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Date : 20080613

Dossier : T‑1905‑07

Référence : 2008 CF 737

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2008

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

LA CANADIAN COPYRIGHT LICENSING AGENCY

demanderesse/défenderesse reconventionnelle

et

BUREAU EN GROS LTÉE

défenderesse/demanderesse reconventionnelle

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La défenderesse/demanderesse reconventionnelle, Bureau en Gros Ltée (Bureau en Gros), fait appel d’une ordonnance du protonotaire Aalto datée du 30 avril 2008. Dans son ordonnance, le protonotaire a radié la demande reconventionnelle de la défenderesse, sans autorisation de la modifier, et a jugé que [traduction] « [l]a demande reconventionnelle n’allègue tout simplement pas de faits matériels qui suffisent à soutenir une cause d’action selon l’alinéa 7a) de la [Loi sur les marques de commerce] ». Le protonotaire a aussi jugé que [traduction] « les dommages‑intérêts majorés, exemplaires et punitifs réclamés par [la défenderesse], ainsi que la mesure injonctive qu’elle demande, ne peuvent pas être accordés car ils découlent des allégations se rapportant à l’alinéa 7a) ».

[2]               Dans le présent appel, Bureau en Gros fait valoir que le protonotaire a commis des erreurs de droit susceptibles de contrôle et qu’il s’est mépris sur les faits. Elle voudrait donc que soit rendue une ordonnance faisant droit au présent appel et annulant la décision du protonotaire ou, subsidiairement, lui accordant l’autorisation de modifier sa défense et sa demande reconventionnelle.

 

I. Les faits

 

[3]               La demanderesse, la Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), est une société à but non lucratif qui agit comme société de gestion en vertu de l’article 70.1 de la Loi sur le droit d’auteur (L.R.C., 1985, ch. C‑42) en se chargeant de la gestion collective du droit d’auteur au bénéfice des titulaires du droit d’auteur protégeant certaines œuvres publiées.

 

[4]               La défenderesse est un détaillant qui exploite environ 298 commerces de détail au Canada, sous les raisons sociales « Staples », « Business Depot », « Staples Business Depot », « Bureau en Gros » et « Staples Bureau en Gros ». Bureau en Gros vend des fournitures de bureau, des machines de bureau ainsi que des meubles de bureau et fournit divers services, notamment des services de reproduction sur place, aux particuliers et aux petites entreprises.

 

[5]               La demanderesse a allégué dans sa déclaration que, en offrant des services de reproduction, la défenderesse s’est livrée, sur une période de plusieurs années, à la contrefaçon directe du droit d’auteur ainsi qu’à l’autorisation de contrefaçon du droit d’auteur. Dans sa défense, Bureau en Gros a démenti l’allégation de contrefaçon en affirmant, entre autres, qu’elle laisse ses employés faire des copies d’œuvres uniquement pour les clients qui déclarent détenir le droit d’auteur sur une œuvre donnée ou avoir l’autorisation du titulaire du droit d’auteur de reproduire l’œuvre, qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une licence d’Access Copyright pour offrir des services de reproduction au public et que toute reproduction faite par les clients de Bureau en Gros constituait une utilisation équitable au sens de l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur.

 

[6]               Après le dépôt de sa déclaration, la demanderesse a émis un communiqué de presse résumant les allégations faites à l’encontre de la défenderesse dans cette action. Ce communiqué de presse a été affiché sur le site Web d’Access Copyright. Il renferme ce qui suit :

[traduction]

 

POUR DIFFUSION IMMÉDIATE :

 

Access Copyright poursuit Staples/Bureau en Gros pour contrefaçon du droit d’auteur

 

Le 15 novembre 2007

 

Toronto, ON – Access Copyright, une organisation qui représente le droit d’auteur de près de 9 000 auteurs et éditeurs canadiens, poursuit Staples/Bureau en Gros pour contrefaçon du droit d’auteur.

 

Dans son action, Access Copyright réclame le plus fort dédommagement auquel ait jamais donné lieu au Canada une contrefaçon du droit d’auteur sur des œuvres publiées.

