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Date : 20080617

Dossier : T-1508-05

Référence : 2008 CF 744

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2008

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

JANSSEN-ORTHO INC.
et DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED

 

demanderesses

et

 

 

APOTEX INC. et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT


 

TABLE DES MATIÈRES

 

I. Aperçu.. 4

II. Introduction.. 5

III. contexte.. 6

Le brevet en litige.. 6

La lévofloxacine et l’ofloxacine.. 7

Le processus inventif.. 11

a) Les activités de recherche.. 11

b) La date de l’invention.. 13

Le litige antérieur concernant le brevet 080.. 13

IV. questions en litige.. 15

V. Analyse.. 16

Le fardeau de la preuve.. 16

A. La question de l’abus de procédure.. 17

Les témoins. 21

Les témoins de Janssen.. 21

Les témoins d’Apotex. 24

Le brevet 080.. 28

Les lois d’interprétation.. 28

L’interprétation de la revendication 4 du brevet 080.. 30

La revendication 4 du brevet 080 englobe la forme semi-hydratée de la lévofloxacine.. 31

B. L’allégation de contrefaçon d’Apotex est-elle justifiée?. 34

La contrefaçon du brevet 080.. 34

Les principes juridiques applicables. 34

Application aux faits de l’espèce.. 35

Le mémoire descriptif du brevet 080 est suffisant. 35

Conclusion.. 39

C. Les allégations d’invalidité d’Apotex sont-elles justifiées?. 39

i) L’antériorité.. 40

Les principes juridiques applicables. 41

Application aux faits de l’espèce.. 46

Le brevet 840.. 46

Conclusion.. 48

ii) L’évidence.. 49

Les principes juridiques applicables. 49

Application aux faits de l’espèce.. 52

Les antériorités. 53

a) Les documents de Gerster. 54

b) Les références faites à l’ofloxacine.. 57

c) Autres références. 58

Le climat dans le domaine pertinent et la motivation à l’époque de l’invention alléguée.. 59

a) Les fluoroquinolones racémiques n’étaient pas résolues. 59

b) Une personne versée dans l’art ne s’attendrait pas à ce que la chiralité d’un groupe méthyle ait une incidence sur l’activité.. 61

c) Les propriétés de la fluméquine ne permettent de prédire l’ofloxacine.. 62

d) D’autres composés amoindrissent l’importance du groupe méthyle.. 64

Les propriétés bénéfiques de la lévofloxacine sont surprenantes et imprévues. 66

a) L’activité antimicrobienne améliorée de la lévofloxacine était imprévue.. 71

b). La toxicité inférieure de la lévofloxacine était imprévue et non prévisible.. 71

c) La solubilité accrue de la lévofloxacine était imprévue.. 76

d) Dans le cas de la lévofloxacine, la combinaison des trois propriétés bénéfiques était imprévue   79

Conclusion.. 80

La lévofloxacine a un caractère inventif 80

iii) Des revendications d’une portée plus large que l’invention réalisée et l’absence d’une prédiction valable   82

Les principes juridiques applicables. 82

Application aux faits de l’espèce.. 85

Conclusion.. 85

D. Le brevet 080 est-il nul, au sens des alinéas 40(1)a) et c) de la Loi sur les brevets?  86

Les dispositions législatives applicables et leur interprétation.. 86

a) Il n’y a pas eu de contravention à l’alinéa 40(1)c) des Règles sur les brevets. 89

b) Il n’y a pas eu de contravention à l’alinéa 40(1)a) des Règles sur les brevets. 91

c) La demanderesse et ses agents ont agi de bonne foi 93

Conclusion.. 94

VI. Conclusion.. 95

VII. Analyse de l’abus de procédure et conclusion.. 95

Les principes juridiques applicables.. 95

Interprétation.. 97

Contrefaçon.. 98

Antériorité.. 98

Caractère suffisant de la divulgation.. 100

Évidence.. 101

a) Aucune attention n’a été prêtée aux énantiomères dans le domaine des quinolones. 102

b) Il n’y a aucun meilleurs élément de preuve montrant que les concurrents avaient une motivation pour obtenir la lévofloxacine.. 103

c) Les propriétés de la lévofloxacine étaient imprévues. 104

VIII. dépens.. 108

JUGEMENT.. 1099

 


I. Aperçu

[1]               Lorsqu’il est question d’un brevet, il convient de ne pas interpréter de manière trop large ou trop restrictive les revendications qui s’y rapportent de façon à assurer sa viabilité potentielle. Pour éviter qu’un brevet soit relégué à un carcan, on doit lui donner du souffle afin de lui permettre de vivre le privilège exceptionnel – le monopole – qui lui a été accordé.

 

[2]               [traduction] « De légères modifications ou améliorations peuvent produire d’importants résultats […] » et [traduction] « [le] chercheur patient a droit aux mêmes avantages du monopole d’exploitation que celui qui fait une découverte par chance ou par inspiration soudaine ».

(Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft vormals Meister Lucius & Bruning c. Halocarbon (Ontario) Limited, [1979] 2 R.C.S. 929, 104 D.L.R. (3d) 51 (Halocarbon); Canadian General Electric Co., Ltd. c. Fada Radio Ltd., [1930] R.P.C. 69, pages 88 et 89 (P.C.); American Cyanamid Company c. Berk Pharmaceuticals Limited, [1976] R.P.C. 231, page 257.)

 

[3]               Il est impossible de vérifier les propriétés imprévues et imprévisibles de nouveaux composés. (Pfizer Canada c. Ratiopharm, 2006 CAF 214, [2007] 2 R.C.F. 137, paragraphe 24 (Pfizer c. Ratiopharm).)

 

[4]               Une personne moyennement versée dans l’art effectue l’exercice à la date de publication du brevet. Cet exercice est fait d’une manière axée sur l’objet visé et non excessivement libérale, et de façon équitable et raisonnable pour le breveté et le public. Il convient d’aborder l’interprétation d’un brevet « avec le souci judiciaire de confirmer une intention vraiment utile ».

(Free World Trust c. Électro Santé, 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, paragraphe 54; Whirlpool Corp. c. Camco, 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, pages 1089-1091; Consolboard c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, 122 D.L.R. (3d) 203, page 521 (Consolboard); il est fait référence aussi à Pfizer Canada et Pharmacia Italia S.p.A. c. Mayne Pharmacy (Canada), 2005 CF 1725, 285 F.T.R. 1. (Pfizer c. Mayne).)

 

[5]               En appel, la Cour d’appel fédérale a expressément conclu que le brevet 080 est valide. Elle a souscrit aux conclusions du juge Hughes, de la Cour fédérale, à savoir que le brevet était valide, que la lévofloxacine présentait clairement un avantage spécial et que le travail fait par Daiichi était plus qu’une simple vérification. Il a été conclu en fin de compte que le brevet n’était pas évident et que les demanderesses en avaient établi l’utilité. (Novopharm Limited c. Janssen-Ortho, 2007 CAF 217, 366 N.R. 290 (Appel de Novopharm) et Janssen-Ortho c. Novopharm Limited, 2006 FC 1234, 301 F.T.R. 166 (Procès de Novopharm))

 

II. Introduction

[6]               Il s’agit d’une procédure engagée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, dans sa forme modifiée (le Règlement AC). Janssen-Ortho Inc. (Janssen) et Daiichi Sankyo Company Limited (Daiichi) ont demandé à la Cour fédérale de rendre une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex Inc. (Apotex) un avis de conformité (AC) en vertu de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, relativement à un médicament antimicrobien appelé « lévofloxacine » et se présentant sous la forme de comprimés de 250 mg, de 500 mg et de 700 mg, avant l’expiration du brevet canadien no 1 304 080 (brevet 080).

 

III. Contexte

Le brevet en litige

 

[7]               Le brevet en litige, le brevet canadien no 1 304 080 (brevet 080), a été délivré à la demanderesse – Daiichi – le 23 juin 1992, et il divulgue et revendique la lévofloxacine antibiotique, qui, en Amérique du Nord, porte le nom de LEVAQUIN. La date de dépôt du brevet 080 au Canada est le 19 juin 1986 et, à moins d’être déclaré invalide, ce brevet expirera le 23 juin 2009. Ce dernier revendique la priorité sur trois demandes de brevet distinctes déposées au Japon : la première le 20 juin 1985 (la demande no 134712/85), la deuxième le 11 octobre 1985 (la demande no 226499/85), et la troisième le 28 janvier 1986 (la demande no 16496/86).

 

[8]               Daiichi est également titulaire du brevet canadien no 1 157 840 (brevet 840), délivré le 22 mai 1984, qui divulgue et revendique un antibiotique connu sous le nom d’« ofloxacine ». Janssen a été autorisée par Daiichi à mettre sur le marché l’ofloxacine au Canada, ce qu’elle a fait sous la marque FLOXIN. Le brevet 840, qui a trait à l’ofloxacine, a expiré le 22 mai 2001.

 

[9]               Le 18 juillet 2005, la défenderesse Apotex a signifié à Janssen un prétendu avis d’allégation (AA) concernant le brevet 080. Elle allègue que ce brevet est invalide car il ne satisfait pas au critère relatif à un brevet de sélection. Elle prétend que la lévofloxacine ne possède pas d’avantages spéciaux et imprévus par rapport à l’ofloxacine. En outre, le choix de la lévofloxacine à partir du mélange d’ofloxacine ne nécessitait aucune inventivité. Les demanderesses soutiennent que les questions en litige dans la présente demande sont en grande partie semblables aux questions en litige et aux éléments de preuve concernant les questions d’évidence et d’antériorité qui ont déjà été soumises à la Cour dans des litiges antérieurs (dossiers de la Cour nos T-214-03, T-2175-04 et A-500-06).

 

La lévofloxacine et l’ofloxacine

[10]           Il est question en l’espèce de deux composés apparentés, l’ofloxacine et la lévofloxacine.

 

[11]           L’ofloxacine est une substance ancienne. Un chimiste compétent en connaîtrait la structure chimique et saurait qu’elle possède une caractéristique appelée « centre chiral ». Il s’agit d’une caractéristique importante en l’espèce car une molécule dotée d’un tel centre peut exister sous deux formes tridimensionnelles possibles. Le mot « énantiomère » décrit la relation qu’il y a entre ces deux formes. Les énantiomères sont des images-miroirs et ils peuvent être assimilés à la version droite et gauche du même composé. Bien qu’ils soient semblables à bien des égards, les énantiomères ont des propriétés chimiques différentes et, souvent, des effets biologiques très différents quand ils sont administrés sous forme de médicaments.

 

[12]           Les chimistes font une distinction entre les deux énantiomères d’un même composé en attribuant des étiquettes à chacun d’eux. L’une des conventions consiste à attribuer à chaque énantiomère le préfixe « R » ou « S ». En examinant un diagramme chimique, un chimiste peut dire si un énantiomère particulier est du type R ou du type S. Une autre convention se sert des préfixes (+) ou (-) pour distinguer les énantiomères. L’attribution de ces préfixes dépend de la direction dans laquelle l’énantiomère fait tourner le plan de polarisation d’un faisceau de lumière polarisée : vers la droite (+) ou vers la gauche (-). Un énantiomère sera toujours (+) et l’autre toujours (-).

 

[13]           Dans le cas de l’ofloxacine, un énantiomère est qualifié d’ofloxacine (+)- (ou, subsidiairement, d’ofloxacine R- ou ofloxacine R(+)). L’autre énantiomère est désigné ofloxacine (-) (ou, subsidiairement, ofloxacine S- ou ofloxacine S(-)). Pour les besoins de la présente espèce, il est important de signaler que l’énantiomère S ou (-) de l’ofloxacine porte le nom de « lévofloxacine ».

 

[14]           Le mot « ofloxacine », tel qu’employé dans la documentation spécialisée et décrit dans les antériorités, sert généralement à désigner un type particulier de mélange de ce composé, appelé « mélange racémique » ou « racémate ». Un mélange racémique est un mélange qui contient 50 % de chaque énantiomère d’un composé. C’est donc dire qu’un échantillon de racémate d’ofloxacine contiendra des quantités égales d’ofloxacine S(-) (lévofloxacine) et d’ofloxacine R(+).

 

[15]           Le brevet 840 porte sur un procédé de fabrication de l’ofloxacine, et un chimiste qui suivrait ce procédé obtiendrait un mélange racémique d’ofloxacine.

 

[16]           Les mélanges racémiques peuvent être utilisés à des fins diverses, dont la production de produits pharmaceutiques, mais il est souvent souhaitable d’obtenir un échantillon très pur d’un seul des énantiomères. Un moyen d’arriver à ce résultat est de commencer par un mélange racémique et de le séparer en ses deux énantiomères constitutifs. En général, il est impossible de séparer mécaniquement les énantiomères et les chimistes doivent donc concevoir ou appliquer des techniques chimiques pour procéder à la séparation. Il est possible de recourir à différentes techniques pour obtenir la même séparation, mais la pureté des produits utilisés peut différer, tout comme le coût qu’occasionne la séparation ou le temps qu’elle dure.

 

[17]           Les deux énantiomères d’ofloxacine ont été révélés dans la demande de brevet japonais no 134712/85, publiée le 20 juin 1985. Il s’agissait là du premier isolement divulgué des énantiomères sensiblement purs de la lévofloxacine, réalisé à l’aide d’une technique chimique appelée « chromatographie liquide à haute performance » (CLHP). Les parties donnent à ce procédé le nom de « procédé A ». Il est important de signaler que Daiichi, même si elle avait séparé l’ofloxacine en deux énantiomères, ignorait encore lequel était désigné « R » et lequel était désigné « S ». En langage technique, un chimiste dirait que Daiichi ignorait encore la [traduction] « configuration absolue » de chaque énantiomère.

 

[18]           Un deuxième procédé de séparation, le « procédé B » ou le « processus enzymatique » de séparation, a suivi. Une deuxième demande de brevet japonais portant le no 226499/85 a été déposée le 11 octobre 1985, faisant état d’une séparation importante.

 

[19]           Des tests de toxicité aiguë et des analyses de diffraction des rayons X effectuées sur la lévofloxacine ont mené au dernier procédé, le « procédé C », qui a été divulgué dans la troisième demande de brevet japonais, le no 016496/96. Selon cette demande, la configuration absolue de la lévofloxacine était la forme « S », et il y était également question de sa [traduction] « solubilité supérieure et sa toxicité inférieure ». (Dossier de demande (DD) de la demanderesse, affidavit d’Hayakawa, paragraphes 43-48, volume 4, onglet 6, pages 720-721; affidavit de Klibanov, pièce I, volume 13, onglet 18, page 3783.)

 

[20]           L’isolement de la lévofloxacine (c’est-à-dire, de l’énantiomère (-) ou (S) de l’ofloxacine) est décrit dans le brevet 080. Ce dernier indique explicitement que la lévofloxacine est deux fois plus puissante, moins toxique et dix fois plus soluble que l’ofloxacine, le racémique contenant à la fois de la lévofloxacine et de l’ofloxacine (+).

 

Lévofloxacine
(ou ofloxacine (S))


Ofloxacine (R)

 

 

[21]           Les moyens par lesquels on a isolé la lévofloxacine et déterminé non seulement la configuration (S) mais aussi, plus particulièrement, ses propriétés supérieures, sont divulgués dans le brevet 080. Dans la présente demande, le point en litige consiste à savoir si la revendication 4 englobe à la fois la lévofloxacine anhydre et la lévofloxacine semi-hydratée.

 

[22]           Le mot « anhydre » sert à décrire une forme précise d’un composé qui est tout à fait exempt d’eau. Un échantillon de lévofloxacine anhydre ne contiendra aucune molécule d’eau.

 

[23]           Il convient toutefois de noter que la lévofloxacine peut également exister sous une forme dans laquelle les molécules de lévofloxacine individuelles sont associées très étroitement à des molécules d’eau. On donne des noms différents à ces formes, en fonction du nombre de molécules d’eau que l’on associe à chaque molécule individuelle de lévofloxacine. Une forme semi-hydratée comportera deux molécules de lévofloxacine par molécule d’eau.

 

Le processus inventif

 

a) Les activités de recherche

 

[24]           Daiichi a commencé à tenter de séparer les énantiomères de l’ofloxacine en avril 1981. Elle a subi une série d’échecs jusqu’en avril 1984, date à laquelle des travaux ont débuté sur ce qui allait finalement être appelé les procédés A et B. (Affidavit d’Hayakawa, paragraphes 17-25, DD, volume 4, onglet 6, pages 711-714.)

 

[25]           Daiichi a d’abord isolé la lévofloxacine et l’énantiomère (+) de l’ofloxacine en avril 1985, en recourant au procédé A. En avril 1985, des tests antimicrobiens ont révélé que le niveau d’activité de la lévofloxacine était environ le double de celui de l’ofloxacine. Par comparaison, l’activité de l’isomère (+) n’était que de 1/8 à 1/100 de celle de la lévofloxacine.

 

[26]           Daiichi a terminé le procédé B en septembre 1985 et, vers le 20 septembre 1985, elle a déterminé par mesure que la solubilité de la lévofloxacine était de 22 500 µg/ml. (Affidavit d’Hayakawa, paragraphes 41-42 et 55-56, DD, volume 4, onglet 6, pages 719-720 et 723.)

 

[27]           Au milieu du mois d’octobre 1985, Kazuhisa Furuhama (toxicologue au service de Daiichi) a procédé à des tests de toxicité aiguë en même temps et découvert que, chez un groupe de cinq souris mâles auxquelles on injectait par intraveineuse la dose de 200 mg/kg, la lévofloxacine ne causait aucun décès, l’ofloxacine en causait deux et l’énantiomère (+) en causait trois. À cette époque, M. Furuhama a procédé à d’autres tests de toxicité aiguë et a déterminé que, chez les souris mâles, la valeur de la DL50 de lévofloxacine administrée par voie intraveineuse était de 243,8 mg/kg. Ce chiffre était supérieur à la valeur de la DL50 d’ofloxacine établie, soit 208 mg/kg, ce qui dénotait que la lévofloxacine présentait une toxicité aiguë inférieure à celle de l’ofloxacine. (Affidavit d’Hayakawa, paragraphes 59 et 65-66, DD, volume 4, onglet 6, pages 724-727; affidavit de Kato, paragraphes 15-17, DD, volume 10, onglet 14, pages 2801-2802.)

 

[28]           Plus tard, vers le mois de décembre 1985, Daiichi a déterminé que la configuration absolue de la molécule de lévofloxacine était la forme « S ». (Affidavit d’Hayakawa, pièce BB, page DAI-0024054, DD, volume 5, onglet 7, page 1324; Procès de Novopharm, précité, paragraphe 48.)

 

[29]           Les travaux relatifs au procédé C ont débuté à l’automne de 1985. Cette demande a révélé que la configuration absolue de la lévofloxacine était la forme « S » et elle faisait également état de sa [traduction] « solubilité supérieure et sa toxicité inférieure ». (Affidavit d’Hayakawa, paragraphes 43-48, DD, volume 4, onglet 6, pages 720-721; affidavit de Klibanov, pièce I, page 2, DD, volume 13, onglet 18, page 3783.)

 

b) La date de l’invention

 

[30]           Au Procès de Novopharm, le juge Roger Hughes a conclu que la date d’invention était décembre 1985 :

[50]      On peut voir à travers cette suite de développement que l’élément final de la revendication 4, à savoir la détermination de la configuration S, a été établi en décembre 1985. J’estime donc que décembre 1985 constitue la date pertinente de l’invention à considérer pour ce qui a trait au caractère inventif et évident de la revendication 4.

 

(Procès de Novopharm, précité, paragraphes 48-50.)

 

Le litige antérieur concernant le brevet 080

[31]           La Cour a déjà examiné la validité du brevet 080 dans le cadre d’une demande présentée par Janssen-Ortho c. Novopharm Limited, 2004 CF 1631, 264 F.T.R. 202 (Novopharm). Apotex n’était pas partie à ce litige.

 

[32]           Dans Novopharm, précité, le juge Richard Mosley, de la Cour fédérale, a analysé le brevet 080 dans le contexte d’une demande d’interdiction présentée par Janssen en réponse à un AA soumis par Novopharm. Cette dernière voulait mettre sur le marché au Canada un produit médicamenteux générique fait à base de lévofloxacine et, dans l’AA, elle alléguait que le brevet 080 était invalide pour cause d’absence de nouveauté, ainsi que d’évidence, d’ambigüité, de portée excessive et d’absence de caractère suffisant.

 

[33]           Le juge Mosley a rejeté cette demande. Il a exprimé l’avis que les brevets antérieurs ne fournissaient pas tous les renseignements dont une personne versée dans l’art aurait eu besoin pour arriver au brevet en question et, par ailleurs, que ce dernier n’était pas ambigu et que le mémoire descriptif n’était pas insuffisant, mais il est arrivé à la conclusion que « les vertus découvertes et énoncées au brevet ’080 n’étaient pas inconnues ». Par ailleurs, a-t-il conclu, « le chimiste ordinaire connaissait l’existence des deux énantiomères de l’ofloxacine et savait qu’il était possible de les séparer. Le fait de déterminer quel énantiomère possédait à un degré supérieure des mêmes propriétés ne constituait ni une surprise ni une invention ». (Novopharm, précité, paragraphe 53.)

 

[34]           Dans le Procès de Novopharm, précité, la Cour fédérale a examiné la bonne façon d’interpréter la revendication 4 du brevet 080 dans le contexte d’une action en contrefaçon de brevet et en validité.

 

[35]           Le juge Hughes a conclu que la revendication 4 du brevet 080 était valide et contrefaite car la défenderesse n’avait pas établi que la revendication en question était invalide pour cause d’évidence ou de manque d’inventivité. Il a conclu, au paragraphe 96 de sa décision, que, même si la revendication ne traite pas des applications ou des propriétés médicales, quand le composé est nouveau, il suffit que son utilité soit exposée dans le mémoire descriptif. Il a également conclu que les antériorités ne contenaient aucune indication que les énantiomères de l’ofloxacine seraient plus actifs que le racémate, pas plus qu’elles n’indiquaient à la personne versée dans l’art de quelle façon séparer ou produire un énantiomère; par conséquent, la revendication 4 du brevet n’était pas antériorisée. Par ailleurs, le juge Hughes a décidé que la lévofloxacine était d’une « inventivité » suffisante pour mériter une protection de brevet valide, comme l’indiquait la revendication 4. Reconnaissant que sa conclusion était différente de celle du juge Mosley, le juge Hughes a expliqué qu’il avait profité de nombreux éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés auparavant et il a conclu que Novopharm n’avait pas établi l’invalidité de la revendication 4 pour cause d’évidence ou de manque d’inventivité. (Procès de Novopharm, précité, paragraphes 96, 104, 115 et 116.)

 

[36]           La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Hughes. (Appel de Novopharm, précité.)

 

IV. Questions en litige

[37]           La présente demande soulève les questions suivantes :

A.        La présente demande constitue-t-elle un abus de procédure?

B.        Le fait qu’Apotex mette en marché sa lévofloxacine administrée par voie orale en comprimés de 250 mg, de 500 mg et de 750 mg contrefait-il la revendication 4 du brevet 080 de Janssen?

