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Date : 20080618

Dossier : T-139-06

T-140-06

Référence : 2008 CF 759

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 18 juin 2008

En présence de monsieur le juge Russell  

 

T-139-06

 

ENTRE :

J2 GLOBAL COMMUNICATIONS, INC.

demanderesse

et

 

PROTUS IP SOLUTIONS INC.

défenderesse

 

ET ENTRE :

 

PROTUS IP SOLUTIONS INC.

demanderesse reconventionnelle

 

et

 

J2 GLOBAL COMMUNICATIONS, INC. et

CATCH CURVE INC.

défenderesses reconventionnelles

T-140-06

ENTRE :

CATCH CURVE INC.

demanderesse

et

 

PROTUS IP SOLUTIONS INC.

défenderesse


ET ENTRE :

 

PROTUS IP SOLUTIONS INC.

demanderesse reconventionnelle

et

 

CATCH CURVE INC. et

J2 GLOBAL COMMUNICATIONS, INC.

 

défenderesses reconventionnelles

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LA REQUÊTE

 

  • [1] La présente requête par Catch Curve Inc. et J2 Global Communications Inc. (demanderesses) est un appel de l’ordonnance de la protonotaire Tabib, datée du 8 février 2008, qui a accordé à Protus IP Solutions Inc. (Protus) l’autorisation de présenter une nouvelle demande visant la modification de ses déclarations de défense et demande reconventionnelle dans les dossiers nos T-139-06 et T-140-06 de la Cour fédérale, sous réserve d’une procédure dans le cadre de laquelle Protus, avant le dépôt de ses actes de procédure modifiés, doit fournir d’autres détails sur certaines allégations contenues dans ses déclarations de défense et demande reconventionnelle, et en vertu de laquelle les demanderesses doivent faire valoir leurs oppositions aux modifications proposées au moyen d’une demande de rejet et/ou de détails supplémentaires et approfondis.

 

  • [2] Les modifications en question présentées devant la protonotaire Tabib traitaient principalement des allégations liées au comportement illégal des demanderesses, qui va à l’encontre des articles 32 (abus de brevets) et 45 (complot en vue d’éviter ou de réduire indûment la concurrence) et de l’alinéa 61(1)a) (maintien des prix par l’usage abusif de brevets) de la Loi sur la concurrence, à la suite, notamment, de l’acquisition, du contrôle et de l’affirmation/application des brevets afin d’éviter ou de limiter l’entrée de concurrents sur le marché pour des services de télécopie par Internet par les demanderesses, et parce qu’elles empêchent les concurrents de rivaliser de façon efficace dans ce marché ou limitent leur capacité de le faire. Le comportement illégal allégué est soutenu comme défense pour les deux actions et comme fondement pour une demande reconventionnelle (en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence) pour des dommages que Protus aurait subis en raison du comportement illégal.

 

FAITS

 

  • [3] J2 et Catch Curve sont des sociétés liées titulaires de brevets canadiens qui, selon eux, ont été contrefaits par les services de télécopie par Internet MYFAX et VIRTUAL FAX de Protus. Dans le dossier de la Cour T-139-06, J2 invoque la contrefaçon du brevet no 2232397 (le brevet 397) et dans T-140-06, Catch Curve invoque la contrefaçon du brevet no 2101327 (le brevet 327) et du brevet no 1329852 (le brevet 852).

 

  • [4] Protus a déposé une demande reconventionnelle dans les actions sous-jacentes en alléguant, entre autres, que les trois brevets en question sont invalides pour cause d’antériorité, d’évidence et de portée excessive. Protus affirme également que J2 et/ou Catch Curve ont comploté et/ou qu’elles ont agi l’une pour le compte de l’autre et ont fait des déclarations fausses ou trompeuses en violation de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce et à l’article 52 de la Loi sur la concurrence.

 

  • [5] Les deux actions n’ont pas été jointes. D’ailleurs, les demanderesses se sont opposées à une requête visant à les joindre déposée par Protus. Cependant, ces instances sont gérées conjointement. De plus, une ordonnance de disjonction, émise dans les deux actions le 23 novembre 2006, soutenait essentiellement que les questions liés à l’ampleur de la contrefaçon, au montant des dommages-intérêts ou au partage des profits devraient faire l’objet de décisions séparées après la décision des actions de contrefaçon et des demandes reconventionnelles en fonction de leur bien-fondé.

 

LA REQUÊTE CI-DESSOUS

 

  • [6] En ce qui concerne la requête ci-dessous, Protus a demandé une ordonnance en vertu de la règle 75 pour une autorisation de signifier et de déposer une défense modifiée et une demande reconventionnelle modifiée, jointes en tant qu’annexes « A » et « B » à l’avis de requête (telles qu’elles ont été révisées le 21 janvier 2008). Les modifications en question sur cette requête traitaient :

  • a) des allégations selon lesquelles J2 et Catch Curve ont violé les articles 32 et 45 et l’alinéa 61(1)a) de la Loi sur la concurrence, qui donnent lieu à une défense dans les actions et à une demande reconventionnelle liée aux violations de l’article 45 et de l’alinéa 61(1)a) de la Loi sur la concurrence (aux paragraphes 23 à 39, 42(c.1), (c.2), (f), 47, 49, 50, 51(a) et 52 dans T-139-06; aux paragraphes 26 à 42, 45 (c.1), (c.2), (f), 50, 52, 53, 54(a) et 55 dans T-140-06);

  • b) d’autres allégations sur des déclarations fausses et trompeuses faites par J2 et Catch Curve qui contreviennent à l’article 52 de la Loi sur la concurrence et à l’article 7(a) de la Loi sur les marques de commerce (paragraphes 34, 35, 46, 47, 48 et 51(b) et (c) dans T-139-06; paragraphes 37, 38, 49, 50, 51 et 54(b) et (c) dans T-140-06;

  • c) la défense d’abus de procédure, compte tenu du comportement anticoncurrentiel allégué de J2 and Catch Curve (paragraphes 23 à 32 dans T-139-06; paragraphes 26 à 35 dans T-140-06).

 

  • [7] L’essentiel des modifications en question est identique dans les deux actions.

 

  • [8] La protonotaire Tabib a conclu qu’en réalité, suivant la preuve dont elle était saisie, les demanderesses ne subiraient aucun préjudice qui ne pourrait être compensé par les dépens si les modifications étaient autorisées.

 

  • [9] La protonotaire Tabib a accordé l’autorisation de modifier les paragraphes 20, 23, 34, 35, 46, 48 et 51 des ébauches de défense et de demande reconventionnelle de Protus.