 

Access Copyright réclame 10 millions $ en dommages‑intérêts, y compris les dommages‑intérêts punitifs.

 

Staples/Bureau en Gros est une grande entreprise commerciale dont une partie des activités consiste à offrir un service lucratif qui exploite les œuvres publiées d’auteurs, de photographes et d’éditeurs. Les entreprises qui font des photocopies illégales vont en réalité chercher leur argent directement dans les poches des créateurs et des éditeurs, dont les moyens d’existence reposent sur la vente de leurs ouvrages et sur leurs redevances.

 

« Les entreprises qui tirent profit des photocopies illégales portent atteinte au travail d’autrui », de dire Maureen Cavan, directrice exécutive d’Access Copyright. Staples/Bureau en Gros n’est pas différente des organisations qui tirent profit du téléchargement illégal d’œuvres musicales protégées par droit d’auteur ou du partage non autorisé, sur Internet, de vidéos et d’œuvres publiées ».

 

Access Copyright enquête constamment depuis 1998 sur Staples/Bureau en Gros en réponse aux inquiétudes de créateurs et d’éditeurs concernant les activités de contrefaçon. Malgré les tentatives répétées d’Access Copyright d’arriver à un accord et de conclure un arrangement à l’amiable, Staples/Bureau en Gros ne semble avoir aucunement modifié ses pratiques commerciales.

 

Access Copyright, la Canadian Copyright Licensing Agency, est une organisation à but non lucratif fondée par les créateurs et éditeurs canadiens pour répondre aux besoins des utilisateurs d’œuvres protégées par droit d’auteur, tout en veillant à ce que telle utilisation donne lieu à une juste rémunération. Access Copyright travaille avec les organisations de tous les secteurs pour les aider à rester dans la légalité, en leur donnant la possibilité d’obtenir des licences qui autorisent l’utilisation légitime des œuvres publiées protégées par droit d’auteur.

 

 

 

[7]               Dans sa demande reconventionnelle, la défenderesse alléguait que certains passages susmentionnés du communiqué de presse publié par la demanderesse étaient [traduction] « faux et trompeurs », qu’ils [traduction] « tend[ai]ent à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services » de la défenderesse, et qu’ils [traduction] « [avaie]nt préjudicié à l’image de marque, à la réputation et à la notoriété » de la défenderesse. Bureau en Gros réclame donc à Access Copyright des dommages‑intérêts généraux de 1 million $, conformément à l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C. 1985, ch. T‑13), des dommages‑intérêts majorés, exemplaires et punitifs, ainsi qu’une injonction interdisant à la demanderesse de faire des déclarations selon lesquelles la défenderesse porte atteinte à quelque droit d’auteur que ce soit.

 

[8]               Depuis l’audition de la requête en radiation devant le protonotaire, mais avant que soit rendue sa décision, la défenderesse a introduit devant la Cour supérieure de l’Ontario une action en diffamation fondée sur le même communiqué de presse à l’origine de sa demande reconventionnelle.

 

II. La décision contestée

 

[9]               Appliquant le critère bien connu régissant la radiation d’une procédure, c’est‑à‑dire le fait qu’il doit être « manifeste et évident » que la procédure est vouée à l’échec, le protonotaire a exprimé l’avis que l’acte de procédure ne répondait pas à un impératif clair et légal donnant naissance à la cause d’action et il a donc jugé qu’il était manifeste et évident que la demande reconventionnelle était vouée à l’échec. Plus précisément, il a estimé que la demande reconventionnelle ne prétendait nulle part qu’Access Copyright était une concurrente de Bureau en Gros ou qu’une déclaration quelconque faite par Access Copyright se rapportait à toute propriété intellectuelle de Bureau en Gros.

 

[10]           Hormis ces lacunes des actes de procédure, le protonotaire a jugé aussi qu’Access Copyright et Bureau en Gros n’étaient pas des concurrentes au sens de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce et que des propos ne pouvaient donner lieu à une action selon cette disposition que s’ils attaquent la propriété intellectuelle de Bureau en Gros, ce qui n’était pas le cas ici.

