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Date : 20080617

Dossier : IMM-5160-07

Référence : 2008 CF 750

Toronto (Ontario), le 17 juin 2008

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

LUZ ALICIA LOPEZ GEA

LUZ BELEN LOPEZ GEA

demanderesses

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision  datée du 27 novembre 2007 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demanderesses n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi, étant donné l’existence d’une protection adéquate de l’État dans le district fédéral de Mexico.

I. Les faits

 

[2]               Les demanderesses, Mme Alicia Lopez Gea (la demanderesse) et sa fille mineure, Belen Lopez Gea, sont citoyennes du Mexique. La demanderesse soutient en son nom et au nom de sa fille qu’elles craignent d’être persécutées au Mexique par son ancien conjoint de fait.

 

[3]               La demanderesse a rencontré son ancien conjoint de fait Ulises en juillet 1995 et, au début, tout allait bien. Toutefois, peu de temps après, la demanderesse est devenue victime de la jalousie et des actes de violence de celui-ci. Une série de mauvais traitements s’en est ensuivie et a culminé lorsque la demanderesse est tombée enceinte en octobre 1996. Ulises l’a menacée de mettre fin à sa grossesse et il l’a effectivement frappée à l’estomac dans ce but. L’enfant à naître a heureusement survécu et, après un bref séjour dans une clinique, la demanderesse est revenue habiter dans la maison de ses parents, où elle est restée jusqu’en décembre 1998. 

 

[4]               Même si on ne savait pas où il se trouvait lorsque sa fille est née, Ulises a essayé de joindre la demanderesse et de voir leur fille. Il a aussi supplié la demanderesse de se réconcilier avec lui alors qu’elle demeurait chez ses parents. La demanderesse a soutenu avoir refusé de le faire, avant d’accéder aux demandes d’Ulises à l’insistance de sa mère, laquelle avait honte de l’échec de la relation de sa fille et de son état de mère célibataire, et parce qu’Ulises semblait être devenu une meilleure personne. La demanderesse est retournée vivre avec Ulises et, très peu de temps après, elle a encore une fois été l’objet d’actes de violence.

 

[5]               Ulises aurait intimidé la demanderesse, lui aurait rappelé avoir des amis policiers et aurait invité ceux-ci chez eux. En septembre 2000, la demanderesse s’est confiée à sa locatrice, qui l’a amenée aux bureaux du Departmento Integral Familiar (ministère des Services à la famille), pour qu’elle demande la protection de la police. On a fixé à la demanderesse un rendez-vous dans trois mois. Elle a continué de subir de mauvais traitements jusqu’à ce qu’elle quitte Ulises pour de bon et elle est retournée chez ses parents un mois plus tard. En décembre 2000, Ulises a rendu visite à la demanderesse chez ses parents et a d’abord tenté de la convaincre de se réconcilier avec lui, mais, après que la demanderesse lui ait dit sans équivoque qu’elle ne reviendrait jamais habiter avec lui, il s’est fâché, lui a proféré des menaces et lui a rappelé qu’il avait des relations dans la police.

 

[6]               Lorsqu’elle a rencontré les fonctionnaires du ministère des Services à la famille, ceux-ci lui ont seulement offert de la consultation. Ulises a, pendant ce temps, continué à harceler la demanderesse durant une période de communication intermittente. Par la suite, Ulises a cessé de communiquer avec la demanderesse entre novembre 2002 et mars 2004, moment où il a demandé, et obtenu, des droits de visite supervisés avec l’appui de la mère de la demanderesse. Peu de temps après, Ulises a fait à leur fille des remarques désobligeantes concernant la demanderesse et a menacé de partir avec leur fille. La demanderesse s’est alors adressée à la police et on l’a dirigée vers un avocat qui, dit-elle, ne l’a guère aidée et lui a demandé sans cesse plus d’argent. Selon la demanderesse, Ulises continuait de lui faire des visites menaçantes chez ses parents et, à une occasion, il lui aurait montré une ordonnance judiciaire lui accordant la garde de leur fille. Il a quitté sans l’enfant, mais, lorsque la demanderesse a parlé de ce point avec son avocat, celui-ci lui a dit qu’il ignorait l’existence de l’ordonnance judiciaire en question et qu’il ne pouvait rien faire de plus pour l’aider.

