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Date : 20080613

Dossier : IMM‑3677‑07

Référence : 2008 CF 738

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2008

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

MARIA MBANGA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 17 août 2007, qui a jugé qu’elle n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]               La demanderesse est originaire du Zimbabwe, où elle était enseignante jusqu’à son départ pour les États‑Unis en 1999. Elle dit que, à partir de 1997, les enseignants ont été perçus comme des ennemis de l’État zimbabwéen et ont commencé à rencontrer des problèmes.

 

[3]               Selon l’exposé circonstancié annexé à son Formulaire de renseignements personnels (FRP), elle a décidé d’aller aux États‑Unis [traduction] « dans l’espoir d’améliorer [s]on niveau d’études et de contribuer à bâtir un meilleur avenir pour [s]on pays ». Elle a étudié et travaillé au Texas durant sept ans.

 

[4]               Le 25 juillet 2006, elle est arrivée au Canada, où elle a demandé l’asile en alléguant ses opinions politiques. Elle n’avait jamais exercé aucun rôle dans un parti politique au Zimbabwe, mais elle a dit qu’elle serait en danger si elle devait retourner dans son pays, car elle est enseignante, et aussi parce que son cousin, M. Wilfred Mbanga, est un journaliste bruyant, en exil au Royaume‑Uni depuis qu’il fut menacé et arrêté en 2001. Elle a dit aussi que sa famille avait connu de nombreuses épreuves durant la guerre de l’Indépendance.

 

[5]               La Commission a reconnu que tous les opposants politiques subissent des violations de leurs droits au Zimbabwe et elle a relevé aussi que des enseignants sont fichés par le gouvernement en raison de leur soutien, réel ou supposé, au parti d’opposition. Cependant, la commissaire a noté une amélioration de la situation des enseignants en 2003 et elle a donc estimé que la preuve documentaire antérieure à cette date ne rendait pas compte de la situation actuelle.

 

[6]               La Commission a aussi mentionné que, au moment où la demanderesse avait quitté le pays en 1999, elle n’avait jamais eu de difficultés avec le gouvernement et n’avait jamais été politiquement active, ni perçue comme telle. La commissaire a donc fait siens les commentaires contenus dans la directive opérationnelle de juillet 2007 du Home Office du Royaume‑Uni, directive selon laquelle [traduction] « [l]e fait d’être un enseignant ne donne pas lieu, en soi, à une crainte fondée de persécution – la question principale qui se pose est de savoir si le demandeur d’asile a été ou est perçu comme ayant participé à des activités politiques susceptibles de nuire aux intérêts des autorités ».

 

[7]               La Commission a aussi accordé peu de poids à la lettre d’une amie où l’on pouvait lire que la demanderesse était une enseignante active, qui ne cachait pas ses opinions et qui avait été victime d’intimidation au Zimbabwe, étant donné que la demanderesse elle‑même avait dit qu’elle n’avait jamais été politiquement active et que le gouvernement ne lui avait jamais causé de tort. Quant à l’affirmation de l’amie en question, selon laquelle la demanderesse avait quitté le Zimbabwe quand les menaces étaient devenues insupportables, la Commission a fait observer que cette affirmation contredisait le FRP de la demanderesse ainsi que son témoignage produit à l’audience, où elle disait qu’elle avait quitté son pays pour se perfectionner dans son travail d’enseignante.

 

[8]               S’agissant de sa crainte de persécution fondée sur son nom, la commissaire a reconnu que le cousin de la demanderesse est un journaliste réputé et un opposant politique en exil. Elle a conclu cependant qu’une personne n’est pas exposée à un risque au Zimbabwe du seul fait qu’elle a pour patronyme Mbanga. Elle a donc rejeté la demande d’asile.

 

I. Les questions en litige

 

[9]               La demanderesse a soulevé de nombreuses questions, que l’on peut commodément résumer ainsi :

a.       La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas exposée à un risque?

b.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en omettant de conduire une analyse relative à l’article 97?

 

II. La norme de contrôle

 

[10]           Compte tenu de l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, 164 A.C.W.S. (3d) 727, les questions de fait doivent être revues d’après la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, la Cour doit se demander si la décision de la Commission entre dans un éventail d’issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Ainsi que l’écrivait la Cour suprême, « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (paragraphe 47). C’est la norme que j’appliquerai à la première des deux questions.