 

[11]           Finalement, le protonotaire est aussi arrivé à la conclusion que le communiqué de presse n’équivalait pas à une menace de procédures judiciaires adressée à des tiers concernés par le produit de la défenderesse.

 

III. La norme de contrôle

 

[12]           Il n’est pas contesté entre les parties que la décision du protonotaire se rapportant à la radiation de la demande reconventionnelle intéresse une question qui est essentielle pour l’issue finale de la demande reconventionnelle, puisque la décision portait intégralement sur la cause d’action alléguée dans la demande reconventionnelle. Par conséquent, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire de novo : Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), 149 N.R. 273; Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459.

 

IV. Les questions en litige

 

[13]           Les questions soulevées par le présent appel sont les suivantes :

a.       Quel critère faut‑il appliquer pour savoir s’il convient ou non de radier un acte de procédure en application de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106)?

b.      Le protonotaire a‑t‑il commis une erreur en décidant que la défenderesse n’était pas une « concurrent[e] » de la demanderesse, au sens de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce?

c.       Le protonotaire a‑t‑il commis une erreur en décidant que le champ de l’alinéa 7a), limité constitutionnellement par la jurisprudence, ne s’étendait pas aux propos tenus par la demanderesse parce que tels propos ne se rapportaient pas à la propriété intellectuelle de la défenderesse?

 

V. Analyse

 

[14]           Le critère régissant la radiation d’un acte de procédure est bien établi. Il a été exposé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, 74 D.L.R. (4th) 231. Si l’on suppose que les faits allégués dans les actes de procédure sont avérés, il doit être « évident et manifeste » que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action valable, avant que l’acte de procédure puisse être radié. C’est là une mesure tout à fait draconienne, et c’est pourquoi la partie qui veut faire radier un acte de procédure assume une lourde charge au chapitre de la preuve à produire. La complexité ou le caractère inédit de la question que le demandeur entend soumettre à la justice ne doit pas avoir pour effet de faire obstacle à la tenue du procès.

 

[15]           Cela dit, une procédure doit néanmoins revêtir un minimum de raison et avoir quelque chance de succès pour pouvoir échapper à une radiation. Ainsi que l’écrivait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Prentice c. Canada (GRC), 2005 CAF 395, [2006] 3 R.C.F. 135 :

[23] Une requête en radiation d’un acte de procédure présentée en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales pour le motif qu’il n’existe pas de cause d’action valable, ne sera accueillie que si, tenant les faits allégués dans la déclaration comme avérés, le juge en arrive à la conclusion que l’issue de l’affaire est « évidente et manifeste » ou « au delà de tout doute raisonnable » (voir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.S.C. 959, j. Wilson à la page 980). Il ressort clairement des propos de la juge Wilson que c’est avec beaucoup de prudence et d’hésitation que le pouvoir de radier des procédures doit être exercé et que ni la longueur ou la complexité des questions, ni la nouveauté de la cause d’action ne devraient empêcher un demandeur d’exercer son action.

 

[24] Cela ne veut pas dire, pour autant, que le plaideur qui invoque une cause inédite d’action aura la vie plus facile au stade d’une requête en radiation. Les cours sont certes prêtes à donner une chance au coureur, mais encore faut‑il que la cause d’action, si nouvelle soit‑elle, ait quelque chance d’être reconnue en bout de piste. Une cause d’action n’est pas « valable » tout simplement parce qu’elle n’a pas encore été explorée. Les cours ne doivent pas naïvement supposer que ce qui est nouveau s’inscrit ou pourra s’inscrire dans l’évolution normale du droit. […]

 

[…]

 

[26] Est‑il nécessaire, aussi, de rappeler que ce sont les faits qui sont tenus comme avérés, et non l’interprétation que peut en faire le demandeur dans sa déclaration, non plus que les affirmations de droit qu’il y peut énoncer?

