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Date : 20080617

Dossier : IMM-4036-07

Référence : 2008 CF 751

Toronto (Ontario), le 17 juin 2008

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

 

WEN LI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]       Il s’agit d’une demande, déposée conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision rendue le 10 septembre 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé la demande d’asile du demandeur au motif que son témoignage quant à la persécution n’était pas crédible.

 

I. Faits

 

[2]       Le demandeur, citoyen de la République populaire de Chine (la Chine), sollicite l’asile au Canada sur le fondement de ses croyances religieuses. Le demandeur déclare que, comme chrétien, il sera arrêté et emprisonné s’il est renvoyé en Chine.

 

[3]        Le demandeur déclare qu’il a commencé à pratiquer le christianisme en juin 2003, après qu’un de ses amis et ancien camarade de classe l’eut initié à cette religion. Il déclare avoir assisté chaque semaine, pendant une période d’environ six mois, à des offices religieux clandestins en Chine.

 

[4]       Selon le demandeur, les offices religieux avaient lieu au domicile de divers membres, et des précautions étaient toujours prises parce que les activités de ce genre sont illicites en Chine. Il dit que les offices religieux comprenaient des lectures de la Bible, des discussions et des prières silencieuses, et qu’une fois, en novembre 2003, un pasteur a assisté à l’office et l’a dirigé.  

 

[5]       Le demandeur a continué à assister aux offices hebdomadaires jusqu’en décembre 2003, quand il est entré au Canada muni d’un visa d’étudiant. Selon le demandeur, il continue à pratiquer le christianisme, à assister aux offices religieux et à étudier la Bible depuis son arrivée au Canada.

 

[6]       Le demandeur dit que ses problèmes ont commencé le 2 avril 2006, lorsqu’il a reçu un appel téléphonique de sa mère l’informant que des agents du Bureau de la sécurité publique (le BSP) s’étaient rendus au domicile de ses parents et accusé le demandeur d’être membre de l’église clandestine. Ils ont aussi accusé le demandeur d’avoir propagé des idées chrétiennes en Chine. Selon le demandeur, les agents du BSP ont interrogé ses parents relativement à ses activités religieuses et ont dit à sa mère qu’ils avaient arrêté deux membres de l’église clandestine que fréquentait le demandeur. Ils ont également dit à sa mère de l’aviser de rentrer en Chine.

 

[7]       Le demandeur affirme que le BSP continue de chercher à savoir où il se trouve. Après avoir appris cela, le demandeur s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas rentrer en Chine. Le demandeur a donc demandé l’asile au Canada le 10 avril 2006. Sa demande a été entendue par la Commission le 30 juillet 2007.

 

II. Décision contestée

 

[8]       Le 10 septembre 2007, la Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La crédibilité du demandeur est au cœur de la décision de la Commission : celle-ci relève plusieurs déclarations peu vraisemblables et incompatibles pour justifier ses conclusions défavorables quant à la crédibilité de certaines parties du témoignage du demandeur, avant de conclure que le demandeur est un « témoin qui n’est ni crédible ni digne de foi » et qu’il « ne pratiquait pas la religion catholique en Chine et qu’il n’est pas recherché par le BSP ».

 

III. Questions en litige

 

[9]       Le demandeur soumet trois questions en litige pour examen :

a.       La Commission s’est-elle trompée dans l’analyse du témoignage du demandeur quant à la nature et à la chronologie des événements qui se sont produits lors des offices religieux clandestins?

b.      La Commission s’est-elle trompée lorsqu’elle a conclu que le témoignage du demandeur relativement à ses études au Canada confirmait sa conclusion que le demandeur ne pratiquait pas le christianisme en Chine et qu’il n’était pas recherché par le BSP?

c.       La Commission a-t-elle commis une erreur en ne déterminant pas si le demandeur était, en fait, chrétien?

 

IV. Norme de contrôle

 

[10]     Il est de jurisprudence constante que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité commandent le plus haut niveau de retenue lorsqu’elles sont contrôlées par la Cour : voir Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1194, [2002] A.C.F. no 1611 (QL), et Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 128, [2008] A.C.F. no 161 (QL). 

 

[11]     La norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission quant à la crédibilité ou aux faits est celle de la décision raisonnable. Il s’agit d’une norme empreinte d’une grande retenue qui reconnaît que certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions possibles et raisonnables (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick,  2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, au paragraphe 47). Lorsque la décision à l’examen fait partie de cette catégorie, la Cour ne devrait pas intervenir.

 

[12]     Par contre, lorsqu’il s’agit d’une question de droit, la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision correcte.

 

V. Analyse

 

A. La Commission s’est-elle trompée dans l’analyse du témoignage du demandeur?

 

[13]     La Commission peut tirer une conclusion défavorable relativement à la crédibilité du demandeur au motif qu’il existe des contradictions et des incohérences dans le récit du demandeur, ainsi qu’entre le récit du demandeur et d’autres éléments de preuve à la disposition de la Commission. De plus, la Commission peut tirer une conclusion


défavorable quant à la crédibilité du seul fait que le témoignage du demandeur est peu vraisemblable. (Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238, 112 N.R. 61; Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313, 120 N.R. 391 (C.A.F.); Alizadeh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (C.A.F.).)

