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Date : 20080617

Dossier : T‑1931‑07

Référence : 2008 CF 743

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

 

et

 

MIKHAIL SABRY MEGALLY

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Une décision raisonnée qui est brève doit faire l’objet d’admiration, contrairement à une décision brève dépourvue de raisonnement.

 

[2]               Le ministre fait appel de la décision de la juge de la citoyenneté dont la teneur se limite à ce qui suit : « Le demandeur a établi à la satisfaction du juge qu’il est devenu résident du Canada, en dépit de la nature particulière de son travail ».

 

REQUÊTE EN AJOURNEMENT

[3]               La présente demande de contrôle judiciaire a été déposée le 8 novembre 2007. Le défendeur, Mikhail Sabry Megally, a déposé un avis de comparution le 23 novembre 2007. Le 17 avril 2008, la Cour a ordonné que la présente affaire soit instruite à Toronto le 11 juin 2008, à 11 h. Le dossier de la Cour indique que, le 18 avril 2008, l’agent du greffe a téléphoné au défendeur pour l’informer de l’ordonnance fixant la date de l’audience. La personne qui lui a répondu a raccroché deux fois, et, la troisième fois, on lui a dit qu’il n’y avait personne portant ce nom au numéro composé. L’agent du greffe a donc envoyé au défendeur le 25 avril 2008 une lettre recommandée à laquelle était jointe une copie certifiée conforme de l’ordonnance indiquant la date et le lieu de l’audience.

 

[4]               Aucun document de réponse n’a été déposé par le défendeur dans la présente affaire. Le 6 juin 2008, la Cour a reçu du défendeur une lettre renfermant notamment ce qui suit :

 

[traduction] Je serais particulièrement honoré, monsieur le juge, de pouvoir vous rencontrer pour débattre davantage avec vous les détails de mon cas. Malheureusement, il m’est impossible de me libérer le 11 juin 2008 à cette fin. J’ai pris d’autres engagements envers les jeunes de mon ministère, qui sont en vacances durant les mois d’été, et je regrette de ne pouvoir rompre ces engagements. Je vous prie, monsieur le juge, de m’excuser de ne pouvoir me présenter ce jour‑là et je vous serais extrêmement reconnaissant de bien vouloir reporter ma comparution.

 

 

[5]               Selon la jurisprudence relative à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par le paragraphe 36(1) des Règles des Cours fédérales, les parties pour lesquelles une date d’audience a été fixée n’obtiendront un ajournement que dans des cas exceptionnels. Les facteurs qui sont pris en compte pour savoir s’il convient ou non d’accorder un ajournement sont les suivants : le préjudice que l’ajournement causerait à l’une ou plusieurs des parties, le préjudice résultant pour la Cour de la perte d’un créneau prévu pour une audience, enfin l’intérêt public pour une conclusion rapide du litige et pour un emploi rationnel des ressources affectées aux procès.

 

[6]               Une demande d’ajournement doit être faite par requête adressée à la Cour, accompagnée d’un affidavit détaillant les motifs de la demande et répondant aux critères qui régissent l’exercice du pouvoir d’accorder un ajournement. Dans la présente affaire, la lettre d’une page envoyée par le défendeur en tant qu’avis de requête et affidavit ne répond en aucune façon aux critères applicables.

 

[7]               Comme je l’ai déjà dit, avis de la date fixée a été signifié au défendeur par lettre recommandée postée le 25 avril 2008. La lettre du défendeur, bien que datée du 28 mai 2008, n’a en fait été reçue par la Cour que le 6 juin 2008. Il n’apparaît pas dans le dossier que le défendeur a tenté de communiquer plus tôt avec la Cour ou avec le demandeur, et rien n’explique la lenteur du défendeur à présenter cette demande.

 

[8]               À mon avis, la lettre du défendeur ne donne nullement à penser que sa situation est exceptionnelle au point qu’un ajournement devrait lui être accordé. Par conséquent, exerçant mon pouvoir discrétionnaire, je n’ai pas accordé au défendeur l’ajournement qu’il demandait.

 

[9]               Mes directives selon lesquelles la présente affaire devait être instruite le 11 juin 2008, à compter de 11 h, à Toronto, comme prévu, ont été communiquées par le greffe au défendeur par message vocal le 9 juin 2008. Le 10 juin 2008, le greffe a tenté de communiquer par téléphone avec le défendeur. La personne qui a répondu au téléphone était M. Rifat Ghabril, qui disait être un ami du défendeur. Il a dit que le défendeur était en dehors du pays et que selon toute vraisemblance il ne se présenterait pas à l’audience le 11 juin. Il a été confirmé que le message vocal laissé par le greffe le 9 juin 2008 a été transmis au défendeur, ainsi que les directives écrites.

