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Date : 20080618

Dossier : IMM‑5109‑07

Référence : 2008 CF 755

Toronto (Ontario), le 18 juin 2008

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

ROMEO MEJIA DOMANTAY

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 7 novembre 2007 par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a jugé que le demandeur avait abusé, d’une manière délibérée et persistante, du système canadien d’immigration et que cela l’emportait sur les motifs d’ordre humanitaire. La Commission a donc rejeté l’appel formé contre la mesure d’expulsion prononcée contre lui.

I. Les faits

 

[2]               Le demandeur, originaire des Philippines et ancien prêtre de l’Église catholique romaine, a eu une liaison avec l’une de ses paroissiennes, qui a plus tard donné naissance à sa fille. En 1997, le demandeur a abandonné l’Église catholique romaine, puis a visité le Canada et les États‑Unis durant plusieurs mois. Arrivé à Vancouver, il a rencontré une femme avec qui il a contracté un mariage frauduleux dans le dessein d’immigrer au Canada, comme il l’a reconnu. Ils ont plus tard divorcé.

 

[3]               Le 24 janvier 2001, le demandeur a épousé sa paroissienne et a voulu la parrainer pour qu’elle vienne au Canada. Le demandeur a inclus dans sa demande la fille du couple, qui était inscrite en tant que personne à charge l’accompagnant, mais non en tant que sa fille.

 

[4]               Il a été décidé que le demandeur avait contrevenu à l’alinéa 40(1)a), et il a été frappé d’exclusion du Canada. Il n’a nullement contesté ces conclusions. Il a reconnu avoir fait des déclarations trompeuses, mais a sollicité un sursis de la mesure de renvoi, en alléguant des circonstances d’ordre humanitaire.

 

[5]               Par décision datée du 7 novembre 2007, l’appel du demandeur a été rejeté.


II. La question en litige

 

[6]               L’unique point soulevé par cette demande est celui de savoir si, en autorisant l’ancien représentant du demandeur, prétendument une personne qui n’était pas « [m]embre en règle du barreau d’une province, de la Chambre des notaires du Québec ou de la Société canadienne des consultants en immigration » contrairement à ce que requiert le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), à représenter le demandeur, la Commission a commis un manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle.

 

III. Le Règlement

 

[7]               S’agissant de l’obligation qui incomberait à la Commission de vérifier la qualité de ceux qui comparaissent devant elle, il est utile d’examiner les dispositions qui concernent les « représentants autorisés », et qui comprennent l’article 2, le paragraphe 10(2) et l’article 13.1 du Règlement. L’article 2 définit ainsi un « représentant autorisé » :

[Un m]embre en règle du barreau d’une province, de la Chambre des notaires du Québec ou de la Société canadienne de consultants en immigration constituée aux termes de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes le 8 octobre 2003.

... member in good standing of a bar of a province, the Chambre des notaires du Québec or the Canadian Society of Immigration Consultants incorporated under Part II of the Canada Corporations Act on October 8, 2003.

 

 

[8]               Selon le paragraphe 13.1(1) du Règlement :

[...] il est interdit à quiconque n’est pas un représentant autorisé de représenter une personne dans toute affaire devant le ministre, l’agent ou la Commission, ou de faire office de conseil, contre rémunération.

...no person who is not an authorized representative may, for a fee, represent, advise or consult with a person who is the subject of a proceeding or application before the Minister, an officer or the Board.

 

[9]               Cette disposition est cependant assortie de deux exceptions énoncées aux paragraphes 13.1(2) et (3) du Règlement. La première accorde une période de grâce d’une durée de quatre ans, après l’entrée en vigueur de la disposition, aux personnes qui agissaient déjà à titre de représentants autorisés, si le client tout comme la demande sont les mêmes qu’avant l’entrée en vigueur de la disposition. La deuxième exception concerne les stagiaires en droit, qui sont autorisés à représenter des clients s’ils agissent sous la supervision d’un membre en règle du barreau d’une province ou de la Chambre des notaires du Québec qui représente cette personne dans une affaire ou qui fait office de conseil.

 

[10]           Finalement, le paragraphe 10(2) du Règlement énumère les renseignements qui doivent figurer dans une demande présentée en vertu du Règlement. Cette disposition était aussi le résultat de la modification qui avait établi l’article 13.1 et la définition de « représentant autorisé » apparaissant à l’article 2 du Règlement. Plus précisément, selon le paragraphe 10(2), la demande doit, sauf disposition contraire du Règlement, donner les coordonnées du représentant du demandeur, préciser si le représentant est rémunéré ou non et renfermer une déclaration attestant que les renseignements fournis sont exacts. En outre, si le représentant est rémunéré, le demandeur doit alors indiquer le nom de l’organisation dont le représentant est membre, ainsi que le numéro de membre qui lui a été délivré par cette organisation.