 

 

 

[16]           C’est donc avec cette norme à l’esprit que je dois maintenant me demander si le protonotaire a commis une erreur en radiant la demande reconventionnelle de la défenderesse, sans autorisation de la modifier.

 

[17]           L’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce prévoit ce qui suit :

Interdictions

 

7. Nul ne peut :

 

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent;

Prohibitions

 

7. No person shall

 

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, wares or services of a competitor;

 

 

[18]           Il ressort du texte de cet alinéa que l’existence d’un « concurrent » est un élément fondamental de l’alinéa 7a). Or, la demande reconventionnelle ne dit nulle part que la demanderesse est de quelque façon une « concurrente » de la défenderesse. À première vue, la demande reconventionnelle est donc déficiente parce qu’elle ne rend pas compte de tous les éléments constitutifs de l’interdiction.

 

[19]           L’autorisation de modifier la demande reconventionnelle pourrait évidemment être accordée. Mais la question véritable est celle de savoir si l’on pouvait raisonnablement prétendre que la demanderesse est de quelque façon une concurrente de la défenderesse. Le protonotaire a estimé que les parties n’exerçaient manifestement pas les mêmes activités et qu’elles ne pourraient pas être considérées comme des concurrentes, surtout compte tenu que l’une d’elles est une société à but non lucratif établie pour assurer la gestion collective du droit d’auteur, au bénéfice des titulaires du droit d’auteur protégeant certaines œuvres publiées, alors que l’autre exploite un commerce de détail.

 

[20]           Il est sans aucun doute vrai, comme le fait valoir la défenderesse, qu’il n’y a dans la Loi sur les marques de commerce aucune définition du mot « concurrent » et qu’il n’existe sur la question aucune jurisprudence certaine. Mais cela suffit‑il pour conclure qu’il existe, en matière d’interprétation des lois, une question litigieuse à trancher et une cause d’action valable méritant la tenue d’un procès? Je ne le crois pas.

 

[21]           En l’absence d’une définition précise d’un mot dans une loi, il faut donner à ce mot son sens naturel, en tenant compte de l’objet de la loi. Les dictionnaires sont remplis de définitions des mots « concurrents » et « concurrence », définitions qui dans une large mesure s’accordent avec la propre interprétation donnée par le protonotaire. Le West’s Law and Commercial Dictionary in Five Languages (West Publishing Company, 1985), par exemple, définit ainsi « competitors » (« concurrents ») : [traduction] « des personnes qui s’emploient à faire la même chose et dont chacune s’offre à accomplir l’activité, à fournir la marchandise ou à rendre le service, mieux ou pour un meilleur prix que leur rival ». Pareillement, le Pocket Dictionary of Canadian Law (Thomson Carswell, 4e édition, 2006) donne au mot « competition » (« concurrence ») deux significations, dont la plus intéressante en ce qui nous concerne est la suivante : [traduction] « situation dans laquelle deux ou plusieurs entreprises sont en quête de clients sur le même marché ».

 

[22]           La défenderesse fait valoir qu’une société de gestion du droit d’auteur à but non lucratif telle que la demanderesse peut être une « concurrente » d’un détaillant tel que la défenderesse parce que chacune des parties affirme que ses sources de revenus dépendent des activités de l’autre. Access Copyright affirme d’ailleurs dans sa déclaration qu’elle a perdu des revenus, des redevances et des possibilités de concession de licences, en raison des activités de Bureau en Gros, tandis que Bureau en Gros affirme dans sa demande reconventionnelle que le communiqué de presse avait pour objet de la contraindre à prendre une licence. Autrement dit, la défenderesse soutient que les parties sont des concurrentes parce qu’Access Copyright est sur les rangs pour les recettes générées par les ventes de photocopies, et cela, directement en tentant de contraindre Bureau en Gros à verser à Access Copyright une partie de ses recettes de photocopies et, indirectement, en percevant des recettes par la concession de licences à d’autres fournisseurs de services de reproduction au Canada.