 

[7]               A commencé alors pour la demanderesse une série de déplacements. En septembre 2005, elle a décidé de fuir à Toluca, dans l’État de Mexico, où elle a demeuré chez un ami et a travaillé dans une boulangerie. Selon la demanderesse, Ulises est entré en contact avec elle à Toluca un mois plus tard. Elle s’est donc enfuie à Xalapa, dans l’État de Veracruz, où elle est restée chez une tante et a obtenu un emploi de serveuse. La demanderesse a ensuite dû retourner chez ses parents parce qu’elle devait répondre à ce qu’elle croyait être un avis légal lui enjoignant de se présenter à une audience judiciaire pour discuter de la garde de Belen. La demanderesse a retenu les services d’un  nouvel avocat, et il a été rapidement constaté qu’aucune audience de ce genre n’avait été fixée. La demanderesse a déposé une déclaration auprès des autorités. Ulises s’est présenté chez les parents de la demanderesse et a exigé de voir leur fille; il a battu la demanderesse après qu’elle lui ait refusé l’autorisation de le faire. On a appelé la police, mais celle‑ci n’est jamais venue sur les lieux. La demanderesse a reçu des soins médicaux et a déposé par la suite une autre déclaration auprès des autorités.

 

[8]               En décembre 2005, la demanderesse s’est rendue avec sa fille à Morelia, dans l’État de Michoacán, et a travaillé comme gouvernante. La demanderesse prétend qu’en février 2006, Ulises l’a rencontrée avec deux hommes. Il aurait menacé de la tuer et tenté sans succès d’enlever leur fille. Le lendemain, la demanderesse s’est enfuie avec sa fille à Tijuana avant de se rendre à Mexico. En avril, la demanderesse est retournée chez ses parents où elle a reçu de nouveau la visite d’Ulises, qui a tenté de se réconcilier avec elle. Cependant, lorsqu’elle refusé la réconciliation, Ulises a sorti une arme à feu et a menacé de la tuer. Elle s’est alors réfugiée dans la maison de ses parents et s’est enfuie de nouveau à Mexico, où elle a déposé auprès de la police, le 18 avril 2006, un rapport exposant en détail ses problèmes. La demanderesse soutient que, le lendemain, deux policiers l’ont emmenée dans une voiture de police, l’ont battue et l’ont agressée sexuellement avant de lui dire de confier sa fille à Ulises. Elle ne s’est pas plainte à la police de ce dernier incident, mais elle a dit ce qui s’était passé à son avocat pour qu’il dépose une déclaration en son nom à elle. Six jours plus tard, elle est arrivée au Canada avec sa fille et a revendiqué le statut de réfugié.

 

[9]               En octobre 2007, la Commission a procédé à l’audition de la demande d’asile de la demanderesse et, dans une décision en date du 27 novembre 2007, elle a rejeté la demande après avoir statué que ni la demanderesse ni sa fille n’étaient des réfugiées au sens de la Convention ou des personnes à protéger. 

 

II. La décision attaquée

 

[10]           La crédibilité de la demanderesse n’était pas en cause. La Commission a rejeté la demande de la demanderesse étant donné l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) dans le district fédéral de Mexico et la protection offerte par l’État à la demanderesse et à sa fille. La Commission tire cette conclusion en faisant référence à la preuve documentaire indiquant qu’il y a, dans le district fédéral, un cadre législatif conçu pour offrir des recours aux victimes de violence familiale dans le respect de la primauté du droit.

 

[11]           Dans ses motifs, la Commission a énuméré un certain nombre de documents dont elle a tenu compte pour rendre sa décision défavorable, notamment le rapport d’un psychologue selon lequel la demanderesse souffrait de [traduction] « symptômes du syndrome de stress post‑traumatique et d’un trouble dépressif majeur grave sans caractéristiques psychotiques ». Le rapport donne aussi à penser que le fonctionnement psychologique de sa fille mineure serait probablement compromis si elles devaient être expulsées du Canada. La Commission a accepté les conclusions de ce rapport, mais elle a conclu qu’aucune preuve convaincante n’avait été produite pour établir que les demanderesses seraient incapables d’obtenir des soins adéquats de santé mentale si elles devaient retourner au Mexique. Cette conclusion s’appuyait sur des renseignements tirés des Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, un document publié par la Commission.