C.        S’il y a contrefaçon, les allégations d’Apotex selon lesquelles le brevet 080 est invalide sont-elles justifiées pour les raisons suivantes :

i)                    antériorité;

ii)                   évidence;

iii)         portée excessive des revendications par rapport à l’invention et absence de prédiction valable.

D.             L’allégation d’Apotex selon laquelle le brevet 080 est nul en application des alinéas 40(1)a) et c) de la Loi sur les brevets est-elle justifiée?

 

V. Analyse

Le fardeau de la preuve

[38]           Dans une instance engagée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), la première personne a le fardeau d’établir le caractère injustifié des allégations de contrefaçon et d’invalidité que contient l’avis d’allégation (AA); cependant, en raison de la présomption de validité énoncée au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, la première personne peut s’acquitter du fardeau initial concernant l’invalidité en faisant simplement la preuve de l’existence du brevet. (Pfizer Canada, Warner-Lambert Company et Parke Davis and Company c. Apotex, 2007 CAF 209, 366 N.R. 347, paragraphe 109, inf. par 2005 CF 1205, 279 F.T.R. 164 (Pfizer c. Apotex))

 

[39]           Il incombe donc à la seconde personne de produire une preuve d’invalidité et de mettre « en jeu » les allégations d’invalidité contenues dans son AA. Pour ce faire, la seconde personne doit produire une preuve qui n’est pas manifestement incapable d’établir le bien-fondé de ses allégations d’invalidité. C’est donc dire que non seulement l’AA de la seconde personne doit contenir un fondement factuel et juridique suffisant pour ses allégations, mais aussi comporter  une preuve d’invalidité. Ce n’est qu’une fois que la seconde personne a produit une preuve suffisante, selon la prépondérance des probabilités, que la première personne doit établir, toujours selon la prépondérance des probabilités, que les allégations d’invalidité sont injustifiées. (Pfizer c. Apotex, précité, paragraphes 109-110)

 

A. La question de l’abus de procédure

[40]           La seconde personne qui conteste un brevet ayant déjà été confirmé dans une procédure d’interdiction, aux termes de l’article 6 du Règlement AC, doit établir qu’elle a fourni « de meilleurs éléments de preuve ou […] un argument juridique plus valable » que dans l’affaire antérieure (Sanofi-Aventis Canada c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 163, [2008] 1 F.C.R. 174, paragraphes 37-38 et 50 (Sanofi-Aventis c. Novopharm). Comme l’a signalé le juge Hughes dans les décisions Eli Lilly Canada c. Novopharm Limited, 2007 CF 596, 58 C.P.R. (4th) 214 (Eli Lilly c. Novopharm), et Pfizer Canada et Parke, Davis and Company Ltd. c. Novopharm Limited, 2008 CF 11, [2008] A.C.F. no 3 (QL) (Pfizer c. Novopharm), il est difficile pour la Cour de déterminer s’il existe de meilleures preuves ou un argument juridique plus valable en se fondant uniquement sur les motifs de jugement qui se rapportent à une instance antérieure.

 

[41]           De meilleurs éléments de preuve : Apotex soutient que la présente espèce se distingue du Procès de Novopharm en ce sens que les éléments de preuve liés à la présente affaire sont différents du dossier de preuve qui avait été soumis au juge Hughes; il est toutefois nécessaire de démontrer la validité inhérente des éléments de preuve, et pas seulement de le dire.

 

[42]           Apotex est d’avis que le dossier de preuve présenté en l’espèce (contrairement à celui qui l’a été dans le Procès de Novopharm et les affaires Novopharm) indique ce qui suit : 1) non seulement la méthode de Gerster a servi de modèle à M. Hayakawa, mais la même technique a été utilisée, et cela inclut l’emploi des mêmes réactifs; 2) la méthode de Gerster n’était pas « inventive » car, à l’époque en question, de nombreuses autres techniques de résolution avaient été appliquées avec succès. Par exemple, le juge Hughes a reconnu que le procédé A donnait une pureté optique de 100 %, mais il s’agissait d’une colonne chirale commerciale, obtenue par CLHP et achetée auprès de Sumitomo; 4) le brevet 080 envisageait une résolution et des équivalents évidents; 5) aucune méthode de résolution n’a été revendiquée dans le brevet 080; 6) dans la présente affaire, M. Gerster a fourni une preuve qu’il n’avait divulgué que des documents déjà considérés comme ordinaires et bien connus; 7) Daiichi a été en mesure d’obtenir de la lévofloxacine à un degré de pureté optique de 83 %, ce qui, peut-on considérer, est une « forme raisonnablement pure » et apte à faire [traduction] « son travail, par exemple à titre d’agent antimicrobien »; 8) les propriétés d’activité accrue, de toxicité réduite et de solubilité supérieure étaient connues et décrites dans les antériorités; 9) l’affiche de Gerster publiée en 1985 faisait état de l’activité antimicrobienne deux fois supérieure du composé S(-)- par rapport au racémate; 10) les propriétés d’activité, de toxicité et de solubilité étaient prévues et la « combinaison globale » de ces propriétés n’existe pas dans le cas de la lévofloxacine car, si la solubilité augmente, la toxicité aussi; 11) les demanderesses soutiennent que l’invention n’est liée qu’à l’activité antimicrobienne; 12) l’affiche Gerster publiée en 1982 est établie à juste titre comme faisant partie des antériorités.

(Procès de Novopharm, précité, paragraphes 39, 43, 53, 95 et 119 conf. par Appel de Novopharm, précité, paragraphes 19-20; Eli Lilly c. Novopharm, précité, paragraphe 38; affidavit de Gerster, paragraphes 11-13, DD, volume 45, onglet 65, pages 14458-14459; contre‑interrogatoire de Partridge, DD, volume 23, onglet 33, question 52, page 7086.)

 

[43]           En réponse, les demanderesses font valoir qu’Apotex n’a pas fourni de meilleurs éléments de preuve car elles soulèvent des questions et des preuves sensiblement semblables au sujet de l’évidence et de l’antériorité, tout en faisant valoir les mêmes antériorités.

 

[44]           Un argument juridique plus valable : Apotex soutient qu’elle a soulevé des arguments juridiques nouveaux qui n’avaient pas été soumis auparavant à la Cour; cependant, les arguments peuvent être fondés sur des éléments de preuve différents, mais cela ne transforme pas forcément des arguments « nouveaux » en de meilleurs éléments de preuve. Elle soutient que, contrairement aux éléments de preuve soumis antérieurement à la Cour, 1) une attention a été accordée aux énantiomères, 2) les concurrents avaient une motivation pour obtenir la lévofloxacine, 3) les propriétés de la lévofloxacine étaient prévues, 4) il existait de nombreuses techniques permettant d’isoler ou de synthétiser les énantiomères de l’ofloxacine, et 5) les efforts de Daiichi n’étaient pas extraordinaires.

 

[45]           En réponse, les demanderesses soutiennent que la Cour d’appel fédérale a déjà conclu que le brevet 080 est valide, et qu’Apotex tente simplement de contester à nouveau la validité du brevet en tant que brevet de sélection en reformulant son argumentation sous des rubriques différentes.

 

[46]           Apotex fait valoir que la Cour n’a pas déjà étudié l’argument selon lequel la lévofloxacine elle-même est un anhydre et que, par conséquent, en produisant un comprimé semi-hydraté, elle ne contrefera pas le brevet 080.

 

[47]           En appel, la Cour d’appel fédérale a expressément conclu à la validité du brevet 080. Elle a souscrit aux conclusions du juge Hughes, de la Cour fédérale, selon lesquelles le brevet était valide, la lévofloxacine présentait manifestement un avantage spécial, et le travail de Daiichi constituait plus qu’une simple vérification. Il a été conclu en fin de compte que le brevet n’était pas évident et que les demanderesses en avaient établi l’utilité. (Appel de Novopharm et Procès de Novopharm, précités)

 

[48]           Les demanderesses font valoir qu’un grand nombre des arguments d’Apotex, sinon tous, ont été pris en considération par la Cour lors d’instances antérieures. En particulier, il est évident que cette dernière a déjà examiné la question de savoir si la divulgation du brevet comporte des renseignements suffisants pour étayer la conclusion selon laquelle la lévofloxacine présente un avantage imprévu par rapport aux antériorités. Apotex aura donc de la difficulté à faire valoir qu’elle a un « argument juridique plus valable ». Elle aura aussi de la difficulté à soutenir qu’elle a, sur ce point, de meilleurs éléments de preuve.

 

Les témoins

Les témoins de Janssen

[49]           Janssen a produit l’affidavit de sept témoins experts, qui ont tous été contre-interrogés :

a)         Frank A. Bucci est un ophtalmologue qui se spécialise dans les maladies oculaires et la chirurgie de l’œil. Le Dr Bucci dirige un centre de chirurgie oculaire et a procédé à des milliers d’opérations chirurgicales et d’autres interventions oculaires. Il a aussi donné des conférences, présenté des exposés et publié de nombreux écrits dans le domaine de l’ophtalmologie.

b)         Alexander M. Klibanov est professeur de chimie et de génie biologique au Massachusetts Institute of Technology. Il a fait des recherches, donné des conférences et écrit de nombreuses publications dans le domaine de la synthèse et de l’évaluation des composés optiquement actifs utilisant des enzymes.

c)         Anne Langley est bibliothécaire associée et professeure agrégée adjointe de chimie à la bibliothèque de chimie de l’Université Duke. Elle a une vaste expérience de la recherche de renseignements à l’aide de diverses ressources, et a écrit des livres, des articles et des comptes rendus sur une gamme de sujets liés à la bibliothéconomie et à la science de l’information, y compris les ressources électroniques vues sous l’angle scientifique et technique.

d)         Allan S. Myerson est vice-recteur, vice-président directeur et professeur de génie détenteur de la chaire Philip Danforth Armour à l’Illinois Institute of Technology (Chicago). Il se spécialise dans le domaine de la cristallisation et de la solubilité et il a beaucoup écrit et enseigné dans ce domaine.

e)         John J. Partridge travaille depuis 37 ans dans le domaine de la chimie organique pharmaceutique. Il a une vaste expérience de la découverte et de la mise au point de médicaments anti-infectieux, y compris les antiviraux, les antibactériens tels que les céphalosporines et les fluoroquinolones, ainsi que les antifongiques.

f)          Joseph V. Rodricks est consultant en toxicologie, principalement dans le domaine de l’évaluation des risques pour la sécurité et la santé humaine. Professeur invité à l’Université Johns Hopkins de Baltimore, il donne des cours en toxicologie et en analyse des risques. Il a donné des conférences et a abondamment écrit dans le domaine de la toxicologie.

g)         Mark Philip Wentland est professeur de chimie et de chimie organique à la Rensselaer Polytechnic Institution, à Troy (N.Y.). M. Wentland se spécialise dans les quinolones, une classe de composés à laquelle appartiennent ceux qui sont en litige. Il s’intéressait de près aux quinolones dans les années 1980, période au cours de laquelle l’objet du brevet 080 a été mis au point. Il a travaillé activement dans le domaine des quinolones à titre de chimiste médicinal durant la période en question, soit au début des années 1980.

 

[50]           Janssen a également produit la preuve de six témoins de faits. MM. Furuhama et Hiroyoshi Kinpara sont les deux seuls qui n’ont pas été contre-interrogés :

a)         Isao Hayakawa est l’un des inventeurs dénommés dans le brevet en litige. Il s’est joint à Daiichi en 1969 et, en 1972, s’est lancé dans le domaine de la recherche relative aux anti-infectieux. En 1985, il est devenu chercheur principal et coordonnateur des travaux précliniques concernant la mise au point de produits liés à la lévofloxacine.

b)         Kazuhisa Furuhama travaille comme toxicologue chez Daiichi Pharmaceutical Co. M. Furuhama est le scientifique qui a procédé aux test de dépistage de la toxicité concernant la lévofloxacine, qui est l’objet du brevet canadien no 1 304 080.

c)         Paul Herbert est un associé principal au sein du cabinet d’avocats Riches, McKenzie & Herbert s.r.l., où il exerce dans le domaine de la propriété intellectuelle. Avocat qualifié et agent enregistré de brevets au Canada, il est chargé de la poursuite relative à la demande de brevet canadien portant le numéro de série 512 000, déposé le 19 juin 1986 et délivré le 23 juin 1992 en tant que brevet canadien no 1 304 080.

d)         Michiyuki Kato travaille comme toxicopathologiste chez Daiichi Sankyo Company, Limited. M. Kato travaillait au Centre de recherche sur la sécurité des médicaments de Daiichi Pharmaceutical Co. Ltd. à l’époque où la lévofloxacine a été mise au point, et il connaît bien les tests de dépistage de toxicité concernant la lévofloxacine.

e)         Hiroyoshi Kinpara est gestionnaire du Groupe de supervision et d’exploitation, Service de la propriété intellectuelle de Daiichi Pharmaceutical Co., autrefois appelée Daiichi Seiyaku Co. M. Kinpara était autrefois gestionnaire adjoint du Service juridique de Daïchi Seiyaku Company.

f)          Michael I. Stewart est associé principal du cabinet Sim & McBurney, une société de personnes composée d’agents de brevets et de marques de commerce qui s’occupent de la préparation, du dépôt et de la poursuite de demandes de brevets, de marques de commerce, de dessins industriels, de circuits intégrés et de droits d’auteur au Canada et aux États-Unis d’Amérique. Il est également agent enregistré de brevets au Canada et aux États-Unis, où il a acquis une vaste expérience de l’obtention de brevets dans un vaste éventail de technologies.

 

[51]           Janssen a également produit les affidavits de Fumi Ishikawa et de Phillip Schnell, gestionnaires de TransPerfect Translation, mandatés pour réviser les documents traduits par des linguistes au service de ce cabinet de traduction.

 

Les témoins d’Apotex

[52]           Apotex a produit la preuve de six témoins experts, qui ont tous été contre-interrogés :

a)         Neal Castagnoli est professeur émérite de chimie et titulaire de la chaire Peters à l’Institut polytechnique et à l’Université d’État de la Virginie. Depuis les trente dernières années, l’un des ses principaux intérêts de recherche est l’analyse de la relation entre la structure chimique et l’activité biologique, y compris la toxicité.

b)         Paul Erhardt est le directeur du Center for Drug Design and Development et professeur de chimie médicinale et biologique à l’Université de Toledo. Les recherches que mène M. Erhardt dans le domaine de la chimie médicinale sont axées sur la conception de formulations, de médicaments et de traitements à petites molécules. La preuve de M. Erhardt porte sur la question de savoir si le brevet 080 comporte suffisamment de renseignements pour justifier le choix de la lévofloxacine par rapport à l’ofloxacine, en se fondant sur ses propriétés imprévues.

c)         Richard Kellogg est l’ancien doyen de la Faculté de chimie de l’Université de Groningen, et il exerce actuellement les fonctions de directeur de Syncom BV, une entreprise qu’il a cofondée en 1988 et qui se spécialise dans tous les aspects de la synthèse organique. M. Kellogg a publié de nombreux documents dans le domaine des composés chiraux, de leur synthèse et de leur séparation.

d)         Howard Leibowitz est professeur d’ophtalmologie et titulaire de la chaire Sherwook J. and H. Lerene Tarlow à la Faculté de médecine de l’Université de Boston. M. Leibowitz est un expert reconnu dans le domaine des maladies infectieuses de l’œil et des médicaments oculaires antimicrobiens. La preuve de M. Leibowitz porte sur l’utilisation de l’ofloxacine et de la lévofloxacine dans les traitements ophtalmiques.

e)         Kurt Martin Mislow est professeur émérite de chimie et titulaire de la chaire Hugh Stott Taylor à l’Université de Princeton. Pendant toute sa carrière, le thème principal de ses travaux de recherche a été la mise au point d’une théorie stéréochimique et plus particulièrement l’étude de la chiralité des molécules au sein de divers systèmes organiques, inorganiques et biochimiques, dont les agents pharmaceutiques.

f)          Gerald O.S. Oyen est un associé du cabinet Oyen Wiggs Green & Mutala s.r.l.; il exerce dans le domaine du droit des brevets et d’autres secteurs de la propriété intellectuelle depuis 1967. Sa preuve concerne les questions relatives à l’instruction des demandes de brevet et à la présomption d’abandon.

 

[53]           Apotex a également produit l’affidavit de quatre témoins de faits. M. John F. Gerster est le seul qui a été contre-interrogé.

a)         Ines Ferreira est une employée du cabinet juridique qui emploie les avocats d’Apotex. Son affidavit introduit une copie des documents suivants : l’avis d’allégation d’Apotex Inc.,  les lettres patentes canadiennes no 1 304 080, les annexes A, B et C de l’avis d’allégation, l’avis de demande déposé dans le dossier de la Cour no T‑214-03, daté du 7 février 2003, l’avis de demande déposé dans le dossier de la Cour no T-214-03, daté du 11 février 2005, l’avis de demande déposé dans le dossier de la Cour no T‑1029‑05, daté du 13 juin 2005, les pages 91 et 93 d’un ouvrage intitulé The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Invention, la page 30 de la décision King c. Uhlemann Optical Company, [1950] R.C.É. 142, 10 Fox Pat. C. 24, la liste de brevets concernant la lévofloxacine, obtenue de Santé Canada, ainsi qu’une copie du document de Zbinden, G. et de ses collaborateurs intitulé « Significance of LD50 test for the toxicological evaluation of chemical substance ».

b)         John F. Gerster est un scientifique aujourd’hui à la retraite, qui était au service de 3M Pharmaceuticals (Riker Laboratories). La preuve de M. Gerster est liée à l’exposé qu’il a fait sur son affiche en 1982, à l’occasion du North American Medicinal Chemistry Symposium (Symposium nord-américain de chimie médicinale).

c)         Michele S. Katz est une associée du cabinet Welsh & Katz Ltd. Son affidavit introduit des documents d’un tribunal des États-Unis : la Cour de district du New Jersey et de la Virginie-Occidentale, relativement à l’action civile no 3:02-cv-02794-GEB-JJH et à l’action civile no 1:02-cv-00032-IMK-JSK, inclusivement.

d)         Jordana Richmon est technicienne juridique au cabinet d’avocats qui emploie les avocats d’Apotex. Son affidavit introduit en tant que pièces le rapport relatif à l’action civile no 1:02-cv-00032-IMK-JSK intentée devant la Cour de district des États-Unis, de même qu’une copie du document no 541 lié au rapport sur cette action civile, plus des pièces jointes.

 

[54]           Apotex a également produit les affidavits de Huber, Iida, Liu et Trippany.

a)         Marie-Luise Huber est au service de Babel Translations. Elle est titulaire d’un baccalauréat ès sciences (avec distinction) et est avocate enregistrée en marques de commerce pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Son affidavit introduit la traduction en anglais de la demande de brevet européen EP 0 078 362 A2 et de la demande de brevet allemand DE 3 543 513 A1.

b)         Kazuhiko Iida travaille pour H. IIDA & Co., un bureau d’avocats en brevets agréé situé au Japon. Il a été demandé à Kazuhiko Iida de traduire en anglais les trois demandes de brevet japonais.

c)         Xin Min Liu est au service de Mornginside Translations, après avoir travaillé pour le Service de traduction chinoise des Nations Unies et traduit à la pige pour le compte du Département d’État des États-Unis. Il a été demandé à Xin Min Liu de traduire le document intitulé « Synthesis and Structure Activities Relationship of Levofloxacine Analogues », Acta Pharmaceutica Sinica 34(3).

d)         Jennifer Trippany is est directrice chez LinguaLinx Inc, une agence de traduction à services complets où elle est chargée de coordonner les projets de traduction.

 

Le brevet 080

Les lois d’interprétation

[55]           Un brevet est interprété sous l’angle de la personne versée dans l’art auquel l’invention est liée. La personne versée dans l’art possède le degré ordinaire de connaissances qui est accessoire au secteur d’activité dont il est question. (Consolboard, précité, page 523.)

 

[56]           Personne versée dans l’art : Les demanderesses soutiennent que la personne versée dans l’art dans lequel s’inscrit le brevet 080 connaîtrait bien les principes et la nomenclature de la stéréochimie et saurait que le brevet 080 est axé sur l’invention d’un médicament destiné aux êtres humains.

 

[57]           Dans le Procès de Novopharm, le juge Hughes a conclu qu’« une personne ordinaire versée dans l’art devrait au moins posséder une éducation universitaire de premier cycle ainsi que quelques années d’expérience dans le domaine des composés chimiques et de leurs dérivés optiquement actifs, particulièrement dans le domaine des composés utilisés en médecine ». (Procès de Novopharm, précité, paragraphe 90.)

 

[58]           Cette personne serait bien au fait des principes et de la nomenclature de la stéréochimie et saurait que le brevet 080 est axé sur l’invention d’un médicament destiné aux êtres humains. Le brevet 080 mentionne expressément que la lévofloxacine « devrait constituer un agent pharmaceutique très utile, comparativement au composé (±)- » (Affidavit de Wentland, paragraphe 45, DD, volume 31, onglet 45, page 9866; affidavit de Klibanov, paragraphe 24, DD, volume 12, onglet 7, pages 3403-3404; brevet 080, page 2, In. 9-10; affidavit d’Hayakawa, pièce A, DD, volume 4, onglet 6, page 736.)

 

[59]           Interprétation de la revendication : Les demanderesses ne font valoir que la revendication 4 du brevet 080 à l’encontre d’Apotex en l’espèce. Cela étant, la première tâche de la Cour consiste à interpréter la revendication 4 du brevet 080 sous l’angle du destinataire versé dans l’art.

 

[60]           L’interprétation d’une revendication précède une évaluation de contrefaçon ou de validité. Cette interprétation doit être faite en fonction de l’objet visé, dans le contexte du brevet dans son ensemble, et sans procéder de manière trop littérale. Il convient d’interpréter un brevet comme le ferait une personne moyennement versée dans l’art, dans le but de discerner ce que ses inventeurs envisageaient. Le brevet doit être interprété avec un esprit disposé à comprendre, en tentant de connaître le succès et non en recherchant les difficultés ou en visant l’échec. (Whirlpool, précité; Free World Trust, précité, page 1050.)

 

[61]           Une personne moyennement versée dans l’art effectue cet exercice à la date de publication du brevet. Cet exercice est fait en fonction de l’objet visé et non pas de manière trop littérale, et de façon équitable et raisonnable pour le breveté ainsi que pour le public. L’interprétation des brevets doit être abordée « avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile ». (Free World Trust, précité, paragraphe 54; Whirlpool, précité, pages 1089-1091; Consolboard, précité, page 521; il est également fait référence à Pfizer c. Mayne, précité, aux pages 259-267.)