 

[11]           La Cour relève que l’édition spéciale de la Gazette du Canada, volume 138, numéro 4, intéresse particulièrement la présente affaire parce qu’elle renferme le Résumé d’étude d’impact de la réglementation afférent aux modifications du Règlement qui ont conduit à la forme actuelle des dispositions susmentionnées. On y trouve un passage intéressant :

Il est nécessaire de modifier les articles 2 et 13, ainsi que le paragraphe 10(2) du Règlement sur immigration et la protection des réfugiés (RIPR) afin de protéger le public contre les consultants en immigration sans scrupules ainsi que pour encourager l’industrie des consultants en immigration à s’autoréglementer.

Amendments to sections 2 and 13 and subsection 10(2) of the Immigration and Refugee Protection Regulations are necessary to encourage the immigration consulting industry to self‑regulate. These amendments are intended to protect applicants from unscrupulous representatives while preserving the integrity of Canada’s immigration system

 

 

[12]           Le document contient aussi un Résumé d’étude d’impact de la réglementation. Bien qu’il ne fasse pas partie du Règlement, ce résumé explique ainsi l’objet de cette modification :

Ces dispositions ont pour but de préciser quels représentants en immigration peuvent ou ne peuvent pas représenter, contre rémunération, une personne dans toute affaire devant le ministre, un agent ou la CISR.

The purpose of this provision is to prescribe which immigration representatives may or may not represent, advise or consult with a person who is the subject of a proceeding or application before the Minister, an officer, or the IRB

 

[13]           Finalement, la section du Résumé intitulée « Respect et exécution » (Compliance and Enforcement) est ainsi rédigée :

Les consultants et les avocats devront être des membres en règle de la SCCI ou d’un ordre professionnel de juristes d’une province ou d’un territoire pour traiter avec CIC, l’ASFC ou la CISR

 

 

 

La CISR refusera de traiter avec un conseil qui ne sera pas membre de la SCCI. Dans ce cas, elle considèrera la personne faisant l’objet d’une procédure comme une personne non représentée.

[...]

 

Consultants and lawyers will need to be members in good standing of CSIC or one of the provincial or territorial law societies to conduct business with CIC, the CBSA or the IRB.

 

 

 

The IRB will not deal with a non‑member as counsel, but will continue processing the case and treat the person who is the subject of the proceeding as represented.

[...]

 

 

III. La norme de contrôle

 

[14]           Selon l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, [2003] A.C.S. n° 28 (QL), au paragraphe 100, « [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». Les questions d’équité procédurale ne sont donc pas subordonnées à une analyse pragmatique et fonctionnelle, c’est uniquement la décision ultime qui est l’objet de la norme de contrôle (arrêt S.C.F.P., précité, au paragraphe 100).

 

IV. Analyse

 

[15]           L’argument du demandeur repose sur le fait que son représentant à l’audience n’était pas « [m]embre en règle du barreau d’une province, de la Chambre des notaires du Québec ou de la Société canadienne des consultants en immigration » et qu’il n’était donc pas un représentant autorisé selon le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). Puisque le conseil du demandeur n’était pas un représentant autorisé, alors la Commission aurait transgressé les principes d’équité procédurale et de justice naturelle en autorisant cette personne à représenter le demandeur dans une procédure introduite devant elle.

[16]           Le demandeur dit que l’incompétence d’un conseil peut constituer un manquement à la justice naturelle (Sheik c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 81), et il ajoute que, lorsqu’un demandeur est demeuré non représenté sans qu’il y soit pour quelque chose, cela peut constituer également un manquement à la justice naturelle (Abasalizadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n° 1714 (QL)). Selon le demandeur, un conseil qui n’est pas « [m]embre en règle du barreau d’une province, de la Chambre des notaires du Québec ou de la Société canadienne des consultants en immigration » n’est pas compétent pour représenter un demandeur au cours d’une audience.

 

[17]           Le demandeur dit aussi que l’obligation de la Commission sur ce point s’apparente à celle de la Cour au regard de ses fonctionnaires. La Cour a l’obligation de donner effet aux principes inscrits dans la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, ainsi que dans ses Règles, notamment l’obligation de s’assurer que les avocats qui comparaissent devant elle sont des fonctionnaires judiciaires (Parmar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 1000 (QL), au paragraphe 7; Al‑Koutsi v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 1005 (QL), au paragraphe 7).

 

[18]           Selon le demandeur, la Commission s’est explicitement engagée à faire en sorte que seuls des représentants autorisés, ou non rémunérés, agissent comme conseils devant tous ses tribunaux. Le demandeur cite la Politique de traitement des plaintes présentées par la CISR contre les représentants rémunérés non autorisés. Cependant, puisque cette politique a pris effet le 10 avril 2008 et qu’elle est donc postérieure à la décision contestée, elle n’intéresse pas la présente procédure de contrôle judiciaire.