 

[11]           Quant à la seconde question, elle requiert de la Cour qu’elle décide si la Commission a bien rempli ses obligations, selon l’article 97, au vu des circonstances de la présente affaire. Il s’agit là d’une question mixte de droit et de fait, qui devrait donc être appréciée d’après la norme de la décision raisonnable.

 

III. Analyse

 

a.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas exposée à un risque?

[12]           Selon la preuve documentaire, le gouvernement zimbabwéen est enclin à éliminer les opposants politiques, quels qu’ils soient. S’agissant du cas des enseignants, le rapport du Home Office du Royaume‑Uni de 2006 est très pertinent, car il est (selon les observations de la demanderesse elle‑même) [traduction] « le compte rendu le plus complet, le plus récent et le plus fiable » de la situation qui a cours au Zimbabwe. Selon ce rapport, des enseignants ont été fichés par le passé en raison de leur soutien, réel ou supposé, au parti d’opposition. Il mentionne ensuite que, depuis 2003, il y a eu une légère amélioration de leur situation, même si menaces et agressions étaient encore signalées en 2004. Le rapport concluait que le simple fait que l’on soit enseignant ne donne pas lieu à une crainte fondée de persécution :

[traduction]

 

3.7.8 Conclusion. Chaque cas doit être apprécié individuellement. Le fait d’être enseignant ne justifiera pas à lui seul une crainte fondée de persécution – la question clé est de savoir si le demandeur d’asile a été perçu ou est perçu comme se livrant à des activités politiques au point de représenter une menace pour les autorités. Le niveau d’activité qui est requis de la part d’un enseignant pour qu’il soit vu de façon hostile par les autorités zimbabwéennes est probablement plus faible que celui qui est requis pour les activistes œuvrant dans d’autres segments de la société. Les enseignants sont particulièrement vulnérables parce que leurs activités sont susceptibles d’un examen plus approfondi que ce n’est le cas pour les titulaires de postes moins publics, et aussi parce que les autorités et les groupes connexes sont conscients de l’influence qu’ils sont à même d’exercer sur leurs élèves.

 

 

 

[13]           Compte tenu des circonstances de la présente affaire, et puisqu’une preuve récente venant d’une source respectée confirmait sa conclusion, il était loisible à la commissaire de dire que la demanderesse n’allait pas être exposée à un risque en cas de retour dans son pays. La demanderesse n’a pas produit une preuve crédible montrant qu’elle était visée ou qu’elle courait le risque de l’être.

 

[14]           Durant une entrevue avec un agent d’immigration au point d’entrée, la demanderesse avait déclaré qu’elle avait peur de retourner au Zimbabwe car certains de ses proches avaient été persécutés par le gouvernement actuel. Elle avait expliqué qu’elle était traumatisée par ces expériences passées et qu’elle avait toujours été victimisée parce que son patronyme est Mbanga. Cependant, elle reconnaît qu’elle n’a jamais été personnellement visée par le gouvernement zimbabwéen.

 

[15]           Dans son FRP, la demanderesse avait expliqué qu’elle avait quitté le Zimbabwe pour améliorer son niveau d’études et contribuer à bâtir un meilleur avenir pour son pays. Lorsqu’elle avait témoigné durant l’audience de la Commission, elle avait dit qu’elle avait quitté le Zimbabwe pour étudier, mais qu’elle avait l’intention d’y retourner par la suite pour aider à la reconstruction de son pays. Elle avait mentionné dans son FRP qu’elle serait exposée à un risque en cas de retour au Zimbabwe, parce qu’elle est enseignante et que les membres de sa famille sont perçus comme des opposants politiques au régime. Mais l’on ne sait pas vraiment si elle craignait aussi la persécution politique à l’époque où elle avait quitté le pays.

 

[16]           La commissaire a conclu que rien ne prouvait le rôle de la demanderesse dans des activités politiques, si ce n’est la lettre de son amie, à laquelle elle a accordé peu de poids parce qu’elle donnait très peu de détails sur le niveau d’activité de la demanderesse et qu’elle contredisait la propre déclaration de la demanderesse. La commissaire a aussi fait observer que la demanderesse était membre de l’Association des enseignants du Zimbabwe, une organisation sympathique au gouvernement selon un article de l’Africa Reports.