 

[23]           Cet argument, bien qu’intéressant, n’est pas recevable. Il va de soi qu’un « concurrent » de la défenderesse doit être une personne qui dispute à la défenderesse les clients que recèle le marché. La demanderesse ne dispute manifestement pas de clients à la défenderesse, directement ou indirectement. Loin de se trouver en concurrence avec les détaillants, elle leur concède les licences de droit d’auteur dont ils ont besoin pour mener leurs activités. La défenderesse ne parvient d’ailleurs pas à expliquer comment la demanderesse peut lui offrir une licence tout en demeurant une « concurrente ».

 

[24]           L’argument de la défenderesse se fonde sur le fait que la demanderesse a droit à une portion des recettes de photocopies perçues par les détaillants tels que la défenderesse lorsqu’ils reproduisent les œuvres protégés par droit d’auteur de la demanderesse, mais cela ne doit pas être confondu avec la situation où deux entités se disputent les acheteurs de services de reproduction ou les recettes qui en résultent. Il me semble que les redevances que doit payer la défenderesse à la demanderesse devraient plus justement être assimilées aux divers coûts engagés par un détaillant exerçant des activités semblables à celles de la défenderesse. Le fait qu’une augmentation de loyer puisse se répercuter sur les bénéfices d’un détaillant, par exemple, ne fait pas du propriétaire un concurrent de la défenderesse.

 

[25]           Je suis donc d’avis que le protonotaire, au vu des faits qu’il avait devant lui, a eu raison de dire que Bureau en Gros et Access Copyright n’étaient pas des concurrentes aux fins de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. Elles ne vendent tout simplement pas les mêmes produits et elles ne sont pas sur le même marché. Même si l’on pouvait prétendre qu’Access Copyright perd des recettes parce que ses fournisseurs autorisés de services de reproduction sont privés de recettes de photocopies au bénéfice de Bureau en Gros, cela ne permettrait pas néanmoins d’affirmer que Access Copyright et Bureau en Gros sont en concurrence. La perte de recettes d’une manière aussi indirecte ne fait pas d’une société à but non lucratif, établie pour assurer la gestion collective du droit d’auteur, la concurrente d’un détaillant. Pour arriver à cette conclusion, il ne m’est pas nécessaire de dire si un donneur de licence doit toujours être exclu de la portée de l’alinéa 7a). Il se pourrait que, dans certains cas, un donneur de licence et un preneur de licence soient des concurrents. Mais ce n’est manifestement pas le cas ici et il n’est pas nécessaire qu’un procès soit tenu pour trancher la question. Rien de ce qui pourrait être ajouté à l’acte de procédure ne permettrait à la défenderesse de tourner cet obstacle.

 

[26]           Cette conclusion suffirait en soi à liquider le présent appel. Mais le protonotaire a donné un autre motif de radiation de la demande reconventionnelle. Comme je l’ai déjà dit, il est arrivé à la conclusion que la cause d’action, selon l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, doit se rapporter à une déclaration fausse et trompeuse portant sur une marque de commerce ou autre droit de propriété intellectuelle. Puisque Bureau en Gros ne prétend pas qu’une déclaration faite par Access Copyright se rapporte à une marque de commerce ou un autre droit de propriété intellectuelle de Bureau en Gros, mais se réfère uniquement à des activités commerciales de contrefaçon, le protonotaire a estimé que Bureau en Gros devait être déboutée de sa demande reconventionnelle.