 

L’interprétation de la revendication 4 du brevet 080

[62]           La revendication 4 du brevet 080 a déjà été interprétée par le juge Hughes, par le juge Mosley dans une instance engagée sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), ainsi que par la juge Irene M. Keeley, dans une action intentée aux États-Unis et mettant en cause le brevet américain no 407, qui est l’équivalent du brevet 080 (et dans lequel la revendication 2 correspond à la revendication 4 du brevet 080). Dans chaque cas, la Cour a considéré que la revendication 4 (ou son équivalent) signifiait la lévofloxacine (ou l’ofloxacine S(-)), d’une manière qui cadrait avec l’interprétation du juge Hughes. (Novopharm, précité, paragraphes 29-31; Ortho-McNeil Pharmaceutical c. Mylan Laboratories, 348 F. Supp. 2d 713 (N.D. W. Va. 2004), page 730.)

 

[63]           L’interprétation des revendications est une question de droit. Dans la récente décision Pfizer c. Novopharm, précitée, au paragraphe 16, le juge Hughes a réitéré qu’une fois que la Cour a interprété un brevet, il est nécessaire d’invoquer de solides arguments pour qu’un tribunal ultérieur arrive à un résultat différent. (Procter & Gamble Pharmaceuticals Canada c. Genpharm, 2004 CF 204, 247 F.T.R. 21, paragraphe 19, conf. par 2004 CAF 393, [2005] 2 R.C.F 269.)

 

[64]           Dans le Procès de Novopharm, le juge Hughes a fait remarquer ce qui suit, à propos de l’interprétation de la revendication 4 :

[94]      […] l’ofloxacine S(-) constitue ce qui est clairement indiqué. Elle est différente de l’ofloxacine dans le mélange racémique (±). La revendication 4 traite du produit obtenu à partir du composé racémique ou au moyen d’un procédé débutant avec un composé intermédiaire plutôt qu’avec de l’ofloxacine. La pureté n’est pas stipulée et n’avait pas besoin de l’être. Le composé S(-) est une substance produite par des techniques supposées donner un composé S(-) raisonnablement pur. On nous dit que le composé S(-) est supposé être un agent antimicrobien utile possédant des propriétés antimicrobiennes plus efficaces que celles du mélange racémique tout en étant moins toxique et nettement plus soluble.

 

[95]      Donc, la revendication 4 pourrait être interprétée comme :

 

L’ofloxacine S(-), différente du produit constituant le racémate, obtenue sous une forme raisonnablement pure.

 

[96]      La revendication ne traite pas des propriétés ou usages médicaux, mais ces renseignements ne sont pas obligatoires. Pour les nouveaux composés, il suffit d’indiquer l’utilité dans le mémoire descriptif; il n’est pas nécessaire d’en faire mention dans la revendication. (Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser (2001), 12 C.P.R. (4th) 204 (C.F.) aux paragraphe 26, conf. par (2006), 21 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.) aux paragraphes 41 à 46, conf. par [2004] 1 R.C.S. 902; Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2006), 43 C.P.R. (4th) 161 (C.F.) au paragraphe 82, conf. par (2006), 46 C.P.R. (4th) 401 (C.A.F.)).

 

[97]      Les questions relatives à la validité, soit l’antériorité, le caractère évident et l’ambiguïté, doivent être analysées en fonction de l’interprétation qui précède. Il faut se rappeler que, en vertu de l’article 45 de l’ancienne Loi sur les brevets, un brevet est réputé valide sauf preuve contraire. Il incombe à la défenderesse de prouver suivant la prépondérance de la preuve et de convaincre la Cour que la revendication 4 est invalide.

 

 

La revendication 4 du brevet 080 englobe la forme semi-hydratée de la lévofloxacine

[65]           En l’espèce, Apotex soutient que dans son produit le principe actif est la [traduction] « forme semi-hydratée de la lévofloxacine » qui, dit-elle, est une substance chimique différente de celle qui se trouve dans la lévofloxacine et qui n’est pas visée par la revendication 4; c’est donc dire que la question de savoir si Apotex contrefait la revendication 4 du brevet 080 dépend entièrement de l’interprétation de cette revendication et, plus précisément, de la question de savoir si cette dernière englobe à la fois la lévofloxacine anhydre et la lévofloxacine semi-hydratée.

 

[66]           Au paragraphe 51 de son affidavit, M. Klibanov indique que [traduction] « une personne moyennement versée dans l’art interpréterait [traduction] « de manière axée sur l’objet visé » la revendication 4 du brevet 080 comme englobant à la fois la lévofloxacine anhydre (exemple 11) et la lévofloxacine semi-hydratée (exemple 7). En d’autres termes, d’après l’inclusion des exemples 11 et 7 dans le brevet 080, une personne moyennement versée dans l’art comprendrait clairement l’intention des inventeurs, à savoir que la revendication 4 engloberait à la fois la lévofloxacine anhydre et la lévofloxacine semi-hydratée ». Par conséquent, a-t-il expliqué, la lévofloxacine semi-hydratée est visée par la revendication 4 du brevet 080 et, de ce fait, les comprimés que propose Apotex contreferont ces revendications. La revendication 4 ne se limite pas à une forme hydratée ou non hydratée. La principale divulgation du brevet 080 fait explicitement état de la production de lévofloxacine semi-hydratée à l’exemple 7. (Affidavit de Klibanov, paragraphes 43-51, 58-63, DD, volume 12, onglet 17, pages 3411-3413, 3415-3416.)

 

[67]           Comme le signale M. Klibanov en outre dans son affidavit, Apotex reconnaît explicitement dans son AA que l’exemple 7 porte sur la lévofloxacine semi-hydratée :

[traduction

L’exemple 7 de la demande de brevet européen no 206 283 A2 décrit la préparation et la caractérisation de la lévofloxacine semi-hydratée.

 

 

La demande de brevet européen no 206 283 A2 (la DBE 283) est l’équivalent étranger du brevet 080 (c’est-à-dire qu’ils partagent tous deux le même document de priorité). Par ailleurs, dans la DBE 283, l’exemple 7 est identique à l’exemple 7 qui figure dans le brevet 080; les deux sont tirés d’un exemple donné dans la première demande de priorité japonaise. (Affidavit de Klibanov, paragraphe 50, DD, volume 12, onglet 17, page 3413; AA, page 8; affidavit de Klibanov, pièce B, DD, volume 12, onglet 17, page 3496; affidavit de Klibanov, pièce F, pages 2-3, DD, volume 12, onglet 1,7, pages 3712-3713.)

 

[68]           La Cour conclut que la revendication 4 englobe la lévofloxacine sous sa forme anhydre et sous sa forme semi-hydratée. Cela est étayé par la divulgation du brevet 080, y compris les exemples donnés. L’exemple 7 fait état de la lévofloxacine semi-hydratée, tandis que l’exemple 6 fait état de la lévofloxacine anhydre. Les descriptions données dans les titres des exemples 6, 7 et 16 correspondent à la nomenclature et au nom chimique du composé nommé dans la revendication 4. La revendication 17 inclut la forme semi-hydratée de tous les composés de la revendication 2, dont la lévofloxacine. On considérerait donc dans ce contexte que la revendication 4 - la revendication de composé relative à la lévofloxacine - inclurait la forme semi-hydratée. (Affidavit de Klibanov, paragraphes 48-51, DD, volume 12, onglet 17, pages 3412-3413; contre-interrogatoire de Castagnoli, questions 401-403, DD, volume 34, onglet 51, page 10799; Novopharm, précité, paragraphes 128-129.)

 

[69]           Après avoir examiné avec soin les éléments de preuve présentés par MM. Klibanov et Richard M. Kellogg au moment d’interpréter la revendication 4 comme ils l’ont fait, la Cour conclut qu’Apotex n’a pas considéré de manière sérieuse la revendication faite dans le brevet 080 et que, même si elle en a pris acte, elle en a fait abstraction à toutes fins pratiques dans son interprétation de la revendication.

 

[70]           Compte tenu de la décision du juge Hughes et de l’accord ultérieur à l’égard de cette décision qui est exprimé dans le jugement de la Cour d’appel fédérale, présidé par la juge Karen Sharlow, la revendication 4 est considérée comme n’imposant aucune limite à la question de savoir si le composé est hydraté et à quel degré :

L’ofloxacine S(-), différente du produit constituant le racémate, obtenue sous une forme raisonnablement pure.

 

 

B. L’allégation de contrefaçon d’Apotex est-elle justifiée?

La contrefaçon du brevet 080

Les principes juridiques applicables

[71]           « Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel de l’appareil en cause est différent ou omis, mais il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.  Pour qu’un élément soit jugé non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir que, suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que, à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué ou omis sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention ». (Free World Trust, précité.)

 

Application aux faits de l’espèce

Le mémoire descriptif du brevet 080 est suffisant

[72]           Apotex allègue que les revendications 2, 4, 6, 7, 8, 9, 12, 13, 14, 15, 16, 18 et 19 n’englobent pas le composé qu’est la lévofloxacine semi-hydratée – le principe actif contenu dans les comprimés d’Apotex. En outre, elle soutient que la lévofloxacine semi-hydratée est une substance chimique différente de la lévofloxacine. (AA, page 3495, DD.)

 

[73]           Elle soutient de plus, en ce qui concerne la revendication 2, que cette dernière n’englobe pas les sels et les hydrates de la classe de composés que définit la formule générale (VI). De plus, la divulgation principale ne fait pas état de sels ou d’hydrates de la classe de composés que définit la formule générale (VI). Cela étant, la revendication 2 et n’importe quelle revendication qui en dépend, soit les revendications 7, 8 et 9, n’englobent pas le composé que constitue la lévofloxacine semi-hydratée. (AA, page 3495, DD.)

 

[74]           Apotex allègue que la revendication 4 vise le composé spécifique que constitue la lévofloxacine, qui n’englobe pas ses formes hydratées, dont la forme semi-hydratée, ou ses formes de sel. À l’appui de cette interprétation, Apotex se fonde sur la décision qu’a rendue le juge Mosley dans Novopharm, précité, où la revendication 4 n’a pas été considérée comme englobant la lévofloxacine semi-hydratée. (AA, page 3495, DD.)

 

[75]           Cependant, Apotex admet bel et bien dans son AA que le principe actif présent dans ses comprimés est la lévofloxacine semi-hydratée. L’allégation de non-contrefaçon d’Apotex repose donc uniquement sur son argument selon lequel la forme semi-hydratée de la lévofloxacine n’est pas visée par les revendications du brevet 080. (AA, pages 2 et 7, Klibanov, pièce B, DD, volume 12, onglet 17, pages 3490-3495.)

 

[76]           M. Kellogg a reconnu que si la Cour est d’avis que les revendications 2 et 4 englobent la lévofloxacine semi-hydratée, cela signifie qu’Apotex les contrefera. Il s’agit là du seul fondement de l’allégation de non-contrefaçon d’Apotex; par conséquent, si la Cour souscrit à l’interprétation que proposent les demanderesses au sujet de la revendication 4, l’allégation de non-contrefaçon d’Apotex est injustifiable. (Contre-interrogatoire de Kellogg, questions 204 et 210, DD, volume 47, onglet 70, page 15203.)

 

[77]           Les experts d’Apotex ont mal interprété, de diverses façons, la revendication 4 : ils ont conclu à tort que cette dernière n’englobait pas la lévofloxacine semi-hydratée. Neil Castagnoli l’a fait, car seule la revendication 17 comporte le mot « hydraté »; M. Erhardt a considéré que les formes hydratées ne sont pas importantes car seule une seule revendication (la revendication 17) mentionne expressément cette forme; M. Kellogg l’a fait aussi, car des revendications autres que la revendication 17 – et la revendication 2 en est un exemple – ne mentionnent pas expressément la forme hydratée et, par conséquent, sans tenir compte de la divulgation. (Contre-interrogatoire de Castagnoli, questions 661-662, DD, volume 34, onglet 51, page 10816; affidavit d’Erhardt, paragraphes 36-37, DD, volume 34, onglet 52, page 10861; contre-interrogatoire de Kellogg, questions 195-200, DD, volume 47, onglet 70, page 15202.)

 

[78]           Une situation semblable est survenue dans l’affaire Pfizer Canada c. Pharmascience, 2008 CF 500, [2008] A.C.F. no 630 (QL) (Pfizer c. Pharmascience), aux paragraphes 11 et 17, où il est question d’un composé appelé « bésylate d’amlodipine ». La question de savoir si Apotex avait contrefait les revendications 11, 12 et 13 du brevet en litige dépendait de l’interprétation que l’on faisait de ces dernières, et, en particulier, du fait de savoir si elles englobaient les formes hydratées d’un sel appelé « bésylate d’amlodipine ». Le juge Hughes a conclu ce qui suit :

[14]      En l’espèce, les revendications nos 11, 12 et 13 représentent celles qui sont en litige :

 

11.              Le bésylate, un sel de l’amlodipine.

 

12.              Une composition pharmaceutique utilisée comme agent anti-ischémique ou anti-hypertensif, comprenant une quantité thérapeutiquement efficace de bésylate d’amlodipine, de pair avec un diluant ou un vecteur pharmaceutiquement acceptable.

 

13.              Une formulation de comprimés utilisée comme agent anti-ischémique ou anti-hypertensif, comprenant une quantité thérapeutiquement efficace de bésylte d’amlodipine, mélangée à des excipients.

 

[15]      Ces revendications sont simples et claires à première vue et elles n’ont pas besoin d’analyse supplémentaire, sauf pour un point qu’a soulevé Pharmascience, celui de l’hydratation.

 

[…]

 

[17]      Les revendications, illustrées par les nos 11, 12 et 13 et tous les autres, n’indiquent pas si le bésylate d'amlodipine existe sous la forme d’un anhydre, d’un monohydrate ou d’un autre hydrate. Le mémoire descriptif n’est d’aucune utilité. L’expert de Pfizer, M. McGinity, aux pages 69 et 70 de son contre-interrogatoire, a déclaré qu’à son avis toutes les formes de bésylate d'amlodipine seraient incluses. J’arrive moi aussi à la même conclusion : toutes les formes de bésylate d’amlodipine, anhydres et hydratées, sont incluses dans les revendications.

 

 

[79]           Dans le même ordre d’idées, l’interprétation que proposent les témoins d’Apotex en l’espèce, à savoir que la revendication 4 n’englobe pas la lévofloxacine semi-hydratée – amène à conclure que le brevet 080 enseigne expressément à une personne versée dans l’art de quelle façon contrefaire la revendication 4 en faisant état explicitement, au moyen de l’exemple 7, d’un procédé de fabrication de la lévofloxacine semi-hydratée. Pour reprendre les propos du juge Marc Nadon, [traduction] « [o]n ne peut prétendre que cette opinion cherche à concrétiser l’intention de l’inventeur, ni que c’est une interprétation émanant d’un esprit désireux de comprendre et de réussir ». (Pfizer c. Apotex, précité.)

 

[80]           La défense Gillette : Comme moyen de défense subsidiaire, Apotex invoque ce que l’on appelle la « défense Gillette », qui a été énoncée dans la décision du même nom et dont la formulation classique est la suivante :

[traduction
[…] La défense selon laquelle « la contrefaçon alléguée n’était pas nouvelle à la date des lettres patentes de la partie demanderesse » est un moyen de défense valable en droit, et elle permettrait parfois de contourner le temps et le coût considérables qu’occasionnent les affaires de brevets si la partie défenderesse pouvait et voulait faire valoir sa cause sous cette forme et s’éviter ainsi la difficulté d’avoir à démontrer sur lequel des deux côtés du dilemme bien connu la partie demanderesse s’est enfoncée : l’invalidité ou l’absence de contrefaçon.

 

(Gillette Safety Razor Company c. Anglo-American Trading Company Ltd. (1913), 30 R.P.C. 465, pages 480 et 481 (C.L.).)

 

[81]           Sur ce fondement, Apotex soutient que, s’il fallait interpréter le brevet de manière aussi large, c’est-à-dire de façon à englober la lévofloxacine semi-hydratée, il serait invalide car non seulement le brevet 840 divulguait la lévofloxacine mais il avait déjà révélé que ses composés présentaient [traduction] « une activité antibactérienne de meilleure qualité [et] une faible toxicité ». En outre, le brevet 840 avait révélé que les composés de son invention comportaient un degré élevé de solubilité dans l’eau (hydrosulubilité), car ces composés pouvaient être administrés par injection.

 

[82]           Dans le Procès de Novopharm, le juge Hughes a conclu que le brevet 840 ne contenait aucune indication que les énantiomères de l’ofloxacine seraient plus actifs que le racémate, pas plus qu’il n’indiquait au lecteur de quelle façon effectuer la séparation ou la production d’un énantiomère. (Procès de Novopharm, précité, ainsi qu’il est décrit paragraphe 104.)

 

Conclusion

[83]           La Cour conclut que les comprimés de 250 mg, de 500 mg et de 750 mg d’Apotex contreferaient le brevet 080 de Janssen.

 

C. Les allégations d’invalidité d’Apotex sont-elles justifiées?

[84]           Apotex soutient que, dans le brevet 080, les demanderesses n’ont pas fait état d’une propriété nouvelle qui ne serait pas déjà connue ou divulguée dans les antériorités, compte tenu surtout du brevet 840. Les demanderesses, ajoute-t-elle, ont simplement répété les mêmes tests dans le but de vérifier les propriétés prévues de la lévofloxacine. (Affidavit d’Erhardt, paragraphe 92, DD, volume 34, onglet 52, page 10876; affidavit de Castagnoli, paragraphe 124, DD, volume 33, onglet 49, page 10633.)

 

[85]           Les demanderesses font valoir que l’invention du brevet 080 est [traduction] « l’énantiomère S(-) de l’ofloxacine et ses analogues présentant une excellente activité antimicrobienne », tout en affirmant que ce brevet vise la combinaison d’une activité supérieure, d’une toxicité inférieure et d’une solubilité accrue de la lévofloxacine.

 

[86]           Pour répondre à l’argument d’Apotex concernant le brevet de sélection, il est important de signaler que M. Klibanov en a traité dans son affidavit :

[traduction

94.       […] Rien n’indique dans le brevet 080 qu’il s’agit d’un brevet de sélection. Il semble donc ne s’agir de rien de plus qu’une catégorisation, par Apotex, du brevet 080.

 

95.       Les avocats des demanderesses m’ont informé qu’un brevet de sélection présume qu’il existe une divulgation habilitante et antérieure d’une famille de composés et que le brevet de sélection est lié à une sélection d’un sous‑groupe de la famille. Comme il a été mentionné plus tôt, le brevet 080 ne permettrait pas à une personne moyennement versée dans l’art d’extraire directement ou d’isoler d’une autre façon l’un ou l’autre des énantiomères à partir de l’ofloxacine. Je suis donc d’avis que le brevet 840 ne constitue pas une divulgation habilitante de l’énantiomère S(-) de l’ofloxacine. Dans les circonstances, le brevet 080 n’est pas un brevet de sélection et tous les énoncés que l’on peut lire aux pages 20 et 21 de l’AA au sujet des brevets de sélection sont dénués de fondement.

 

(Affidavit de Klibanov, paragraphes 94-95, DD, volume 12, page 3430.)

 

i) L’antériorité

[87]           Apotex allègue que chacune des revendications du brevet 080 est antériorisée par la divulgation antérieure de l’ofloxacine. Le juge Hughes a rejeté un argument semblable dans le Procès de Novopharm et cela a été confirmé par la Cour d’appel fédérale. Apotex fonde cette affirmation uniquement sur le brevet 840. La date pertinente, pour ce qui est d’évaluer l’antériorité, est le 19 juin 1984, soit deux ans avant la date de dépôt au Canada. (AA, page 31; affidavit de Klibanov, pièce B, DD, volume 12, onglet 17, page 3519; Loi sur les brevets, paragraphe 27(1), Procès de Novopharm, précité, paragraphe 108.)

 

Les principes juridiques applicables

La divulgation antérieure présumée doit, à elle seule, donner des indications qui mèneraient inévitablement à l’invention revendiquée

 

[88]           La Loi sur les brevets exige qu’une invention soit nouvelle. Une revendication de brevet ne satisfait pas au critère de la nouveauté si son objet a été divulgué au public avant la date de la revendication et si la personne versée dans l’art était capable d’interpréter l’invention en se fondant sur la divulgation et sur ce qui était, à l’époque, les connaissances usuelles.

(Loi sur les brevets, paragraphe 2, alinéa 28.2(l)b); General Tire & Rubber c. Firestone Tyre and Rubber, [1972] R.P.C. 457; Reeves Brothers c. Toronto Quilting & Embroidery-Ltd. (1979), 43 C.P.R. (2d) 145, [1979] A.C.W.S. 79 (C.F. 1re inst.); Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 64 N.R. 287, 8 C.P.R. (3d) 289, page 297 (C.A.F.); Free World Trust, précité, paragraphe 26; Novartis AG et Novartis Pharmaceuticals Canada c. Apotex, 2001 CFPI 1129, 212 F.T.R. 161, paragraphes 109-111; Smithkline Beecham Pharma c. Apotex (1re inst.), [2001] CFPI 770, 208 F.T.R. 105, paragraphes 7 et 34, conf. par 2002 CAF 216, [2003] 1 C.F. 118, paragraphes 3, 4, 11-14, 17 et 19-21; Pfizer Canada c. Apotex, 2002 CFPI 1138, 225 F.T.R. 1, paragraphes 146-160 [Pfizer c. Apotex (2002)]; Synthon BV c. Smithkline Beecham, [2005] UKHL 59, [2006] 1 All ER 685, paragraphes 14-17, 19-33 et 48-49; Abbott Laboratories c. Ratiopharm, 2006 CAF 187, 350 N.R. 242, paragraphes 18-26 (Abbott c. Ratiopharm); Calgon Carbon Corporation c. North Bay (Ville de), 2006 CF 1373, 304 F.T.R. 1, paragraphes 115-126; Abbott Laboratories c. Apotex, 2007 CAF 153, 361 N.R. 308, paragraphes 14-22 (Abbott c. Apotex (2007)]; Ranbaxy UK Limited c. Warner-Lambert Company, [2005] EWHC 2142 (Pat), conf. par [2006] EWCA Civ. 876 (C.A); Eli Lilly Canada c. Apotex, 2008 CF 142, 63 C.P.R. (4th) 406, paragraphes 127-129 (Eli Lilly (2008)); King c. Uhlemann, précité, conf. par [1952] 1 R.C.S. 143; Jamb Sets Ltd. c. Carlton, [1964] R.C.É. 377, (1965), 42 C.P.R. 65, paragraphes 47-50 (R.C.É.), conf. par (1965), 46 C.P.R 192 (C.S.C.); Xerox of Canada Ltd. c. IBM Canada Ltée. (1977), 33 C.P.R. (2d) 24, [1977] 2 A.C.W.S. 387, paragraphe 68 (C.F. 1re inst.).)

 

[89]           Si le fait de mettre en pratique un aspect quelconque du document antérieur contrefaisait la revendication contestée, il y aurait antériorité.