 

[19]           Eu égard à ce qui précède, la Cour reconnaît que la Commission a l’obligation de s’assurer que ceux qui représentent les clients avec lesquels elle traite sont des représentants autorisés, conformément au Règlement, ou qu’ils ne sont pas rémunérés pour leurs services. Cette obligation vise à protéger les demandeurs et à préserver l’intégrité du système d’immigration du Canada.

 

[20]           Puisqu’une obligation existe, il reste à savoir quelle est son étendue et si le conseil qui a représenté le demandeur au cours de l’audience tenue devant la SAI était ou non un représentant autorisé ou quelqu’un qui n’était pas rémunéré pour ses services.

 

[21]           Le demandeur dit qu’il s’était adressé au cabinet de Me Max Chaudhary pour qu’il le représente dans son appel devant la Commission et qu’une certaine Mme Akhbari fut envoyée par le cabinet de M. Chaudhary pour agir en son nom au cours de l’audience du 7 novembre 2007. Cela s’accorde avec le dossier du tribunal, où il est indiqué que le cabinet de Me Chaudhary est celui avec qui Immigration Canada devait communiquer durant la période considérée.

 

[22]           Eu égard au témoignage produit par le demandeur, la Cour est d’avis que l’ancien conseil du demandeur, Me Chaudhary, était effectivement rémunéré et que Mme Akhbari n’était pas membre du Barreau du Haut‑Canada ni membre de la Société canadienne des consultants en immigration (SCCI).

 

[23]           Cependant, l’information donnée par le demandeur dans son affidavit est mince. Son affidavit n’indique nulle part la relation qu’il avait avec son représentant et ne précise même pas qu’il n’avait pas connaissance de la qualification de sa représentante choisie, qu’il y avait eu déclaration trompeuse ou qu’une rémunération avait été versée. Le demandeur ne dit pas non plus à quel moment il s’est rendu compte que Mme Akhbari n’était pas autorisée à le représenter, et dans quelles circonstances il s’en est rendu compte.

 

[24]           Ce serait là des renseignements pertinents à connaître pour statuer sur une affaire de cette nature. En effet, si pour une raison quelconque le demandeur savait, à la date de son audience devant la Commission, que Mme Akhbari n’était pas autorisée à le représenter, pourquoi alors avoir attendu la décision de la Commission pour soulever la question? S’il le savait et s’il a accepté, ce que nous ignorons, alors quel est son préjudice? Il ressort très clairement d’un examen de la transcription que le demandeur n’a eu aucune objection à ce que Mme Akhbari le représente au cours de l’audience devant la Commission. Sans doute était‑elle non qualifiée mais néanmoins compétente pour représenter le demandeur, et cela, avec l’acceptation de celui‑ci en connaissance de cause. La Cour n’en sait rien, puisque la preuve n’en dit rien.

 

[25]           Le dossier montrait à la Commission que le demandeur était représenté par le cabinet de Me Chaudhary, un membre en règle du Barreau du Haut‑Canada, et par ailleurs, durant l’audience, la représentante du demandeur, Mme Akhbari, du cabinet de Me Chaudhary, a toujours été appelée la conseil du demandeur. Comment, dans ces conditions, la Commission pouvait‑elle savoir que Mme Akhbari n’était pas qualifiée pour représenter le demandeur ou qu’elle n’était pas une stagiaire en droit, qui était autorisée à représenter des clients si elle agissait sous la surveillance d’un membre en règle d’un barreau? Le silence du demandeur ne pouvait certainement pas le lui apprendre.

 

[26]           C’est au demandeur qu’il appartient de choisir son représentant. La Commission n’a pas l’obligation de surveiller le droit du demandeur de recourir aux services d’un avocat, tandis que c’est au demandeur qu’il appartient d’établir les circonstances qui font que la Commission avait envers lui une obligation et qu’il a de ce fait été victime d’un manquement à la justice naturelle.

 

[27]           La Cour croit que, selon le dossier du demandeur, Me Chaudhary, que le demandeur considérait comme son avocat, a subi les vérifications requises visant à confirmer qu’il était bien un représentant autorisé. Puisque le demandeur semble avoir accepté la représentante que lui avait assignée le cabinet de Me Chaudhary en vue de l’audience de la Commission, et compte tenu des circonstances de la présente affaire, la Cour est d’avis que la Commission s’est acquittée de l’obligation de vérification qui lui incombait et que le demandeur n’a pas prouvé que la Commission n’avait pas rempli son obligation conformément au Règlement, ni n’a prouvé que la Commission avait commis un manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle. La demande sera donc rejetée.

 

[28]           Aucune question de portée générale n’a été proposée pour être certifiée et aucune ne sera certifiée.

 

 

JUGEMENT

 

            POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS, LA COUR rejette la demande.

 

                                                                                                            « Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, juriste‑traducteur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑5109‑07

 

INTITULÉ :                                                               ROMEO MEJIA DOMANTAY

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 6 JUIN 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 18 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee                                                                  POUR LE DEMANDEUR

 

Gordon Lee                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company                                                           POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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