 

[27]           Il n’est pas contesté que l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce établit une cause d’action qui se rapproche du délit de discrédit d’un titre de propriété, ou du mensonge préjudiciable, et qui est assortie des mêmes conditions : a) une déclaration fausse et trompeuse; b) le fait de chercher à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent; c) l’existence d’un préjudice. La Cour suprême du Canada a jugé cependant que, pour être constitutionnellement valide, l’alinéa 7a) doit être interprété d’une manière encore plus étroite. L’alinéa 7a) ne peut être un texte constitutionnellement valide du législateur fédéral que s’il se limite à « compléter » le cadre réglementaire de la Loi sur les marques de commerce. Pour que l’alinéa 7a) soit valide, son application doit se limiter à établir une cause d’action se rapportant à des déclarations fausses ou trompeuses faites à propos d’une marque de commerce ou autre droit de propriété intellectuelle appartenant au demandeur. Ainsi que l’écrivait le juge en chef Laskin dans l’arrêt MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd. (1977), 66 D.L.R. (3d) 1, [1977] 2 R.C.S. 134, à la page 172 :

[…] Ni l’art. 7 dans son ensemble, ni l’al. e) considéré seul ou en relation avec l’art. 53, n’est une loi fédérale valide relative à la réglementation des échanges et du commerce ou une autre rubrique de compétence fédérale. Il y a empiétement sur la compétence législative provinciale dans la situation comme elle se présente. Toutefois l’art. 7 comprend des dispositions visant les fins de la loi fédérale dans la mesure où l’on peut les considérer comme un complément des systèmes de réglementation établis par le Parlement dans l’exercice de sa compétence à l’égard des brevets, du droit d’auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux. […]

 

 

Voir aussi : Gill et Jolliffe, Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition, 4e édition, Toronto, Thomson Carswell, 2002, à la page 2‑23.

 

 

[28]           Cherchant à éluder les limites fixées par la Cour suprême, la défenderesse fait valoir que les éléments de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce forment le fondement d’une cause d’action si une association peut être faite entre les déclarations fausses ou trompeuses et la propriété intellectuelle de la demanderesse ou de la défenderesse. Le protonotaire a donc commis une erreur, selon la défenderesse, en disant que l’abus des droits doit se rapporter à la propriété intellectuelle appartenant à Bureau en Gros, non à Access Copyright. En tout état de cause, affirme la défenderesse, il existe un lien entre les déclarations d’Access Copyright et la propriété intellectuelle, celle de Bureau en Gros et celle d’Access Copyright.

 

[29]           Quant à l’association avec la propriété intellectuelle de Bureau en Gros, la défenderesse affirme que cette exigence ne signifie pas que les déclarations doivent [traduction] « se rapporter » à la marque de commerce, à la raison sociale ou autre propriété intellectuelle du réclamant, mais simplement [traduction] « évoquer » cette propriété intellectuelle. L’unique précédent à l’appui de cette proposition est une mesure injonctive prononcée par la Cour de l’Ontario (Division générale) dans l’affaire Maple Leaf Foods Inc. c. Robin Hood Multifoods Inc. (1994), 58 C.P.R.(3d) 54, 17 B.L.R. (2d) 86, un précédent qui ne fait pas état de l’alinéa 7a), faisant simplement observer que la demanderesse avait un argument défendable qui justifiait une injonction interlocutoire. Non seulement la distinction aujourd’hui préconisée par la défenderesse n’avait‑elle pas été mentionnée ou discutée par la cour ontarienne, mais encore les annonces incriminées comprenaient les marques de commerce de la demanderesse. Aucun des autres précédents qui ont explicitement porté sur l’alinéa 7a) n’appuie cet argument de la défenderesse.

 

[30]           La défenderesse dit aussi que l’alinéa 7a) a pour effet de limiter la mesure dans laquelle les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent faire valoir leurs droits. Selon la défenderesse, cette disposition est valide lorsque le fondement d’une déclaration fausse ou trompeuse est une allégation d’utilisation non autorisée de droits de propriété intellectuelle. En l’espèce, affirme‑t‑elle, Access Copyright a fait des déclarations fausses sur l’étendue de son intérêt dans le droit d’auteur, en accusant Bureau en Gros de contrefaçon de droit d’auteur. De telles déclarations constituent un abus des droits conférés par la Loi sur le droit d’auteur, d’affirmer la défenderesse.