(Pfizer c. Apotex (2002), précité; Abbott c. Ratiopharm, précité; Abbott Laboratories c. Apotex, 2007 CF 753, 315 F.T.R. 169, paragraphes 20-23; Abbott c. Apotex (2007), précité; Astrazeneca AB c. Apotex, 2007 CF 688, 60 C.P.R (4th) 199, paragraphes 34, 50-53, 82-83 et 87; Eli Lilly (2008), précité, paragraphes 135-149; Bristol-Myers Squibb Co. c. Ben Venue Labs (2001), 246 F.3d 1368, page 1378; Synthon BV, précité, paragraphes 19-33.)

 

[90]           Il n’est pas obligatoire qu’un document antérieur ne divulgue que l’invention en question, et seule cette invention-là. Dans le domaine de la chimie, un groupe de composés chimiques peut être décrit séparément, ou en se référant à une formule générale ainsi qu’aux substitutions autorisées.

(Eli Lilly Canada c. Apotex, 2007 CF 455, 311 F.T.R. 21, page 304 (Eli Lilly c. Apotex (2007)); Synthon BV, précité, paragraphes 14, 19-37; E.I. Du Pont Nemours & Co. Application, [1982] F.S.R. 303, page 310 (C.L.); Abbott c. Ratiopharm, précité, paragraphes 24-25; Calgon Carbon, précité.)

 

 

[91]           Dans l’arrêt Free World Trust, précité, la Cour suprême du Canada décrit le critère de l’antériorité que l’on applique au Canada :

[26]      Les intimés ont appris l’existence de l’article de Solov'eva en prenant connaissance du mémoire descriptif du brevet 361, l’appelante en faisant mention à titre d’antériorité. La question qui se pose sur le plan juridique est de savoir si cet article renferme suffisamment d’information pour permettre à une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre, sans avoir accès aux deux brevets, [traduction] «la nature de l’invention et de la rendre utilisable en pratique, sans l’aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d’ordre technique» (H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4éd. 1969), aux pp. 126 et 127). En d’autres mots, les renseignements donnés par Solov'eva étaient‑ils, «en termes d’utilité pratique, les mêmes que ceux que donnent les brevets contestés»? (Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, le juge Dickson, à la p. 534), ou, pour reprendre l’exposé mémorable fait dans General Tire & Rubber Co. c. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A. Angl.), à la p. 486 :

 

            [traduction] Aussi clair qu’il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l’invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l’inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté.

 

Il est donc difficile de satisfaire au critère applicable en matière d’antériorité :

 

            Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

 

            (Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), le juge Hugessen, à la p. 297)

 

 

[92]           L’antériorité comporte donc deux exigences : la divulgation et la mise à la disposition des moyens nécessaires. L’évaluation de la « mise à la disposition des moyens nécessaires » permet au destinataire versé dans l’art de recourir aux connaissances générales usuelles et à l’expérimentation ordinaire, ce qui inclut le fait de « procéder par tâtonnements pour réaliser l’invention ». « [L]a personne versée dans l’art peut corriger des erreurs évidentes et réaliser l’invention en recourant aux connaissances générales courantes et aux techniques ordinaires. »

(Eli Lilly c. Apotex (2007), précité, paragraphe 255, conf. par 2008 CAF 44, [2008] A.C.F. no 200 (QL); Synthon BV, précité, paragraphes 14, 30-31, 38, 42 et 64.)

 

[93]           Apotex allègue qu’au vu de ce que savait à l’époque la personne versée dans l’art au sujet des moyens connus de séparer les racémates en énantiomères, ainsi qu’au vu de l’affiche Gerster publiée en 1985, le brevet 840 devrait aider la Cour à tirer une conclusion d’antériorité. Parallèlement, dans le Procès de Novopharm, Novopharm a fait valoir qu’à la lumière de ces enseignements, il fallait qu’une analyse d’antériorité repose sur le brevet 840. Le juge Hughes a rejeté cette prétention, se fondant sur l’arrêt Free World Trust, précité, de la Cour suprême du Canada :

[107]    De l’avis de la défenderesse, l’énoncé [traduction] « uniquement grâce à une habileté d’ordre technique » et l’extrait « production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif » signifient que si une personne ordinaire versée dans l’art pouvait appliquer à la publication les connaissances actuelles et les techniques courantes à jour et qu’il en résultait l’invention revendiquée, il y aurait antériorité. Il ne s’agit pas là de l’interprétation correcte du critère de l’antériorité formulé par la Cour suprême du Canada.

 

[108]    Le critère établi par la Cour suprême exige que l’inventeur préalable ait pris possession très précisément de l’invention revendiquée « en y laissant sa marque » et que les instructions contenues pour y parvenir soient d’une clarté telle qu’une personne ordinaire au fait de l’art arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Ni le brevet 840 ni la publication de Daiichi ne laissent une telle « marque » ni ne donnent de telles instructions. Il n’y a pas d’antériorité au regard de l’objet de la revendication 4 du brevet. [Non souligné dans l’original.]

 

 

(AA, page 31; affidavit de Klibanov, pièce B, DD, volume 12, onglet 17, page 3519; il est fait également référence à l’arrêt Free World Trust, précité, paragraphes 25-26, Beloit, précité, paragraphe 297, General Tire, précité.)

 

[94]           La Cour d’appel fédérale a souligné que l’antériorité est un critère auquel il est difficile de satisfaire. Dans un arrêt récent, Pfizer c. Ranbaxy, il était question d’un brevet relatif à un médicament appelé atorvastatine calcique (Lipitor). L’atorvastatine est un énantiomère. En concluant que le brevet relatif à l’énantiomère n’était pas antériorisé par la divulgation antérieure du racémate, le juge Nadon a déclaré ce qui suit :

[83]      À mon avis, l’allégation d’antériorité n’est pas justifiée. La revendication d’un composé chimique particulier ne peut avoir été anticipée par une antériorité citée qui porte seulement sur une vaste classe de genre de composés à laquelle appartient le composé  en cause, parce que cette antériorité ne donne pas de directives menant infailliblement au composé particulier (voir Sanofi‑Synthelab Canada Inc. et al. c. Apotex Inc. et al. (2005), 39 C.P.R. (4th) 202, au paragraphe 55, confirmé, 2006 CAF 421, paragraphes 25 à 27; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., [1997] A.C.F. no 1087 (Q.L.), 77 C.P.R. (3d) 547 (1re inst.); Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 214, [2006] A.C.F. no 894 (Q.L.)). […]

 

(Pfizer Canada et Warner-Lambert Company c. Ranbaxy Laboratories Limited, 2008 CAF 108, [2008] A.C.F. no 496, paragraphes 81-83 (QL) (Pfizer c. Ranbaxy).)

 

[95]           La Cour d’appel fédérale est arrivée à une conclusion analogue dans une affaire portant sur un médicament appelé « clopidogrel » (Plavix). Le brevet en litige revendiquait un énantiomère. Même si le racémate avait été divulgué auparavant, le brevet constituant antériorité « ne menait pas explicitement à l’invention revendiquée. Le procédé divulgué ne permettait d’aboutir qu’à un racémate […] ». (Sanofi-Synthelabo Canada c. Apotex, 2005 CF 390, 271 F.T.R. 159, paragraphe 28 (Sanofi-Synthelabo c. Apotex), conf. par 2006 CAF 421, 282 D.L.R. (4th) 179, affaire instruite par la CSC en avril 2008 et décision prise en délibéré.)

 

[96]           Dans l’arrêt Pfizer c. Ratiopharm, la Cour d’appel fédérale a examiné si le bésylate d’amlodipine était précédé d’une demande de brevet européen antérieure qui divulguait l’existence de l’amlodipine et de ses sels pharmaceutiquement acceptables (dont le bésylate). La Cour a souscrit à l’avis du juge des demandes et conclu qu’il n’y avait pas d’antériorité au brevet en litige :

[36]      Il s’agit d’un critère exigeant. Le juge de première instance a estimé qu’une personne versée dans l’art ne saurait pas pourquoi le bésylate s’impose comme l’un des premiers choix, ignorerait s’il forme un sel à l’état solide et ne connaîtrait pas les propriétés particulières du bésylate ou l’avantage qu’elles constituent pour des préparations pharmaceutiques. Il a donc conclu qu’elle n’arriverait pas infailliblement à l’invention revendiquée […]

 

(Pfizer c. Ratiopharm, précité, paragraphes 34-36.)

 

Application aux faits de l’espèce

 

Le brevet 840

 

Le brevet 840 ne donne pas d’indications permettant de produire la lévofloxacine

[97]           Dans son AA, Apotex allègue que chacune des revendications du brevet 080 qui sont en litige fait l’objet d’une antériorité, ayant été décrites dans le brevet canadien no 1 167 840, plus de deux ans avant le dépôt du brevet 080.

 

[98]           Apotex soutient de plus qu’en divulguant l’ofloxacine, le brevet 840 fait forcément état de ses énantiomères, dont la lévofloxacine.

(Procès de Novopham, précité, paragraphe 33, conf. par Appel de Novopharm, paragraphe 10; Novopharm, précité, paragraphes 97-98; Merrel Dow Pharmaceuticals c. H.N. Norton, [1996] R.P.C. 76, aux pages 89-90 (C.L.); affidavit de Castagnoli, paragraphe 50, DD, volume 33, onglet 49, pages 10613-10614; affidavit de Klibanov, paragraphe 69, DD, volume 12, onglet 17, page 3418; affidavit de Mislow, paragraphe 24, DD, volume 48, onglet 77, pages 15695-15696.)

 

[99]           Les demanderesses soutiennent que le brevet 840 divulgue et revendique la forme racémique de l’ofloxacine. Il ne divulgue pas l’énantiomère S(-) (la lévofloxacine), ses propriétés supérieures imprévues ou un procédé permettant de produire la lévofloxacine. Les procédés de production dont fait état le brevet 840 mènent nécessairement à un seul produit : le racémate (l’ofloxacine). Une personne versée dans l’art qui suivrait les indications du brevet 840 serait capable de produire le racémate, mais pas un énantiomère. (Affidavit de Klibanov, paragraphes 69-74, DD, volume 12, onglet 17, pages 3418-3421.)

 

[100]       Dans le brevet 840, il n’est pas fait mention de stéréochimie, mais d’un composé racémique : l’ofloxacine. Il est nécessaire de recourir à des techniques chimiques complexes pour séparer (c’est-à-dire résoudre) l’ofloxacine en ses énantiomères, et il est impossible de séparer manuellement l’ofloxacine en ses énantiomères S(-) et R(+). Le brevet 080 indique que la lévofloxacine n’est pas produite à partir de la forme racémique de l’ofloxacine, mais toujours d’une forme intermédiaire. Une personne versée dans l’art qui suivrait les indications du brevet 840 et produirait la forme racémique de l’ofloxacine serait allée trop loin et ne pourrait pas obtenir de la lévofloxacine. M. Kellogg, témoin pour Apotex, a convenu que le brevet 840 ne traite que des racémates. À son avis, d’après le brevet 840, une personne versée dans l’art tenterait de résoudre directement l’ofloxacine, plutôt que d’utiliser des composés intermédiaires. Les inventeurs ont fait de tels test, mais ces derniers ont été infructueux. (Affidavit de Klibanov, paragraphes 69-74, DD, volume 12, onglet 17, pages 3418-3421; contre-interrogatoire de Kellogg, questions 250-251, 295-297, DD, volume 47, onglet 70, pages 15205-15206 et 15208.)

 

[101]       En contre-interrogatoire, M. Kellogg a convenu que le brevet 840 fait uniquement état de procédés permettant de produire le racémate, et que les détails relatifs à la synthèse d’un racémate ne permettent pas de produire un énantiomère à l’état pur. Il a reconnu aussi qu’il n’y avait dans le brevet 840 aucune instruction qui amènerait une personne versée dans l’art à produire les énantiomères. (Contre-interrogatoire de Kellogg, questions 234-238, 241-244, 252-254 et 258-266, DD, volume 47, onglet 70, pages 15204-15206.)

 

[102]       Les demanderesses soutiennent que, lorsqu’il est question d’antériorité, on ne peut « appliquer » au brevet 840 les techniques et les compétences du jour; cependant, même s’il est permis dans une analyse d’antériorité de se fonder sur les connaissances générales usuelles quant à la manière de résoudre les énantiomères, il n’existait aucune technique ordinaire en 1984 (ou en 1985, quant à cela) qui aurait permis à une personne versée dans l’art de résoudre l’ofloxacine en ses énantiomères. Il existait des techniques qui permettaient de séparer les énantiomères de façon générale, mais elles n’offraient aucune garantie qu’il était possible d’obtenir un énantiomère sensiblement pur sur le plan optique d’un nouveau racémate lui-même, voire un énantiomère sensiblement pur sur le plan optique d’un intermédiaire. M. Kellogg a reconnu qu’il n’avait relevé dans aucune publication antérieure les trois procédés divulgués dans le brevet 080 pour produire la lévofloxacine (procédés A, B et C). Il a même fallu quatre ans aux inventeurs de Daiichi pour obtenir la lévofloxacine après avoir appliqué pour la première fois ces techniques reconnues. (Contre-interrogatoire de Kellogg, questions 258.-266, DD, volume 47, onglet 70, page 15206; affidavit d’Hayakawa, paragraphe 37, DD, volume 4, onglet 6, pages 718-719; affidavit de Klibanov, paragraphes 83, 90-91 et 98, DD, volume 12, onglet 17, pages 3425-3426, 3429 et 3431.)

 

Conclusion

[103]       Dans le Procès de Novopharm, le juge Hughes est arrivé à la conclusion suivante : 

[104]    Ni le brevet 840, ni le document publié ne contiennent d’indication relative à une activité plus puissante de l’isomère optique de l’ofloxacine par rapport au racémate et ils n’instruisent pas non plus le lecteur sur la façon d’effectuer la séparation ou la production [d’un isomère optique].

 

[…]

 

[108]    Le critère établi par la Cour suprême exige que l’inventeur préalable ait pris possession très précisément de l’invention revendiquée « en y laissant sa marque » et que les instructions contenues pour y parvenir soient d’une clarté telle qu’une personne ordinaire au fait de l’art arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Ni le brevet 840 ni la publication de Daiichi ne laissent une telle « marque » ni ne donnent de telles instructions. Il n’y a pas d’antériorité au regard de l’objet de la revendication 4 du brevet.

 

[104]       Apotex n’a fourni à la Cour aucune preuve qui justifierait que l’on s’écarte de la décision du juge Hughes sur cette question. Il n’y a donc pas d’antériorité au regard de l’objet de la revendication 4 du brevet 080.

 

ii) L’évidence

Les principes juridiques applicables

[105]       Pour évaluer la question de l’évidence, la Cour se doit de prendre en considération la prétendue invention, en gardant à l’esprit que la personne versée dans l’art n’est pas un nullard  mais plutôt un parangon de déduction et de dextérité. Le critère de l’évidence vise à faire la distinction entre une étincelle inventive et le triomphe de la méthode.

(Loi sur les brevets, articles 2 et 3; Novopharm, précité, paragraphes 34-39 et 45-46; Glaxosmithkline et Smithkline Beecham Corporation c. Pharmascience, 2003 CF 899, 237 F.T.R. 218, paragraphes 44-45; Apotex c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 145 F.T.R. 161, 79 C.P.R. (3d) 193, pages 243 et 269 (C.F. 1re inst.), conf. par [2001] 1 C.F. 495, 262 N.R. 137 (C.A.F.), conf. par 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153 (Apotex c. Wellcome Foundation); Windsurfing Int’l c. Trilantic Corp. (1986), 63 N.R. 218, 8 C.P.R. (3d) 241, page 256 (C.A.F.); Novartis AG c. Apotex (2001), 15 CFPI 1129, 212 F.T.R. 161, paragraphes 144-180; Wellcome Foundation Ltd. c. Novopharm Ltd. (1998), 151 F.T.R. 47, 82 C.P.R. (3d) 129, paragraphes 87-93 (C.F. 1re inst.); conf. par (2000), 253 N.R. 297, 7 C.P.R. (4th) 330 (C.A.F.); Beecham Canada Ltd. c. Procter & Gamble (1982), 40 N.R. 313, 61 C.P.R (2d) 1 (C.A.F.); Beloit, précité; Apotex c. Syntex Pharmaceutical International Ltd. (1999), 176 F.T.R. 142, 2 C.P.R. (4th) 368, paragraphes 38-39 (C.F.); Pfizer c. Apotex (2002), précité; Sharp et Dohme c. Boots Pure Drug Co. Ltd. (1928), 45 R.P.C. 153, page 173 (C.A.); Leithiser c. Pengo Hydra-Pull of Canada Ltd., [1974] 2 C.F. 954, 6 N.R. 301, page 115 (C.A.); Apotex c. Hoffman La-Roche Ltd. (1987), 11 F.T.R. 161, 15 C.P.R. (3d) 217, aux pages 231-232 (C.F. 1re inst.); conf. par (1989), 99 N.R. 198, 24 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.); Loi sur les brevets, article 28.3; Whirlpool, précité.)

 

[106]       Le critère classique de l’évidence a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Beloit, précité :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

 

 

[107]       La Cour suprême du Canada a mis en garde contre le fait de placer trop haut la barre de l’ingéniosité inventive. Dans l’arrêt Halocarbon, précité, la revendication en litige englobait un procédé concernant la production d’isohalothane, dont l’aspect inventif consistait à faire réagir un monomère dans une phase liquide plutôt que dans une phase gazeuse. La Cour d’appel fédérale a conclu que la revendication était invalide pour cause d’évidence, ajoutant : « Je ne me hasarderais pas à définir l’exigence relative à l’“esprit inventif” mais, il me semble que la revendication en l’espèce ne satisfait pas à cette exigence puisque l’“état de la technique” révélait l’existence d’un procédé de fabrication que le prétendu inventeur n’a que vérifié si ce procédé pouvait être expérimenté avec succès. » La Cour suprême du Canada a exprimé son désaccord et a jugé que la revendication était valide, concluant à cet égard :

A mon avis, cet énoncé de l’exigence relative à l’esprit inventif va trop loin. Très peu d’inventions sont des découvertes imprévues. En pratique, tous les travaux de recherches suivent l’orientation donnée par l’état de la technique. Dans ces conditions et avec l’avantage du recul, il y aurait presque toujours moyen de dire qu’il n’y a aucun esprit inventif dans les nouveaux perfectionnements parce que chacun peut alors voir comment les réalisations antérieures montraient la voie. […]

 

 

« Des modifications ou des améliorations mineures peuvent donner des résultats importants […] » et « [l]e chercheur patient a droit aux mêmes avantages du monopole d’exploitation que celui qui fait une découverte par chance ou par inspiration soudaine. »

(Halocarbon, précité; il est également fait référence à Canadian General Electric et à American Cyanamid, précités.)

 

 

[108]       Dans le Procès de Novopharm, le juge Hughes a énoncé un certain nombre de facteurs qui, a-t-il conclu, étaient pertinents à l’égard d’une évaluation de la revendication 4 sous l’angle de l’évidence, et que la Cour d’appel fédérale a considérés comme un outil utile. (Procès de Novopharm, paragraphes 113-114; Appel de Novopharm, paragraphes 27 et 41.)

 

[109]       En appliquant les facteurs dont il fallait tenir compte – à la date de l’invention, qui peut être considérée comme décembre 1985 – le juge Hughes a conclu que l’invention visée par la revendication 4 du brevet 080 n’est pas évidente. Après avoir pris en considération la totalité des éléments de preuve, et à l’issue d’un procès d’une durée d’un mois, il est arrivé à la décision suivante :

a)         En 1985, dans le domaine des quinolones, la pratique consistait à mettre au point de nouveaux médicaments en substituant des molécules dans des composés de base. La chiralité était seulement sur le point de devenir un sujet sérieux et, à l’époque, on accordait peu d’attention aux énantiomères.

b)         Seule Daiichi était motivée à obtenir les énantiomères de l’ofloxacine dans ses recherches en vue d’un meilleur antibiotique (ces recherches étaient en soi motivées par le souhait d’obtenir une protection conférée par brevet plus vaste pour son invention, l’ofloxacine). La preuve a établi que les concurrents et les membres de la communauté scientifique et de la communauté universitaire ne manifestaient aucun intérêt à l’égard de cet objectif.

c)         Les propriétés des énantiomères individuels auraient été imprévisibles, surtout en 1985. Il aurait fallu produire l’énantiomère individuel et le soumettre à des tests pour déterminer s’il comportait ou une plusieurs propriétés améliorées, et si celles-ci l’emportaient sur les propriétés nuisibles.

d)         Il n’y avait aucun moyen évident d’obtenir les énantiomères de l’ofloxacine. En 1985, les connaissances sur les moyens de séparer les énantiomères du racémate en étaient encore à leurs premiers balbutiements. Les techniques n’étaient pas encore considérées comme traditionnelles ou d’usage généralisé.

e)         Les efforts faits par Daiichi pour produire les énantiomères de l’ofloxacine représentaient un défi.

(Procès de Novopharm, précité, paragraphes 113-115; Appel de Novopharm, précité, paragraphes 27 et 41.)

 

Application aux faits de l’espèce

[110]       L’argument clé d’Apotex dans la présente affaire est que les inventeurs vérifiaient simplement les qualités prévisibles de composés connus. Elle soutient qu’une invention ne subsiste pas dans la découverte des propriétés d’une composition connue ou dans l’application de méthodes ordinaires pour déterminer les caractéristiques de composés connus.

(Loi sur les brevets, article 2; Hughes & Woodley on Patents (2e éd. 2005), § 7, page 128; Fox Canadian Patent Law and Practice (4e éd. 1969), page 90; Astrazeneca AB, précité; Sharpe, précité; Pfizer Canada c. Apotex, 2005 CF 1421, 282 F.T.R. 8, paragraphes 128-131 et 150-156; Pfizer c. Ratiopharm, précité, paragraphes 21-24; Novopharm, précité, paragraphes 44-54; Pfizer c. Apotex (2002), précité, paragraphes 103-114; Bristol-Myers Squibb Canada c. Novopharm Limited, 2005 CF 1458, 282 F.T.R. 255, paragraphes 72-79.)

 

 

[111]       Il convient de rejeter cet argument parce qu’une vérification signifie confirmer les qualités prévues ou prévisibles de composés connus qui ont déjà été découverts et réalisés; il est donc impossible de « vérifier » les propriétés imprévues et imprévisibles de nouveaux composés.

(Pfizer c. Ratiopharm, précité, paragraphe 24; AB Hassle c. Genpharm, 2003 CF 1443, 243 F.T.R. 6, paragraphe 51, conf. par 2004 CAF 413, 329 N.R. 374 (AB Hassle c. Genpharm); Sanofi-Synthelabo c. Apotex, précité, paragraphe 76; Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58, 53 A.C.W.S. (3d) 163, page 81 (Div. gén. Ont.); conf. par (1998), 113 O.A.C. 1, 82 C.P.R (3d) 526 (C.A. Ont.) (Bayer Aktiengesellschaft).)

 

Les antériorités

[112]       Avant d’examiner la question de l’évidence, la Cour se doit de déterminer ce qui peut être considéré comme une antériorité. Par définition, une antériorité doit être disponible publiquement avant la date de l’invention, et il y a deux exigences que doit remplir une antériorité pour être considérée comme « publiquement disponible » :

a)         l’antériorité en question doit être du domaine public; une publication privée ou à diffusion restreinte, par exemple, ne peut pas être considérée comme une antériorité pour les besoins d’une analyse de l’évidence;

b)         une personne versée dans l’art qui mène une recherche raisonnablement diligente doit être en mesure de trouver l’antériorité en question.