 

  • [10] En ce qui concerne les allégations selon lesquelles les demanderesses ont agi en violation des articles 32 et 45 et/ou l’alinéa 61(1)a) de la Loi sur la concurrence, en particulier les paragraphes 24 à 33 et 36 à 39 des ébauches de défense et de demande reconventionnelle, la protonotaire Tabib a soutenu qu’il n’était pas évident et manifeste que les faits allégués dans les modifications ne pourraient pas donner lieu à un argument raisonnable. Cependant, elle a conclu que certaines allégations dans les modifications nécessitaient des détails supplémentaires. En conséquence, la protonotaire Tabib n’a pas donné l’autorisation de modifier ces allégations sous leur forme présentée pour la requête; elle a plutôt imposé une procédure en vertu de laquelle des actes de procédure supplémentaires spécifiques seraient signifiés et déposés. La procédure a permis aux demanderesses de demander des détails avant le dépôt des actes de procédure modifiés et elle n’a pas empêché les demanderesses de présenter une demande de rejet et/ou une demande en vue d’obtenir des détails supplémentaires sur les allégations contenues dans les actes de procédures spécifiques.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

  • [11] La décision d’un protonotaire d’autoriser des modifications à un acte de procédure relève de son pouvoir discrétionnaire. L’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne devrait pas faire l’objet d’un appel devant un juge et être examinée de novo, à moins que :

  • a) les questions soulevées dans la requête soient déterminantes à l'issue de la cause; ou

  • b) l’ordonnance soit tout à fait inacceptable, c’est-à-dire que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire était fondé sur un principe erroné ou sur une fausse impression des faits.

Voir Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 30 C.P.R. (4e) 40 à 53 (CAF)

 

  • [12] La Cour d’appel fédérale a indiqué qu’un juge qui entend un appel de la décision d’un protonotaire ne devrait pas arriver trop hâtivement à la conclusion qu’une question, importante ou non, est essentielle. En conséquence, en ce qui concerne des appels de la décision d’un protonotaire traitant de requêtes qui visent à modifier les actes de procédure, la Cour d’appel fédérale a précisé qu’il serait imprudent de tenter toute catégorisation formelle. L’approche privilégiée consiste à trancher la question au cas par cas. Voir Apotex à 53 et 54.

 

  • [13] La règle 75 des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour a le choix d’accorder des modifications « aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties. » De plus, la règle 385 des Règles des Cours fédérales fournit au protonotaire chargé de la gestion de l’instance un vaste pouvoir discrétionnaire en vue de gérer les mesures procédurales d’une instance, y compris, notamment, toute directive nécessaire pour la détermination juste et la plus expéditive et économique possible des procédures en fonction de leur bien-fondé.

 

  • [14] La Cour d’appel fédérale et notre Cour ont indiqué, à plusieurs occasions, qu’en raison de sa connaissance des faits et de l’historique des procédures de l’instance, un juge ou protonotaire chargé de la gestion de l’instance doit se voir accorder une latitude qui lui permet de gérer les instances. Par conséquent, une cour d’appel ne fera que nuire aux ordonnances interlocutoires dans les cas les plus clairs d’abus de cette discrétion judiciaire. Voir Sawridge Band c. le Canada, 2001 CAF 338, au paragraphe 11; Montana Band c. le Canada, 2002 CAF 331, au paragraphe 7; Apotex Inc. c. le Canada, 2006 CF 850, au paragraphe 15.

 

MOTIFS DE L’APPEL

 

  • [15] Les demanderesses affirment que les modifications qui font l’objet de l’appel sont déterminantes sur l’issue principale de l’instance, car elles donnent lieu à un changement radical de la position de Protus dans sa défense et demande reconventionnelle et touchent directement les questions en litige, de sorte que cela entraîne des répercussions sur la résolution finale des deux actions.

 

  • [16] Les demanderesses soulèvent de nombreux motifs d’appel que j’aborderai dans l’ordonnance établie dans les observations écrites des demanderesses :

    1. Les modifications proposées soulèvent-elles des questions déterminantes pour l’issue de la cause?

 

  • [17] Les demanderesses soutiennent que les modifications qui font l’objet de cet appel sont déterminantes à l’issue de la cause, car, si elles étaient sont accordées, elles constitueront un changement radical de la position de Protus qui qui est au centre des questions en litige entre les parties.

 

  • [18] Dans l’ensemble, je crois que les demanderesses n’ont pas tort quant à cette affirmation et, par conséquent, je devrais tenir compte des enjeux soulevés de novo. Cependant, je garde également à l’esprit que les demanderesses ont soulevé un large éventail d’oppositions à l’ordonnance qui fait l’objet de l’appel et chaque motif devra être examiné séparément pour établir s’il soulève des questions déterminantes à l’issue de la cause. Lorsque j’estime que la question n’est pas déterminante, je l’ai indiqué, et j’ai examiné si cette partie de la décision de la protonotaire est clairement inacceptable.

 

  1. L’ordonnance a-t-elle fait l’objet d’un appel à la suite d’une erreur parce que la protonotaire a appliqué la mauvaise norme, notamment a-t-elle appliqué le critère pour une requête en radiation plutôt qu’une requête en vue d’une autorisation de modification?

 

  • [19] Un contrôle de l’ordonnance et des motifs indique clairement que la protonotaire a appliqué le principe habituel selon lequel les modifications devraient être autorisées, à moins qu’elles ne puissent causer à l’autre partie un préjudice impossible à compenser au moyen des dépens. Elle a également examiné si les modifications ne divulguaient pas une défense raisonnable ou une cause d’action, ou si elles étaient frivoles ou vexatoires, ou encore si elles constituaient un abus des procédures de la Cour.

  • [20] Il me semble que cette approche est conforme à la jurisprudence applicable.

 

  • [21] La protonotaire a soutenu en réalité que, si les éléments proposés étaient autorisés, les demanderesses ne subiraient aucun préjudice qui ne pourrait être compensé par les dépens. Je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

 

  • [22] En ce qui concerne les questions frivoles, vexatoires ou d’abus, la protonotaire a utilisé la norme applicable dans les requêtes en radiation et s’est demandé s’il était évident et manifeste que les allégations faites dans les modifications proposées ne puissent pas constituer le fondement d’une défense ou d’une demande reconventionnelle efficace.

 

  • [23] À mon avis, la protonotaire Tabib était tout à fait correcte dans cette approche qui correspond à la jurisprudence faisant autorité. Voir Apotex, aux paragraphes 56 et 59 à 61; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959 à 980; et Volkswagen Canada Inc. c. Access international Automotive Ltd., 2001 CAF 79, au paragraphe 12.

 

  • [24] La question des demanderesses est que [TRADUCTION] « Si une modification n’est pas invalidée en vertu de la règle 221, cela ne veut pas dire qu’elle devrait être prise en compte de façon favorable par la Cour ». En d’autres termes, même si une modification proposée n’est pas invalidée, il est tout de même nécessaire que la Cour examine s’il faut l’autoriser en conformité avec les règles qui régissent les modifications.