 

[10]           Le défendeur ne s’est pas présenté à l’audition de la présente affaire le 11 juin 2008, à 11 h, à Toronto. L’affaire a suivi son cours en son absence.

 

[11]           Au début de l’audience, l’avocat du demandeur a déposé à la Cour copie d’une lettre qu’il avait reçue du défendeur tard le soir du 10 juin. M. Megally y confirmait qu’il n’était pas au Canada et qu’il ne se présenterait pas à l’audience. Il écrivait aussi : « J’ai présenté tous mes relevés et documents à madame la juge Patricia Phenix le 14 août 2007, et je n’ai rien de plus à dire ».

 

L’HISTORIQUE

[12]           M. Megally est un prêtre de l’Église copte orthodoxe. Né en Égypte en 1964, il est devenu résident permanent du Canada en avril 1997. Il a demandé la citoyenneté canadienne le 26 février 2002, mais ne s’est pas présenté à l’audience le concernant, et sa demande a été abandonnée ou il s’en est désisté.

 

[13]           Il a demandé à nouveau la citoyenneté canadienne le 2 janvier 2006 et s’est présenté devant la juge de la citoyenneté Phenix qui, le 28 août 2007, lui l’a accordée.

 

[14]           M. Megally avait écrit dans sa demande et dans son questionnaire sur la résidence qu’il s’était absenté du Canada à 15 reprises au cours des quatre années précédant sa demande, pour un total de 319 jours. Par conséquent, à première vue, il remplissait les conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29.

 

[15]           Cependant, la juge de la citoyenneté avait devant elle des preuves tangibles qui permettaient de douter que le défendeur avait bien été physiquement présent au Canada aux dates indiquées, et qui permettaient également de douter qu’il avait jamais établi sa résidence au Canada. Les preuves en question étaient les suivantes :

 

a.       le passeport du défendeur laissait voir qu’il avait obtenu, à Genève, au Caire et à Berne, 12 visas l’autorisant à se rendre en Suisse, en Allemagne, au Royaume‑Uni et aux États‑Unis, visas qui lui avaient été délivrés à des dates où il affirmait avoir été présent au Canada;

b.      le passeport du défendeur portait trois timbres‑dateurs de l’étranger qui avaient été apposés à des dates où il affirmait avoir été présent au Canada;

c.       le 24 juillet 2005, alors qu’il arrivait au Canada, à Port Érié, il a dit à l’agent qu’il passait énormément de temps en dehors du Canada, que depuis 2002 il avait passé cinq à six mois par année en Suisse, que sa famille vivait en Suisse et que son fils avait été inscrit dans une école suisse au cours des trois années antérieures;

d.      le 30 décembre 2005, alors qu’il se trouvait à l’ambassade du Canada à Paris afin d’obtenir un visa l’autorisant à revenir au Canada, il avait dit que sa famille vivait en Suisse, que lui‑même avait vécu en dehors du Canada au cours des trois années antérieures et qu’il voyageait souvent à l’étranger.

 

[16]           Le défendeur a également produit très peu des preuves généralement requises qui lui auraient permis de montrer ses liens avec le Canada. Le seul document produit pour établir que lui et sa famille résidaient au Canada était une lettre de son « propriétaire » datée du 7 septembre 2007, où l’on pouvait lire que M. Megally et sa famille bénéficiaient d’un hébergement gratuit « durant leurs affectations au Canada ».

 

LES MOTIFS D’APPEL

[17]           Le ministre prie la Cour d’annuler la décision de la juge de la citoyenneté, en invoquant trois moyens :

a.       la juge de la citoyenneté a commis une erreur en affirmant que le défendeur avait rempli les conditions de résidence fixées dans la Loi;

b.      la juge de la citoyenneté a commis une erreur parce qu’elle n’a pas motivé suffisamment sa décision;

c.       la juge de la citoyenneté a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte de certaines preuves.

 

L’ANALYSE

[18]           La nécessité de motiver une décision et de la motiver convenablement a été évoquée dans plusieurs jugements récents. Dans l’arrêt Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, la Cour d’appel fédérale, encore que dans des circonstances différentes de celles dont il s’agit ici, exposait les raisons pour lesquelles un tribunal administratif a l’obligation de motiver ses décisions. Le juge Sexton, s’exprimant pour la Cour d’appel, écrivait ce qui suit, aux paragraphes 16 à 19 de ses motifs :

16.   Bien que la Loi elle‑même n’impose pas à l’Office l’obligation de motiver ses décisions, l’article 39 des Règles générales de l’Office national des transports le fait. En l’espèce, l’Office a décidé de fournir ses motifs par écrit.