 

[113]       Un renvoi obscur, même s’il est publiquement disponible, ne peut pas être considéré comme une antériorité si une personne versée dans l’art n’aurait pas été en mesure de le trouver.

(General Tire, précité, pages 499-500; Illinois Tool Works c. Cobra Fixation Cie Ltée, 2002 CFPI 829, 221 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Procter & Gamble Company c. Kimberley-Clark of Canada Limited (1991), 49 F.T.R. 31, 40 C.P.R (3d) 1, page 47 (C.F. 1re inst.), Xerox, précité, page 50.)

 

a) Les documents de Gerster

 

[114]       Apotex soutient que l’affiche datée de 1982 de John Gerster faisait publiquement état du fait que l’énantiomère (-) de la fluméquine est celui des deux énantiomères qui est le plus actif sur le plan antimicrobien, et qu’il est donc plus actif que son racémate. En outre, la présentation de l’affiche au Symposium nord-américain de chimie médicinale, tenu entre les 20 et 24 juin 1982, faisait état, d’une part, d’un moyen de séparer les énantiomères de la fluméquine racémique en recourant à un intermédiaire de la tosylproline optiquement actif (identifié par le breveté comme étant le procédé C du brevet 080) et, d’autre part, que l’activité antimicrobienne différentielle de l’énantiomère (-) était environ deux fois supérieure à celle de la fluméquine racémique et entre 10 et 100 fois supérieure à celle de l’énantiomère (+). (AA, pages 3511-3512 du DD.)

 

[115]       Par ailleurs, Apotex allègue que les antériorités témoignent également du fait que, en mai 1985, l’importance des besoins de configuration stéréochimique qui s’appliquaient au même centre chiral qui était présent dans la fluméquine et l’ofloxacine était bien connue dans le domaine. En outre, le 30 septembre 1985, une personne versée dans l’art aurait également su que l’énantiomère S(-) d’un autre antibiotique à base de fluoroquinolone tricyclique, S‑25930, présentait une activité antimicrobienne supérieure à celle de son énantiomère (+) ou de son racémate. (AA, page 3512, DD.)

 

[116]       Apotex signale que, à la fin de septembre 1985, il y avait eu publication d’un résumé et distribution d’un document à l’occasion de la présentation, par M. Gerster, de son affiche à l’occasion de la 25e Interscience Conference on Antimicrobial Agents and Chemotherapy on the Stereochemical Aspects of the Antibacterial Activity of S-25930 (Conférence intersciences sur les agents antimicrobiens et la chimiothérapie – aspects stéréochimiques de l’activité antimicrobienne de l’éniantomère S-25930). Le procédé que révélait M. Gerster dans cette publication comprenait l’emploi d’un intermédiaire de la tosylproline optiquement actif pour séparer les énantiomères de l’ofloxacine. Le procédé révélait de plus que l’énantiomère (S) d’un dérivé de la fluméquine - une autre fluoroquinolone tricyclique qui, du point de vue structurel, est semblable à l’ofloxacine - était environ deux fois plus actif qu’un antibactérien tel que le racémate. (AA, pages 3511-3513, DD.)

 

[117]       La question juridique qui se pose est de savoir si les documents de Gerster contiennent suffisamment de renseignements pour permettre à une personne ayant des connaissances et des compétences ordinaires dans le domaine de saisir la nature de l’invention et de la rendre utilisable en pratique, sans l’aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d’ordre technique. (Free World Trust, précité, paragraphe 26.)

 

[118]       Au Procès de Novopharm, le juge Hughes a conclu que l’affiche de 1982 de Gerster ne faisait pas partie des antériorités pour les besoins d’une analyse de l’évidence :

[57]      […] Je suis satisfait à l’effet que l’affiche n’a pas été publiée pour la distribution et n’aurait pu être découverte au moyen de recherches raisonnablement diligentes en 1985. Un affichage public pendant trois heures lors d’une réunion scientifique ne signifie pas que cette affiche fait partie de la somme des antériorités qu’une personne versée dans l’art serait supposée posséder ou serait supposée acquérir elle-même au moyen de recherches raisonnablement diligentes.

 

(Procès de Novopharm, précité, paragraphes 57-58.)

 

[119]       Nulle part M. Gerster n’a-t-il déclaré que, en fait, des gens se sont arrêtés pour discuter avec lui de la présentation de son affiche, ou qu’il en a distribué des exemplaires à des personnes présentes, ni même à qui que ce soit d’autre. M. Gerster a déclaré en contre-interrogatoire que l’affiche de 1982 n’apparaît nulle part dans le cahier de documentation qui avait été distribué à toutes les personnes présentes à la conférence. Il ne se souvient pas qu’une personne étrangère à sa société lui en ait demandé un exemplaire à quelque moment que ce soit. Même s’il a déclaré au début que les documents publiés ultérieurement faisaient référence à l’affiche de 1982, il a reconnu en contre-interrogatoire que tous ces documents faisaient référence au résumé figurant dans les actes de la conférence, et non à l’affiche. (Contre-interrogatoire de Gerster, pages 9-10, 17 et 22-28, DD, volume 45, onglet 66, pages 14587-14689 et 14691-14692; affidavit de Gerster, paragraphe 16, DD, volume 45, onglet 65, pages 14460-14461; affidavit de Partridge, paragraphes 9-25, DD, volume 23, onglet 32, pages 6816-6821.)

 

[120]       Reconnaissant le caractère particulièrement pertinent du document de 1985 « puisque M. Hayakawa l’a vu et en a pris copie avec l’intention d’essayer lui-même le procédé divulgué avant qu’il ne détermine que l’énantiomère (-) de l’ofloxacine possédait la configuration S », le juge Hughes a conclu que « M. Hayakawa a été le premier à en reconnaître l’utilité et à l’utiliser à son avantage. Aucune preuve ne laisse croire que Gerster ou quelqu’un d’autre aurait appliqué cette technique à l’ofloxacine. » (Procès de Novopharm, précité, paragraphe 114.)

 

b) Les références faites à l’ofloxacine

[121]       Apotex se fonde sur les références suivantes à l’ofloxacine pour étayer sa thèse concernant l’évidence : le brevet 840, le brevet 892 et l’article d’Osada. L’invention revendiquée dans le brevet 080 n’est pas évidente à la lumière des références faites à l’ofloxacine. Ces dernières ne révèlent que l’ofloxacine racémique. Le fait que la structure moléculaire d’un énantiomère soit semblable à son racémate n’écarte pas le composé d’énantiomère. (Sanofi.Synthelabo c. Apotex, précité; Forest Labs c. Ivax Pharms (D. Del) 2006 U.S. Dist. LEXIS 47985, à [*28].)

 

[122]       L’expert d’Apotex, M. Mislow, a déclaré en contre-interrogatoire que les énantiomères de l’ofloxacine sont distincts de l’ofloxacine racémique, ce qui concorde avec la conclusion que la Cour d’appel fédérale a tirée dans l’Appel de Novopharm : « Chacun des deux énantiomères d’un racémate est un composé différent de celui-ci et peut avoir des propriétés différentes, notamment des propriétés médicinales différentes. » (Contre-interrogatoire de Mislow, question 69, DD, volume 48, onglet 79, page 15842; Appel de Novopharm, précité, paragraphe 12.)

 

[123]       La lévofloxacine est un composé fondamentalement différent de l’ofloxacine, et ses propriétés sont supérieures. La lévofloxacine est deux fois plus puissante, moins toxique et dix fois plus soluble dans l’eau que l’ofloxacine. En outre, comme nous le verrons plus loin, il était impossible de produire la lévofloxacine en suivant les références d’antériorité – il était nécessaire de mettre au point un nouveau procédé pour fabriquer ce produit.

 

c) Autres références

[124]       Il existe un certain nombre d’autres références prétendues dans les antériorités sur lesquelles se fonde Apotex pour dire que l’invention révélée par le brevet 080 est évidente (ces références sont appelées collectivement les « autres références »). Comme le mentionne M. Klibanov dans son affidavit, les composés révélés dans les autres références sont, du point de vue structurel, encore plus dissemblables de l’ofloxacine que de la fluméquine. Les renseignements que révèlent ces autres références ne permettraient pas à une personne versée dans l’art de s’attendre raisonnablement à ce que la lévofloxacine présente des propriétés pharmacologiques supérieures à celles du racémate. (Affidavit de Klibanov, paragraphe 129, DD, volume 12, onglet 17, pages 3444-3445.)

 

[125]       Les références antérieures sur lesquelles se fonde Apotex montrent les connaissances limitées auxquelles pouvait avoir accès une personne versée dans l’art en juin 1985 à propos de la chiralité des quinolones. Aucune des références faites à l’ofloxacine, des références faites à la fluméquine ou des autres références, seules ou en combinaison, n’aurait mené, directement et sans difficulté, une personne versée dans l’art à l’invention révélée dans le brevet 080 et, de là, à la lévofloxacine et à ses propriétés bénéfiques imprévues.

 

Le climat dans le domaine pertinent et la motivation à l’époque de l’invention alléguée

a) Les fluoroquinolones racémiques n’étaient pas résolues

[126]       Les recherches sur les quinolones étaient un domaine hautement concurrentiel : Entre 1981 et 1985, les recherches sur les quinolones étaient un domaine hautement concurrentiel. Un grand nombre de sociétés pharmaceutiques et de chercheurs consacraient des efforts considérables à la mise au point de fluoroquinolones. Ce climat était particulièrement alimenté par la mise au point de la norfloxacine, de la ciprofloxacine et de l’ofloxacine, qui présentaient de meilleures propriétés antibactériennes et qui attiraient l’attention d’un grand nombre de grandes sociétés pharmaceutiques du monde. (Affidavit de Wentland, paragraphes 29 et 36-41, DD, volume 31, onglet 45, pages 9850, 9855-9865.)

 

[127]       Aucune attente généralisée : Il n’y a aucune attente généralisée que la majeure partie de l’activité d’une quinolone racémique résiderait en un seul énantiomère. M. Castagnoli a déclaré catégoriquement qu’il y aura une différence dans l’issue biologique à cause de la chiralité; cependant, en contre-interrogatoire, il a indiqué que la différence pourrait être à ce point minime qu’elle serait impossible à mesurer. (Affidavit de Castagnoli, paragraphes 100-102, volume 33, onglet 49, pages 10626-10627; contre-interrogatoire de Castagnoli, questions 494-499, DD, volume 34, onglet 41, pages 10805-10806.)

 

[128]       M. Wentland, le seul chimiste médicinal spécialisé dans les quinolones en l’espèce, a produit une preuve indiquant qu’en 1985 les chimistes médicinaux n’avaient pas pour stratégie de chercher les énantiomères des fluoroquinolones racémiques. À cette époque, les sociétés pharmaceutiques concentraient leurs efforts sur l’identification de nouveaux appendices, à diverses positions, sur le noyau quinolone. Quand la question leur a été posée, les experts d’Apotex s’en sont remis à M. Wentland pour formuler les opinions d’un chimiste exerçant dans le domaine des produits médicinaux, et des quinolones en particulier, à l’époque en cause. (Affidavit de Wentland, paragraphes 25, 29 et 43, DD, volume 31, onglet 45, pages 9848-9850 et 9865; contre-interrogatoire de Mislow, questions 189-192, DD, volume 48, onglet 79, page 15849; contre-interrogatoire d’Erhard, questions 296, DD, volume 34, onglet 54, page 10924.)

 

[129]       Il n’existe aucun rapport sur la résolution des nombreuses quinolones racémiques en leurs énantiomères avant la date de priorité de juin 1985, à l’exception du résumé de Gerster paru en 1982 et de deux références additionnelles à Gerster, indiquant toutes deux que les énantiomères de quinolones n’en valaient pas la peine. Dans son résumé de 1982, Gerster faisait état de la résolution de la fluméquine par son inventeur, quelque dix ans après la découverte du composé. (Affidavit de Wentland, paragraphe 25, DD, volume 31, onglet 45, pages 9848-9849; contre‑interrogatoire de Wentland, questions 224-227, DD, volume 33, onglet 48, pages 10528; affidavit de Klibanov, paragraphes 114-117, DD, volume 12, onglet 17, pages 3438-3439.)

 

[130]       L’ofloxacine a été révélée dans une publication de Daiichi en octobre 1982. Même si le domaine était hautement concurrentiel, aucun autre chercheur n’avait obtenu les énantiomères d’une autre fluoroquinolone racémique au cours de la période de 32 mois qui s’était écoulée entre octobre 1982 et juin 1985. (Affidavit de Wentland, paragraphe 44, pièce V, DD, volume 31, onglet 45, pages 9865-9866 et 10024-10031; Beloit, précité.)

 

b) Une personne versée dans l’art ne s’attendrait pas à ce que la chiralité d’un groupement méthyle ait une incidence sur l’activité

[131]       L’importance de l’orientation du groupement méthyle chiral de l’ofloxacine n’aurait pas été évidente aux yeux d’une personne moyennement versée dans l’art et, pourtant, c’est cette orientation qui produit les avantages radicaux et bénéfiques de la lévofloxacine par rapport à l’ofloxacine. (Affidavit de Wentland, paragraphes 61-66, DD, volume 31, onglet 45, pages 9891-9895.)

 

[132]       Selon la preuve de M. Wentland, un chimiste médicinal travaillant dans le domaine des quinolones a souscrit à la théorie de l’ajustement induit (plutôt qu’à celle de la clé et de la serrure), dans laquelle le site cible de l’ADN-gyrase bactérien serait flexible et capable de reconnaître des médicaments de formes très diversifiées. Le résultat pratique de ce qui précède est qu’un chimiste médicinal spécialisé dans le domaine des quinolones n’a pas cru qu’une orientation spéciale particulière, comme celle du groupe méthyle, était à ce point importante, comme en témoigne la capacité du site cible de l’enzyme ADN-gyrase d’accueillir des quinolones avec des substituants de tailles, de formes et de propriétés différentes. (Affidavit de Wentland, paragraphes 54-58, DD, volume 31, onglet 45, pages 9876-9878.)

 

c) Les propriétés de la fluméquine ne permettent de prédire l’ofloxacine

[133]       Une personne versée dans l’art, connaissant la relation entre la stéréochimie et l’activité antimicrobienne de la fluméquine, ne s’attendrait pas à ce que ces propriétés s’appliquent à l’ofloxacine en raison de la nature hautement imprévisible des relations entre la structure et l’activité des quinolones. (Affidavit de Wentland, paragraphes 45, 48-49, DD, volume 31, onglet 45, pages 9866-9868.)

 

[134]       La fluméquine et l’ofloxacine sont structurellement distinctes : La fluméquine et l’ofloxacine sont des composés distincts sur le plan structurel :

Fluméquine                               Ofloxacine

 

[135]       M. Klibanov a fait ressortir d’importantes différentes entre ces deux composés :

a)         Substituant sur l’anneau fluoré : La différence de taille de l’atome d’hydrogène par rapport au substituant de méthylpipérazine fera en sorte que la fluméquine et l’ofloxacine interagiront de façons distinctes avec leurs cibles biologiques prévues, y compris le fait que la N-méthylpipérazine est un groupe amine qui modifie beaucoup la réactivité de la molécule. On s’attendrait à ce que la fluméquine et l’ofloxacine se comportent de façon unique et présentent des propriétés distinctes.

b)         Structures de noyau différentes : L’ofloxacine a un atome d’oxygène dans l’anneau contenant l’atome de carbone chirale. Dans la fluméquine, à la même position se trouve un atome de carbone (sous la forme d’un groupe méthylène). Compte tenu de cette substitution, on s’attendrait à ce que la nature et les propriétés des deux composés soient fondamentalement différentes.

(Affidavit de Klibanov, paragraphes 109-113, DD, volume 12, onglet 17, pages 3435-3438.)

 

[136]       Selon la preuve de M. Wentland, les quinolones ont depuis longtemps la réputation d’être imprévisibles si on les modifie. Entre 1982 et 1985, un chimiste médicinal aurait su qu’il est impossible de faire des prévisions avec une certitude raisonnable lorsqu’on effectue des changements à 1) la structure du noyau ou au 2) processus de substitution. La fluméquine a à la fois une structure de noyau et un processus de substitution qui diffèrent de ceux de l’ofloxacine. De ce fait, en 1985, une personne versée dans l’art n’aurait pas pu prédire que les effets observés avec la fluméquine s’observeraient aussi avec l’ofloxacine.

[traduction

Malgré tous les efforts faits pour corréler la structure chimique des nouvelles fluoroquinolones avec l’activité ou les effets secondaires, il semble probable qu’il soit impossible de concevoir de manière théorique l’agent fluoroquinolone optimal, mais qu’il faille l’identifier expérimentalement.

 

(Affidavit de Wentland, paragraphe 52 (citant Segev, page 35) et pièce GG, DD, volume 31, onglet 45, pages 9871-9875, et DD, volume 32, onglet 46, pages 10219-10240.)

 

d) D’autres composés amoindrissent l’importance du groupe méthyle

[137]       Le dérivé de l’ofloxacine exo-méthylène (ou 3-méthylène) achiral (non chiral) que Daiichi a synthétisé a montré une activité comparable à celle de l’ofloxacine. Une personne versée dans l’art comprendrait d’après ces références que, si un groupe méthyle était présent, il serait difficile de prédire qu’elle en serait l’orientation optimale, mais que son orientation ne serait pas cruciale. (Affidavit de Wentland, paragraphe 64, DD, volume 31, onglet 45, pages 9894; affidavit d’Hayakawa, paragraphe 51, DD, volume 4, onglet 6, page 722.)

 

[138]       Les références (de Gerster) à la fluméquine ne favorisaient pas la résolution des énantiomères : M. Klibanov a témoigné qu’il ressortait des premières références de Gerster qu’il ne valait pas la peine de résoudre les racémates quinolones. [traduction] « La combinaison de stéréo-isomères est en général utilisée de façon pratique pour obtenir une action antibactérienne ». Le brevet américain no 3 976 651 (brevet 651) que M. Gerster en déposé en 1976 indique ce qui suit :

[traduction
[…] Même s’il a été conclu que dans certains cas un isomère peut avoir une activité antimicrobienne supérieure à celle d’un autre, on obtient une activité suffisante avec un composé contenant un mélange d’isomères; il est donc inutile d’isoler les isomères individuels. [Non souligné dans l’original.]

 

(Affidavit de Klibanov, paragraphes 115-117, DD, volume 12, onglet 17, pages 3438-3439.)

 

[139]       M. Gerster est l’inventeur dénommé du brevet 609 et du brevet 651. Ces deux brevets sont énumérés parmi les références à la fluméquine sur lesquelles Apotex s’est fondée à l’appui de son argument relatif à l’évidence. Cependant, ni le brevet 609 ni le brevet 651 n’orientent une personne versée dans l’art vers l’invention dont il est question dans le brevet 080. Comme l’a déclaré M. Klibanov, en fait, ces brevets enseignent à une personne versée dans l’art qu’il ne vaut pas la peine de résoudre un racémate quinolone en ses énantiomères individuels, à la recherche d’un meilleur agent antimicrobien. (Affidavit de Klibanov, paragraphe 117, DD, volume 12, onglet 17, page 3439.)

 

[140]       L’article de 1985, rédigé conjointement par Stephen R. Rohlfing et Gerster (l’article de Rohlfing) compare diverses quinolones, dont la fluméquine, l’ofloxacine et la ciprofloxacine, à une souche bactérienne précise, et traite de la position 5 et de son rapport avec la puissance (la position 5 est l’emplacement du carbone chiral dans la fluméquine, et elle correspond à la position 3 dans l’ofloxacine). La ciprofloxacine étant achirale, une personne versée dans l’art considérerait que cet article ne préconise pas la résolution énantiomérique des quinolones et qu’il met plutôt l’accent sur des substituants à cette position, par opposition à la stéréoconfiguration. En outre, les auteurs n’ont mis à l’essai que des composés racémiques; ils n’ont pas obtenu les énantiomères de la fluméquine et ne les ont pas testés. (Affidavit de Klibanov, paragraphes 118-120, DD, volume 12, onglet 17, pages 3439-3441.)

 

[141]       Comme l’a déclaré M. Wentland en contre-interrogatoire, l’analyse de la position 5 dans l’article de Rohlfing ne traite pas de la différence de puissance entre les énantiomères de la fluméquine. Là où l’article traite de l’importance de la position 5, il est plutôt question du fait que les divers composés analysés ont la caractéristique structurelle commune d’avoir deux atomes de carbone additionnels fixés à un certain point dans la molécule. (Contre-interrogatoire de Wentland, questions 162-163, DD, volume 33, onglet 48, page 10524.)

 

[142]       Dans ce contexte, une personne versée dans l’art qui verrait le résumé (ou l’affiche) de 1982 de Gerster ne dirait pas : [traduction] « Ça, je peux l’appliquer à l’ofloxacine! » et obtenir la même augmentation d’activité. En l’absence d’une telle exclamation, une personne versée dans l’art n’aurait pas de résultat final à l’esprit (c’est-à-dire la lévofloxacine) et n’essaierait pas de faire des expériences avec les procédés existants, y compris le procédé de 1982 de Gerster, en vue de résoudre l’ofloxacine en ses énantiomères, en faisant abstraction de l’ampleur des expériences nécessaires pour adapter de tels procédés à l’ofloxacine.

 

Les propriétés bénéfiques de la lévofloxacine sont surprenantes et imprévues

[143]       Comparativement à l’ofloxacine, la lévofloxacine présente une meilleure solubilité, une activité supérieure et une toxicité moindre. Les propriétés supérieures de la lévofloxacine sont inhérentes à l’invention révélées par le brevet 080. Au moment d’évaluer la question de l’évidence, le tribunal doit se demander si l’invention est évidente aux yeux d’une personne versée dans l’art, compte tenu des antériorités et des connaissances générales usuelles. En l’espèce, il est donc nécessaire de se demander si, en juin 1985, la lévofloxacine et ses propriétés imprévues auraient été évidentes aux yeux d’une personne versée dans l’art. (Apotex c. Merck, [1995] 2 C.F. 723, 180 N.R. 373, page 373 (C.A.) (Apotex c. Merck), modifiant (1994), 88 F.T.R. 260, 59 C.P.R. (3d) 133 (C.F. 1re inst.); Merck c. Apotex, 2006 CF 524, 282 F.T.R. 161, paragraphe 124.)

 

[144]       Il était impossible pour l’équipe de recherche de M. Hayakawa, chez Daiichi, de résoudre directement l’ofloxacine en vue d’en isoler l’énantiomère S(-) et l’énantiomère R(+) :

[ofloxacine
mélange 50/50 d’énantiomère s(-) et d’énantiomère r(+)

                        énantiomère s(-)                                               énantiomère r(+)]

 

Il a fallu que M. Hayakawa et ses co-inventeurs créent des techniques synthétiques pour produire l’énantiomère S(-) de l’ofloxacine – c’est-à-dire les procédés A, B et C. (Affidavit de Klibanov, paragraphe 72, DD, volume 12, onglet 17, page 3419; affidavit de Klibanov, pièce S, volume 13, onglet 18(S), page 4013.)