 

  • [25] Je suis d’accord avec les demanderesses, mais je crois également que c’est ce que la protonotaire Tabib a fait. Elle a examiné si les modifications proposées respectaient les critères de la règle 221 et si elles étaient aussi, sous réserve de la procédure qu’elle a imposée pour corriger les lacunes relatives aux détails, admissibles en vertu de la règle générale sur les modifications.

 

  • [26] Je crois que les demanderesses soulignent simplement que, compte tenu des critères de modification, il est clair que la protonotaire Tabib se trompait au chapitre des facteurs qu’elle a pris en considération, ou qu’elle n’a pas pris en considération, et la Cour devrait maintenant infirmer sa décision. J’aborderai les points de vue des demanderesses, une question après l’autre, quant à l’erreur qu’elle aurait commise. Cependant, je crois que la protonotaire était tout à fait correcte dans son approche générale à l’égard de l’examen de la modification proposée en vertu des critères de la règle 221 et, ensuite, au motif qu’il n’était pas évident et manifeste que les allégations ne pouvaient pas constituer le fondement d’une défense ou d’une demande reconventionnelle efficace, agissant en conformité avec sa vision de la règle générale sur les modifications :

[TRADUCTION]

 

Les modifications aux actes de procédure doivent être autorisées, même si elles sont demandées tardivement, à moins que cela ne puisse causer à l’autre partie un préjudice qui ne pourrait être compensé par les dépens, ou que les modifications proposées n’arrivent pas à divulguer une défense ou une cause d’action raisonnable, ou soient frivoles ou vexatoires ou constituent un abus des procédures de la Cour.

 

 

  • [27] Les demanderesses ne sont pas d’accord avec les conclusions de la protonotaire selon lesquelles les critères de la règle 221 ont été respectés dans cette instance, et que tout ce qu’elle avait à faire en ce qui concerne les principes de modification était de déterminer si tout préjudice causé pouvait être compensé par les dépens. Cependant, la protonotaire Tabib examine clairement les modifications proposées, tant du point de vue des critères de la règle 221 que de la jurisprudence concernant les modifications en général. À mon avis, contrairement à ce qui est invoqué par les demanderesses, elle n’autorise pas les modifications uniquement en fonction des critères de la règle 221, sans tenir compte des propositions en tant que modifications.

 

  • [28] Je ne peux pas dire que, dans l’ensemble, la protonotaire Tabib a appliqué un principe erroné ou que son approche n’était pas judicieuse. Les véritables enjeux traitent du traitement détaillé par la protonotaire des deux aspects de la tâche qui se présentait devant elle (les critères de la règle 221 et les critères pour les modifications) ainsi que son imposition d’une procédure qui allait permettre à Protus de corriger les lacunes liées aux détails qu’elle a identifiés dans les documents proposés, alors qu’en parallèle, elle allait donner toute la latitude nécessaire aux demanderesses pour formuler leurs oppositions en déposant une requête, une fois les détails connus.

 

  1. La protonotaire a-t-elle commis une erreur de droit à savoir si les allégations formulées pouvaient constituer une défense en droit?

 

  • [29] Les demanderesses soutiennent qu’elles souhaitent obtenir des recours équitables et légaux contre Protus. Protus a soutenu qu’en raison du comportement illégal des demanderesses, celles-ci n’ont pas le droit d’appliquer les brevets en question ou d’intenter leurs actions et ne sont admissibles à aucun des recours qu’elles demandent.

 

  • [30] Les demanderesses indiquent que la protonotaire a omis d’établir si les faits invoqués par Protus pouvaient constituer une défense en droit pour les actions.

 

  • [31] Elles affirment qu’un comportement illégal tel qu’une violation de la Loi sur la concurrence ne peut être invoqué comme défense que [TRADUCTION] « lorsqu’il traite de l’acquisition du titre du brevet ou d’une demande de compensation équitable, ou les deux ». Elles s’appuient sur Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 907, au paragraphe 35, pour cette proposition.

 

  • [32] Les demanderesses soutiennent qu’elles peuvent demander un recours judiciaire même si elles se présentent avec une conduite qui n’est pas irréprochable. En conséquence, Protus tente de les empêcher de demander une compensation en équité et en droit sur la base d’une allégation pas fondée de conduite qui n’est pas irréprochable.

 

  • [33] Mon examen de la décision de la protonotaire m’indique qu’elle a estimé que, si elles étaient dûment plaidées, les allégations de Protus pouvaient constituer une défense en équité, et qu’il était inutile et inadéquat qu’elle se prononce sur la question de savoir si elles pouvaient aussi donner lieu à une défense en droit. Il en est ainsi parce que, comme le souligne la protonotaire Tabib, les allégations qui sont simplement liées à des conséquences légales sur les conclusions à tirer des faits allégués ne constituent pas une partie essentielle des actes de procédure et, par conséquent, n’empêchent pas une partie de présenter de telles conclusions devant la cour, puisqu’il se peut qu’elles s’appliquent aux faits qui ont été prouvés ou qu’elles en découlent.

 

  • [34] Protus fait remarquer que les allégations de comportement anticoncurrentiel dans les ébauches de défense et de demande reconventionnelle modifiées comportaient bel et bien des allégations liées à l’acquisition des brevets en question. Même l’affaire Sanofi-Aventis, sur laquelle les demanderesses se sont appuyées établit que la question de savoir si de telles allégations peuvent donner lieu à une défense en droit et en équité est du ressort d’un tribunal. Cela appuie également la conclusion de la protonotaire selon laquelle il n’était pas nécessaire qu’elle décide, à ce stade des procédures, si Protus avait également accès à une défense en droit.

 

  • [35] En considérant cette question de novo, je souscris au traitement de cette question par la protonotaire Tabib ainsi qu’à ses conclusions :

[TRADUCTION]

 

Dans la mesure où les allégations sont susceptibles, si elles sont dûment plaidées et considérées comme ayant fait leurs preuves, de constituer une défense raisonnable pour la demande de J2/Catch Curve visant des recours équitables, les allégations de fait doivent être autorisées. Que Protus puisse ou non soulever ces faits, s’ils sont prouvés, en tant que motif de défense supplémentaire ne fait aucune différence. Les allégations qui ne font qu’invoquer une conséquence légale ou une conclusion à tirer des faits allégués ne constituent pas une partie essentielle des actes de procédures, n’empêchent pas une partie d’invoquer de telles conclusions au cours d’une procédure judiciaire comme pouvant s’appliquer aux faits prouvés ou en découler, et en conséquence, il n’est ni nécessaire ni approprié que la Cour se prononce sur leur bien-fondé pour une requête en radiation. 