 

[12]           Pour évaluer la prétention de la demanderesse qu’elle ne serait pas en mesure d’obtenir de la protection à Mexico parce que son ex-conjoint de fait l’a retrouvée et qu’il la retrouvera de nouveau, la Commission a examiné un certain nombre d’observations faites dans la documentation avant de conclure que la protection de l’État existe vu que la législation exige le signalement et la prévention de la violence familiale et des actes criminels, y compris le viol entre conjoints. La Commission a également concentré son analyse sur le district fédéral de Mexico, vu que la mise en œuvre des lois en question n’est pas uniforme dans tout le Mexique et qu’il est donc possible de mettre en doute le caractère adéquat de la protection de l’État, et que toutes ces lois et mesures ont été mises en œuvre dans le district fédéral et permettraient donc de répondre aux besoins des demanderesses si elles vivaient dans cette région. En outre, l’absence de données fiables fait en sorte, selon la Commission, qu’il est difficile d’évaluer l’efficacité de certaines mesures prises récemment, dont la formation des policiers sur la violence fondée sur le sexe, l’existence de refuges, la possibilité de consulter un avocat, de même qu’un mécanisme permettant de porter plainte contre un fonctionnaire. Toutefois, la Commission était convaincue qu’il n’était pas nécessaire d’offrir une protection parfaite (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189, (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), et que pareille protection était rarement offerte, quel que soit le pays en question.

 

[13]           Quant à l’incident précis où deux policiers avaient battu et agressé sexuellement la demanderesse à Mexico, la Commission a conclu que celle-ci disposait de recours en tant que victime d’un acte criminel commis par des policiers, mais qu’elle avait décidé de ne pas exercer ces recours. La Commission était convaincue que, malgré la possibilité que des efforts sérieux ne soient pas déployés pour assurer une protection adéquate dans maintes régions du Mexique en raison de la corruption et de la criminalité, ce n’était pas le cas dans le district fédéral ni à Mexico. 

 

[14]           Selon la Commission, la demanderesse n’avait pas épuisé les recours dont elle disposait, comme est tenu de le faire le demandeur qui vit dans un pays démocratique, avant de demander la protection internationale. La Commission a jugé que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau de prouver de manière claire et convaincante que l’État ne pouvait pas ou ne voulait pas les protéger, elle et sa fille.

 

[15]           En ce qui concerne l’enfant mineure, la Commission a estimé que l’ex-conjoint de la demanderesse essayait d’en obtenir la garde, et que la demanderesse ne lui avait présenté aucune preuve convaincante qu’il entendait faire du mal à l’enfant ou que le fonctionnement du tribunal mexicain entraverait le règlement de leur différend relatif à la garde de cette enfant.

 

[16]           La Commission a résumé son analyse et appliqué un critère à deux volets relativement à la PRI. Elle a conclu que les demanderesses ne risqueraient pas sérieusement d’être persécutées si elles retournaient au Mexique et vivaient à Mexico, et qu’il ne serait pas trop pénible pour elles de le faire, vu que la demanderesse avait réussi à se trouver du travail dans différents domaines. Compte tenu de l’existence d’une PRI à Mexico, conjuguée à une protection de l’État adéquate, la Commission a jugé que les demanderesses n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

III. Les questions en litige

 

[17]           Les questions soumises par les parties peuvent être reformulées ainsi :

a.                   La Commission a-t-elle conclu à tort que la demanderesse disposait d’une PRI dans le district fédéral de Mexico et pouvait s’y prévaloir de la protection de l’État?

b.                  La Commission a-t-elle fondé sa décision sur des inférences déraisonnables et des conjectures sans tenir dûment compte de la preuve?

 

[18]           La demanderesse soutient que la crédibilité n’est pas en cause et qu’il faut présumer que la Commission a jugé crédible l’ensemble du témoignage étant donné qu’elle n’a tiré aucune conclusion défavorable en la matière. Le défendeur n’a pas fait d’observations sur ce point. 