BREVET 080 – PROCÉDÉS A, B ET C

PROCÉDÉ B

 

[Enzyme hydraulique / Dinitrobenzoylation / Acylation / 1. Résolution optique / 2. Désacylation / Isomère optique / 1. Résolution optique / 2. Hydrolyse / Procédé A / Procédé C / (Affidavit de Klibanov, paragraphe 72, DD, volume 12, onglet 17, page 3419) / Affidavit de Klibanov, pièce R, volume 13, onglet 18(R), page 4011).]

 

 

[145]       Le procédé A est une méthode de production de la lévofloxacine qui comporte la résolution optique d’un composé de (±)-3,5-dinitrobenzoate en deux composés optiquement actifs, et ce, en recourant à une méthode appropriée, telle que la chromatographie liquide à haute performance (CLHP). (Brevet 080, pages 1, 1.1-8; affidavit d’Hayakawa, pièce A, DD, volume 4, onglet 6(A), page 741; affidavit d’Hayakawa, paragraphes 29-40, volume 4, onglet 6, pages 715-716.)

            Le procédé B est une méthode de production de la lévofloxacine qui consiste à utiliser des enzymes particuliers pour hydrolyser asymétriquement les intermédiaires racémiques et obtenir ainsi des intermédiaires optiquement actifs qu’il est possible de séparer par une méthode appropriée, telle que la chromatographie liquide à haute performance (la CLHP). (Brevet 080, pages 12, 1.1-16, affidavit d’Hayakawa, pièce A, DD, volume 4, onglet 6(a), page 746; affidavit d’Hayakawa, paragraphes 26-28, 41 et 42, volume 6, pages 714-715 et 719-720.)

            Le procédé C est une méthode de production de la lévofloxacine qui consiste à utiliser un composé appelé « N-tosyl-l-proline » pour obtenir un intermédiaire qu’il est possible de séparer en des intermédiaires optiquement actifs par une méthode appropriée, telle que la chromatographie. (Brevet 080, pages 17, 1.7 – 18, 1.23; affidavit d’Hayakawa, pièce A, DD, volume 4, onglet 6(A), pages 751-752; affidavit d’Hayakawa, paragraphes 43-48, volume 4, onglet 6, pages 720-721.)

 

a) L’activité antimicrobienne améliorée de la lévofloxacine était imprévue

[146]       Comme nous l’avons vu plus tôt, une personne versée dans l’art, compte tenu de l’état de la technique, y compris l’ofloxacine et la fluméquine, n’aurait pas su que l’énantiomère S(-) sensiblement pur sur le plan optique de l’ofloxacine serait nettement plus actif que le racémate et l’énantiomère R(+).

 

[147]       Une personne versée dans l’art aurait été incapable de faire des prédictions au sujet de l’activité des énantiomères de l’ofloxacine en se fondant sur la fluméquine et d’autres antériorités. Cette personne n’aurait pas associé le centre chiral à un effet marquant quelconque sur l’activité. Le brevet 080 indique plutôt que le centre chiral est d’une importance cruciale pour l’activité. (Affidavit de Wentland, paragraphes 50-58 et 60, DD, volume 31, onglet 45, pages 9868-9878 et 9890-9891.)

 

[148]       Sans faire de tests, une personne versée dans l’art ne saurait pas si la lévofloxacine avait une activité semblable ou non à celle de l’énantiomère R(+) et du racémate; sans tests, une personne versée dans l’art ne serait pas non plus capable de prédire l’ampleur d’une différence d’activité quelconque. (Affidavit de Klibanov, paragraphe 125, DD, volume 12, onglet 17, page 3443.)

 

b) La toxicité inférieure de la lévofloxacine était imprévue et non prévisible

[149]       Apotex allègue que les résultats de toxicité décrits dans le brevet 080 [traduction] « ne sont pas tous d’une importance pratique pour les besoins d’une formulation pharmaceutique ». Apotex laisse entendre aussi que les tests dont il est question dans le brevet 080 [traduction] « étaient inappropriés ou ne montraient aucune différence importante entre l’ofloxacine et la lévofloxacine ». Ces allégations ne sont pas étayées par la preuve et sont injustifiables. (AA, page 26, affidavit de Klibanov, pièce B, DD, volume 12, onglet 17, page 3514.)

 

[150]       Dans le Procès de Novopharm, le juge Hughes a déclaré ce qui suit au sujet de la toxicité :

[16]      On doit tenir compte des risques de toxicité pour l’administration de substances antimicrobiennes. De nombreuses preuves ont été présentées au cours du jugement concernant la mesure de l’activité antimicrobienne et de la toxicité, ainsi que les moyens de trouver un juste équilibre, entre l’activité antimicrobienne d’une part et les effets toxiques d’autre part, lors de l’administration de différentes posologies de ces substances. Un médicament doit être efficace, mais il doit aussi être sûr.

 

 

 

[151]       Rien ne permettait de penser que l’énantiomère ayant une activité supérieure présenterait aussi une toxicité inférieure : M. Rodricks, un expert en toxicologie et en évaluations de l’innocuité, a fourni une preuve selon laquelle on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’un énantiomère d’un médicament racémique soit moins toxique que le racémate. En fait, aucun témoin d’Apotex n’a laissé entendre qu’il existait une telle attente. (Affidavit de Rodricks, paragraphes 3-5 et 57-58, DD, volume 24, onglet 34, pages 7109-7110 et 7128.)

 

[152]       Les références faites aux travaux antérieurs de Gerster ne contiennent aucune information sur la toxicité des énantiomères de la fluméquine par rapport au racémate. En fait, un document que Gerster a publié plus tard, soit en 1989, montrait que l’activité antimicrobienne et la toxicité des composés liés aux énantiomères de la fluméquine augmentaient en parallèle. Comme l’a déclaré Rodricks, cette conclusion cadre avec les connaissances générales usuelles qui avaient cours à la date de l’invention, à savoir que la toxicité relative des racémates et de leurs énantiomères ne pouvait pas être prédite. Une autre des références d’Apotex, l’article de « Haley » datant de 1976, montrait aussi que l’énantiomère (d’un composé anesthésique racémique) plus actif présentait aussi la toxicité la plus élevée. (Affidavit de Rodricks, paragraphes 59-60, DD, volume 24, onglet 34, pages 7128-7130.)

 

[153]       M. Hayakawa a dit avoir été surpris lorsqu’il a reçu les résultats des tests de mortalité concernant la lévofloxacine car, selon son expérience, il y avait une tendance selon laquelle une activité antimicrobienne élevée s’accompagnait d’une toxicité élevée. (Affidavit d’Hayakawa, paragraphe 60, DD, volume 4, onglet 6, page 725.)

 

[154]       La lévofloxacine est en réalité moins toxique que l’ofloxacine : Une fois que la lévofloxacine a finalement été produite et qu’il a été possible de la soumettre à des analyses, les tests de toxicité ont montré que cette substance était plus active et moins toxique que l’ofloxacine. Dans le Procès de Novopharm, le juge Hughes est arrivé à la même conclusion, en se fondant sur essentiellement les mêmes éléments de preuve de M. Rodricks que ceux qui sont aujourd’hui soumis à la Cour dans le cadre de la présente demande. (Affidavit de Rodricks, paragraphes 87-88, 93-94 et 113-115, DD, volume 24, onglet 34, pages 7140-7143 et 7150-7151; Procès de Novopharm, précité, paragraphe 126.)

 

[155]       La conclusion de M. Rodricks selon laquelle il est sûr à 99,4 % que la DL50 de 208 mg/kg et de 244 mg/kg pour l’ofloxacine et la lévofloxacine est différente et distinctive, malgré un chevauchement minime dans les intervalles de confiance de 95 %, est fondée sur le « test du rapport des vraisemblances », un test statistique conçu expressément à cette fin. Les intervalles de confiance ne servent pas à déterminer si deux valeurs différentes sont, statistiquement, très différentes. (Affidavit de Rodricks, paragraphe 49, DD, volume 24, onglet 34, page 7126; contre‑interrogatoire de Rodricks, question 141, DD, volume 29, onglet 40, page 9012.)

 

[156]       Les intervalles de confiance relatifs aux valeurs de la DL50 ne sont pas indiqués dans le brevet 080; cependant, il n’est pas rare que des toxicologues fassent état de valeurs de la DL50 sans se reporter à des intervalles de confiance, notamment dans le cas d’études fondées sur des échantillons de petite taille. Une personne moyennement versée dans l’art n’aurait pas été surprise ou perplexe en constatant un léger chevauchement dans les intervalles de confiance relatifs aux valeurs de la DL50, vu la taille de l’échantillon de l’étude sur la lévofloxacine de Daiichi dont il est question dans le brevet 080 (5 souris pour chacune des 4 doses). (Affidavit de Rodricks, paragraphe 33, DD, volume 24, onglet 34, pages 7120-7121.)

 

[157]       M. Rodricks a également procédé à une « méta- » analyse en se servant de toutes les études de toxicité aiguë réalisées pour la lévofloxacine, y compris des données générées après le dépôt de la demande de brevet, par rapport à l’ofloxacine (à l’exception d’une valeur de 380 qui n’était pas comparable aux autres données). Les résultats ont montré que la méta-valeur DL50 pour la lévofloxacine (254 mg/kg) est nettement différente de l’ofloxacine (208 mg/kg) au niveau de confiance de 95 % (et les intervalles de confiance des deux valeurs ne se chevauchent pas). (Affidavit de Rodricks, paragraphes 85-87, DD, volume 24, onglet 34, pages 7139-7141.)

 

[158]       Les tests de toxicité intraveineuse aiguë sont pertinents : Apotex allègue que les données de toxicité aiguë que l’on trouve dans le brevet 080 ne sont pas importantes, car les produits pharmaceutiques sont formulés à des concentrations nettement inférieures à celles dont on se sert pour vérifier les niveaux de toxicité aiguë. Selon M. Rodricks, cependant, cela n’élimine pas l’importance de procéder à des tests de toxicité aiguë pour vérifier les composés destinés à un usage pharmaceutique. (Affidavit de Rodricks, paragraphe 14, DD, volume 24, onglet 34, page 7114.)

 

[159]       Les tests de toxicité aiguë sont souvent utilisés lors de la mise au point de médicaments. M. Rodricks a déclaré qu’une personne versée dans l’art comprendrait que les données figurant dans le brevet 080 sont une indication positive que la lévofloxacine, comparativement à l’ofloxacine, sera moins toxique chez l’être humain; cependant, il est nécessaire de procéder à des test cliniques pour confirmer la toxicité chez l’être humain. (Affidavit de Rodricks, paragraphe 45, DD, volume 24, onglet 34, page 7124.)

 

[160]       Les études de toxicité intraveineuse aiguë sont privilégiées aux dépens des études de toxicité orale : M. Rodricks a déclaré que les résultats des études de létalité aiguë d’une dose unique administrée par voie orale que Daiichi a effectuées étaient faussés par l’absorption due à des solubilités différentes. La lévofloxacine a une solubilité nettement supérieure à celle de l’ofloxacine. À des doses inférieures - Daiichi a procédé à une série d’études de la toxicité du système nerveux centrale dans le cadre desquelles les deux médicaments étaient administrés sous forme de solution et facilement absorbés, qu’ils soient administrés par voie orale ou intraveineuse - la lévofloxacine a constamment fait état d’une toxicité réduite. (Affidavit de Rodricks, paragraphes 64-65, DD, volume 24, onglet 34, pages 7131-7132.)

 

c) La solubilité accrue de la lévofloxacine était imprévue

[161]       La solubilité est une propriété importante pour un produit pharmaceutique. Il ressort de la preuve que la lévofloxacine, par rapport à l’ofloxacine, avait une solubilité dix fois supérieure, ce qui était remarquable et des plus imprévus. (Affidavit de Bucci, paragraphes 37 et 43, DD, volume 1, onglet 2, pages 41 et 43-44; affidavit de Myerson, paragraphe 34, DD, volume 22, onglet 30, page 6592.)

 

[162]       Lorsqu’on a obtenu la lévofloxacine, les résultats des tests de solubilité ont été surprenants. Vers le 20 septembre 1985, Daiichi en a mesuré la solubilité et découvert que la solubilité de la lévofloxacine était de 22,500 μg/ml, soit dix fois environ celle de l’ofloxacine. La surprise de Daiichi a été consignée dans des rapports de recherche contemporains où l’on a qualifié la solubilité accrue de la lévofloxacine d’[traduction] « extraordinaire ». (Affidavit d’Hayakawa, paragraphes 55-56, DD, volume 4, onglet 6, page 723; affidavit d’Hayakawa, pièce Y, DAI-0024068, DD, volume 5, onglet 7, page 1283.)

 

[163]       Le décuplement de la solubilité de la lévofloxacine était surprenant et imprévu : Selon M. Myerson, les différences entre la solubilité relative de la lévofloxacine et celle de l’ofloxacine auraient été imprévues, en juin 1985, aux yeux d’une personne versée dans l’art. M. Myerson a expliqué que, pour déterminer les solubilités relatives de la lévofloxacine et de l’ofloxacine, la personne versée dans l’art devait d’abord établir : 1) la forme stable de l’ofloxacine (cristal racémique, conglomérat ou solution solide) et 2) s’il s’agissait d’un système monotropique (dans lequel un polymorphe est la forme stable à toutes les températures) ou d’un système énantiotropique (dans lequel la stabilité des formes polymorphiques change selon la température). Sans ces renseignements, il aurait été impossible de déterminer si c’était l’ofloxacine ou la lévofloxacine qui serait plus soluble dans l’eau à une température donnée. (Affidavit de Myerson, paragraphe 32, DD, volume 22, onglet 30, pages 6591-6592.)

 

[164]       M. Myerson a expliqué de plus que ces renseignements ne permettraient toujours pas à une personne versée dans l’art de connaître l’aspect quantitatif de la solubilité relative de l’ofloxacine et de la lévofloxacine. C’est donc dire qu’une fois qu’une personne versée dans l’art saurait que la lévofloxacine est plus soluble que l’ofloxacine, cette personne ignorerait, et ne pourrait pas raisonnablement s’y attendre, que la lévofloxacine soit dix fois plus soluble que l’ofloxacine. (Affidavit de Myerson, paragraphe 33, DD, volume 22, onglet 30, page 6592.)

 

[165]       D’après l’article de 1976 de Repta auquel Apotex a fait référence, un énantiomère, sans lien aucun avec la lévofloxacine, faisait montre d’une différence cinq fois plus importante que son racémate sur le plan de l’hydrosolubilité relative. Le composé révélé dans l’article de Repta n’est pas une quinolone et n’a aucun lien avec l’ofloxacine ou la lévofloxacine. L’article de Repta ne corrobore pas de manière valable une attente de décuplement (voire de quintuplement) de la solubilité de la lévofloxacine par rapport à celle de l’ofloxacine. (Affidavit de Myerson, paragraphes 36-38, DD, volume 22, onglet 30, pages 6593-6594.)

 

[166]       L’article de Liu et d’Hurwitz, publié en 1978, fait état lui aussi d’une quintuple différence d’hydrosulibilité entre un énantiomère et son racémate. Ce composé n’avait, lui aussi, aucun lien avec l’ofloxacine ou la lévofloxacine. Fait important, il a été signalé dans cet article qu’une quintuple différence d’hydrosolubilité se situait à la limite supérieure de ce qui avait été observé. Cela étant, une hydrosolubilité relative dix fois supérieure serait un effet hautement inattendu. (Affidavit de Myerson, DD, volume 22, onglet 30.)

 

[167]       M. Myerson a procédé à une analyse de la documentation portant la solubilité relative des énantiomères et des racémates qui était disponible en 1985, et cette analyse lui a révélé que seul un nombre très restreint d’énantiomères présentaient une solubilité même cinq fois supérieure à celle de leur racémate correspondant. M. Myerson s’attendait à ce qu’une augmentation habituelle de la solubilité d’un énantiomère, par rapport à son racémate, soit nettement inférieure à dix fois. L’article de Liu et d’Hurwitz, sur lequel Apotex s’est fondée, recense la documentation et fait état d’une augmentation de cinq fois comme limite supérieure des résultats observés. (Affidavit de Myerson, paragraphes 34, 38-39, DD, volume 22, onglet 30, pages 6592-6594.)

 

[168]       M. Bucci, témoin des demanderesses, a déclaré que, par rapport à l’ofloxacine, la solubilité accrue de la lévofloxacine présentait le double avantage de permettre de formuler le médicament à une concentration supérieure au pH neutre requis et de lui permettre de mieux pénétrer le tissu cornéen. Il a indiqué de plus que la solubilité accrue de la lévofloxacine ainsi que son activité améliorée par rapport à celle de l’ofloxacine sont d’une grande utilité et d’une grande importance pratique dans le domaine de l’ophtalmologie, grâce à la capacité qu’a la lévofloxacine de mieux pénétrer les tissus et les fluides oculaires. (Affidavit de Bucci, paragraphes 37 et 43, DD, volume 1, onglet 2, pages 41 et 43-44.)

 

d) Dans le cas de la lévofloxacine, la combinaison des trois propriétés bénéfiques était imprévue

[169]       La combinaison générale des propriétés de la lévofloxacine – une activité accrue, une toxicité réduite et une solubilité accruedans un seul énantiomère ne pouvait pas être prédite. L’expert d’Apotex, M. Erhardt, l’a reconnu. Le juge Hughes a déclaré ce qui suit dans le Procès de Novopharm :

[126]    […] La forme S(-) de l’ofloxacine possède une plus grande activité microbienne, une toxicité réduite et une solubilité dans l’eau remarquablement plus élevée, lui donnant la chance de devenir un agent pharmaceutique très utile. Cette déclaration est exacte. Découvrir cette distribution d’attributs, nommément, plus de propriétés bénéfiques et à tout le moins pas plus de propriétés nuisibles, était en soi remarquable. [Non souligné dans l’original.]

 

(Affidavit de Wentland, paragraphes 67-68, DD, volume 31, onglet 45, pages 9895-9896; affidavit de Klibanov, paragraphe 133, DD, volume 12, onglet 17, page 3446; contre‑interrogatoire d’Erhardt, questions 67-69, DD, volume 34, onglet 54, pages 10909-10910.)

 

Conclusion

 

La lévofloxacine a un caractère inventif

[170]       Dans le Procès de Novopharm, le Hughes a conclu que la revendication 4 du brevet 080 était inventive et valide. Sa décision a été confirmée en appel. Dans la présente demande, c’est la même question qui est soulevée, de pair avec les mêmes références d’antériorité et essentiellement les mêmes éléments de preuve.

(Procès de Novopharm, précité, paragraphes 109-115; Appel de Novopharm, précité, paragraphes 23-45; Sanofi-Aventis c. Novopharm, précité, paragraphe 50, Eli Lilly, 2007 CF 596, précité, pages 238-239.)

 

[171]       La revendication 4 du brevet 080 est une revendication de composé, et elle englobe toutes ses propriétés, y compris celles qui ont été découvertes après le dépôt du brevet. La présente affaire est analogue à l’affaire concernant l’amlodipine (Pfizer) et aux affaires Bayer Cipro, où c’était le bésylate d’amlodipine (revendication 11) et la ciprofloxacine (revendication 14, telle que produite par un procédé particulier) qui étaient en litige.

(Apotex c. Merck, précité; Pfizer c. Ratiopharm, précité, paragraphe 1, inf. par 2006 CF 220, 288 F.T.R. 215; Bayer AG c. Apotex Inc., 2003 CF 1199, 240 F.T.R. 267.)

 

 

[172]       L’argument clé d’Apotex est que les inventeurs ne faisaient que vérifier les qualités prévisibles de composés connus. Cet argument ne peut pas être retenu parce qu’une vérification signifie confirmer des qualités prévues ou prévisibles de composés connus qui ont déjà été découverts et produits; il est donc impossible de « vérifier » les propriétés imprévues et imprévisibles de nouveaux composés.

(Pfizer c. Ratiopharm, précité, paragraphe 24; AB Hassle c. Genpharm, précité, paragraphe 51; Sanofi-Synthelabo c. Apotex, précité, paragraphe 76; Bayer Aktiengesellschaft, précité, page 81.)

 

[173]       Les inventeurs ont dû concevoir de nouveaux procédés pour produire la lévofloxacine parce qu’ils étaient incapables de l’obtenir à partir du racémate en recourant aux techniques usuelles de l’époque. Les connaissances générales courantes n’ont donc été d’aucune aide pour obtenir la lévofloxacine en les appliquant aux enseignements des références faites à l’ofloxacine. (Affidavit d’Hayakawa, paragraphes 24-25, DD, volume 4, onglet 6, pages 713-714.)

 

[174]       Une personne versée dans l’art qui produisait de l’ofloxacine en suivant les enseignements des références faites à l’ofloxacine aurait été incapable d’extraire directement ou d’isoler d’une autre façon la lévofloxacine. (Affidavit de Klibanov, paragraphes 74, 90-91 et 98-101, DD, volume 12, onglet 17, pages 3421,3429 et 3431-3432.)

 

[175]       Le critère de l’évidence est appliqué de manière stricte et il est difficile d’y satisfaire. L’allégation d’Apotex selon laquelle une personne versée dans l’art aurait été menée directement et sans difficulté de l’ofloxacine vers la lévofloxacine ne peut être justifiée. Le critère de l’évidence n’est pas de savoir si l’expérience « valait la peine d’être tentée ». Il est important de signaler que, dans l’Appel de Novopharm – un arrêt récent –, la Cour d’appel fédérale a réitéré le critère de l’évidence dans le passage qui suit :

[28]      Je voudrais aussi répéter l'avertissement du juge Hugues selon lequel il faut se garder de considérer comme des règles de droit les lieux communs tirés de cette liste ou de la jurisprudence. Je souscris aux observations suivantes qu'il formule paragraphe 113 de son exposé des motifs :

 

À cet égard, les tribunaux utilisent parfois des expressions comme « valant la peine d'être tenté », « directement et facilement » ou « examens de routine ». Il est inutile d'employer des expressions de ce genre car elles ont tendance à se glisser dans des énoncés de droit ou des déclarations de témoins experts. Le juge Sachs a désapprouvé l'utilisation de telles expressions dans General Tire & Rubber Company c. Firestone Tyre & Rubber Company Limited, [1972] R.P.C. 195 aux pages 211‑212.

 

(AB Hassle c. Genpharm, précité, paragraphe 45, le juge Marshall Rothstein; Bayer Aktiengesellschaft, précité.)

 

[176]       Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la défenderesse n’est pas parvenue à établir que la revendication 4 est invalide pour cause d’évidence ou d’absence d’inventivité. C’est donc dire que le brevet 080 n’est pas évident.