 

 

  • [36] Cette position est bien appuyée par Volkswagon, au paragraphe 21, et Johnson & Johnson c. Boston Scientific Ltd., 2004 CF 1672, aux paragraphes 53 et 54.

 

  1. La protonotaire a-t-elle commis une erreur de fait et de droit en omettant d’aborder, d’examiner et de régler les motifs d’opposition suivants invoqués par les demanderesses?

 

  1. Les brevets, les demandes et les activités des États-Unis qui se produisent à l’extérieur du Canada n’ont aucune incidence sur une action au Canada et ne peuvent constituer un fondement juridique pour un comportement présumément anticoncurrentiel au Canada

 

  • [37] Les demanderesses soutiennent que Protus tente d’ajouter des allégations de comportement anticoncurrentiel qui traitent d’activités qui ont lieu entièrement aux É.-U. et qui comportent de la correspondance envoyée par un avocat américain à des entreprises tierses aux É.-U. et qui concernent une action et des brevets américains.

  • [38] Les demanderesses soulignent que la protonotaire a mal choisi la voie à emprunter concernant cette question et cette mauvaise orientation peut supposer qu’elle a tout simplement rejeté la question sans véritable explication et qu’elle l’a abordé [TRADUCTION] « d’une façon pas tout à fait correcte ».

 

  • [39] Les demanderesses précisent que les activités aux É.-U. ne sont assujetties ni à l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce ni à l’article 21 de la Loi sur la concurrence et ne soutiennent aucune cause d’action en fonction de ces lois.

 

  • [40] Les demanderesses ajoutent que le fait de plaider une cause d’action qui va au-delà de la compétence de la Cour constitue clairement un abus de procédure. Voir Weider c. Beco Industries Ltd., [1976] 2 C.F. de 739 à 742 (F.C.T.D.).

 

  • [41] De plus, elles soutiennent que toute violation alléguée de la Loi sur les marques de commerce et de La loi sur la concurrence peut s’appliquer à des brevets délivrés seulement, et non à des demandes de brevet.

 

  • [42] Je n’ai rien devant moi qui me permet de croire que la protonotaire Tabib a omis d’examiner cet enjeu. Sa décision établit ce qu’elle considère comme les questions déterminantes dont elle était saisie, ainsi que sa résolution de ces questions. Elle n’est pas obligée d’aborder chacun des arguments soulevés par l’une ou l’autre des parties.

 

  • [43] À mon avis, les demanderesses affirment tout simplement qu’elles croient que leur opposition aux modifications est judicieuse et que la protonotaire aurait dû affirmer sa position à cet égard et refuser les modifications dans ces conditions.

 

  • [44] Si j’examine la question de novo, il est loin d’être évident, à ce stade des procédures, qu’un brevet, des demandes de brevet et des activités aux É.-U. qui se produisent à l’extérieur du Canada puissent n’avoir aucune pertinence dans le cadre de ces actions.

 

  • [45] Protus prétend que c’est le comportement des demanderesses qui a entraîné des conséquences sur la concurrence et sur l’établissement des prix sur le marché canadien pour les services de télécopie par Internet. Il semble que la principale allégation concerne l’existence d’un certain stratagème global hostile à la concurrence dans le cadre duquel J2 s’est organisé pour acquérir et contrôler les droits de brevet en adoptant un comportement anticoncurrentiel qui a entraîné des conséquences sur le marché canadien. Par conséquent, à mon avis, il est impossible d’affirmer, à ce stade-ci, que les activités à l’extérieur du Canada sont sans rapport avec ce vaste stratagème hostile à la concurrence qui touche les brevets en question et qui a entraîné des conséquences sur le marché canadien. À l’heure actuelle, je ne suis pas en mesure de dire qu’il est évident et manifeste que les modifications en question n’ont aucune pertinence pour le Canada et qu’elles n’ont aucune chance de réussite.

 

  • [46] Quoi qu’il en soit, j’ai lu l’ordonnance de la protonotaire Tabib ainsi que la procédure rationalisée qu’elle a mise au point afin que Protus fournisse des détails et pour permettre aux demanderesses de faire part de leurs oppositions au moyen d’une requête, et je crois qu’il est évident que les demanderesses peuvent soulever cette opposition en particulier et qu’il est possible d’aborder la question en temps utile et de façon appropriée. Je ne crois pas devoir intervenir dans ce processus, à ce stade-ci.

 

 

 

 

b.  Les demandes de brevet canadien ne sont pas pertinentes au chapitre des demandes en vertu de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur la concurrence

 

  • [47] Les demanderesses affirment que seul un brevet délivré peut être appliqué par rapport à des tiers dans une action en matière de contrefaçon et que toute violation alléguée de la Loi sur les marques de commerce ou de la Loi sur la concurrence ne peut s’appliquer qu’à un brevet délivré.

 

  • [48] Selon ma lecture des actes de procédure, les références aux demandes de brevet font partie des allégations de Protus au sujet d’un vaste stratagème hostile à la concurrence mené par J2 afin d’acquérir et de contrôler des droits de brevet qui auront des répercussions sur le marché canadien. Les demandes de brevet pourraient bien finir par devenir des brevets, de sorte que les demandes puissent être pertinentes pour le stratagème hostile à la concurrence globale allégué par Protus. Par conséquent, à cette étape-ci, je ne suis pas en mesure d’affirmer qu’il est évident et manifeste que les références aux demandes de brevet ne sont pas pertinentes et qu’elles n’ont aucune chance de réussite. En conséquence, ayant examiné la question de novo et pour la plupart des mêmes raisons que celles qui figurent au point (a) ci-haut, je ne crois pas qu’elles puissent être invalidées ou rejetées, à ce stade-ci.

 

  1. La défenderesse ne peut pas faire valoir que les demanderesses n’ont pas le droit d’appliquer leurs droits de brevet ou d’entreprendre des actions et de demander une compensation en droit, plutôt qu’en équité

 

  • [49] Compte tenu de ce qui figure ci-dessus et de mon examen de la question de novo, je suis d’accord avec les conclusions de la protonotaire. Les allégations sur les conséquences légales ne constituent pas une partie essentielle des actes de procédure et n’empêchent pas d’invoquer de telles conclusions au cours d’une procédure judiciaire comme pouvant s’appliquer aux faits ou en découler. De plus, les allégations de comportement anticoncurrentiel comportent des allégations liées à l’acquisition des brevets en question. Il est donc possible de soutenir, à ce stade-ci, que les allégations ne contreviennent pas à la jurisprudence sur laquelle s’appuient les demanderesses, y compris Sanofi-Aventis.