 

[14]     Un examen des motifs révèle que la Commission explique pourquoi elle juge peu vraisemblable le témoignage du demandeur relativement à ce qu’elle estime être des questions fondamentales. Ces conclusions ne sont pas, pour reprendre les propos tenus dans Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), « déraisonnables au point d'attirer […] [une] intervention ».

 

[15]     Le demandeur n’a pas démontré à la Cour que la Commission a tiré des conclusions qu’elle ne pouvait pas raisonnablement tirer au vu des éléments de preuves à sa disposition et qu’elle s’est trompée dans l’analyse du témoignage du demandeur.

 

B. La Commission s’est-elle trompée lorsqu’elle a conclu que le témoignage du demandeur relativement à ses études au Canada confirmait sa conclusion que le demandeur ne pratiquait pas le christianisme en Chine et qu’il n’était pas recherché par le BSP?

 

[16]     Dans sa décision, la Commission a jugé non crédible la prétention du demandeur qu’il était au Canada pour poursuivre ses études. La Commission a également dit que cette conclusion appuyait son autre conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas crédible lorsqu’il a déclaré être un chrétien pratiquant en Chine qui est recherché par le BSP. La Commission a tenu les propos suivants à la page 4 de sa décision :

Afin d’étayer davantage la conclusion du tribunal, selon laquelle le demandeur d’asile n’est pas un témoin crédible ou digne de foi, et selon laquelle il ne pratiquait pas le christianisme en Chine et n’est pas recherché par le BSP, le tribunal estime que le demandeur d’asile n’était pas crédible dans son allégation selon laquelle il poursuivait ses études au Canada. Selon l’approbation initiale de son visa d’étudiant, il fréquentait l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique. Il a dit qu’il avait l’intention d’étudier le commerce électronique. Il a commencé un cours d’anglais langue seconde, mais ne l’a pas terminé. Il est par la suite venu à Toronto, en Ontario, et a fréquenté le Toronto Institute of Technology (Institut de technologie de Toronto). Il lui a été souligné qu’il ne s’agissait pas d’une université reconnue. Il n’y a que trois universités reconnues dans la ville de Toronto. Il a dit avoir obtenu d’un ami les renseignements qu’il possédait sur les établissements d’enseignement à Toronto, en Ontario. Il est invraisemblable qu’une personne aussi intelligente que lui et ayant fait les études qu’il a faites se fonde sur des renseignements provenant d’un ami et ne fasse pas ses propres recherches. Le tribunal conclut que le demandeur d’asile n’est pas crédible relativement à cette question ou pour ce qui est de son expérience chrétienne en Chine. 

 

[17]     Les études du demandeur au Canada étayent la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’est généralement pas crédible, mais elles n’ont aucune pertinence quant à la conclusion relative à la crédibilité du demandeur comme « chrétien pratiquant ». Toutefois, il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion, laquelle constitue un autre élément qui étaye sa conclusion quant à la crédibilité de l’ensemble du témoignage du demandeur. La Cour ne relève aucun motif valable pour intervenir sur ce point.

 

C. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne déterminant pas si le demandeur était, en fait, chrétien?

 

[18]     Enfin, le demandeur prétend que la Commission s’est trompée en évaluant mal son identité comme chrétien. Le demandeur déclare que son identité comme chrétien est fondamentale quant à sa demande, et exige donc une décision claire et non‑équivoque.

 

[19]     La Commission a tenu les propos suivants à la page 2 de sa décision :

Le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile est un témoin qui n’est ni crédible ni digne de foi, qu’il ne pratiquait pas la religion catholique en Chine et qu’il n’est pas recherché par le BSP.

 

[20]     Même si la Commission reconnaît l’identité du demandeur comme ressortissant chinois, l’extrait qui précède démontre clairement qu’elle ne croyait pas que celui-ci était chrétien. La Commission a eu l’avantage d’entendre le demandeur, et, donc, en sus de toutes les incohérences relevées dans le témoignage du demandeur, la Commission était mieux placée que quiconque pour apprécier la crédibilité du demandeur et en juger. En conséquence, la Cour estime que la Commission pouvait décider d’accepter ou non l’identité du demandeur comme chrétien.

 


IV. Conclusion

 

[21]     Bref, et après examen de tous les éléments en question, il s’agit d’une affaire où la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. L’issue n’est peut-être pas celle à laquelle s’attendait le demandeur, et c’est évidemment pourquoi le demandeur fait ressortir des éléments de preuve qui militent en faveur d’un autre résultat. Cependant, la Cour, ayant déjà conclu que la décision est raisonnable sur tous les points, refusera cette invitation d’analyser les éléments de preuve différemment de la Commission et de substituer sa conclusion à celle de la Commission. Là n’est pas le rôle de la Cour.

 

[22]     En conséquence, la Cour rejettera la demande.

 

[23]     Aucune question de portée générale n’a été proposée pour certification, et aucune ne sera certifiée. 

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT, LA COUR rejette la demande.

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge                

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                       IMM-4036-07

 

INTITULÉ :                                      WEN LI

                                                           c.

                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              LE 5 JUIN 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET DU JUGEMENT :                      LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                      LE 17 JUIN 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vania Campana                                                          POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Butterfield                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lewis & Associates                                                    POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)       

 

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                 

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