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Date : 20080618

Dossier : IMM-5175-07

Référence : 2008 CF 762

Toronto (Ontario), le 18 juin 2008

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

JULIA VANESSA SAMUEL

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]       Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, déposée conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise une décision rendue le 21 novembre 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’était ni une « réfugiée au sens de la Convention » ni « une personne à protéger » selon les articles 96 et 97 de la Loi.

 

I. Les faits

[2]       La demanderesse, citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines (Saint‑Vincent), a été victime de violence physique et sexuelle par son ex-époux qui est le père de son fils. En conséquence, elle a demandé le divorce et l’a obtenu.

 

[3]       Le 24 septembre 2002, la demanderesse a été violée et battue par son ex‑époux. Elle s’est adressée à la police et a cherché à obtenir un rapport de médecin. Le lendemain, son ex‑époux a été arrêté et accusé de l’avoir agressée. Il a démenti les accusations. Lors de sa comparution devant le tribunal le 4 octobre 2002, les accusations ont été retirées, faute de preuve. Un agent de police a confié à la demanderesse que, selon lui, les éléments de preuve avaient été détruits par les membres de la famille de l’ex‑époux qui travaillaient au poste de police.

 

[4]       La demanderesse et son nouveau petit ami ont été constamment menacés par l’ex‑époux depuis le début de leur relation en 2003, jusqu’à ce qu’ils décident de fuir Saint‑Vincent. Ils sont entrés au Canada le 28 décembre 2005 et ont demandé l’asile.

 

[5]       Les trois demandes d’asile ont été dissociées après que le petit ami de la demanderesse – dont elle est maintenant séparée – eut été déclaré séropositif pour le VIH, et que la société d’aide à l’enfance ait commencé à intervenir dans le dossier de la garde du fils de la demanderesse.

 


II. La décision contestée

 

[6]       La Commission a entendu la demande d’asile et l’a rejetée dans une décision rendue le 21 novembre 2007. La Commission a jugé que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État, puisque son ex‑époux avait été arrêté, accusé et traduit en justice pour l’agression commise sur sa personne. La Commission a également conclu que les éléments de preuve documentaire démontraient « qu’elle aurait pu déposer une plainte publique pour mauvaise conduite de la part d’un agent de police » relativement à la prétendue destruction des éléments de preuve et que « le comité de surveillance aurait mené activement une enquête ». Enfin, selon le commissaire, rien de convaincant n’indiquait qu’elle « serait stigmatisée et victime de discrimination, comme l’[étaient] les personnes atteintes du VIH/sida, même si la demandeure d’asile n’[était] pas séropositive », d’une façon qui équivaudrait à de la persécution en raison de la perception des gens de Saint-Vincent, étant donné que son ancien petit ami avait été déclaré séropositif pour le VIH.

 

III. La question en litige

 

[7]       La seule question en litige est de savoir si le commissaire s’est trompé lorsqu’il a conclu que la demanderesse disposait de la protection de l’État.

 


IV. La norme de contrôle

 

[8]       La conclusion de la Commission quant à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Saint-Vincent est une conclusion de fait susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. n9; Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, [2008] A.C.F. no 571; Eler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 418, 2008 CF 334, au paragraphe 6). Il s’agit d’une norme fondée sur la retenue qui reconnaît que certaines questions soulevées devant des tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.

 

[9]       En conséquence, la Cour contrôlera la décision de la Commission par rapport à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à […] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[10]     En outre, la Cour gardera à l’esprit que la Commission n’est pas tenue d’établir l’existence de la protection de l’État. La charge de réfuter la présomption relative à la protection de l’État incombe en tout temps au demandeur d’asile (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74).

 

V. L’analyse

 

[11]     La demanderesse soutient qu’elle n’était nullement obligée d’instituer une action pour mauvaise conduite d’un agent de police, comme l’a laissé entendre la Commission. Elle déclare également que la Commission n’a pas adéquatement apprécié les éléments de preuve documentaire, éléments qui, selon elle, révèlent le caractère inadéquat de la protection offerte par l’État aux femmes victimes de violence à Saint‑Vincent. Elle fait valoir, en citant Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, qu’une évaluation appropriée doit porter sur l’efficacité de la protection de la police, y compris sur la capacité et la volonté de bien mettre en œuvre les dispositions législatives.

 

[12]     Cependant, dans son récit, la demanderesse témoigne elle-même de l’existence de la protection de l’État, puisque les autorités n’ont pas ignoré sa plainte malgré le fait que des membres de la famille de son persécuteur travaillaient au sein de la force policière. Au contraire, l’affaire a fait l’objet d’une enquête, et l’ex‑époux a été arrêté, accusé et traduit en justice. La demanderesse aurait dû solliciter l’aide d’autres organismes gouvernementaux, et son omission de le faire n’a pas écarté la forte présomption relative à la protection de l’État, puisque les mesures prises par le gouvernement pour protéger les femmes victimes de violence à Saint‑Vincent sont, sauf preuve contraire, présumées efficaces.

 

[13]     Quant à la question de savoir si le critère approprié pour évaluer la protection de l’État est celui du caractère adéquat ou du caractère efficace, la Cour estime que le premier critère est le bon. Exiger la pleine efficacité des systèmes policier et judiciaire de pays étrangers serait imposer à d’autres États une norme que nous ne pouvons pas toujours nous-mêmes respecter au Canada. Lorsqu’il y a des éléments de preuve solides démontrant que les systèmes policier et judiciaire d’États démocratiques sont inefficaces au point d’être inadéquats, cela peut permettre de conclure que la protection de l’État n’existe pas. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

 

[14]     La demanderesse a, plus ou moins, invité la Cour à apprécier les éléments de preuve différemment de la Commission, et à substituer sa propre conclusion à celle de la Commission. La Cour refusera cette invitation car l’appréciation de la preuve revient à la Commission. La Cour n’a qu’à vérifier le caractère raisonnable de la décision de la Commission.

 

[15]     Après examen de la preuve, la Cour juge que les demandeurs n’ont pas démontré que la décision contestée est déraisonnable ou qu’elle n’appartient pas aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

[16]     La Cour partage l’avis des parties qu’il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

« Maurice E. Lagacé »

     Juge suppléant       

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                       IMM-5175-07

 

INTITULÉ :                                      JULIA VANESSA SAMUEL

                                                           c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :               TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :              LE 17 JUIN 2008

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                      LE 18 JUIN 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard M. Addinall                                                    POUR LA DEMANDERESSE

 

Ada Mok                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard M. Addinall                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada     

 

 

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