 

  1. L’article 32 de la Loi sur la concurrence ne s’applique pas aux services

 

  • [50] Les demanderesses soulignent que dans Regina c. J.J. Beamish Construction Co. Ltd., [1968] 1 O.R. 5, à la page 11, la Cour d’appel de l’Ontario a soutenu que l’article 32 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions (la loi qui a précédé la Loi sur la concurrence) n’a pas empêché les comportements anticoncurrentiels concernant les services.

 

  • [51] Les demanderesses ont aussi attiré l’attention de la Cour sur les procédures parlementaires qui concernaient certaines modifications à la Loi sur la concurrence et dans laquelle l’article 32 était précisément considéré comme limité dans son application aux services.

 

  • [52] Les demanderesses soutiennent que toutes les allégations de comportement anticoncurrentiel faites par Protus visent des services de télécopie par Internet. Si l’article 32 ne s’applique pas aux services, les allégations de Protus à l’égard de l’article 32 ne peuvent pas être divulguées en tant que cause d’action ou défense raisonnable. Plaider le recouvrement de dommages-intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence exige la démonstration du comportement contrevenant à la Partie VI de la Loi. L’article 32 qui traite de la propriété intellectuelle figure dans la Partie IV de la Loi, et non dans la partie VI.

  • [53] De plus, les demanderesses affirment que Protus n’a pas invoqué les faits essentiels nécessaires pour établir une cause d’action en vertu de l’article 32.

 

  • [54] Protus s’appuie sur plusieurs décisions de la Cour suprême du Canada pour la proposition selon laquelle les questions juridiques litigieuses ne devraient pas être traitées dans le cadre de requêtes d’invalidation d’un acte de procédure, et la protonotaire a appliqué de façon évidente et manifeste les critères établis dans la règle 221 dans sa décision. À ce sujet, Protus affirme que la protonotaire avait raison de ne pas exclure les modifications sur la base d’une question juridique litigieuse d’interprétation prescrite par la loi et de toute façon, elle n’avait pas devant elle les données probantes suffisantes pour permettre une telle analyse.

 

  • [55] Protus soutient également que l’affaire Beamish fait partie d’un vieux principe juridique et que la Loi sur la concurrence a fait l’objet de modifications importantes au cours des 30 dernières années.

 

  • [56] Par conséquent, Protus affirme qu’on ne peut pas dire qu’il est « évident et manifeste » que l’article 32 de la Loi sur la concurrence ne s’applique pas aux services de télécopie par Internet qui font l’objet des allégations de comportement anticoncurrentiel qui figurent aux paragraphes 24 à 36 de ses ébauches de défense et demande reconventionnelle.

 

  • [57] Il s’agit là d’une question difficile à trancher à ce stade-ci des procédures. La solution de la protonotaire Tabib est claire, lorsqu’on lit sa décision dans son ensemble. Elle a autorisé certaines modifications et a établi une procédure juste et efficace qui entraînerait la particularisation et peut-être d’autres modifications. En parallèle, elle a précisé clairement qu’en autorisant cette procédure, elle n’empêchait pas les demanderesses de présenter une demande visant le rejet des modifications. Elle indique clairement que le processus de particularisation est [TRADUCTION] « sans préjudice au [les demanderesses] droit de s’opposer aux modifications » et que toute opposition que peuvent avoir les demanderesses « doit être formulée au moyen d’une demande de rejet... ».

 

  • [58] En d’autres termes, dans le contexte du désaccord entre les parties et de sa conclusion selon laquelle certaines des modifications manquaient de détails (faisant en sorte que Protus avait une fois de plus la possibilité de demander des modifications, ayant fourni des détails supplémentaires), la protonotaire Tabib a décidé qu’il était préférable de rationaliser le processus et d’établir les détails et, ainsi, la portée entière des modifications connue, avant d’aborder tout argument ou toute opposition que les demanderesses pourraient vouloir présenter au sujet d’un rejet.

 

  • [59] La Cour d’appel fédérale et notre Cour ont indiqué à plusieurs occasions qu’en raison de sa connaissance des faits et de l’historique des procédures de l’instance, un juge chargé de la gestion de l’instance doit se voir accorder une latitude qui lui permet de gérer les instances de façon efficace. Voir Sawridge Band, Montana Band et Apotex.

 

  • [60] Il me semble que la protonotaire Tabib a estimé que des mesures supplémentaires étaient requises avant qu’elle puisse prendre une décision sur cette question liée à l’article 32 entre les parties. Premièrement, elle souhaitait que tous les détails liés aux modifications proposées soient fournis aux demanderesses et à la Cour. Elle allait ensuite être en mesure de composer avec tout motif pouvant être soulevé par les demanderesses (au moyen d’une requête complète sur le point) en ce qui concerne les modifications que les demanderesses souhaitaient voir rejeter.

  • [61] Il me semble qu’il s’agisse d’une approche tout à fait en accord avec les objectifs de gestion d’instance et les obligations prévues dans les Règles.

 

  • [62] Il est vrai que, compte tenu des modifications proposées, la protonotaire était tenue d’appliquer les critères de la règle 221. Cependant, avant que les détails soient présentés aux demanderesses et à la Cour, il n’y a pas vraiment de raisons d’aborder les points litigieux avant de connaître la pleine portée de toute opposition à ces détails, ainsi que la question soulevée.

 

  • [63] En examinant la question de novo, je crois que la protonotaire Tabib a employé la bonne approche pour la rationalisation. Le rejet devrait être pris en considération dans le cadre d’une requête complète présentée une fois que tous les détails sur les modifications sont fournis.

 

  1. Les défenderesses ont-elles omis et/ou négligé d’invoquer les faits essentiels nécessaires pour établir une cause d’action :

  1. pour abus de procédures;

  2. en vertu des articles 32, 45 et 61 de la Loi sur la concurrence;

  3. dans la demande reconventionnelle modifiée proposée?

 

  • [64] De toute évidence, comme le précise la décision de la protonotaire Tabib dans son ensemble, elle ne pouvait pas accepter la position des demanderesses sur ces points : [TRADUCTION] « Je ne suis pas en mesure de conclure que les faits allégués ne pourraient pas donner lieu à un argument raisonnable ». Elle a exigé des détails en vue d’aborder cette question et de mettre en place une procédure qui permettrait tant une détermination fondée sur des détails qu’une autorisation aux demanderesses de soulever leurs diverses oppositions dans le cadre d’une requête complète visant la présentation de détails et/ou un rejet. Il était impossible d’autoriser les modifications proposées dans leur forme actuelle, mais Protus pouvait une fois de plus demander une modification, après avoir fourni des détails supplémentaires, et une procédure efficace était requise pour les mesures qu’il fallait prendre.