 

[19]           Néanmoins, décider consiste à choisir les éléments de preuve qui appuient une conclusion plutôt qu’une autre. C’est ce qu’on appelle apprécier ou soupeser la preuve, une tâche qui revient clairement à la Commission. 

 

IV. La norme de contrôle

 

[20]           Les conclusions de la Commission à propos de l’existence d’une PRI au Mexique sont des conclusions de fait susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9; Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449; Eler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 418, 2008 CF 334, au paragraphe 6, [2008] A.C.F. no 571). Il s’agit d’une norme empreinte de déférence qui reconnaît que certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  

 

[21]           Par conséquent, la Cour étudiera la décision de la Commission compte tenu de « la justification de la décision, [de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que de] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[22]           En outre, la Cour gardera à l’esprit que la Commission n’est pas tenue de prouver l’existence de la protection de l’État. Il incombe toujours au demandeur d’asile de réfuter la présomption de la protection de l’État (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2. R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74).

 

V. L’analyse

 

[23]           La demanderesse a tenté de faire valoir que la Commission avait commis une erreur parce qu’elle n’avait pas pris en considération des éléments de preuve contradictoires ainsi que l’efficacité et la rapidité de l’intervention policière dans sa décision sur la protection de l’État.

 

[24]           En l’espèce, la Commission a statué que la demanderesse avait une PRI dans le district fédéral. Toutefois, en arrivant à cette conclusion, la Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Puisque la contestation de la demanderesse vise surtout la conclusion de la Commission sur la protection de l’État, il faut traiter de cette conclusion.  

 

[25]           Il est vrai que le décideur doit faire mention de la preuve contredisant ses conclusions, et que la Cour peut inférer que le décideur a tiré une conclusion de fait erronée « du fait qu’il n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle [du décideur] » (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 15). En revanche, « les motifs donnés par les organismes administratifs [comme la Commission en l’espèce] ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal », et les tribunaux administratifs ne sont tenus de faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis (Cepeda-Gutierrez, précitée, au paragraphe 16).

 

[26]           Il est également vrai que l’on doit évaluer l’efficacité des mécanismes de protection de l’État. La décision Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1341, traite de ce principe.

 

[27]           Cependant, il faut aussi se rappeler qu’il existe une présomption de protection de l’État, particulièrement dans un État démocratique. La Cour a accepté maintes fois cette présomption (De La Rosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 83, Santos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 793; Lazcano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 1630, Baldomino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 1638). Il incombe au demandeur de la réfuter.

 

[28]           Dans sa décision, la Commission a clairement tenu compte de l’efficacité de la protection de l’État et a, de façon générale, traité des lacunes ou incohérences de la protection de l’État au Mexique. La Commission a également reconnu que, d’après la preuve documentaire, il convient de distinguer les renseignements sur le district fédéral de l’information générale concernant le Mexique, et que le cadre législatif varie d’un État à l’autre. La preuve documentaire présentée à la Commission traite du district fédéral séparément des autres États en ce qui concerne la violence familiale ainsi que le cadre législatif et institutionnel du district fédéral, et renferme quelques renseignements sur la mise en œuvre de ce cadre. Malgré le peu de renseignements concernant l’« efficacité » des efforts sérieux déployés pour combattre la violence familiale dans le district fédéral de Mexico, ces renseignements ne contredisent pas les conclusions de la Commission. Celle‑ci a fait remarquer qu’il y avait de graves problèmes de violence familiale au Mexique, mais que les autorités du district fédéral déploient de sérieux efforts pour s’attaquer à cette forme de violence. Cette conclusion s’appuie sur la preuve documentaire dont disposait la Commission en l’espèce.

 

[29]           La demanderesse exagère tout simplement la quantité et la force de la preuve documentaire contradictoire sur le district fédéral dont était saisie la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision. Selon Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, la demanderesse était tenue de produire une preuve claire et convaincante qu’elle et sa fille ne pouvaient pas obtenir la protection de l’État.  

 

[30]           Quant à l’incident où la demanderesse a été battue et agressée sexuellement par des policiers à Mexico, la Commission a signalé que, d’après la preuve documentaire, la demanderesse disposait de recours en qualité de victime d’un acte criminel commis par des policiers, mais qu’elle avait décidé de ne pas exercer ses recours.