 

iii) Des revendications d’une portée plus large que l’invention réalisée et l’absence d’une prédiction valable

Les principes juridiques applicables

[177]       Les revendications relatives à un brevet ne peuvent être d’une portée plus large que l’invention qui a été réalisée et elles ne doivent pas être d’une portée plus large que l’invention décrite dans le mémoire descriptif. L’évaluation qui permet de déterminer si les revendications sont d’une portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée est une question de fait, et elle oblige la Cour à interpréter à la fois la divulgation et les revendications en se fondant sur les connaissances d’une personne versée dans l’art. (W.H. Brady Co. c. Letraset Canada Limited, 7 C.I.P.R. 1, 7 C.P.R. (3d) 82; Whirlpool, précité, paragraphe 49.)

 

[178]       La validité d’une prédiction est une question de fait et elle doit être évaluée en fonction des renseignements et de l’expertise qui étaient disponibles à l’époque en cause (c’est-à-dire, à la date de la demande de brevet) (Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 64, 265 D.L.R. (4th) 308, paragraphe 29; il est fait référence aussi à G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd., 2007 CF 81, 296 F.T.R. 254, paragraphes 98, 102 et 103). Pour établir une prédiction valable, il est nécessaire de faire état de ce qui suit : a) un fondement factuel pour la prédiction, b) un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité, et c) une divulgation appropriée. (Apotex c. Wellcome Foundation, précité, paragraphe 70.)

 

[179]       Apotex soutient que la divulgation du brevet 080 est lacunaire parce qu’elle ne divulgue aucun avantage important de l’un quelconque de ses composés. (Affidavit de Kellogg, paragraphes 38 et 107, DD, volume 47, onglet 69, pages 15133 et 15154).

 

[180]       Elle prétend que le brevet 080 indique que [traduction] « les composés ayant la formule (X) sont utiles en tant qu’intermédiaires pour synthétiser un isomère de l’ofloxacine ainsi que d’autres isomères de dérivés de pyridobenzoxazine ayant une excellente activité antimicrobienne »; cependant, cet énoncé ne révèle pas l’existence d’un avantage de la lévofloxacine sur l’ofloxacine. (Brevet 080, pages 1 et 2, 20-23; affidavit de Ferreira, pièce B, DD, volume 35, onglet 55(B), page 11031.)

 

[181]       En outre, selon Apotex, le brevet 080 n’indique pas que les membres choisis de l’invention présentent des avantages importants sur le plan de l’activité antimicrobienne, de la toxicité ou de la solubilité. Plus particulièrement, le mémoire descriptif ne dit pas que les composés de la formule générale (VI) possèdent une propriété bénéfique. (Affidavit de Kellogg, paragraphes 93-94 et 105, DD, volume 47, onglet 69, pages 15149-15150 et 15153.)

 

[182]       De plus, Apotex signale que le brevet 840 avait déjà divulgué que ses composés présentaient [traduction] « une activité antibactérienne encore meilleure [et] une faible toxicité ». Par ailleurs, les composés du brevet 840 de son invention présentent un degré élevé de solubilité dans l’eau, car dit-elle, ils pourraient être administrés par injection. (Brevet 840, page 3, l. 5-8, page 27, l. 2-3, document d’Apotex no 75, DD, volume 39, onglet 59(75), page 12398, l. 5-8, page 12422, l. 2-3; affidavit de Kellogg, paragraphe 106, DD, volume 47, onglet 69, pages 15153-15154.)

 

[183]       Cela étant, Apotex soutient que le brevet 080 ne révèle pas l’invention à laquelle il se rapporte censément. En outre, les inventeurs n’avaient pas montré l’utilité réelle de la lévofloxacine en tant qu’agent pharmaceutique antimicrobien spécial ou particulièrement bénéfique par rapport à l’ofloxacine le 20 juin 1985, soit la date de la première demande de priorité.

 

[184]       Cependant, il convient de préciser dûment et de reconnaître constamment que, d’après les éléments de preuve produits au procès, le juge Hughes a conclu que le mois de l’invention était décembre 1985, reconnaissant que les trois propriétés bénéfiques de la lévofloxacine avaient été vérifiées et que la configuration absolue de la lévofloxacine (« S ») avait été déterminée. (Procès de Novopharm, précité, paragraphes 48-50.)

 

Application aux faits de l’espèce

[185]       En décembre 1985, les inventeurs avaient soumis la lévofloxacine à des tests, ils avaient obtenu des données en établissant les propriétés bénéfiques et ils avaient déterminé que « S » était sa configuration absolue. (Affidavit d’Hayakawa, paragraphes 39, 55-56 et 59, et pièce BB, DAI-0024054, DD, volume 4, onglet 6, pages 719 et 723-725, et DD, volume 5, onglet 7, page 1324.)

 

[186]       La Cour d’appel fédérale a conclu à deux reprises que, pour déterminer une prédiction valable, ce n’est pas la date de priorité qui est la date importante, mais plutôt celle du dépôt au Canada qui, en l’occurrence, est le 19 juin 1986. (Pfizer c. Apotex, précité; Aventis Pharma c. Apotex et Schering Corporation, 2006 CAF 64, 265 D.L.R. (4th) 308.)

 

Conclusion

[187]       Apotex interprète erronément la promesse du brevet 080 et l’utilité de l’invention. Dans son AA, Apotex déclare que les [traduction] « tests antimicrobiens in vitro déclarés n’étaient qu’un test unique sur lequel on s’était fondé pour tenter de prédire l’utilité de la lévofloxacine – qu’il s’agirait d’un agent pharmaceutique fort utile, comparativement à l’ofloxacine »; cependant, le brevet 080 mentionne simplement qu’il est « prévu » que la lévofloxacine sera un agent pharmaceutique très utile, comparativement à l’ofloxacine. Le juge Hughes a résumé éloquemment l’utilité de la revendication 4 dans le Procès de Novopharm :

[126]    […] En fin de compte, ce que le brevet affirme est présenté à la page 2. La forme S(-) de l’ofloxacine possède une plus grande activité microbienne, une toxicité réduite et une solubilité dans l’eau remarquablement plus élevée, lui donnant la chance de devenir un agent pharmaceutique très utile. Cette déclaration est exacte. Découvrir cette distribution d’attributs, nommément, plus de propriétés bénéfiques et à tout le moins pas plus de propriétés nuisibles, était en soi remarquable.

 

D. Le brevet 080 est-il nul, au sens des alinéas 40(1)a) et c) de la Loi sur les brevets?

[188]       Apotex allègue que le brevet 080 est nul au sens de l’alinéa 40(1)c) parce que : 1) l’agent de la demanderesse n’a pas répondu à une décision par laquelle le Bureau des brevets demandait des détails sur une procédure de conflit de priorité mettant en cause le brevet américain équivalent et qui s’était soldé par l’abandon de la demande, et 2) en agissant ainsi, les demanderesses ont manqué à leur obligation de franchise envers le commissaire aux brevets. (AA, page 33-34, affidavit de Klibanov, pièce B, DD, volume 12, onglet 17, pages 3521-3522.)

 

[189]       Apotex allègue également que le brevet 080 est nul au sens de l’alinéa 40(1)a) parce que : 1) l’agent de la demanderesse n’a pas fourni tous les détails relatifs aux antériorités citées dans les demandes correspondantes soumises aux bureaux des brevets américain et européen, ce qui s’est soldé par l’abandon de la demande, et 2) en agissant ainsi, la demanderesse a manqué à son obligation de franchise envers le commissaire aux brevets. (AA, pages 34-36, affidavit de Klibanov, pièce B, DD, volume 12, onglet 17, pages 3522-3524.)

 

Les dispositions législatives applicables et leur interprétation

[190]       Le paragraphe 30(1) de la Loi sur les brevets est pertinent en ce qui concerne les allégations formulées par Apotex aux pages 33 à 36 de son AA. Le texte de cette disposition est le suivant :

Chaque demande de brevet doit être complétée dans un délai de douze mois à compter du dépôt de la demande, à défaut de quoi, ou sur manquement du demandeur de poursuivre sa demande dans les six mois qui suivent toute action que l’examinateur, nommé conformément à l’article 6, a prise concernant la demande et dont avis a été donné au demandeur, une telle demande est tenue pour avoir été abandonnée. [Non souligné dans l’original.]

Each application for a patent shall be completed within twelve months after the filing of the application, and in default thereof, or on failure of the applicant to prosecute the application within six months after any examiner, appointed pursuant to section 6, has taken action thereon on which notice has been given to the applicant, the application shall be deemed to have been abandoned. (Emphasis added)

 

[191]       Le sens des mots « décision » et « poursuivre sa demande » est important pour comprendre le paragraphe 30(1). L’article 45 des Règles sur les brevets, C.R.C., 1978, volume XIII, ch. 1250, indique ce qui suit :

(1) Dans le présent article et dans les articles 46 à 69, le mot « décisions » signifie le rapport d’un examinateur qui impose une exigence au demandeur.

 

(2) Le commissaire doit aviser le demandeur par écrit des motifs qui ont inspiré la décision de l’examinateur, et le commissaire peut se désister de cet avis et de cette décision en donnant avis par écrit au demandeur d’un tel désistement.

 

(3) Après qu’une demande a fait l’objet d’une décision de l’examinateur, ladite demande n’est censée être poursuivie que lorsque, en réponse à la décision rendue, le demandeur tente de bonne foi de faire accepter sa demande.

 

[Non souligné dans l’original.]

(1) In this section and in sections 46 to 49, "action" means a report of an examiner making a requirement upon the applicant.

 

 

(2) The Commissioner shall give written notice to the applicant of the grounds of an action taken by the examiner, which notice and action may be withdrawn by the Commissioner by giving written notice to the applicant of such withdrawal.

 

(3) An application shall be deemed to be prosecuted after an action thereon by an examiner only when, in answer to the action, the applicant makes a bona fide attempt to advance the application to allowance.

 

(Emphasis added.)

 

[192]       Les exigences que doit remplir un breveté lors d’une poursuite diffèrent sous le régime de la Loi sur les brevets actuellement en vigueur : Le témoin d’Apotex, M. Oyen, confond les obligations auxquelles est soumis le breveté ou l’agent lors de la poursuite d’une demande de brevet sous le régime de l’ancienne Loi sur les brevets et de la Loi sur les brevets actuellement en vigueur. Les deux lois contiennent des règles différentes à cet égard, ainsi que l’a reconnu M. Oyen en contre‑interrogatoire. La loi actuellement en vigueur oblige le demandeur à répondre de bonne foi à toutes les demandes que fait un examinateur, mais l’ancienne loi exigeait simplement que le demandeur tente de bonne foi de poursuivre une demande de brevet dans son ensemble jusqu’à son acceptation. Ces exigences sont manifestement différentes et elles devraient être interprétées comme telles. Selon l’ancienne loi, si le demandeur faisait une tentative véritable pour poursuivre la demande dans son ensemble jusqu’à son acceptation – et pas nécessairement en réponse à une exigence précise – la demande était réputée être poursuivie et il n’y avait pas d’abandon. (Affidavit de Stewart, paragraphes 14-16, DD, volume 29, onglet 42, page 9065; contre-interrogatoire d’Oyen, questions 113-120, DD, volume 51, onglet 82, page 16849; Loi sur les brevets, paragraphe 30(1); Règles sur les brevets, article 45; Loi sur les brevets, article 73.)

 

a) Il n’y a pas eu de contravention à l’alinéa 40(1)c) des Règles sur les brevets

L’alinéa 40(1)c) des Règles sur les brevets

 

[193]       Dans la décision officielle datée du 14 juillet 1989, l’examinateur de brevets a imposé huit exigences à la demanderesse. Nul ne conteste que cette dernière a répondu en détail à sept de ces exigences dans le délai prescrit. Cela constitue en soi une tentative de bonne foi pour poursuivre la demande jusqu’à l’acceptation. (Affidavit de Stewart, paragraphes 20-28, DD, volume 30, onglet 43, pages 9066-9068.)

 

[194]       L’agent de brevets de la demanderesse, M. Herbert, a omis en toute innocence et par inadvertance de répondre à la huitième exigence de l’examinateur de brevets – faire part de l’existence d’une procédure de conflit de priorité aux États-Unis – dans le délai prescrit pour répondre à la décision du Bureau; cependant, la bonne foi de sa réponse est démontrée par le fait qu’il a bel et bien informé l’examinateur de brevets du conflit par téléphone avant que celui-ci délivre l’avis d’acceptation. M. Oyen a convenu qu’il n’y avait rien de mal à ce que M. Herbert informe l’examinateur par téléphone plutôt que par lettre. M. Oyen a exprimé au départ l’opinion que le fait de ne pas révéler le conflit de priorité changeait le cours de la demande canadienne, mais il a plus tard reconnu en contre-interrogatoire que cette opinion était fondée sur ses propres conjectures et non pas sur un fait quelconque. (Affidavit de Herbert, paragraphes 26-29, DD, volume 6, onglet 9, pages 1528-1529; contre-interrogatoire d’Oyen, questions 204-207, DD, volume 51, onglet 82, page 16854.)

 

[195]       M. Oyen a reconnu que son opinion selon laquelle il y avait eu abandon de la demande reposait uniquement sur sa pratique personnelle et qu’il ne pouvait citer à l’appui de son dire aucune ligne directrice, directive de pratique, règle, règlement ou clause du Recueil des pratiques du Bureau des brevets. Il n’y a rien dans la Loi sur les brevets ou les Règles sur les brevets qui étaye son opinion selon laquelle il est obligatoire de répondre à toutes les exigences mentionnées dans une décision du Bureau pour que cela constitue une tentative de bonne foi pour poursuivre la demande jusqu’à son acceptation. Il n’y a rien non plus dans la Loi sur les brevets ou les Règles sur les brevets qui étaye la pratique qu’il a d’attribuer un poids à chacune des exigences que prescrit un examinateur dans une décision du Bureau. (Contre-interrogatoire d’Oyen, questions 99-112, 125-127, 153, DD, volume 51, onglet 82, pages 15848-16849 et 16851.)

 

[196]       M. Oyen a convenu en contre-interrogatoire que, lorsque plusieurs exigences sont incluses dans une décision du Bureau et que l’une d’elles reste sans réponse, on peut quand même considérer qu’il s’agit d’une tentative de bonne foi pour poursuivre la demande. Il a reconnu que, si le fait de ne pas répondre par inadvertance à une décision du Bureau obligeait à conclure qu’il n’y avait pas eu de tentative de bonne foi pour poursuivre la demande, cela aurait pour effet de faire perdre tout son sens à l’élément « de bonne foi » de l’exigence. C’est exactement de cela qu’il est question dans la présente demande : un agent n’a pas répondu par inadvertance à l’une des huit exigences d’une décision du Bureau des brevets dans le délai prescrit, mais il l’a fait plus tard. M. Oyen a également admis que c’est l’examinateur de brevets qui prend une décision subjective à propos de la bonne foi d’une réponse à une décision du Bureau. (Contre-interrogatoire d’Oyen, questions 131-134 et 176-179, DD, volume 51, onglet 82, pages 16849-16850 et 16852; affidavit de Herbert, paragraphe 26, volume 6, onglet 9, page 1528.)

 

b) Il n’y a pas eu de contravention à l’alinéa 40(1)a) des Règles sur les brevets

[197]       La version de l’alinéa 40(1)a) des Règles sur les brevets qui était en vigueur à l’époque est la suivante :

Un examinateur peut exiger d’un demandeur qui présente une demande au Canada de fournir l’un ou l’autre des renseignements suivants ayant trait à toute demande correspondante pouvant avoir été déposée, dans tout pays spécifié par l’examinateur, au non du demandeur ou de toute autre personne revendiquant au nom de l’inventeur désignée dans la demande au Canada  :

 

a) les antériorités citées en opposition auxdites demandes;

 

[Non souligné dans l’original.]

An examiner may require an applicant of any Canadian application to furnish any of the following information relating to any corresponding application that may have been filed, in any country specified by the examiner, on behalf of the applicant or on behalf of any other person claiming under the inventor named in the Canadian application :

 

 

(a) prior art cited against the applications;

 

(Emphasis added.)

 

Ici, l’expression « en opposition » était considérée comme signifiant, à l’époque en question, que la référence était appliquée par un autre bureau des brevets contre le sujet d’une revendication figurant dans cette demande. (Affidavit de Stewart, paragraphes 47-48, DD, volume 29, onglet 42, pages 9074-9075; contre-interrogatoire de Herbert, questions 129-132, DD, volume 6, onglet 10, pages 1740-1741.)

 

[198]       À l’époque où la demanderesse a produit sa réponse datée du 8 juin 1989, il n’y avait que cinq références d’antériorité citées en opposition à la demande correspondante présentée aux États-Unis, et trois citées en opposition à la demande présentée en Europe. M. Herbert les a toutes révélées à l’examinateur dans sa réponse du 8 juin 1989. (Affidavit de Stewart, paragraphes 50-56, DD, volume 29, onglet 42, pages 9075-9078.)

 

[199]       En contre-interrogatoire, M. Oyen a convenu qu’il était suffisant de fournir à l’examinateur de brevets des citations relatives à des demandes d’antériorités; il n’était pas nécessaire de fournir les documents eux-mêmes. Même si, dans son affidavit, il a exprimé l’avis que le fait de fournir des détails relatifs au résumé d’un article cité n’équivaut pas à fournir des détails sur l’article cité lui-même, il a reconnu en contre-interrogatoire que l’examinateur avait bel et bien reçu les citations relatives aux articles complets. M. Oyen a de plus convenu que l’article de 1987 de Gerster qui avait été cité dans la demande présentée aux États-Unis ne constituait pas une antériorité à l’égard des huit revendications en instance devant l’examinateur canadien quand ce dernier a délivré la décision du Bureau datée du 23 février 1989 (et il ne pouvait donc pas être cité en opposition à ces huit revendications). M. Oyen a donc reconnu que la réponse du breveté, datée du 8 juin 1989, était exacte et complète.

[traduction
Q.        Donc, le 8 juin, la réponse datée du
8 juin 1989 que la demanderesse a produite était complète, relativement au fait d’exposer les antériorités qui pouvaient être citées en opposition aux revendications qui étaient en instance devant l’examinateur à l’époque où la décision officielle a été prononcée; est-ce exact?

 

R.         Oui.

 

(Contre-interrogatoire d’Oyen, questions 226-241 et 251-254, DD, volume 51, onglet 82, pages 16855-16857.)

 

c) La demanderesse et ses agents ont agi de bonne foi

[200]       Apotex déclare qu’en raison des prétendues contraventions aux alinéas 40(1)a) et 40(1)c) des Règles sur les brevets, la demanderesse a manqué à une obligation de franchise, ce qui invalide le brevet 080. (AA, pages 33-36; affidavit de Klibanov, pièce B, DD, volume 12, onglet 17, pages 3521-3524.)

 

[201]       Il est évident que la Loi sur les brevets ou les Règles sur les brevets ne comportent aucune obligation expresse de franchise et que le mot « franchise » n’apparaît même pas dans ces textes de loi. Il existe bien une obligation de franchise et de bonne foi lors de la poursuite des demandes de brevet au sein du Bureau des brevets des États-Unis, mais une obligation semblable n’existe pas au Canada. Les faits qu’allègue Apotex dans son AA sont visés par le paragraphe 30(1) de la Loi sur les brevets, ainsi que les alinéas 40(l)a) et 40(1)c) et l’article 45 des Règles sur les brevets. Il n’existe aucun fondement dans la législation canadienne pour l’allégation distincte de manquement à l’obligation de franchise que soulève Apotex. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Flexi-Coil Ltd. c. Bourgault Industries Ltd., la divulgation exigée « ne peut être […] que celle que la loi, les règles et la jurisprudence exigent déjà. En outre, même si l’obligation de divulgation avait été élargie comme le prétend l’avocat, les répercussions de cette extension se feraient sentir non pas au plan de la validité du brevet, mais au plan des réparations, lorsque des considérations d’equity pourraient entrer en jeu ». (Affidavit de Stewart, paragraphes 68-70, DD, volume 29, onglet 42, page 9081; Flexi-Coil Ltd. c. Bourgault Industries Ltd. (1999), 237 N.R. 74, 86 C.P.R. (3d) 221, aux pages 231-232 (CAF), conf. par (1998), 80 CPR (3d) 1, 78 A.C.W.S. (3d) 373 (C.F. 1re inst.).)

 

Conclusion

[202]       Même si une telle obligation était implicite, rien dans la poursuite du brevet 080 ne donne à penser que la demanderesse n’a pas agi avec franchise et de bonne foi. L’agent qui représentait la demanderesse lors de la poursuite du brevet 080 – M. Herbert – a fourni une preuve qu’il avait pour habitude de répondre intégralement aux rapports de l’examinateur de brevets et aux demandes émanant de l’OPIC. M. Herbert a qualifié son omission d’[traduction] « involontaire [et d’] accidentelle ». Dans les circonstances, on ne peut pas dire que ses gestes étaient dénués de franchise ou de bonne foi. (Affidavit de Stewart, paragraphe 70, DD, volume 29, onglet 42, page 9081; affidavit de Herbert, paragraphe 26, DD, volume 6, onglet 9, p.1528.)

Un examinateur peut exiger d’un demandeur qui présente une demande au Canada de fournir l’un ou l’autre des renseignements suivants ayant trait à toute demande correspondante pouvant avoir été déposée, dans tout pays spécifié par l’examinateur, au non du demandeur ou de toute autre personne revendiquant au nom de l’inventeur désignée dans la demande au Canada  :

 

a) les antériorités citées en opposition auxdites demandes;

 

[Non souligné dans l’original.]

An examiner may require an applicant of any Canadian application to furnish any of the following information relating to any corresponding application that may have been filed, in any country specified by the examiner, on behalf of the applicant or on behalf of any other person claiming under the inventor named in the Canadian application :

 

 

(a) prior art cited against the applications;

 

(Emphasis added.)

 

VI. Conclusion

[203]       Tout compte fait, pour ce qui est de chacune des questions soulevées dans le cadre de la présente instance relative à un AC, aucune preuve n’a été faite au sujet de l’invalidité ou de la contrefaçon. Il convient de reconnaître les instances antérieures, instruites par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, dans lesquelles ont été analysées à fond les revendications relatives au brevet 080. En l’espèce, aucune meilleure preuve, ni aucun argument juridique plus approprié n’ont été présentés.

 

[204]       Les demanderesses obtiennent donc l’ordonnance d’interdiction qu’elles sollicitent.

 

VII. Analyse de l’abus de procédure et conclusion

Les principes juridiques applicables

[205]       Maintenant que tout a été dit et fait sur la foi du dossier tout entier, et même si les avocats de la défenderesse n’auraient pas pu travailler de façon plus laborieuse et ingénieuse pour le compte de leur cliente, il reste encore une question à régler, celle de l’abus de procédure que les demanderesses ont soulevée. Après toute l’analyse qui précède, la Cour souscrit effectivement aux arguments des demanderesses au sujet de l’abus de procédure. Même s’il convient de trouver un juste équilibre compte tenu du fait qu’un brevet est le privilège exceptionnel de détenir un monopole dans un contexte de concurrence, en raison de ce privilège, il est rare que l’on soulève une question d’abus de procédure dans de telles affaires pour s’assurer que l’on ne réduit pas au silence des arguments valables que l’on invoque à l’encontre d’un monopole.