 

  • [65] En examinant les dispositions pertinentes de novo, je crois que la protonotaire Tabib avait raison à cet égard. On ne peut pas dire que les demanderesses ont démontré qu’il est évident et manifeste que les allégations ne peuvent pas former la base de la réussite d’une défense ou demande reconventionnelle. D’un autre côté, les modifications proposées ne sont pas acceptables dans leur forme actuelle. Les deux parties doivent en faire davantage avant qu’une décision finale puisse être formulée concernant leurs positions respectives. Protus doit présenter plus en détail ses allégations et les demanderesses doivent présenter leurs oppositions dans le cadre d’une requête complète, une fois les détails présentés.

 

  • [66] Les demanderesses affirment que la protonotaire Tabib faisait fausse route en établissant que des détails supplémentaires pouvaient corriger le processus, car aucun fait essentiel n’appuyait les allégations d’agissements anticoncurrentiels.

 

  • [67] Cependant, à mon avis, là n’est pas la question. La protonotaire n’a pas précisé que les détails permettraient nécessairement de régler les problèmes. Elle a mentionné que les détails étaient nécessaires avant d’examiner des oppositions que les demanderesses allaient peut-être vouloir soulever concernant les modifications. La seule autorisation accordée était [TRADUCTION] « l’autorisation de présenter une nouvelle demande de modification » et avant de procéder, Protus doit aborder le problème qui traite des détails afin que les demanderesses et la Cour sachent si les allégations abordent « une multitude de fautes » ou « des agissements précis » qui, lorsqu’ils sont présentés en détail, ne pourraient pas être mis bout à bout pour s’ajouter aux éléments constituants de n’importe quelle des infractions prévues par la Loi sur la concurrence. » La protonotaire Tabib n’a pas autorisé les modifications supplémentaires, mais la documentation dont elle était saisie ne lui permettait pas de déterminer que les demanderesses avaient établi qu’il était évident et manifeste que les allégations ne pouvaient pas former la base d’une défense ou demande reconventionnelle efficace. Ses conclusions permettaient à Protus de déposer une nouvelle demande de modification, si des précisions étaient fournies.

 

  • [68] Cela ne signifie pas que les modifications seront accordées, même avec des allégations détaillées en profondeur. Cela signifie que la décision finale liée aux oppositions des demanderesses devrait suivre la présentation des précisions par Protus. Je n’ai rien à redire de la conclusion et compte tenu de la connaissance approfondie de la protonotaire Tabib concernant ces actions, je ne crois pas que je devrais annuler un processus qui a été mis en place en vue de permettre de trancher pleinement des points litigieux entre les parties en ce qui concerne les allégations de comportement anticoncurrentiel qui nécessitent des détails supplémentaires.

 

  1. La protonotaire a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a accordé un recours identique dans deux demandes reconventionnelles distinctes en fonction de faits identiques?

 

  • [69] Ce que j’ai retenu en lisant la décision de la protonotaire est qu’elle a refusé à Protus un recours identique dans les deux actions. Elle a reconnu que la question devra être abordée et peut l’être dans le cadre de différentes procédures afin d’éviter des jugements contradictoires ou un double recouvrement.

  • [70] Protus a déjà reconnu qu’elle n’était pas admissible à un double recouvrement dans ces actions. Les demanderesses se sont opposées à la conjonction des deux actions et elles sont donc responsables, au moins en partie, de l’état actuel de la situation. Protus était obligée de répondre aux deux actions comme elle l’a fait. Toute anomalie soulevée par la suite sera abordée en temps opportun. Les demanderesses savent que Protus ne demande pas un double recouvrement et qu’il s’agit tout simplement d’une question de rationalisation de deux actions distinctes qui soulèvent les mêmes questions. En ce qui a trait à la question de novo, je ne crois pas que les modifications proposées devraient être refusées pour ce motif. Aucune demande reconventionnelle n’a été prise en considération en fonction du bien-fondé, de sorte que jusqu’à maintenant, aucun abus des procédures n’a eu lieu.

 

  1. La protonotaire a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle n’a pas refusé d’emblée les modifications qui étaient tout à fait à l’opposé de la défense et de la demande reconventionnelle initiales et qu’elle a intégré sa propre forme de recours?

 

  • [71] La plainte fondamentale des demanderesses au sujet des modifications est qu’elles constituent un « changement radical » par rapport à ce qui forme, selon les demanderesses, le véritable fondement de ces actions : la contrefaçon des brevets en question. Les demanderesses estiment que Protus tente d’engloutir l’action de base en soulevant des questions de comportement anticoncurrentiel qui ne sont qu’un moyen d’évitement et qui n’ont aucun rapport avec les demandes principales.

 

  • [72] La réponse toute simple à cette question est que les demanderesses ont choisi d’entreprendre ces actions et Protus a le droit de présenter une défense et une demande reconventionnelle qui sont fondées sur les faits de ce différend. Si Protus fournit les faits essentiels à l’appui de sa défense et sa demande reconventionnelle, les modifications ne peuvent être refusées simplement parce qu’elles orientent ces actions sur une voie que les demanderesses ne voulaient pas emprunter ou ne s’attendaient à emprunter.

 

  • [73] Les demanderesses ont choisi et confirmé le contexte dans lequel elles font valoir leurs droits de brevet contre Protus. Bien entendu, elles aimeraient que le différend soit réglé sur la base des questions telles qu’elles les ont définies. Cependant, Protus a le droit de se défendre et de déposer des demandes reconventionnelles. Ce que les demanderesses considèrent comme un « changement radical » est, pour Protus, une défense et une demande reconventionnelle légitimes, à condition bien sûr qu’il ne soit pas évident et manifeste que la défense ou la demande reconventionnelle n’a aucune chance de réussite et qu’elle devrait donc être invalidée et à condition que la défense ou la demande reconventionnelle ne soit pas frivole ou vexatoire et ne constitue pas un abus des procédures de la Cour.

 

  • [74] Notre Cour a constamment affirmé que les modifications à des actes de procédure devraient être accordées si cela ne cause à l’autre partie aucun préjudice ne pouvant être compensé par les dépens.

 

  • [75] La protonotaire Tabib a précisément suivi cette approche et estimé que les demanderesses ne subiraient aucun préjudice ne pouvant être compensé par les dépens.

 

  • [76] Protus a affirmé que les demanderesses ne se sont pas opposées de façon adéquate à cette conclusion et qu’elles ont soulevé tardivement la question de préjudice à l’audience, alors qu’elle ne fait pas véritablement partie de leurs présentations écrites.

 

  • [77] Je ne crois pas avoir à prendre une décision sur cette question procédurale, car les demanderesses ne m’ont pas vraiment présenté de fondement réel pour leur allégation selon laquelle elles subiront un préjudice non compensable en raison de ces modifications.