 

[31]           La demanderesse soutient également que la Commission a mal interprété la preuve en concluant que son ex-conjoint cherchait à obtenir la garde de leur enfant plutôt que d’utiliser les mensonges, les menaces et la violence pour forcer la demanderesse à retourner auprès de lui. En outre, la demanderesse prétend que son ex-conjoint n’a jamais eu recours aux tribunaux pour faire modifier les modalités de la garde de leur fille.

 

[32]           Ulises n’a peut-être pas entrepris de démarches judiciaires pour demander la garde, mais l’inférence tirée par la Commission des autres éléments de preuve montrant qu’Ulises s’était remarié et ne pouvait pas avoir d’autres enfants mène à la conclusion raisonnable qu’Ulises voulait retirer à la demanderesse la garde de sa fille. La Cour juge donc que la conclusion énoncée par la Commission quant à l’intention d’Ulises de demander la garde de sa fille appartient aux issues possibles acceptables pouvant tout à fait se justifier au regard de la preuve.   

 

[33]           Il reste toutefois à régler la question du caractère raisonnable de la conclusion de la Commission que la demanderesse a une PRI. Le critère applicable en la matière a été reformulé au paragraphe 20 de la décision Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 601 :

Pour que la Commission puisse conclure que le demandeur a une PRI viable et sûre, le critère à deux volets suivant, qui a été énoncé et appliqué dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), et Thirunavukkarasu, [[1994] 1 C.F..C. 589 (C.A.)], doit être rempli :

(1) la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI;   

(2) la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances y compris de sa situation personnelle, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, de s'y réfugier.

 

[34]           Les efforts consentis auparavant par la demanderesse pour obtenir la protection de l’État à l’extérieur du district fédéral de Mexico sont insuffisants pour réfuter la présomption de la protection de l’État dans le district fédéral lorsque la preuve montre que l’on accentue les mesures visant à fournir une protection de l’État adéquate.

 

[35]           Étant donné la preuve présentée à la Commission concernant les différentes voies de recours offertes à la demanderesse dans le district fédéral, la conclusion de la Commission que la demanderesse ne s’était pas raisonnablement prévalue de ses recours, y compris ceux dont elle disposait en tant que victime de la police, et que la demanderesse et sa fille ne risqueraient pas sérieusement d’être persécutées dans la PRI proposée est loin d’être déraisonnable. En effet, la Cour juge que cette conclusion est logique et qu’elle constitue l’une des issues possibles acceptables compte tenu de la preuve.  

 

[36]           Serait-il déraisonnable pour la demanderesse et sa fille de chercher refuge dans le district fédéral de Mexico?

 

[37]           La demanderesse n’a pas fourni à la Commission une preuve convaincante qu’elle ne serait pas en mesure d’obtenir des soins adéquats de santé mentale si elle devait retourner au Mexique. De plus, la Commission prend note que la demanderesse a déjà travaillé dans le district fédéral pendant de nombreuses années et qu’elle s’est montrée capable d’obtenir du travail dans différents domaines. Par conséquent, dans les circonstances, la Cour juge raisonnable la décision de la Commission selon laquelle les demanderesses peuvent vivre dans le district fédéral de Mexico.  

 

[38]           La demanderesse a plus ou moins invité la Cour à apprécier la preuve différemment de la Commission et à substituer sa conclusion à celle de la Commission. La Cour refusera cette invitation, car il appartient à la Commission d’apprécier la preuve et de trancher la demande. La Cour n’a qu’à déterminer si la décision de la Commission est raisonnable ou non.

 

[39]           Après examen de la preuve, la Cour arrive à la conclusion que les demanderesses n’ont pas démontré que la décision attaquée était déraisonnable au motif qu’elle n’appartenait pas aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

[40]           La Cour est d’accord avec les parties qu’il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT, LA COUR rejette la demande.

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5160-07

 

INTITULÉ :                                       LUZ ALICIA LOPEZ GEA et

                                                            LUZ BELEN LOPEZ GEA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Lagacé

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 17 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Byron M. Thomas

POUR LES DEMANDERESSES

 

Sharon Stewart-Guthrie

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Byron M. Thomas

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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