 

[17]           Finalement, la Commission a examiné l’affirmation selon laquelle la demanderesse serait visée parce qu’elle portait le même nom de famille que M. Wilfred Mbanga, un journaliste et opposant politique en exil au Royaume‑Uni depuis près de 40 ans. La Commission a admis la notoriété de M. Mbanga et le fait qu’il est connu du régime Mugabe, au Zimbabwe. Cependant, elle a estimé que cela ne signifiait pas que toute personne répondant au nom de Mbanga courait un risque au Zimbabwe. Le cas d’une personne se trouvant dans une situation semblable peut évidemment intéresser l’appréciation d’une demande d’asile, mais je ne crois pas que la situation de la demanderesse puisse se comparer à celle de son cousin. Elle n’a jamais été politiquement active, elle n’a jamais été visée en tant que citoyenne, enseignante ou porteuse du patronyme Mbanga durant cette période de 40 ans et elle a pu devenir enseignante dans son pays.

 

[18]           Eu égard à ce qui précède, la commissaire pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque, en tant qu’enseignante, pour le cas où elle retournerait au Zimbabwe. La demanderesse n’a pas apporté la preuve qu’elle risquait véritablement d’être vue de façon très hostile par les autorités de son pays en raison de ses activités politiques ou de son soutien supposé au parti d’opposition. S’agissant de l’argument de la demanderesse selon lequel la Commission n’a pas considéré sa crainte d’après des « motifs cumulés », c’est un argument sans fondement puisque aucun des motifs invoqués par la demanderesse, considéré séparément ou en même temps que les autres, ne laisse apparaître un risque de persécution.

 

b.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en omettant de conduire une analyse relative à l’article 97?

[19]           La demanderesse dit que la Commission n’a pas conduit une analyse distincte relative à l’article 97. Elle croit que cette analyse était nécessaire puisque la Commission n’avait pas douté de sa crédibilité et avait admis qu’elle est une enseignante zimbabwéenne dont le cousin et le frère sont des activistes connus.

 

[20]           Il ne fait aucun doute que la Commission doit tirer une conclusion indépendante fondée sur l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27). Comme la Cour l’a dit à maintes reprises, il peut y avoir des cas où un demandeur d’asile sera jugé non crédible sur sa crainte subjective de persécution, mais où les conditions ayant cours dans son pays sont telles que la situation personnelle du demandeur d’asile en fait une personne à protéger. Les éléments requis pour établir une revendication selon l’article 96 et une autre selon l’article 97 ne sont pas les mêmes, et une décision défavorable sur une demande d’asile ne serait donc pas nécessairement déterminante pour une demande de protection : voir par exemple Nyathi c. Canada (MCI), 2003 CF 1119, 125 A.C.W.S. (3d) 873; Bouaouni c. Canada (MCI), 2003 CF 1211, 126 A.C.W.S. (3d) 686; Ayaichia c. Canada (MCI), 2007 CF 239, 309 F.T.R. 251.

 

[21]           Cela dit, l’absence d’une analyse distincte relative à l’article 97 ne sera pas fatale dans tous les cas. Lorsque, comme c’est le cas ici, aucune preuve ne permet de dire que la demanderesse est une personne à protéger, une telle analyse ne sera pas nécessaire : voir par exemple Ndegwa c. Canada (MCI), 2006 CF 847, 55 Imm. L.R. (3d) 108; Soleimanian c. Canada (MCI), 2004 CF 1660, 135 A.C.W.S. (3d) 474; Brovina c. Canada (MCI), 2004 CF 635, 130 A.C.W.S. (3d) 1002.

 

[22]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée, Mme Mbanga n’ayant pas prouvé que la Commission avait commis une erreur susceptible de contrôle. Aucune question à certifier n’a été proposée, et aucune ne sera certifiée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑3677‑07

 

INTITULÉ :                                                               MARIA MBANGA

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 13 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 13 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mitchell Goldberg                                                         POUR LA DEMANDERESSE

 

Daniel Latulippe                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Mitchell Goldberg                                                   POUR LA DEMANDERESSE

1635, rue Sherbrooke Ouest, bureau 400

Montréal (Québec)

H3H 1E2

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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