 

  • [78] Il est tout à fait vrai que l’introduction d’allégations de comportement anticoncurrentiel dans ces actions compliquera la situation et nécessitera des communications supplémentaires. Cependant, cette question peut être traitée dans les dépens. Derrière les plaintes des demanderesses au sujet du « changement radical » repose l’hypothèse selon laquelle Protus n’est pas sincère dans ses allégations de comportement anticoncurrentiel et tente de soulever une autre défense et demande reconventionnelle en vue de distraire la Cour des allégations de contrefaçon des demanderesses. Cependant, les protections contre cette hypothèse sont celles que la protonotaire Tabib a formulées et utilisées. Elle a exigé des faits essentiels suffisants pour soutenir les allégations et demandé des détails approfondis à Protus et s’est assuré que les demanderesses n’allaient subir aucun préjudice ne pouvant être compensé en dommages. Elle s’est également assuré que les demanderesses pouvaient s’opposer aux modifications proposées une fois les détails fournis par Protus.

 

  • [79] À mon avis, les tentatives des demanderesses devant moi visant à invoquer un « changement radical » comme un motif distinct quelconque pour refuser les modifications ne peuvent pas concorder avec la jurisprudence établie de cette cour visant à permettre des modifications qui ne causent aucun préjudice ne pouvant être compensé, à condition qu’elles divulguent une défense ou une cause d’action raisonnable et qu’elles ne soient ni frivoles ni vexatoires et ne constituent pas un abus des procédures.

 

  • [80] Les demanderesses peuvent maintenant être confrontées à des allégations auxquelles, selon elles, elles ne devraient pas être confrontés. Mais les demanderesses choisissent d’affirmer leurs droits de brevet sur un marché très concurrentiel et elles ne peuvent pas être surprises de la grande résistance mobilisées par Protus ou de ses allégations de comportement anticoncurrentiel qui expriment son point de vue sur ce qui se produit véritablement sur ce marché. À mon avis, il n’est pas évident et manifeste que les allégations de Protus sont sans fondement et n’ont aucun rapport avec les demandes que les demanderesses ont choisies de déposer. Les demanderesses auront la possibilité de s’opposer à ces allégations au moyen d’une requête une fois les détails connus. Par conséquent, j’estime que l’approche de la protonotaire Tabib était correcte et ne devrait pas être annulée dans le cadre d’un appel.

 

  1. La protonotaire a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a omis de reconnaître que les modifications proposées étaient une tentative de contourner une ordonnance antérieure datée du 4 juillet 2007?

 

  • [81] La protonotaire Tabib était pleinement consciente de cette question et elle l’a abordée de façon précise dans sa décision. À mon avis, ses conclusions étaient tout à fait correctes et, compte tenu de la question de novo, je ne vois aucune raison de changer son approche dans le cadre d’un appel.

 

  1. La protonotaire a-t-elle commis une erreur :

    1. en décidant que des précisions pouvaient corriger les lacunes dans les actes de procédure modifiés proposées par la défenderesse en ce qui concerne les articles 32, 45 et 61 de la Loi sur la concurrence;

    2. en imposant aux demanderesses de préciser les détails qui pouvaient être nécessaires pour appuyer les allégations proposées de la défenderesse, renversant ainsi le fardeau sur une requête d’autorisation de modification;

    3. en ordonnant que toute défense et demande reconventionnelle modifiée au moyen de détails soit autorisée sans un examen approfondi par la Cour avant qu’elle accepte le dépôt devant la Cour;

    4. en faisant fi du principe de justice naturelle et en refusant aux demanderesses le droit d’être entendues au sujet des modifications proposées par la défenderesse?

    5. en permettant certains paragraphes dans les défenses et demandes reconventionnelles proposées lorsque les paragraphes renvoyaient à un recours en fonction de paragraphes qui n’ont pas été autorisés?

 

  • [82] Les demanderesses soulignent que la procédure habituelle, lorsque des modifications ne sont pas autorisées, est de refuser les modifications sans autorisation de modification en l’absence d’une cause d’action raisonnable, ou de permettre à la partie qui souhaite les modifications de déposer une demande visant à modifier ses actes de procédure qui figurent au dossier actuellement.

 

  • [83] Les demanderesses se plaignent que, dans son approche liée aux détails, la protonotaire Tabib s’est éloignée de la pratique reconnue d’une façon qui n’est pas conforme en droit et qui porte préjudice aux demanderesses, car cela contrevient aux règles de justice naturelle et au droit à une audience équitable et constitue un excès de pouvoir sur le plan arbitraire.

 

  • [84] Je crois que les plaintes des demanderesses au sujet des décisions de la protonotaire Tabib et à sa procédure de présentation de détails sont fondées sur une méprise de ses conclusions et des incidences de son ordonnance.

 

  • [85] La principale conclusion de la protonotaire Tabib au sujet des allégations de comportement anticoncurrentiel en contravention aux articles 32 et 45 et/ou à l’alinéa 61(1)a) de la Loi sur la concurrence était la suivante : [TRADUCTION] « Je ne suis pas en mesure de conclure que les faits allégués ne pourraient pas donner lieu à un argument raisonnable ». En d’autres termes, elle a conclu que les demanderesses n’avaient pas établi des motifs évidents et manifestes pour qu’elle refuse les modifications proposées et que d’autres éléments requis des deux côtés pour qu’elle puisse formuler une telle détermination. Elle a estimé qu’un argument raisonnable pouvait être formulé par Protus, mais que [TRADUCTION] « les allégations aux paragraphes 23 à 33 et de 36 à 39 des modifications proposées dans T-139-06 et leurs contreparties dans T-140-06 et par conséquent les paragraphes 42 (c.1), 42 (c.2), 42 (f), 49 et 50 dans T-139-06 et leurs contreparties, ne contenaient pas suffisamment de détails pour accorder une autorisation d’inclure ces modifications dans leur forme actuelle. »

 

  • [86] Sans ces précisions, la protonotaire Tabib ne pouvait pas aborder les arguments des demanderesses pour leur refus des modifications en raison des demandes déraisonnables en vertu de la Loi sur la concurrence et des précisions insuffisantes. Elle pouvait conclure que Protus était en mesure de demander de nouveau une modification et elle souhaitait éviter [TRADUCTION] « d’autres procédures interlocutoires prolongées » pour déterminer si les allégations de comportement anticoncurrentiel devraient à juste titre être intégrées dans les actions. Elle savait que des éléments supplémentaires étaient requis pour trancher cette question et elle voulait « rationaliser le processus ».

 

  • [87] Je ne crois pas que sa décision a entraîné des préjudices aux demanderesses ou que cette question allait au-delà de sa compétence en tant que protonotaire chargée de la gestion d’instances, et en particulier en vertu des règles 75 et/ou 385. La règle 385 (1)(a) permet précisément à un protonotaire de « donner toute directive nécessaire pour permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et la plus économique possible ».

