’une clause privative, l’expertise relative, l’objet de la disposition et de la loi et la nature du problème). En ce qui concerne ces facteurs :

(1)  le fait que le contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent doit être autorisé semble indiquer que le législateur entendait accorder un droit de contrôle restreint (voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 31);

(2)  l’expertise est une notion relative qui doit être évaluée dans le contexte de la question précise dont est saisi le décideur. Les agents acquerront une expertise en déterminant dans quels cas une entrevue est nécessaire. La Cour ne possède pas une expertise plus grande à l’égard de cette décision fondée sur les faits. Ce facteur milite en faveur de la retenue;

(3)  l’objet de la disposition est de faciliter la production de renseignements complets et exacts. La disposition n’exige pas que l’on mette en équilibre les intérêts des différentes parties. Ce facteur favorise un contrôle judiciaire plus limité;

(4)  la question de savoir si une entrevue est nécessaire est hautement discrétionnaire et dépend des faits. Le paragraphe 16(1) de la Loi exige cependant que le demandeur « donn[e] les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présent[e] les […] documents requis ». Ainsi, la décision d’un agent de demander des renseignements est assujettie à des restrictions, ce qui semble indiquer que l’intention du législateur était de soumettre cette décision à un certain contrôle.      [Non souligné dans l’original.]

[17]      À mon avis, ces facteurs mènent à la conclusion que la décision devrait être contrôlée en fonction de la norme de la décision raisonnable simpliciter. Cette norme ne permet pas au tribunal chargé du contrôle de se demander ce qu’aurait été la décision correcte. En fait, « [l]a norme de la décision raisonnable donne effet à l’intention du législateur de confier à un organisme spécialisé la responsabilité principale de trancher la question selon son propre processus et ses propres raisons. La norme de la décision raisonnable n’implique pas que l’instance décisionnelle dispose simplement d’une “marge d’erreur” par rapport à ce que la cour estime être la solution correcte. » Voir Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 50.

 

[21]           Dans la décision Qazi, la juge Dawson a fait observer que deux agents différents avaient décidé que des renseignements additionnels devaient être obtenus et qu’une entrevue était nécessaire. Se fondant sur ce fait et sur les notes contenues dans le STIDI, la juge a conclu qu’il n’était pas déraisonnable de demander que M. Qazi subisse une entrevue « afin de fournir des renseignements additionnels devant servir à déterminer s’il satisfaisait aux conditions d’admission ».

 

[22]           Les faits de la présente affaire diffèrent des faits dans l’affaire Qazi. Le premier agent ayant examiné la demande de M. Ghofrani était d’avis qu’une entrevue n’était pas nécessaire et il a recommandé qu’on en accorde dispense. En outre, contrairement à la situation dans l’affaire Qazi, M. Ghofrani a transmis en temps utile tous les documents et renseignements que lui avait demandés le défendeur. Finalement, en l’espèce, rien dans les notes du STIDI ne laisse voir pourquoi le second agent estimait une entrevue nécessaire, ou pourquoi les éléments au dossier ne lui suffisaient pas comme preuve que M. Ghofrani n’était pas interdit de territoire au Canada. C’est là pour une bonne part l’origine du problème en l’espèce – l’absence au dossier de tout élément expliquant la décision d’exiger une entrevue et, par conséquent, permettant de comprendre pourquoi l’agent n’était pas convaincu que M. Ghofrani n’était pas interdit de territoire au Canada.

 

[23]           Un demandeur sollicitant la résidence permanente peut être interdit de territoire au Canada pour de nombreux motifs. Il se peut, notamment, que le demandeur risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé du Canada (article 38), qu’il n’ait pas la capacité ou la volonté de subvenir à ses besoins (article 39), qu’il constitue un danger pour le public en raison de son état de santé (article 38), qu’il ait des antécédents criminels (articles 35 et 36), qu’il soit un membre du crime organisé (article 37), qu’il ait fait une fausse déclaration ou qu’il ait contrevenu au régime d’immigration (articles 40 et 41). Le demandeur peut également être interdit de territoire pour des motifs de sécurité (article 34).

 

[24]           En l’espèce, rien dans les notes du STIDI, la lettre de convocation à une entrevue ou la lettre de refus de la résidence permanente ne permet directement de savoir, ni même de déduire, pour quel motif l’agent mettait en question l’admissibilité du demandeur. Rien ne permet au demandeur ou à la Cour, par conséquent, de discerner pour quel motif l’agent a décidé qu’une entrevue était requise. L’on pourrait présumer qu’il s’agit du même motif pour lequel une vérification des antécédents a été demandée deux années et demie auparavant, mais ni le demandeur ni la Cour n’ont à s’engager dans la voie des conjectures.