 

[206]       Il demeure néanmoins une préoccupation fondamentale : le fait de préserver l’intégrité du processus décisionnel judiciaire au sein d’un contexte dans lequel une partie tente de faire juger à nouveau des questions déjà tranchées. Le fait de juger à nouveau une question ne mène pas à un résultat plus exact si, en fait, ce résultat semble évident et anticipé; cela mène simplement à un gaspillage de ressources de la Cour et des parties, en plus d’occasionner des difficultés à certains témoins. (Sanofi-Aventis c. Novopharm, paragraphe 35.)

 

[207]       Il existe toutefois des exceptions quand de meilleurs éléments de preuve, conjugués à une argumentation juridique plus appropriée, « jettent de façon probante un doute » sur le résultat initial. C’est dans ce genre de situation que les « meilleurs éléments de preuve » invoqués dans la seconde affaire sont susceptibles d’une interprétation différente. Dans un tel cas, « il serait de loin préférable d’observer [le témoin] pendant qu’il témoigne en cour ». (Sanofi-Aventis c. Novopharm, précité, paragraphe 39; Pfizer c. Novopharm, précité, paragraphe 55.)

 

[208]       La Cour reconnaît cependant que, lorsqu’on soulève de nouveau des questions déjà tranchées, la société générique n’est pas sans recours – elle peut toujours engager une action précise, dans les circonstances appropriées, en vue de contester un brevet. (Pfizer c. Novopharm, précité, paragraphes 38-39.)

 

[209]       Pour déterminer s’il y a eu abus, à l’égard de chaque point, la méthode appropriée consiste à demander si la seconde instance comporte des « éléments de preuve additionnels » ou un « argument juridique plus valable ». (Pfizer c. Novopharm, précité, paragraphe 27; Pfizer c. Pharmascience, précité, paragraphe 23.)

 

[210]       Comme la Cour d’appel fédérale a tranché cette affaire directement, le précédent qui émane du tribunal d’instance supérieure met fin à la question pour la Cour.

 

Interprétation

[211]       Il a déjà été considéré que la revendication 4 inclut la lévofloxacine semi-hydratée. Dans la demande présentée en vertu du Règlement dans le dossier T-2l4-03, le juge Mosley a expressément rejeté l’argument selon lequel « l’isomère optique d’ofloxacine S(-) sous une forme essentielle pure – indique que l’eau ne peut exister sous la forme de composé », et a conclu que la lévofloxacine semi-hydratée contreferait les revendications 2 et 17. (Novopharm, précité, paragraphes 127-128.)

 

[212]       L’interprétation du juge Mosley au sujet de la revendication 2, laquelle inclut la forme semi-hydratée, s’applique également à la revendication 4. (Il est fait référence aux paragraphes 65-70 ci-dessus).

 

[213]       Le seul argument qu’invoque Apotex à l’encontre de cette interprétation est que la revendication 4 ne présente aucune ambiguïté et qu’il ne convient donc pas de recourir au reste du brevet lorsque des renseignements sont fournis (dans l’exemple 7, les revendications 17 et 2) pour indiquer que la lévofloxacine inclut sa forme semi-hydratée. Pour ce qui est de ce brevet, la Cour d’appel a toutefois conclu que « l’interprétation […] doit se fonder sur l’ensemble de l’exposé de l’invention et de la revendication ». (Appel de Novopharm, précité, paragraphe 4.)

 

[214]       En examinant les principes relatifs à l’abus de procédure, la présente Cour a conclu que, en ce qui a trait à l’interprétation, particulièrement si la Cour d’appel fédérale a interprété le brevet, il faudrait disposer de meilleurs éléments de preuve et d’arguments juridiques plus appropriés pour qu’un tribunal d’instance inférieure parvienne à un résultat différent. (Pfizer c. Novopharm, précité, paragraphe 16.)

 

Contrefaçon

[215]       Le composé d’Apotex, comme celui de Novopharm, est de la lévofloxacine semi‑hydratée. Il a été conclu que Novopharm contrefaisait les revendications relatives à la lévofloxacine semi-hydratée. La revendication 4 est une telle revendication. (Novopharm, précité, paragraphes 128-129; observations écrites d’Apotex, paragraphes 25-36.)

 

Antériorité

[216]       Apotex allègue que la revendication 4 du brevet 080 est antériorisée par la divulgation antérieure de la lévofloxacine dans le brevet 840.

 

[217]       Le brevet 840 divulgue et revendique l’ofloxacine racémique. Il ne divulgue pas les énantiomères S(-) (lévofloxacine), ses propriétés supérieures inattendues, ou un procédé de fabrication de la lévofloxacine. Cette conclusion précise a été tirée non pas une fois, mais deux fois par la Cour en tant que motif pour rejeter une contestation d’invalidité du fait de l’antériorité. (Novopharm, précité, paragraphes 107-108; Procès de Novopharm, paragraphe 104.)

 

[218]       Apotex tente de réfuter ces conclusions en faisant valoir de « nouveaux éléments de preuve ». Les points suivants sont invoqués dans l’argumentation écrite d’Apotex (paragraphes 111-120) (lesquels excèdent tous les allégations factuelles contenues dans son avis d’allégation (page 31)) :

a)         Janssen a affirmé, admis ou concédé par ses actes que le brevet 840 comporte une revendication relative à la lévofloxacine;

b)         les listes de brevets selon le formulaire IV, relativement à la lévofloxacine;

c)         Ortho-McNeil est une société apparentée à Janssen (ce fait n’a pas non plus été établi dans la preuve);

d)         Ortho-McNeil a formulé à la Food and Drug Administration des États-Unis des observations selon lesquelles l’équivalent américain du brevet 840 englobait [traduction] « la [lévofloxacine], indépendamment de la stéréochimie » (ce fait n’a pas non plus été établi dans la preuve);

e)         Daiichi entendait octroyer à Santen Inc. l’équivalent américain du brevet 840.

 

[219]       Ces « nouveaux éléments de preuve » constituent une preuve extrinsèque qui n’est pas autorisée dans le cadre de l’examen de la question de savoir si le brevet 840 est antérieur ou non au brevet 080. (Il est fait référence aux paragraphes 71-78 qui précèdent; Novopharm, précité, paragraphe 113; Appel de Novopharm, précité, paragraphe 25.)

 

[220]       Apotex soutient également qu’elle a de [traduction] « meilleurs arguments » au sujet du droit de l’antériorité, à savoir que les enseignements du brevet 840 peuvent être combinés à des expériences menées [traduction] « par tâtonnements pour réaliser l’invention », se fondant à cet égard sur la décision Synthon rendue au Royaume-Uni. (Observations écrites d’Apotex, paragraphe 115.)

 

[221]       Cet argument a été rejeté dans le Procès de Novopharm, de même que par la Cour d’appel dans Pfizer c. Ratiopharm. (Novopharm, précité, paragraphe 106; Pfizer c. Ratiopharm, précité, paragraphes 35-36, inf. par 2006 CF 220, 288 F.T.R. 215.)

 

Caractère suffisant de la divulgation

[222]       Apotex allègue que le brevet 080 n’indique pas que la lévofloxacine présente des avantages important sur le plan de l’activité antimicrobienne, de la toxicité ou de la solubilité. (Observations écrites d’Apotex, paragraphe 108.)

 

[223]       Novopharm avait fait la même attaque dans le Procès de Novopharm et elle avait été rejetée par le juge Hughes, qui avait conclu que le brevet n’était pas insuffisant au point de justifier son invalidation (Novopharm, précité, paragraphes 123 et 126.)

 

[224]       Apotex prétend que des faiblesses relevées dans les données relatives à la toxicité, à l’activité et à la solubilité qui figurent dans le brevet 080 constituent de « meilleurs éléments de preuve ». (Observations écrites d’Apotex, paragraphes 106-110.)

 

[225]       Il n’est pas exigé qu’un breveté explique dans la divulgation pourquoi et en quoi son invention est utile. Un inventeur n’est pas tenu de décrire en quoi son invention est nouvelle ou utile, pas plus qu’il n’est obligé de « vanter l’effet ou l’avantage de sa découverte s’il décrit son invention de manière à la produire ». (Consolboard, précité, page 526; Pfizer c. Ranbaxy, précité, paragraphe 37.)

 

[226]       Rien n’oblige un breveté à expliquer à quel point son invention fonctionne bien par rapport à d’autres inventions. (Pfizer c. Ranbaxy, précité, paragraphe 37.)

 

[227]       La question de savoir si un breveté a obtenu suffisamment de données pour justifier une invention est un aspect non pertinent pour ce qui est de répondre à la question du caractère suffisant de la divulgation. (Pfizer c. Ranbaxy, précité, paragraphe 56; Pfizer c. Pharmascience, précité, paragraphe 67.)

 

Évidence

[228]       Apotex affirme détenir de « meilleurs éléments de preuve » pour réfuter la conclusion de non-évidence que le juge Hughes a tirée dans le Procès de Novopharm, c’est-à-dire :

  • on a prêté attention aux énantiomères;
  • les concurrents avaient une motivation pour obtenir la lévofloxacine;
  • les propriétés de la lévofloxacine étaient prévues;
  • il existait de nombreuses techniques pour isoler ou synthétiser les isomères optiques de l’ofloxacine;
  • les efforts de Daiichi n’étaient pas extraordinaires.

(Observations écrites d’Apotex, paragraphes 95-105.)

 

[229]       Aucun des points mentionnés ci-après ne présente de meilleurs éléments de preuve que ceux dont disposait le juge Hughes.

 

a) Aucune attention n’a été prêtée aux énantiomères dans le domaine des quinolones

[230]       M. Wentland, le seul chimiste médicinal spécialisé dans les quinolones à prendre part à la présente instance, a déclaré qu’en 1985 les chimistes médicinaux n’avaient pas pour stratégie de chercher les énantiomères des fluoroquinolones racémiques. À cette époque-là, les sociétés pharmaceutiques tentaient principalement d’identifier de nouveaux appendices à diverses positions sur le noyau quinolone.

(Affidavit de Wentland, paragraphes 25, 29, 43, DD, volume 31, onglet 45, pages 9848-9849, 9850 et 9865; contre-interrogatoire de Kellogg, question 308, DD, volume 47, onglet 70, page 15209; contre-interrogatoire d’Erhardt, question 296, volume 34, onglet 54, page 10924; contre-interrogatoire de Mislow, question 192, DD, volume 48, onglet 79, page 15849.)

 

[231]       Il n’est mentionné nulle part que l’on a résolu des quinolones racémiques en leurs énantiomères avant la date de priorité en juin 1985, à l’exception du résumé de 1982 de Gerster et des deux références additionnelles à Gerster. Ces dernières indiquaient que les énantiomères de quinolone n’en valaient pas la peine. Le résumé de 1982 de Gerster faisait état de la résolution de la fluméquine par son inventeur quelque dix ans après la découverte du composé.

(Affidavit de Wentland, paragraphe 25, DD, volume 31, onglet 45, pages 9848-9849; contre-interrogatoire de Wentland, questions 224-227, DD, volume 33, onglet 48, page 10528; affidavit de Klibanov, paragraphes 114-117, DD, volume 12, onglet 17, pages 3438-3439; contre-interrogatoire de Mislow, questions 104-108, 133-135, 161, 215-222 et 274-276, DD, volume 48, onglet 79, pages 15844, 15846, 15847, 15851 et 15854; contre-interrogatoire de Kellogg Cross, questions 325-368 et 380-381, DD, volume 47, onglet 7, pp.15210-15211 et 15212.)

 

b) Il n’y a aucun meilleur élément de preuve montrant que les concurrents avaient une motivation pour obtenir la lévofloxacine

 

[232]       Apotex cherche à faire examiner de nouveau les divers facteurs qui entrent en ligne de compte dans le critère de l’évidence. La preuve de motivation n’est pas différente de celle qui a été soumise dans le Procès de Novopharm. Apotex, à l’instar de Novopharm, se fonde sur la preuve qu’en 1985 quatre concurrents ont obtenu la lévofloxacine peu après Daiichi. Le juge Hughes a considéré cette même preuve et conclu que rien ne prouvait qu’un concurrent quelconque avait décidé d’exploiter l’ofloxacine. (Procès de Novopharm, précité, paragraphes 67, 114(5).)

 

[233]       Dans l’Appel de Novopharm, la juge Sharlow a conclu ce qui suit :

[40]      La motivation de Daiichi pour obtenir les énantiomères de l'ofloxacine explique l'activité déployée par M. Hayakawa à l'époque pertinente […] L'attention et les efforts des autres chercheurs du domaine, durant cette période, n'étaient pas du tout axés sur l'ofloxacine, ce qui indique que les autres personnes versées dans l'art n'étaient pas motivées pour travailler sur le problème qui occupait M. Hayakawa. Le juge Hugues a posé comme avéré que, à l'époque pertinente, Daiichi était motivée pour obtenir la lévofloxacine à partir de l'ofloxacine et que personne d'autre ne l'était. C'est là une conclusion de fait qu'il pouvait légitimement tirer du dossier.

(Appel de Novopharm, précité, paragraphes 39 et 40.)

 

[234]       La juge Sharlow est arrivée à cette conclusion même si Novopharm invoquait le même point que celui qu’Apotex fait maintenant valoir, à savoir qu’après que Daiichi eut déposé sa demande de brevet concernant la lévofloxacine, au moins quatre autres concurrents ont réalisé la même invention. Ce point a été soulevé dans l’avis d’appel de Novopharm :

[traduction
Le juge de première instance a de plus commis une erreur manifeste et dominante au paragraphe 114(5) des motifs en concluant que « [s]eule Daiichi était motivée à poursuivre les recherches dans ce domaine » et « [i]l ne semble pas qu’une personne extérieure ait fait montre d’une motivation quelconque pour explorer le domaine des énantiomères de l’ofloxacine ».

 

[235]       Cela ne cadre pas avec la conclusion que le juge Hughes a lui-même tirée au paragraphe 67 de ses motifs : « [P]eu après la déposition de la demande de brevet japonais par Daiichi, au moins quatre groupes de concurrents ont annoncé avoir utilisé des méthodes identiques pour obtenir le même énantiomère ». (Avis d’appel de Novopharm.)

 

c) Les propriétés de la lévofloxacine étaient imprévues

[236]       La lévofloxacine présente une meilleure solubilité, une activité supérieure et une toxicité inférieure comparativement à l’ofloxacine. La combinaison générale de ces propriétés de la lévofloxacine en un énantiomère unique était impossible à prédire.

(Affidavit de Wentland, paragraphes 67-68, DD, volume 31, onglet 45, pages 9895-9896; affidavit de Klibanov, paragraphe 133, DD, volume 12, onglet 17, page 3446; contre‑interrogatoire d’Erhardt, questions 69-72, DD, volume 34, onglet 54, pages 10909-10910; Procès de Novopharm, précité, paragraphe 126.)

 

 

[237]       Preuve d’activité : Il n’existe aucune attente généralisée que la majeure partie de l’activité d’une quinolone racémique résiderait en un seul énantiomère. M. Castagnoli a reconnu en contre-interrogatoire pour le compte d’Apotex que la différence que la chiralité pourrait faire dans le résultat biologique pouvait être si minime qu’il serait impossible de la mesurer. (Contre-interrogatoire de Castagnoli, questions 494-499, DD, volume 34, onglet 41, pages 10805-10806.)

 

[238]       Une personne versée dans l’art ne saurait pas, sans procéder à des tests, si la lévofloxacine avait une activité semblable ou différente, pas plus que l’ampleur d’une différence quelconque, comparativement à l’ofloxacine et à l’énantiomère R(+).

(Affidavit de Wentland, paragraphes 45, 48-49, 50-66 et 52 (citant Segev, page 35) et pièce GG, DD, volume 31, onglet 45, pages 9866-9895, 10220-10240; affidavit de Klibanov, paragraphes 109-113, 125, 129, DD, volume 12, onglet 17, page 3435; contre-interrogatoire d’Erhardt, questions 41-42 et 239, volume 34, onglet 54, pages 10907 et 10921.)

 

 

[239]       Activité et toxicité combinées : Il n’y avait aucune attente que l’énantiomère, parce qu’il avait une activité supérieure, aurait aussi une toxicité inférieure. Selon M. Rodrick, la toxicité relative des racémates par rapport à leurs énantiomères est impossible à prédire. Aucun témoin d’Apotex n’a contredit la preuve de M. Rodricks à cet égard. (Affidavit de Rodricks, paragraphes 3-5, 57-58 et 59-60, DD, volume 24, onglet 34, pages 7109- 7110 et 7128-7 130; contre-interrogatoire d’Erhardt, question 56, DD, volume 34, onglet 54, page 10908.)

 

[240]       Les tests de toxicité intraveineuse aiguë sont pertinents, et l’on s’y reporte souvent dans le cadre du processus de mise au point de médicaments. (Affidavit de Rodricks, paragraphes 14, 16, 35, 37, 40 et 45, DD, volume 24, onglet 34, pages 7114, 7115 et 7121-7124.)

 

[241]       Ce sont les études de toxicité intraveineuse aiguë que l’on préfère aux études de létalité d’une dose unique administrée par voie orale, car ces dernières, que Daiichi avait effectuées, ont été faussées par l’absorption, en raison de solubilités différentes. La lévofloxacine présente une solubilité nettement supérieure à celle de l’ofloxacine. (Affidavit de Rodricks, paragraphes 64-65, DD, volume 24, onglet 34, page 7131.)

 

[242]       Une personne versée dans l’art comprendrait, d’après les tests d’activité et de toxicité réalisés dans le cadre du brevet 080, que la lévofloxacine pourrait avoir une toxicité inférieure et un index thérapeutique supérieur (il s’agit d’une mesure de l’innocuité que l’on détermine en examinant la relation entre la dose toxique et la dose nécessaire pour qu’un produit soit efficace) à ceux de l’ofloxacine chez l’être humain. Cette « expectative » d’être un produit pharmaceutique meilleur que l’ofloxacine est la promesse faite à la page 2 du brevet. (Affidavit de Rodricks, paragraphes 16, 17 et 37, volume 24, onglet 34, pages 7115 et 7122; contre‑interrogatoire de Rodricks, questions 8 1-83 et 239, DD, volume 29, onglet 40, pages 9008-9009 et 9020.)

 

[243]       Preuve de solubilité : En juin 1985, une personne versée dans l’art n’aurait pu prédire les différences de solubilité relative entre la lévofloxacine et l’ofloxacine. Une personne versée dans l’art ne connaîtrait pas l’aspect quantitatif de la solubilité relative de l’ofloxacine et de la lévofloxacine. (Affidavit de Myerson, paragraphes 32-33, DD, volume 22, onglet 30, pages 6591-6592.)

 

[244]       Selon les antériorités citées par Apotex (Repta 1976 et Liu et Hurwitz 1978), un énantiomère avait une hydrosolubilité relative cinq fois supérieure à celle de son racémate. Les composés n’étaient pas des quinolones et n’étaient pas liés à l’ofloxacine ou à la lévofloxacine. Liu et Hurwitz signalent que le quintuple est la limite supérieure de différence observée. (Affidavit de Myerson, paragraphes 36-39, DD, volume 22, onglet 30, pages 6593-6594; contre‑interrogatoire d’Erhardt, questions 477-479, DD, volume 34, onglet 54, page 10936; affidavit de Myerson, paragraphes 34 et 38-39, DD, volume 22, onglet 30, pages 6592 et 6594.)

 

[245]       En outre, la solubilité accrue de la lévofloxacine est d’une importance pratique à des fins ophtalmiques, et cela est dû à la capacité de la lévofloxacine de mieux pénétrer les tissus et les fluides oculaires. (Affidavit de Bucci, paragraphes 37 et 43, DD, volume 1, onglet 2, pages 41 et 43-44.)

 

[246]       Apotex soutient qu’il n’est pas question de fins ophtalmiques dans le brevet et qu’elles sont donc [traduction] « découvertes après coup » et ne peuvent pas servir à réfuter une allégation d’évidence. C’est la solubilité et non son applicabilité qui est la propriété. La page 2 du brevet promet simplement une expectative que la lévofloxacine sera un produit pharmaceutique utile, comparativement à l’ofloxacine, en raison des propriétés révélées.

 

[247]       Considérés dans leur ensemble, les « nouveaux éléments de preuve » concernant l’inventivité ne sont rien de plus que des éléments contradictoires ou une répétition des éléments de preuve déjà soumis au juge Hughes. Comme il a été dit plus tôt, quand, dans la seconde affaire, les « meilleurs éléments de preuve » sont susceptibles d’interprétations différentes, ils ne satisfont pas au critère qui s’applique à la situation où une seconde affaire peut être examinée, compte tenu de conclusions contraires tirées dans la première affaire. Les éléments de preuve d’Apotex, dans le meilleur des cas, sont susceptibles d’interprétations différentes. Dans une telle situation, « il serait nettement préférable d’observer [le témoin] pendant qu’il témoigne en cour ». (Sanofi-Aventis c. Novopharm, précité, paragraphe 39; Pfizer c. Novopharm, précité, paragraphe 55.)

 

VIII. Dépens

[248]       Les demanderesses ont eu gain de cause dans la présente demande et les dépens leur seront adjugés selon l’échelon supérieur de la colonne IV en raison des circonstances et du contexte qui sont analysés dans les présents motifs.

 

[249]       En outre, comme il est indiqué dans Eli Lilly (2008), précité, l’article 53 soulève une question de fraude qui, si elle évoquée et non poursuivie, devrait entraîner une sanction sur le plan de l’adjudication des dépens.

 

[250]       Vu la gravité de l’allégation de fraude soulevée au départ, les dépens et les débours taxés et accordés aux demanderesses respectives seront majorés de cinq pour cent; il est ainsi reconnu que le retrait de l’allégation de fraude, même si celle-ci était sérieuse, a eu lieu à un stade très peu avancé, avant que les demanderesses n’entreprennent un travail considérable sur la question.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1)         l’ordonnance d’interdiction que sollicitaient les demanderesses est accordée;

2)         les demanderesses ont droit aux dépens, qui seront taxés conformément aux présents motifs.

 

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1508-05

 

INTITULÉ :                                       JANSSEN-ORTHO INC. et DAIICHI SANKYO COMPANY LIMITED c.

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Du 12 au 16 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 17 juin 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Belmore

Lindsay Neidrauer

 

Michael E. Charles

Andrew I. McIntosh

Joshua W. Spicer

 

POUR LA DEMANDERESSE

JANSSEN-ORTHO INC.

 

POUR LA DEMANDERESSE

DAIICHI SANKYO COMPANY LIMITED

Andrew R. Brodkin

David E. Lederman

Belle Van

 

Aucune comparution

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Gowling Lafleur  Henderson

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Bereskin & Parr

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JANSSEN-ORTHO INC.

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

DAIICHI SANKYO COMPANY LIMITED

Goodmans s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

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