 

  • [88] En ce qui concerne la question des détails et de l’ordonnance de procédure mise en place par la protonotaire Tabib, je ne crois pas que j’aborde une question déterminante à l’issue de la cause et, par conséquent, dans cette instance, je ne devrais pas me mêler de la décision de la protonotaire, à moins que j’estime qu’elle s’est clairement trompée et qu’elle a fondé son pouvoir discrétionnaire sur un principe erroné ou en raison d’une méprise des faits tels qu’ils sont définis dans Apotex, au paragraphe 53.

 

  • [89] Les demanderesses affirment que la protonotaire Tabib aurait simplement dû refuser les modifications en question. Cependant, elle a elle-même expliqué qu’elle ne pouvait agir ainsi, car elle n’était pas en mesure d’affirmer [TRADUCTION] « que les faits allégués ne pouvaient pas donner lieu à un argument raisonnable ». Elle avait besoin de détails supplémentaires pour prendre la bonne décision et évaluer le bien-fondé des arguments des demanderesses pour le refus des modifications proposées en matière de comportement anticoncurrentiel.

 

  • [90] Elle a établi ce qu’elle considérait comme la façon la plus juste, rapide et efficace de faire ressortir les détails requis et de permettre aux demanderesses de déposer leurs oppositions une fois les détails connus. Je ne vois rien d’injuste ou d’inapproprié au chapitre de cette procédure et dans l’exercice de sa discrétion en vertu des Règles, je ne peux pas dire qu’elle était manifestement mauvaise.

  • [91] La procédure exige que Protus fournisse les détails de ses modifications proposées et elle permet aux demanderesses de décider si cela s’est produit avant que l’affaire revienne devant la Cour. Une fois que les parties ont invoqué la question le plus loin possible entre elles, Protus doit signifier et déposer ses déclarations de défense et demande reconventionnelle modifiées « proposées ».

 

  • [92] En conséquence, les demanderesses ont le droit de s’opposer aux modifications par le dépôt d’une requête de rejet et/ou d’une requête visant l’obtention de détails supplémentaires et améliorés. De toute évidence, la protonotaire Tabib a estimé que, si les demanderesses souhaitaient s’opposer aux allégations de comportement anticoncurrentiel pour certaines des raisons présentées devant elle (p. ex. que l’article 32 de la Loi sur la concurrence ne s’applique pas aux services), il était préférable de demander une option complète de rejet une fois l’ensemble des détails connus, plutôt qu’une demande de modification dans laquelle elle n’était pas en mesure de dire « que les faits allégués ne pouvaient pas donner lieu à un argument raisonnable ».

 

  • [93] À mon avis, cette procédure n’empêche pas les demanderesses d’obtenir une audience juste et il ne s’agit pas d’une atteinte à la justice naturelle. La protonotaire Tabib mettait simplement au point la façon la plus adéquate et efficace pour que les deux parties fassent ce qu’elles devaient faire. Protus souhaite présenter des allégations de comportement anticoncurrentiel qui vont à l’encontre de la Loi sur la concurrence dans les procédures; les demanderesses veulent faire valoir que cela ne peut être fait pour différentes raisons qui ne peuvent pas être évaluées de façon définitive tant que Protus n’a pas fourni les détails de ses allégations de comportement anticoncurrentiel.

 

  • [94] Je ne peux pas dire que la protonotaire Tabib ait fait totalement fausse route dans son approche et, même si j’examinais la procédure qu’elle a imposée de novo je n’interviendrais pas.

  1. Divers

 

  • [95] Mis à part le cadre officiel des oppositions présenté par les demanderesses, quelques points soulevés dans leur documentation nécessitent des commentaires supplémentaires :

 

  1. Entités horizontales

 

  • [96] Les demanderesses estiment que la protonotaire Tabib a omis et/ou négligé d’aborder leurs présentations selon laquelle l’alinéa 61(1)a) ne s’applique pas, car la cause dont la Cour est saisie traite d’entités horizontales plutôt qu’un réseau de distribution vertical.

 

  • [97] En lisant la décision de la protonotaire, bien que cet enjeu ou argument ne soit pas mentionné de façon particulière, il est abordé dans sa conclusion générale lorsqu’elle indique qu’elle [TRADUCTION] « n’est pas en mesure de conclure que les faits allégués ne pourraient pas donner lieu à un argument raisonnable et, conformément à la procédure visant des détails supplémentaires, il s’agit de l’une des questions qui, selon la protonotaire, devaient être abordées au moyen d’une requête, si jamais les demanderesses voulaient s’opposer une fois les précisions fournies.

 

b.  Aucun fait important aux fins de la demande reconventionnelle

 

  • [98] Les demanderesses estiment qu’en demandant les faits importants qui appuient sa demande reconventionnelle de la défense, Protus s’est privée de tout fait essentiel l’appui de toute demande reconventionnelle. Les demanderesses affirment également que la référence aux faits essentiels dans la défense ne corrige pas cette lacune dans la demande reconventionnelle.

 

  • [99] Il me semble qu’il s’agit d’un argument désespéré fondé sur une formalité. Comme le souligne la protonotaire Tabib dans sa décision, [TRADUCTION] « il est tout à fait admissible qu’une partie demande des faits essentiels dans le cadre d’une demande reconventionnelle au chapitre des allégations faite dans la partie de ses plaidoiries portant sur la défense ».

 

  • [100] Les demanderesses ne fournissent aucun élément suggérant que la protonotaire Tabib faisait fausse route dans cette conclusion et il serait bel et bien étrange si une demande reconventionnelle était annulée uniquement parce qu’au lieu de simplement répéter les faits importants établis dans la défense, ces faits étaient considérés comme le fondement de la demande reconventionnelle.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET STATUE que

 

  1. l’appel est rejeté;

  2. si les parties n’arrivent pas à s’entendre en ce qui concerne les dépens, chaque partie peut s’adresser à la Cour concernant cette question.

 

 

« James Russell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-139-06 and T-140-06

 

INTITULÉ :  T-139-06

  J2 GLOBAL COMMUNICATIONS, INC. c. PROTUS IP SOLUTIONS INC.

  et entre

  PROTUS IP SOLUTIONS INC. c. J2 GLOBAL COMMUNICATIONS, INC. ET AL.

  T-140-06

  CATCH CURVE INC. c. PROTUS IP SOLUTIONS INC.

  et entre

  PROTUS IP SOLUTIONS INC. c. CATCH CURVE INC. ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  April 28, 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :  RUSSELL J.

 

DATE DES MOTIFS :  18 juin 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Paul Lomic

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Kevin K. Graham

Me Kwan T. Loh

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Ridout & Maybee LLP

Barrister & Solicitor

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Smart & Biggar

Intellectual Property and Technology Law

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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