 

[25]           Dans certaines affaires, telle l’affaire Qazi, le caractère raisonnable de la convocation à une entrevue apparaît clairement au vu du dossier, comme lorsque des documents ont été demandés mais n’ont pas été communiqués, lorsque le demandeur n’a pu expliquer des contradictions entachant son récit ou lorsque plus d’un agent en sont arrivés à la même conclusion à partir des mêmes éléments. En l’espèce, le demandeur a donné suite sans délai à toutes les demandes faites de renseignements et de documents. Il n’y avait pas de contradictions dans son récit. Deux agents, enfin, ont étudié le dossier et un seul a conclu en la nécessité d’une entrevue.

 

[26]           Je suis troublé par le fait qu’un agent a jugé nécessaire et demandé qu’on procède à une vérification des antécédents, mais que cette demande n’a jamais été reçue par le destinataire. C’est en raison de cette demande de vérification que le processus d’examen de la demande de résidence s’est avéré si long. L’on ne peut alors s’empêcher de penser que si, en janvier 2007, on a estimé une entrevue nécessaire, c’était davantage en raison du retard inexpliqué de deux années et demie dans le traitement de la demande que de la nécessité véritable de la convocation à une entrevue.

 

[27]           Compte tenu de ces faits, je suis d’avis que la décision de convoquer le demandeur à une entrevue n’était pas raisonnable; au vu du dossier, cette décision semble avoir été arbitraire. On ne doit cependant pas interpréter cette conclusion comme voulant dire qu’un autre agent ne pourra décider, après examen de la demande du demandeur, qu’une entrevue personnelle est requise. Ce que cela veut dire, c’est qu’un tel agent devra énoncer dans les notes du STIDI ou ailleurs le motif de pareille décision.

 

[28]           En l’espèce, si l’agent avait mentionné le motif de la convocation à une entrevue, ou s’il avait précisé dans la lettre de convocation la ou les questions devant être abordées à l’entrevue, il aurait alors été possible de discerner le motif de la décision et une demande de contrôle judiciaire n’aurait vraisemblablement pas été couronnée de succès.

 

[29]           En outre, la décision du défendeur de rejeter la demande du demandeur ne peut être maintenue.

 

[30]           Ainsi qu’on le mentionnait dans la lettre de refus, faute pour le demandeur de se présenter à l’entrevue, l’agent devait évaluer la demande en fonction des éléments dont il disposait. En l’espèce, je l’ai dit, rien dans la demande ou dans le dossier du défendeur, non plus que dans les notes de l’agent, ne laissait voir le moindrement pour quel motif l’agent n’était pas convaincu que le demandeur n’était pas interdit de territoire. Bien qu’il faille faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision de l’agent, ce dernier a commis une erreur de droit à mon avis en rejetant une demande de visa de résident permanent parce qu’il n’était pas convaincu que le demandeur n’était pas interdit de territoire, alors qu’on ne peut discerner aucun motif pour cette décision, que ce soit directement de par une déclaration de l’agent, ou indirectement du fait de renseignements au dossier. Confirmer une décision dans de telles circonstances, ce serait permettre aux agents de tirer, en matière d’interdiction de territoire, des décisions arbitraires ne pouvant être contestées.

 

[31]           Par conséquent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire et je renvoie la demande de visa à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Compte tenu de toutes les circonstances, notamment le fait que la demande est à l’étude depuis trois ans et demi, sans faute de la part du demandeur, je demande instamment au défendeur d’accorder un caractère prioritaire à l’examen de la demande et, si une entrevue est jugée nécessaire, de tenter si possible de la faire se dérouler en un lieu plus rapproché de la résidence actuelle du demandeur.

 

[32]           Il a été convenu pendant l’audience que les motifs du jugement seraient communiqués aux avocates des parties avant le prononcé en bonne et due forme du jugement, pour leur donner l’occasion de proposer la certification de questions. Les deux parties ont informé la Cour qu’il n’y avait aucune question à certifier. Je partage cet avis.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE :

1.         La demande est accueillie et la demande de visa de résident permanent du demandeur devra être tranchée par un autre agent des visas conformément aux motifs du jugement.

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

                                                                                                               « Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 

 


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                          IMM-3475-07

 

INTITULÉ :                                         HAMID GHOFRANI c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                  VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 LE 15 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                        LE 19 JUIN 2008      

 

 

COMPARUTIONS :

 

Antya Schrack                                                                          POUR LE DEMANDEUR

 

Banafsheh Sokhansanj                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ANTYA SCHRACK                                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Vancouver (C.-B.)

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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