 

[31]           Au soutien de son argument, la défenderesse a invoqué une série de précédents portant sur la contrefaçon de brevets, dans lesquels les défendeurs menaçaient d’introduire (mais n’avaient pas introduit) des procédures en contrefaçon afin d’amener des clients à refuser de traiter avec un concurrent. Il est vrai que, dans la décision Riello Canada, Inc. c. Lambert, [1986] 3 F.T.R. 23, 9 C.P.R.(3d) 324, et dans la décision S. & S. Industries Inc. c. Rowell, [1966] R.C.S. 419, 56 D.L.R. (2d) 501, les déclarations en cause se référaient à la propriété intellectuelle de leur auteur (contrairement à ce qu’écrivait le protonotaire en faisant référence à la décision Riello), tout comme la déclaration d’Access Copyright se référait à la propriété intellectuelle d’Access Copyright.

 

[32]           Mais cela ne suffit pas à infirmer la décision du protonotaire. La jurisprudence en matière de contrefaçon de brevets, à commencer par l’arrêt S&S Industries de la Cour suprême, a clairement limité la validité d’une allégation selon l’alinéa 7a) à la revendication fautive de droits de brevet sans que soit introduite une procédure en contrefaçon et cette jurisprudence est un prolongement de la common law du XIXe siècle. Mais cette jurisprudence n’a jamais été appliquée aux revendications de droit d’auteur ni aux déclarations faites après l’introduction d’une procédure (Safematic, Inc. c. Sensodec Oy (1988), 20 FTR 132, 21 C.P.R.(3d) 12; Levi Strauss & Co. c. Timberland Co. (1997), 74 C.P.R. (3d) 49, 79 A.C.W.S. (3d) 929).

 

[33]           Les circonstances de la présente affaire sont très différentes de celles de l’affaire Riello. Access Copyright n’a pas dit à d’éventuels consommateurs qu’ils doivent des redevances à des donneurs de licences. Par ailleurs, Bureau en Gros peut certainement exercer ses activités sans licence, à condition qu’elle n’enfreigne pas la Loi sur le droit d’auteur. L’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce traite essentiellement de la responsabilité commerciale et se rapporte à la concurrence déloyale. Cette disposition a été élargie pour englober les déclarations fausses ou trompeuses se rapportant à des brevets, mais elle n’a jamais été appliquée dans le contexte du droit d’auteur, surtout lorsqu’une déclaration a été faite après l’introduction d’une procédure.

 

[34]           La défenderesse ne conteste pas que, après la radiation de son acte de procédure en application de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, il ne restait aucune cause d’action sur laquelle puisse être fondée une demande de dommages‑intérêts majorés, exemplaires et punitifs, ou une mesure injonctive.

 

[35]           En conséquence de ce qui précède, le présent appel interjeté à l’encontre de la décision du protonotaire est rejeté et la décision du protonotaire radiant la demande reconventionnelle de la défenderesse, sans autorisation de la modifier, est confirmée.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

·           L’appel est rejeté;

·           La décision du protonotaire radiant la demande reconventionnelle de la défenderesse, sans autorisation de la modifier, est confirmée;

·           Le délai à l’intérieur duquel la demanderesse pourra signifier sa réponse est prolongé jusqu’à 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance;

·           Les dépens de la présente requête et ceux de la requête soumise au protonotaire sont accordés à la demanderesse, pour être calculés selon la partie médiane de la colonne III du Tarif B des Règles des Cours fédérales.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1905‑07

 

INTITULÉ :                                       LA CANADIAN COPYRIGHT LICENSING AGENCY

                                                            c.

                                                            BUREAU EN GROS LTÉE

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 26 MAI 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 13 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark Hayes et Pauline Wong

 

POUR LA DEMANDERESSE

Christine Pallotta et David Kozman

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Avocats

199, rue Bay

Bureau 2800, Commerce Court West

Toronto (Ontario)  M5L 1A9

 

POUR LA DEMANDERESSE

Bereskin & Parr

Avocats

40e étage, Scotia Plaza

40, rue King ouest

Toronto (Ontario)  M5H 3Y2

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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