 

17.   L’obligation de produire des motifs est salutaire. Les motifs visent plusieurs fins utiles, dont celle de concentrer l’attention du décideur sur les facteurs et les éléments de preuve pertinents. Pour reprendre les termes de la Cour suprême du Canada :

On a soutenu que la rédaction de motifs favorise une meilleure prise de décision en ce qu’elle exige une bonne formulation des questions et du raisonnement et, en conséquence, une analyse plus rigoureuse. Le processus de rédaction des motifs d’une décision peut en lui‑même garantir une meilleure décision.

 

18.   Les motifs garantissent aussi aux parties que leurs observations ont été prises en considération.

 

19.   De plus, les motifs permettent aux parties de faire valoir tout droit d’appel ou de contrôle judiciaire à leur disposition. Ils servent de point de départ à une évaluation des moyens d’appel ou de contrôle possibles. Ils permettent à l’organisme d’appel ou de révision d’établir si le décideur a commis une erreur et si cette erreur le rend justiciable devant cet organisme. Cet aspect est particulièrement important lorsque la décision est assujettie à une norme d’examen fondée sur la retenue.

 

 

[19]           La Loi oblige le juge de la citoyenneté à motiver sa décision. Le paragraphe 14(2) de la Loi prévoit ce qui suit :

 

14.(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l’article 15, approuve ou rejette la demande selon qu’il conclut ou non à la conformité de celle‑ci et transmet sa décision motivée au ministre.

14.(2) Forthwith after making a determination under subsection (1) in respect of an application referred to therein but subject to section 15, the citizenship judge shall approve or not approve the application in accordance with his determination, notify the Minister accordingly and provide the Minister with the reasons therefor.

 

[20]           Il est impossible de dire, à la lecture de l’unique phrase des motifs de la juge de la citoyenneté, si elle a porté son attention sur les contradictions évidentes de la preuve, de savoir pourquoi elle a préféré les affirmations faites par le défendeur dans sa demande plutôt que les autres preuves versées dans le dossier – dont une bonne partie venait du défendeur –, de savoir si, selon elle, le défendeur avait jamais résidé au Canada, et comment elle est arrivée à cette conclusion, ou quand le défendeur était devenu résident du Canada, enfin, de savoir, pour le cas où il avait été absent du pays durant plus d’un an, quel critère la juge a appliqué pour dire qu’il avait résidé au Canada.

 

[21]           En bref, la juge de la citoyenneté n’a nullement motivé sa conclusion selon laquelle le défendeur répondait aux conditions de résidence prévues dans la Loi. Elle a commis une erreur de droit et sa décision ne peut être maintenue.

 

[22]           L’appel est accueilli.

 

[23]           Le ministre voudrait que la présente affaire ne soit pas renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvelle audience. Il est d’avis que, en appel, la mesure la plus indiquée consiste simplement à faire droit à l’appel étant donné que le défendeur n’est nullement empêché de demander à nouveau la citoyenneté s’il le souhaite.

 

[24]           Cela est sans doute la voie à suivre dans certains cas, mais je suis d’avis que, dans le cas présent, le défendeur devrait avoir la possibilité, s’il le souhaite, de faire instruire à nouveau sa demande par un autre juge de la citoyenneté. S’il décide de suivre cette voie, alors il faut espérer que le juge de la citoyenneté confrontera, avec les autres preuves susmentionnées qui se trouvent dans le dossier, les incohérences et contradictions figurant dans la demande et le questionnaire du défendeur et portant sur les périodes qu’il a passées en dehors du Canada. Il faut aussi espérer que le juge de la citoyenneté se demandera si le défendeur a jamais établi sa résidence au Canada, pour ensuite voir s’il a résidé pendant la période minimale de résidence qui est exigée par la Loi.

 

[25]           Comme la Cour a été informée par l’avocat du demandeur que l’orthographe du prénom du défendeur qui apparaît dans l’intitulé de l’avis de demande contient une erreur typographique, l’intitulé sera modifié, pour se lire ainsi :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                    demandeur

et

 

MIKHAIL SABRY MEGALLY

défendeur

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. L’intitulé est modifié pour devenir :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                    demandeur

et

 

MIKHAIL SABRY MEGALLY

défendeur

 

  1. L’appel est accueilli, et la décision de la juge de la citoyenneté Phenix en date du 18 septembre 2007 est annulée;
  2. La demande de citoyenneté présentée par M. Megally sera renvoyée pour nouvelle audition devant un autre juge de la citoyenneté, si, et seulement si, dans un délai de 30 jours après qu’auront été délivrés les motifs du jugement et le jugement, M. Megally informe le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, par écrit, qu’il souhaite que sa demande soit instruite à nouveau, à défaut de quoi elle sera réputée abandonnée.

 

   « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1931‑07

 

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c.

                                                            MIKHAIL SABRY FARID MEGALLY

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 juin 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bradley Gotkin

 

POUR LE DEMANDEUR

Néant

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

Mikhail Sabry Megally, en personne

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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